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DES PSYCHIATRES SOUFFRENT !
Le compte-rendu paru le 2 mai dans la quotidien argentin La nacion sur le dernier Congreso
Argentino de Psiquiatras nous indique un retournement dans la psychiatrie, retournement qui
est celui d’une courbe qui prend son point de départ dans les années 50 avec la création du
Diagnostic and Statistical manual onf Mental Disorders (DSM) par un groupe de psychiatres
appartenant à l’American Psychiatric Association, laquelle compte aujourd’hui aux USA
38 000 membres référencés.
Lorsqu’en 1967, dans une conférence (Petit discours de Jacques Lacan aux psychiatres - 10
novembre 1967-) J. Lacan s’adresse à une partie de la communauté des psychiatres
français, il formule ceci : « qu’il le veuille ou non », le psychiatre est concerné par le fou, et
Lacan interroge alors ce terme de « concerné », de « concernement ». Il y a de multiples
manières, dit-il, de se protéger de ce concernement , d’ériger des barrières protectrices. Par
exemple mettre entre le psychiatre et le fou d’autres personnes qui fourniront des rapports
au premier. Ou encore celle de s’accrocher à une idée, et qui viendra faire fonction de cette
séparation. Dans les années 50, avec la création du DSM, les psychiatres ont inventé une de
ces idées : le trouble mental. Cette invention est celle d’une unité bien calibrée dont il est
posé qu’on peut l’identifier dans la majorité des cas de sujets souffrants. Elle fait disparaître
le patient qu’on écoute, pour instaurer des classes de troubles qui vont être après coup
idenfifiés chez le patient. Il y a bien sûr plusieurs sortes de troubles mentaux, et cette entité,
let rouble mental, va être multipliée pour pouvoir être appliquée à toutes sortes de
symptômes. Cette invention va donc donner lieu aussi à une création de termes nouveaux
qui vont en faire disparaître d’autres et dont la particulariétaient qu’ils avaient été forgés à
partir de l’expérience clinique des psychiatres eux-mêmes, mais aussi à partir de celle des
psychanalystes, et donc de Freud.
Le terme de symptôme, que Lacan reformulera à la fin de son enseignement comme
sinthome, en est un bon exemple. Quel est l’effet, sur le psychiatre, du fait d’être concerné
par la folie ? C’ést l’angoisse. Avec la création d’une nosographie basée sur le trouble, plus
d’angoisse pour le psychiatre ! C’est à partir de cette nouvelle entité, le trouble, que le
Diagnostic and Statistical manual onf Mental Disorders a pu voir le jour. On a présenté le
DSM comme un manuel a-théorique. Mais justement, ce qui est nommé a-théorie est l’un
des noms majeurs de la technique, avec laquelle on voudrait faire valoir une de ses qualités.
Ici cela permet au final de raccorder l’unité dégagée, qu’est le trouble, à un système
d’évaluation rapide et compararatif, et donc à la suite de pouvoir être directement raccordé à
un calcul financier. En 1968, dans son sémnaire D’un Autre à l’autre, Lacan l’avait déjà noté
en France, lorsque dans l’Université étaient introduites les unités de valeur pour évaluer
chez l’étudiant les connaissances acquises. Ce fut le début de la marchandisation du savoir.
Pour le trouble mental, ce qui vérifie cela , c’est qu’il vient parfaitement s’adapter à
l’informatisation des dossiers médicaux, et que le praticien n’a plus dans ce cas, qu’à cocher
les cases du fichier pour que l’ordinateur lui donne au final le trouble dont il s’agit. L’angoisse
de la décision que devait prendre le praticien, a été ainsi annulée, effacée. Du coup, sa
responsabilité est en grande partie oblitérée. Nous n’avons ici pas parlé du fait que ces
troubles ont dés lors été identifiés à partir de l’efficacité des médicaments et non plus à partir
de ce que dit le patient.
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Si l’on part de la question du sujet, là où par exemple, pour le psychanalyste, le sinthome est
unique, ne valant que pour un seul sujet, ceci bien que ses composantes soient diverses, à
l’inverse le trouble mental fait d’une personne un être sans singularité, lui ôte tout ce qui fait
de lui un être incomparable. Il en fait simplement un être ayant vocation à être médiqué ou
non, suivant la grille de lecture pré-établie qu’est le DSM.
Alors que peuvent avoir à dire à ce propos les psychanalystes de Es-estrès laboral et de
Souffrances Au Travail ? A partir du moment dans un espace de travail, quel qu’il soit,
apparaît la technique informatique s’introduit alors le « signifiant numérique », qui est un
signifiant « désymbolisé […) dévitalisé et [..] désubjectivé » ( JA Miller in : Le calcul du
meilleur : alerte au tsunami numérique - Entretien réalisé par Yann Boutang et Olivier Suret
par Gilles Ch tenay, Eric Laurent, Jacques-Alain Miller– mis sur internet le 25 juin 2006).
Nous ajoutons que l’effet de l’introduction de ce signifiant est la souffrance psychique, dans
la mesure le sujet est annulé par tous les protocoles qui se mettent en place à sa suite.
C’est ce que nous indique la plainte des psychiatres argentins à leur dernier congrès. De
cette plainte, ils en placent la cause dans leurs patients, ce qui est un comble ! Mais ce sont
eux, les premiers, qui avec la création de l’entité « trouble mental », et le consentement à ce
qu’elle efface l’efficacité de leur clinique, ont érigé une barrière entre leur patient et eux-
mêmes. Il y a une phrase célèbre de Jacques Lacan, qui dit que ce qui est forclos du
symbolique reparaît dans le réel. Elle trouve ici, selon nous, une exacte application. Ce que
les psychiatres ont forclos de leur langage clinique pour se mettre à distance de l’angoisse
que leur inspiraient les patients, reparaît dans le réel de leur corps à eux, les psychiatres.
René Fiori
Psychanalyste, fondateur et Président de Souffrances Au Travail, membre de Envers de
Paris
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