transmission qui s’opère dans nos loges. En effet, les termes d’apprenti, de
compagnon, et de maître, que nous utilisons dans nos loges, ne sont pas seulement
les résidus anecdotiques de l’histoire fondatrice d’une franc-maçonnerie
spéculative héritière des organisations de métier de la construction. Bien au
contraire ils attestent que nous avons repris les méthodes, les moyens et les outils
de la franc-maçonnerie opérative, pour les appliquer à notre propre construction, à
l’évolution progressive de notre conscience, de notre vision du monde, et de notre
comportement.
Quand on suit, souvent avec bonheur, la transformation progressive de ses
frères en loge, quand on tente d’évaluer, dans le regard des autres le plus souvent,
sa propre évolution, on a le sentiment que malgré les chutes, les doutes et les
épreuves du chemin initiatique, la voie choisie par les loges écossaises pour aider
les frères dans leur progression est une voie merveilleusement efficace. Elle est
efficace parce qu’elle n’est pas didactique mais initiatique : elle ne propose pas un
enseignement de savoirs mais une prise de conscience personnelle au contact des
frères de la loge ; elle ne s’arrête pas aux mots et aux sciences mais se charge de
significations symboliques, pour permettre une relation en profondeur, impalpable
mais très riche, au-delà de la rationalité cartésienne, entre le maître et l’apprenti
de la loge ; elle développe l’écoute par le silence et convertit le regard, lui
apprenant à voir peu à peu la réalité cachée par-delà les apparences. Mais en
retour elle demande à celui qui frappe à la porte du temple un engagement
personnel, un désir et une volonté de travail intérieur personnel.
Bien sûr notre travail en loge n’est pas totalement comparable à un
apprentissage. L’apprenti regarde son maître d’apprentissage et apprend les tours
de mains, les manières de faire, et aussi bien sûr les valeurs, qu’il s’entraine à
recopier le plus parfaitement possible. Dans nos loges nous observons nos frères,
mais ce qu’ils nous apportent, nous ne pouvons pas le recopier à l’identique. Il
nous faut d’abord comprendre intérieurement et profondément, car dans notre
quête du sens de notre vie et de notre action dans le monde il n’y a aucune
solution générale, aucun tour de main universel, il n’y a que des accomplissements
personnels et intimes.
Cependant les spécificités de l’apprentissage sont bien celles que nous avons
décrites pour la voie initiatique écossaise et ce sont ces spécificités qui vont
donner à la formation en alternance toute son efficacité, celle d’une éducation
initiatique par opposition à un enseignement didactique :
Engagement personnel de l’apprenti et du maître
Démonstration par l’exemple plutôt qu’enseignement de savoir
Relation riche et profonde, impalpable, entre apprenti et tuteur
Développement de l’écoute et conversion du regard de l’apprenti
L’expérience montre que par le canal ainsi établi entre apprenti et maître
d’apprentissage passeront pêle-mêle techniques et savoirs, tours de mains et
déontologie du métier, valeurs professionnelles et valeurs de comportement. Cela
n’exclut pas, bien entendu une part didactique d’enseignement, car tout métier
est aujourd’hui soutenu par un ensemble de sciences et de techniques élaborées,
codifiées sur des supports écrits ou audiovisuels, et transmissibles par toutes les
méthodes modernes d’enseignement. Mais l’éducation de forme initiatique qui nait
de la relation de l’apprenti à son travail et à son tuteur ou maître d’apprentissage
manquera toujours cruellement à toute formation qui se limiterait à
l’enseignement de savoirs.