Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche - DGESCO
Transmission et pédagogie de la laïcité avril 2016
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II-2 La France a une histoire et doit défendre ses spécificités
Dire qu’un pays a une histoire est une évidence, mais il s’agit d’en mesurer toutes les conséquences.
L’analogie entre la vie d’un pays et celle d’un individu n’est pas injustifiée. Il y a toujours une tension
entre la dimension de l’histoire et celle de la mémoire. La première est sans cesse retravaillée par le
travail de l’historien, croise les regards, confronte les représentations à la réalité des faits documentés,
recoupés, attestés. Elle tend indéfiniment vers l’objectivité. La seconde est heureuse ou malheureuse,
souvent douloureuse, sélective, partielle et partiale. Elle est foncièrement faite de subjectivité pour
l’individu et de subjectivités collectives souvent concurrentes pour un pays. Pour les individus comme
pour les nations, le présent comme l’avenir ne s’ouvrent et se libèrent qu’à la mesure du courage
qu’on a eu d’affronter la tension entre histoire(s) et mémoire(s) qui gouverne notre relation au passé. Il
est bien évident que l’histoire et la mémoire françaises de la laïcité sont liées au poids considérable
qu’a pu avoir l’Église catholique et donc à la « guerre des deux France »
. Si, par ailleurs, la question
de l’islam est de fait au centre des débats sur la laïcité aujourd’hui en France, ce n’est pas sans liens
ni résonnances avec l’histoire de la colonisation
et l’histoire de l’immigration de populations de
culture musulmane vers la France. Ce n’est pas sans lien non plus avec le souvenir qu’il faut savoir
résister à une religion intransigeante qui veut naturellement imposer sa loi à la société.
Dans le cadre de la vie scolaire, la loi de mars 20014 sur l’interdiction des signes religieux
ostensibles pour les élèves du premier et second degré est tout à fait emblématique des débats qui
n’ont jamais vraiment cessé depuis la fin des années 1980 sur les relations entre laïcité et école. Elle
n’a pas déclenché une désertion massive par certaines jeunes filles musulmanes de l’école publique
et elle est respectée sans trop de difficultés, contrairement à ce que prétendaient les adversaires de
cette loi. Mais a-t-elle atteint ses objectifs ? Si l’on en croit la circulaire d’application de la loi, il s’agit
d’interdire tous les signes possibles qui pourraient, à l’avenir, rendre visuellement identifiable, sur le
plan religieux, un élève. Il est bien connu que dans les établissements où il y a une forte proportion
d’élèves musulmanes (ou se revendiquant comme telles, même si c’est en désaccord avec leurs
parents, même si cela ne correspond en rien à une connaissance approfondie de l’islam, peu
importe), il leur est très commode de se faire « voir » et reconnaître comme telles par des gants, des
jupes longues ou « abayas », des bandeaux étrangement larges etc. Viendraient aussi de la part des
garçons cette fois, le port de la djellaba le vendredi ou encore une certaine manière de tailler sa
barbe… On voit bien que la chasse aux signes est destinée à être ouverte jusqu’à la fin des temps et
nous mettra rapidement dans une impasse. La loi de 2004 a eu ceci de positif d’indiquer une certaine
réactivité de l’école française, compte tenu de son histoire et de son rôle si particulier dans la
construction de l’éthos politique républicain et laïque. Si toutes les jeunes filles voulant porter un voile
le font pour mille raisons n’ayant souvent qu’un rapport assez lâche avec la force de convictions
religieuses, il est par contre très certain que les musulmans fermés y sont tous très attachés (ce qui
ne veut pas dire non plus que tous les musulmans qui préfèrent que leur femme, leur sœur ou leur fille
soient voilées sont tous de dangereux terroristes potentiels !) et y voient un symbole fondamental et la
mesure par excellence de leur influence sur la population musulmane. Nos appartenances religieuses
modernes, quand elles existent, sont en fait « sorties de la religion
» comme système social
structurant et contraignant. Nous n’en finissons pas de découvrir éberlués que l’islam est encore une
Expression d’Émile Poulat pour désigner la tension entre la France catholique et la France laïque.
D. Borne et B. Falaize (sous la dir.), Religions et colonisations, Ed. de l’Atelier, 2009.
Nous consacrons une longue analyse à cette notion : « Est-on sorti de la religion ? La question du religieux après la religion
selon Marcel Gauchet », dans « A propos de la sortie de la religion en Chine », Monde chinois, N° 35.