Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 19
408
CHAPITRE 19
MONNAIE ET TAUX DE CHANGE
Les échanges internationaux donnent lieu à des paiements internationaux qui nécessitent
le recours à des devises, par le biais du taux de change et du marché des changes. Dans ce
chapitre, nous allons parler des taux de change, du marché des changes et des différents
régimes de change. Cela nous donnera l’occasion de voir, d’une part, la relation entre la
balance des paiements et le taux de change et, d’autre part, la relation entre la monnaie et
le taux de change.
1. LE MARCHÉ DES CHANGES
1.1. Définitions
Le marché des changes est un marché sur lequel on achète et on vend des devises.
S’il n’y a qu’une seule devise la livre sterling ) sur le marcdes changes en
Belgique, l’offre et la demande pour la £ proviennent des échanges entre le Royaume-Uni
et la Belgique. Un euro (€) a un prix qu’on notera e, c’est-à-dire qu’un vaut un certain
nombre de £ le prix de la devise, également appelé le taux de change.
Le taux de change est donc le prix de la devise nationale : 0,6 £ pour 1 €; du point de vue
britanique, ce sera 1/0,6 1,6 pour 1 £. La notion de taux de change recouvre les deux
définitions. Pour éviter toute confusion, nous adopterons la convention suivante: lorsque
nous parlerons de taux de change, cela voudra dire en général prix de la devise nationale.
Dans ce sens, une appréciation du taux de change signifiera que les devises étrangères
coûtent moins cher. Par contre, nous parlerons de dépréciation de la monnaie pour
signifier que la monnaie nationale voit son cours augmenter à l’étranger. On peut
cependant éviter toute confusion en adoptant la terminologie suivante: 0,6 £ pour 1
représente le taux de change de l’€ en £ (le prix de l’€ en £) et 1,6 € pour 1 £ représente le
taux de change de la £ en € (le prix de la £ en €).
Lorsque le prix de l’€ diminue, cela signifie que l’on obtient moins de £ pour 1 : il y a
une dépréciation de l’€ par rapport au £. Plus e est faible, plus le est bas par rapport au
£.
Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 19
409
Le taux de change effectif d’une monnaie est un indice du taux de change tenant compte
de l’importance des relations commerciales avec les autres pays. Le taux de change
effectif est donc un panier de taux de change d’une monnaie par rapport à différentes
monnaies.
Prenons un exemple. Supposons que la Belgique a deux partenaires commerciaux
représentant chacun 50% de son commerce extérieur: le Royaume-Uni et la Suisse. Un
vaut respectivement 0,6 £ et 1,5 francs suisses (CHF). Le taux de change effectif sera un
panier avec 1/2 £ et 1/2 CHF. L’indice correspondant vaudra 0,5x0,6 + 0,5x1,5 = 1,05.
Supposons que l’€ passe à 0,75 £, soit une appréciation de 25% par rapport au £. Le taux
de change effectif passera à 0,5x0,75 + 0,5x1,5 = 1,125, soit une appréciation du taux de
change effectif de 0,075/1,05 7% représentant la diminution effective du coût des
devises pour la Belgique.
1.2. L’offre et la demande pour une devise
L’analyse du marché des changes va pouvoir être faite à partir d’un simple graphique
d’offre et de demande. Si nous étudions l’offre et la demande de £, nous porterons les
quantités de « £ » en abscisse et le prix de la « £ » en ordonnée, soit 1/e.
1.2.1. L’offre
Du point de vue de la balance des opérations courantes, l’offre est fournie principalement
par les exportateurs belges qui vendent des produits belges au Royaume-Uni. Ils
reçoivent en échange des £ qu’ils offrent ensuite sur le marché des changes. On suppose
que l’offre de £ augmente avec le prix de la £.
Pourquoi l’offre augmente-t-elle avec le prix de la devise?
Si la £ augmente par rapport à l’euro, les produits belges deviennent relativement moins
chers pour les Britaniques : un bien qui vaut 100 aujourd’hui vaudra moins en £ si
celui-ci augmente. Les produits belges deviennent plus compétitifs. Donc, lorsque le prix
de la devise nationale diminue, les exportateurs sont plus compétitifs et exportent plus.
Ceci augmente leurs recettes d’exportation et ils offrent plus de £ sur le marché des
changes.
L’offre vient non seulement des exportateurs mais aussi des investisseurs directs
étrangers: si les Britaniques construisent une usine en Belgique, ils paient avec des £.
Cela constitue une entrée de devises, d’où une augmentation de l’offre de devises. De
même, si des banques belges empruntent à des banques britaniques, cela constitue une
entrée de devises, poste au crédit de la balance des capitaux. Du point de vue de la
balance des capitaux, l’offre de devises ne varie pas nécessairement avec le prix de la
devise. On supposera que cette offre est totalement inélastique, nous l’avons noté Zk sur
le graphique 19.1. Elle vient donc s’ajouter simplement à l'offre de devises provenant des
Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 19
410
recettes d’exportation sans modifier la pente de la fonction d’offre qui, comme on vient
de le voir, est reliée à la compétitivité.
1.2.2. La demande
La demande est déterminée par les importations de produits britaniques : les importateurs
ont besoin de £ pour acheter au Royaume-Uni et donc ils vont demander des £. La
demande de £ diminue lorsque le prix du £ augmente : si le prix du £ augmente, un
produit britanique qui vaut 1 £ aujourd’hui (1 £ = 0,6 €) vaudra 1 £ demain 1 £ = 0,75
€, donc le produit vaudra plus cher. Donc, lorsque le prix de la devise étrangère
augmente, la demande d’importation va diminuer et la demande de £, représentant la
demande de dépenses d’importations, diminuera également.
Du point de vue de la balance des capitaux, la demande de devises ne varie pas
nécessairement avec le prix de la devise. On supposera qu’une partie de cette demande
est totalement inélastique, nous l’avons noté Xk sur le graphique 19.1. Elle vient donc
s’ajouter simplement à la demande de devises provenant des importations sans modifier
la pente de la fonction de demande.
1.2.3. Les élasticités
Pour que les pentes soient telles qu’on les a décrites, il faut que les importations et les
exportations soient suffisamment élastiques par rapport aux prix. Voyons cela de plus
près.
L’offre de £ est constituée par les recettes d’exportation, autrement dit les quantités
exportées fois les prix à l’exportation. Si le prix de la £ diminue, les prix belges à
l’exportation augmentent et une diminution du volume des exportations va être observée.
Si les exportations diminuent, deux effets se manifestent: les prix à l’exportation
augmentent et les quantités exportées diminuent. Si la demande d’exportation est
inélastique par rapport au prix, une baisse de la £ augmente les prix belges à
l’exportation et les recettes à l’exportation. Dans ce cas, l’offre augmente lorsque le prix
de la £ diminue.
A l’inverse, si les exportations sont suffisamment élastiques par rapport aux prix, lorsque
la £ diminue, les prix à l’exportation augmentent, mais les quantités exportées diminuent
beaucoup plus. Les recettes à l’exportation diminuent ainsi que l’offre de £.
Un raisonnement analogue peut être appliqué aux importations: une baisse de la £ rend
l’achat de produits britaniques plus avantageux. Les prix à l’importation belges baissent
et les importations augmentent. Si les importations sont inélastiques par rapport aux prix,
suite à une diminution de la £ la demande de £ diminue. Le prix en £ reste le même et la
demande de dépenses d’importations reste constante. La demande de £ donc diminue.
Lorsque les importations sont élastiques par rapport aux prix, les dépenses à l’importation
Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 19
411
vont augmenter lorsque la £ baisse. Par conséquent, la demande de £ augmente.
La condition de Marshall-Lerner
Pour que la demande nette de £ (demande moins offre) diminue avec le £, il faut que la
somme des élasticités de la demande d’importations et d’exportations en volume soient
supérieures à 1. Ou encore, une dépréciation réelle de la monnaie n’améliore la balance
commerciale qu’à la condition que la somme des valeurs absolues des élasticité-prix de
l’offre d’exportation et de la demande d’importation soit supérieure à l’unité.
Ce qui revient à affirmer que l’effet-volume positif engendré par une dépréciation doit
être suffisamment intense pour compenser l’effet-prix négatif.
Cette condition porte le nom des deux économistes qui l’ont formulée : Alfred Marshall et
Abba Lerner.
1.2.4. Le taux de change d’équilibre
Dans la mesure l’offre et la demande ont une pente différente, il existe un taux de
change d’équilibre : c’est le prix de la devise pour lequel la quantité offerte est égale à la
quantité demandée. Ce taux de change est e0 et il correspond à la quantité d’échange Q0.
Graphique 19.1: LE MARCHÉ DES CHANGES BELGE: € VS £
Q£
1/e ()
1/e0
Q0
D£
O£
ZK
XK
ZBOC
Gérard Roland, Economie Politique Chapitre 19
412
Pour la clarté, les parties verticales de l’offre et de la demande de devises ne sont plus
reprises sur les graphiques suivants.
1.3. Les déplacements de l’équilibre
Quels sont les facteurs les plus importants influençant le taux de change d’équilibre?
1.3.1. L’évolution des goûts
Une campagne pour des produits britaniques qui remporte un grand succès va stimuler la
demande d’importation pour les produits britaniques. Par conséquent, à taux de change
identique les prix restent inchangés la demande de £ se déplace vers le droite en D£’.
Un nouvel équilibre s’établit en e1, ce qui correspond à une appréciation du £ par rapport
au € ou à une dépréciation du € par rapport au £.
Graphique 19.2: LE MARCHÉ DES CHANGES BELGE:
AUGMENTATION AUTONOME DE LA
DEMANDE DE £
Q£
1/e ()
1/e0
Q0
D£
O£
D£
Q1
Q0
1/e1
De façon analogue, supposons qu’il y ait une vague d’engouement pour les produits
belges au Royaume-Uni. Cela entraînera une augmentation des exportations, donc une
augmentation de l’offre de devises, donc un déplacement de la fonction d’offre à droite et
vers le bas. Cela entraîne une baisse du taux de change d’équilibre du £ et donc une
1 / 23 100%