17/01/2014 Thème 1 : La téléologie chez les Anciens et les modernes Plan de la section La problématique de ce séminaire Platon et Aristote 3. Les mécanistes modernes 1. 2. 1. La problématique de ce séminaire 1.1 Quelques concepts et leurs définitions préliminaires a) Téléologie L’idée selon laquelle il existe des buts dans la nature. Aristote caractérise quatre types de causes : 1) Matérielle 2) Formelle 3) Efficiente 4) Finale 1. La problématique de ce séminaire 1. La problématique de ce séminaire 1.1 Quelques concepts et leurs définitions préliminaires 1.1 Quelques concepts et leurs définitions préliminaires a) Téléologie L’idée selon laquelle il existe des buts dans la nature. a) Téléologie L’idée selon laquelle il existe des buts dans la nature. Aristote caractérise quatre types de causes : Aristote caractérise quatre types de causes : 1) Matérielle 1) Matérielle 2) Formelle 2) Formelle 3) Efficiente 3) Efficiente 4) Finale 4) Finale Exemple : Pourquoi y a-t-il des lettres écrites sur l’écran ? b) Fonction Cause efficiente : Définition (Robert) : Rôle caractéristique d’un élément dans un ensemble. Cause finale : Dans ce cas-ci, la téléologie découle des intentions d’un être doté d’une conscience. L’enjeu pour la biologie se présente lorsque l’on attribue à un être une téléologie qui ne peut pas découler d’une conscience. Exemples : - Les racines d’une plante se déploient dans le sol afin qu’elle puisse se nourrir. - La plante pousse en direction de la fenêtre afin de capter la lumière et d’accomplir la photosynthèse. F1 F2 F3 F4 Telos du système Ex. : Roue sur une voiture Ex. : Cœur dans un organisme animal Lié à l’idée de dysfonction. Il y a donc une normativité impliquée par le concept de fonction. 1 17/01/2014 1.2 Téléologie et science moderne La science moderne est réputée avoir répudié l’explication par des causes finales. Francis Bacon (1561-1626) : La téléologie n’est pas pertinente pour l’étude de la physique, elle ne l’est que pour la métaphysique. Descartes (1596-1650) (même idée grosso modo) : Nous ne nous arrêterons pas aussi à examiner les fins que Dieu s’est proposées en créant le monde, et nous rejetterons entièrement de notre philosophie la recherche des causes finales ; car nous ne devons pas tant présumer de nous-mêmes, que de croire que Dieu nous ait voulu faire part de ses conseils : mais, le considérant comme l’auteur de toutes choses, nous tâcherons seulement de trouver par la faculté de raisonner qu’il a mise en nous, comment celles que nous apercevons par l’entremise de nos sens ont pu être produites […] (Principes de la philosophie, 1, 28). Pourtant, dans les faits, même après Darwin, les théories biologiques sont remplies de langage téléologique. Exemples : Les racines d’une plante se déploient dans le sol afin qu’elle puisse se nourrir. La plante pousse en direction de la fenêtre afin de capter la lumière et d’accomplir la photosynthèse. Des dents pointues sont placées à l’avant de la bouche afin de déchirer. Le rôle du cœur dans la physiologie d’un organisme est de pomper le sang. Les oiseaux ont pour rôle écologique de contrôler les populations d’insectes, prévenant ainsi leur prolifération. Questions : • Comment situer la téléologie et les notions connexes (fonctions) dans le contexte de la biologie contemporaine (darwinienne) ? • Comment la définir ? • Comment caractériser son rôle explicatif ? Spinoza (1632-1677) : La téléologie est un refuge d’ignorance. Pourquoi est-ce qu’une tuile est tombée d’un toit et a tué une personne ? Quand on ne sait plus quoi répondre, on invoque la volonté divine. Darwin (1809-1882) : Selon l’interprétation courante (ex. : Ghiselin 1993), Darwin serait celui qui a accompli l’éjection de la téléologie hors de la science moderne. - La sélection naturelle remplace Dieu comme source de l’apparente téléologie (l’adaptation) observée dans la nature. - Darwin explique par une cause efficiente, la sélection naturelle, l’apparente téléologie (l’adaptation) dans le monde biologique. 2. Platon et Aristote 2.1 Platon Téléologie créationniste : Les êtres servent un bien qui leur est extérieur établit par le démiurge (travailleur public, artisan). Dans le Timée (48a) : [C]e monde est le résultat de l'action combinée de la nécessité et de l'intelligence. L'intelligence prit le dessus sur la nécessité, en la persuadant de produire la plupart des choses de la manière la plus parfaite ; la nécessité céda aux sages conseils de l'intelligence ; et c'est ainsi que cet univers fut constitué dans le principe. L’univers est soumis à la fois au bien et à la matière. Pour Platon : 1) Le monde et les organismes qui y vivent sont des artéfacts créés par le démiurge selon un plan préétabli extérieur au monde matériel. 2) Ainsi, le bien de chaque être est défini selon ce plan préétabli et vient donc de l’extérieur. 2.2 Aristote L’argument de l’organisation (Aristote, Physique 199a 9-10) : Caractéristiques de sa notion de téléologie : 1) Naturaliste (pas de designer externe), le telos est un principe de développement et comportement interne à l’être naturel. 2) Immanente (pas de but externe, la finalité est interne à chaque être) Analogie entre la nature et l’art (au sens de technique)… Présence dans la nature d’organisation semblable à celle que l’on observe dans le monde humain (ex. : la construction de maisons) : C Cosmologie l i Platon Créateur extérieur (démiurge) Aristote Naturaliste, immanentiste Source du S d changement téléologique Modèle extérieur Principe de changement inhérent aux êtres - Les feuilles des arbres qui croissent pour faire de l’ombre aux fruits - Les racines qui descendent dans le sol pour nourrir la plante - La fabrication de nids par les oiseaux N Normativité ti ité Le changement est pour le mieux (d’un point de vue cosmologique) Le changement est bon pour l’organisme qui l’accomplit (bien local). - La fabrication de toiles p par les araignées g Raisonnement : (1) Dans tous ces cas, on observe une séquence de développement vers un état final, et la séquence ne se produit que lorsqu’elle est bénéfique à l’organisme qui l’accomplit. (2) Cela ne peut pas être le cas par pure coïncidence (par hasard) (3) Ces activités sont déterminées par un but, une téléologie (sans intentions, inhérente à la nature) 2 17/01/2014 3. Les mécanistes modernes Pour la plupart des modernes, l’univers doit être compris comme une gigantesque machine. C’est la conception mécaniste du monde (qui remplace la conception organismique d’Aristote). Mariage improbable entre le platonisme et l’atomisme de Démocrite. Démocrite Dé it = explication li ti ddu monde d en ttermes dde causes efficientes seulement (rejet des causes finales d’Aristote). Platon = forme et téléologie imprimée dans le monde matériel par un démiurge extérieur. Ceci laisse une place à la téléologie, mais dans sa version platonicienne (créationniste). Les êtres de la nature ont un but relativement à un plan divin. Dieu est alors vu comme l’horloger qui aurait assigné sa fin (sa fonction) à chaque être composant le monde. Aristotéliciens : Téléologie interne par analogie aux organismes vivants Modernes : Téléologie externe par analogie aux machines. Modernes : Démocrite (l’atomisme) explique la matière, et Platon (la volonté Divine) explique la forme selon laquelle la matière est organisée dans le monde actuel. Chez Newton (1643-1727) : Même Voltaire (1694-1778) : Les lois de la gravitation expliquent la stabilité et l’ordre qui existent actuellement dans le système solaire, mais n’expliquent pas l’origine de cette stabilité et de cet ordre. « Il est vrai, j'ai raillé Saint-Médard et la bulle, Mais j'ai sur la nature encor quelque scrupule. L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer Que cette horloge existe et n'ait pas d'horloger. » (Voltaire Les Cabales, (Voltaire, Cabales 1772) L’origine du système solaire est donc l’action téléologiquement orientée du Créateur. O Organisation i ti → organisateur i t ((créateur é t iintelligent) t lli t) Astrotheology (Amundson 1996), i.e. téléologie à l’échelle cosmique. La simplicité remarquable des lois de la gravité et de l’inertie est la preuve que celles-ci résultent de causes finales divines. Voltaire est un important vulgarisateur francophone de Newton, via les Éléments de la philosophie de Newton (1738) De l’astrothéologie à la physicothéologie : John Ray (1627-1705) : Certains comme Robert Boyle (1627-1691) en sont venus à penser que la simplicité du monde physique était justement ce qui rendait envisageable qu’il se soit organisé de manière mécanique et fortuite, par essais-erreurs, comme le proposait Epicure (un atomiste). Auteur de nombreux traités de biologie : LLa biologie bi l i offrait ff it un ffondement d t plus l solide lid pour l’argument de l’organisation. 1686: History of fishes. fishes L’âge d’or de la physico-théologie britannique sera biologique. 1693: Synopsis of animals and reptiles. 1660: Catalogue of Cambridge plants. 1668: Tables of plants. 1668: Catalogue of English plants. 1676: Ornithologia. 1682: New method of plants. 1686–1704: History of plants. 3 vols, 1690: Synopsis of British plants. 1694: Collection of European plants. 1695: Plants of each county. (Camden's Britannia) La physicothéologie est une physiotheology (Amundson 1996) 1705. Method and history of insects. (Post-mortem, unedited) 1713: Synopsis of birds and fishes. 3 17/01/2014 John Ray (1627-1705) : John Ray (1627-1705) : Cite un grand nombre de cas observables d’organisation inexplicable sans postuler l’existence de Dieu. Dimension écologique : L’argument de l’organisation : « For if in the works of art, as for example a curious edifice or machine, counsel, design, and direction to an end, appearing in the whole frame, and in all the several pieces of it, do necessarily infer the being and operation of some intelligent architect or engineer, why shall not also in the works of nature, that grandeur and magnificence, that excellent contrivance for beauty, order, use, etc., which is observable in them, wherein they do as much transcend the effects of human art as infinite power and wisdom exceeds finite, infer the existence and efficiency of an Omnipotent and All-wise Creator? » (The Wisdom of God As Reflected in the Works of the Creation, 1691) Fonction des montagnes dans le cycle de l’eau. Fonction des insectes dans l’alimentation des oiseaux (idée de chaine alimentaire). Quelques autres physico-théologiens : William Paley (1743-1805) : William Derham (1657-1735) Réaffirme l’argument de l’organisation : l’analogie de la montre. Physico-theology, or a Demonstration of the Being and Attributes of God (1723) Astro-theology: or, A demonstration of the being and attributes of God, from a Survey of the Heavens (1731) Richard Bentley (1662-1742) 1) Le fonctionnement complexe d’une montre implique qu’elle a été faite par un concepteur intelligent. The Follyy and Unreasonableness of Atheism: Demonstrated from the Advantage and Pleasure of a Religious Life, the Faculties of Human Souls, the Structure of Animate Bodies, & the Origin and Frame of the World (1693) Noël-Antoine Pluche (alias l'abbé Pluche) (1688-1761) Le spectacle de la nature, ou Entretiens sur les particularités de l'histoire naturelle qui ont paru les plus propres à rendre les jeunes gens curieux et à leur former l'esprit (1732-1742). 2) De même, la complexité d’un organe ou d’un organisme implique qu’ils ont été faits par un concepteur intelligent William Paley (1743-1805) : Idée générale à retenir : « What does chance ever do for us? In the human body, for instance, chance, i.e. the operation of causes without design, may produce a wen, a wart, a mole, a pimple, but never an eye. Amongst inanimate substances, a clod, a pebble, a liquid drop might be; but never was a watch a telescope watch, telescope, an organized body of any kind, answering a valuable purpose by a complicated mechanism, the effect of chance. In no assignable instance hath such a thing existed without intention somewhere. » (Natural Theology, Darwin Online edition, p. 63) Chez tous ces modernes, ce qui est défendu est une téléologie Platonicienne (créationniste), pas une téléologie Aristotélicienne (immanente), c’est-à-dire une téléologie venant de l’extérieure des êtres vivants. 4 17/01/2014 Références Amundson, Ron. 1996. “Historical Development of the Concept of Adaptation.” In Adaptation, ed. Michael R Rose and George V Lauder, 11–51. San Diego: Academic Press. Ariew, André. 2002. “Platonic and Aristotelian Roots of Teleological Arguments.” In Functions: new essays in the philosophy of psychology and biology, ed. André Ariew, Robert Cummins, and Mark Perlman, 7–32. Oxford; New York: Oxford University Press. E t Frank Egerton, F k N. N 1973. 1973 “Changing “Ch i C Concepts t off th the Balance B l off Nature.” N t ” The Th Quarterly Q t l Review of Biology 48 (2): 322–350. Glacken, Clarence J. 1967. Traces on the Rhodian shore; nature and culture in Western thought from ancient times to the end of the eighteenth century. Berkeley: University of California Press, chap. 8 et 11. Gotthelf, Allan. 2012. Teleology, first principles, and scientific method in Aristotle’s biology. Oxford [England]; New York: Oxford University Press. Gotthelf, Allan, and James G Lennox. 1987. Philosophical issues in Aristotle’s biology. Cambridge [Cambridgeshire]; New York: Cambridge University Press. 5