Tabagisme et psychose

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Sevrage tabagique chez le patient schizophrène
8ème congrès de la SFT
Paris, 7 novembre 2014
Dr Audrey SCHMITT
[email protected]
La schizophrénie
• Maladie chronique neurodéveloppementale (et
neurodégénérative) avec atteinte de la sphère
intellectuelle et cognitive
• Affecte 0,6 à 0,9% de la plupart des populations,
sex ration égal
• Se développe au début de l’âge adulte
• Multifactoriels mais forte composante génétique
(Flint J, Nature, 2014; Schizophrenia Working group of the psychiatric
genomics consortium, Nature, 2014)
Baisse de l’espérance de vie
des patients schizophrènes
- 60% maladies physiques
- 28% par suicide
- 12% par accidents
(Méta-analyse de Brown, 1997)
Mortalité chez les patients souffrant de schizophrénie
Causes de décès
SMR moyen
Toutes cause (ICD-9 codes 001-799/E800-E999)
2,98 (1,75)
Toutes causes « naturelles » (ICD-9 codes 001-799)
2,31 (1,18)
Toutes causes « non naturelles » (ICD-9 codes E800-E999)
8,60 (3,71)
Maladies Cardiovasculaires (ICD-9 codes 390-429)
2,01 (0,83)
Maladies Cérébro-vasculaires (ICD-9 codes 430-438)
0,87 (0,38)
Maladies Digestives (ICD-9 codes 520-579)
5,28 (6,84)
Maladies Endocrines (ICD-9 codes 250-259)
5,50 (5,34)
Maladies Infectieuses (ICD-9 codes 001-139)
4,56 (3,11)
Maladies Génito-urinaires (ICD-9 codes 580-629)
3,18 (1,45)
Maladies Néoplasiques (ICD-9 codes 140-239)
1,44 (0,60)
Maladies « nerveuses »(ICD-9 codes 345-349)
4,26 (2,70)
Maladies respiratoires (ICD-9 codes 460-519)
4,01 (2,66)
Autres maladies (ICD-9 codes 1-389/630-799)
2,28 (1,01)
Ratio standardisé de mortalité : SMR :compare la mortalité dans
la population de patients souffrant de schizophrénie avec celle
de la population générale
Saha et al Arch Gen Psychiatry (2007)
Aspects épidémiologiques spécifiques
• La fréquence du tabagisme chez les patients souffrant de
schizophrénie varie de 64 à 93% en fonction des études
et des pays (autour de 30% en population générale)
(Poirier et al, 2002; Dervaux et al, 2004)
• Comparaison aux autres pathologies psychiatriques
(poolées) (LLerena et al, 2003):
– 7 études regroupant 1007 schizophrènes et 969
souffrant de différentes pathologies : tabagisme 78%
contre 58% (OR 2,6)
– 6 études portant dans une population masculine et
regroupant 819 schizophrènes et 969 souffrant de
différentes pathologies : tabagisme 86% contre 71%
(OR 2,7)
Facteurs de risque et
comorbidités somatiques dans la schizophrénie
Facteurs de Risque
non modifiables
Facteurs de Risque
modifiables
Prévalence dans la
Schizophrénie 1, 2, 3, 4
Obésité
45 – 55%
(1,5 – 2x)
Tabac
50 – 80 %
(2 –3x)
Diabète
10 –14%
(2x)
Hypertension
 18 %
Dyslipidémie
Prévalence 
Sexe
Antécédents
familiaux
Antécédents
personnels
Age
1.Davidson et al (2001)
2.Allison et al (1999)
3.Dixon et al (1999)
4.Herran et al (2000)
Conséquences sanitaires
• Lichtermann et al (2002) : étude utilisant des
registres de santé (Finlande) identifiant une
cohorte de 26996 patients (nés entre 1940 à 1969 et
traités entre 1969 et 1991), et 39131 parents et
52976 membres de la fratrie non atteints
– Risque très supérieur de cancer du poumon dans la
population de patients souffrant de schizophrénie par
rapport à la population générale
– Risque moindre dans la population des apparentés
• Rôle probable de facteurs génétiques et de
facteurs d’environnement (en particulier le tabac)
Aspects cliniques
• Patterns de consommations chez les patients
schizophrènes (Batel, 2000) :
– Dépendance à la nicotine plus sévère et plus précoce
que dans la population générale
– Consommation d’alcool plus irrégulière. Abus et
dépendance aussi fréquents
– Usage de cannabis exposerait à un risque accru de
dépendance
– Utilisation de cocaïne plus intermittente (raison
sociale d’accès au produit ou de symptômes).
Tabagisme et schizophrénie
• Intoxication + élevée que chez les contrôles
– Fument + (51 % des SCZ contre 8% en pop générale
fument + de 20 cig/j)
– Fument + intensément (cotinine)
• Ressentent plus de difficultés à ne pas fumer
toute une journée (82% des SCZ fumeurs
contre 57% en pop générale)
• Fument + souvent leur 1ère cig dans les 30 min
qu’en pop générale (72% des SCZ/41%)
• Prépondérance masculine
Facteurs de causalité
• L’hypothèse la plus séduisante, explicative de la forte prévalence du
tabagisme chez les patients schizophrènes est celle de l’utilisation par
ces sujets du tabac comme une véritable automédication permettant
de lutter contre:
– Les manifestations cliniques de la maladie (symptômes négatifs,
anhédonie) (Dalack et al, 1998)
– Les déficits cognitifs observés chez les schizophrènes en
particulier une altération des processus attentionnels
probablement consécutifs à des déficits neuronaux (etude de
cohorte, Winterer et al, 2010; Adler et coll, 1998).
– Réduction des récepteurs nicotiniques alpha 7 chez les
schizophrènes responsable d’un déficit de filtrage sensoriel
(Mackovick KM, 2014)
• Moss et al., Drug Alcohol depend, 2009
– N = 58, versus placébo
– Montre que l’intensité des déficits cognitifs
préfrontaux sont prédictifs d’échec de
sevrage. Evoque la possibilité de test avant
sevrage et programme de remédiation
cognitive
Facteurs de causalité
• Existence d’un déséquilibre cortico-sous cortical
dopaminergique chez les patients schizophrènes,
avec hypodopaminergie corticale au niveau frontal
responsable de la symptomatologie négative
• Existence d’une modulation dopaminergique et
glutamatergique médiée par les récepteurs
nicotiniques (Dalack et al, 1998)
• Diminution de la symptomatologie négative
(primaire et secondaire) chez les patients
schizophrènes fumeurs (Ziedonis et Georges,
1997)
Facteurs de causalité
• Autres facteurs :
– Modification de l’action et des effets indésirables des
thérapeutiques antipsychotiques
(pharmacodynamique et pharmacocinétique) :
• consommation de cigarettes, comme facteur permettant
d’induire la dégradation des neuroleptiques (lutte contre
l’imprégnation du traitement neuroleptique)
• De Leon, 1995 : pas de différence significative entre les
patients schizophrènes qui reçoivent des neuroleptiques et
ceux qui n’en reçoivent pas en ce qui concerne leur statut
tabagique
– Rôle de l’environnement (Srinivasan et Thara, 2002)
Sevrage tabagique et schizophrénie1
Limitations pour l’arrêt du tabac chez les patients schizophrènes
Schizophrénie
Tabagisme
Symptômes négatifs
Effets physiologiques de la
nicotine :
Altérations cognitives
Dépendance au tabac
Augmentation sensation de
plaisir
Amélioration des processus
attentionnels
Limitations à l’arrêt :
Augmentation des symptômes négatifs
Altération de la concentration et de l’attention
Symptomatologie de sevrage sévère redoutée en l’absence de substitution
Manque de renforcement pour le maintien de l’abstinence
Limitations cognitives au développement de stratégies de contrôle
Existence de renforcement positif pour continuer de fumer
1.McChargue DE et al, Addiction (2002)
Moins de désir d’arrêter de fumer???
• Désir d’arrêter de fumer chez les patients
institutionnalisés pour troubles psychiatriques (Meyer et al,
1999)
:
– Schizophrène: 52%
– Bipolaire: 58%
– EDM: 41%
– Pop Générale: 69%
C’est donc un à priori à revisiter….
• Motivation déclarée importante des patients hospitalisés
en psychiatrie, supérieure à la moyenne de la population
générale. Programmes de motivation à l’arrêt ont leur
place dans les unités (Heidi et al, 2009)
Arrêt tabac et schizophrénie
• Etudes sur la PEC clinique:
– 1: Facteurs prédictifs de l’abstinence (Culhane et al, 2008)
• Initiation tardive est un facteur favorable à l’abstinence
• Le déficit attentionnel est un facteur défavorable
– 2: Fagerstrom et Aubin, 2009 (revue de la littérature)
• Évoque la possibilité de l’inefficacité des programmes de
sevrage tabagique classique pour les patients psychiatriques
et la nécessité de suivis plus longs sans fin déterminée avec
approche pluri disciplinaire intensive
Arrêt du tabac et psychose
• Préférer l’arrêt du tabac à distance de l’épisode aigu
• Le psychiatre doit être impliqué dans l’arrêt ou la
réduction du tabagisme. Il peut assurer ce suivi seul ou
collaborer avec un tabacologue.
• Les troubles cognitifs rendent plus complexes et
ralentissent le sevrage
• La réduction du tabagisme sous SN est recommandé
chez le patient schizophrène qui ne peut ou ne veut pour
l’instant arrêter de fumer
• Les symptômes de sevrage sont + intenses chez les
patients schizophrènes avec polyaddiction comme par
exemple les fumeurs de cannabis
Sevrage tabagique et schizophrénie
• Etudes associant 1, 2, 3, 4:
– substitution nicotinique
– conseil comportemental
– mesures psycho-éducationnelles
• Durée : 7 à 10 semaines
– A la fin du traitement 42 à 50% d’efficacité
– A 6 mois : maintien de l’abstinence de 12% à
17,6%
– Intérêt des approches combinées. Rôles de la
1. substitution
Ziedonis DM et George TP. Schizophr Bull.
durée d’exposition et de la
(1997)
2.
3.
4.
Addington J Psychiatr Serv. (1998)
George TP et al Am J Psychiatry. (2000)
Williams JM et al J Subst Abuse Treat.
Sevrage tabagique et schizophrénie
• Aguiar et al: Rev Port Pmeumo, 2010
– Etudes rétrospectives de cas:
• Évoque une prévalence élevée de symptômes
psychiatriques (46%) chez les patients fumeurs en
pneumo
• Les traitements intensifs étaient les + efficaces
Sevrage ou réduction ?
• Données contradictoires concernant l’intérêt des
stratégies de réduction de consommation, en
terme d’impact de santé publique1:
– Faible maintien du sevrage à moyen terme, lorsque la
stratégie est utilisée en première intention
• Réduction pour préparer le sevrage?
• Stratégie à évaluer
1. George TP et al, Biol Psychiatry (2002)
Stratégies de réduction et schizophrénie
• Existence de différentes stratégies de
réduction qui permettent la réduction de la
consommation chez les patients
schizophrènes (Barmann et al 1980, Roll
et al 1998)
• Trois champs d’intervention :
– réduire l’accès aux cigarettes
– mise en place de la substitution
– renforcer positivement la réduction de
consommation
Stratégies de réduction et schizophrénie
• Mise en place de la substitution nicotinique :
– Efficacité de ces stratégies pour la réduction en
comparaison au placebo (Hartman et al, 1991)
– Réduction de 20% de la quantité de CO expiré
lors de l ’utilisation de substituts nicotiniques (22
mg/j) chez 10 sujets schizophrènes (Dalack et
Meador-Woodruff, 1996)
– Pas de conséquences négatives de la simple
réduction sous substitution (Dalack et MeadorWoodruff, 1996)
Comparaison des différentes stratégies
• Méta analyse concernant 34 études (1)
–
–
–
–
16 études de Sevrage tabagique
9 études de réduction tabagique
1 étude prévention de la rechute
8 études Interventions diverses non spécifiques
• 7 études comparent le bupropion au placebo
– Supériorité significative de cette molécule :
• À 6 mois (5 études, N=214), RR 2.78
• Pas de conséquences en terme d’état psychiatrique
• Technique de renforcement : augmente le taux de sevrage et de
réduction chez les patients souffrant de schizophrénie
• Pas d’évidence dans cette méta analyse de l’intérêt spécifique des
substituts
• Discussion méthodologique
(1)Tsoi DT et al Cochrane Database Syst Rev. (2013). Interventions for smoking cessation
and reduction in individuals with schizophrenia
1.Tsoi DT et al Cochrane Database Syst Rev. (2013).
Interventions for smoking cessation
and reduction in individuals with schizophrenia
(Review)
Données de la Varénicline
• Intérêt de la varénicline dans le sevrage
tabagique chez le patient schizophrène:
– Efficacité et bonne tolérance (Hossein Fatemi,Schizophrenia
Research,2008)
– Amélioration des fonctions cognitives, mais peu
d’arrêt au total (Smith et al, Schizophrenia research, 2009)
– Pas d’exacerbation des symptômes positifs à la
PANNS, (Smith et al,2009; Williams et al, 2012)
– Les symptômes psychotiques, la symptomatologie
dépressive, et l’intensité du syndrome de manque à la
nicotine sont améliorés sous varénicline (Pachas et al,
2012)
1.Tsoi DT et al Cochrane Database Syst Rev. (2013).
Interventions for smoking cessation
and reduction in individuals with schizophrenia
(Review)
Autres méthodes
Repetitive transcranial magnetic stimulation reduces
cigarette consumption in schizophrenia patients
Radovan Prikryl et al, 2014
- 35 patients schizophrènes stabilisés par
antipsychotiques
- Etude en double aveugle
- 18 patients recevant une stimulation; 17 patients
recevant une stimulation placébo
- Réduction significative de la consommation de
cigarettes chez les patients recevant la stimulation
magnétique transcranienne
Données de la Varénicline
•
A randomized, double-blind, placebo-controlled study evaluating the
safety and efficacy of varenicline for smoking cessation in patients
with schizophrenia or schizoaffective disorder. Williams JM et al, 2012.
– Population: patients schizophrènes stabilisés sous traitement
• 84 recevant varénicline/43 recevant un placébo
– Arrêt du tabac à 12 semaine: 19% varénicline/4,7% placébo
– Maintien de l’abstinence à 24 semaines: 11,9%
varénicline/3,2% placébo
– Effets indésirables similaires ds les 2 groupes, pas de
changement d’humeur, pas d’exacerbation de
symptomatologie psychotique
– Idées suicidaires similaires ds les 2 groupes (6% sous
varénicline, 7% sous placébo)
E-cigarette
Impact of an Electronic Cigarette on Smoking Reduction and Cessation in
Schizophrenic Smokers: A Prospective 12-Month Pilot Study
Pasquale Caponnetto, 2013
-
Utilisation de la e-cigarette chez 14 patients schizophrènes, ne
s’inscrivant pas dans un sevrage. Observation des changements
d’habitudes.
-
Réduction de 50% du nombre de cigarettes (30 cig/j à 15 cig/j) chez 50% (7 sur 14) des
participants à la semaine 52
Abstinence complète obtenue chez 2/14 patients (14,3%) à la semaine 52
Taux de CO abaissé en moyenne de 32 ppm à 17 ppm à la semaine 52
Alternance de phases d’abstinence et reduction chez 9/14 (63,4%)
Peu d’effets indésirables
Pas d’exacerbation des symptômes psychotiques
P Caponnetto, 2013
E-cigarette
Smoking cessation and reduction in schizophrenia with e-cigarette: Study
Protocol for a rendomized control trial
P Caponnetto, 2014
• 153 patients schizophrènes ds 3 bras
– E-cigarette avec 24 mg nicotine
– E-cigarette sans nicotine
– E-cigarette placebo
Début de recrutement des patients en
septembre 2014
Sevrage tabagique et schizophrénie
• Difficulté majeure de prise en charge, toutefois possibilité réelle
d ’une prise en charge structurée
• Schizo traités par antipsychotiques atypiques: meilleur succès
(clozapine+++)
• Intérêt de l’aripiprazole(Kim et al, 2009)
– Diminution des indices de dépendance nicotinique et du craving chez les patients
traités par aripiprazole
• Les doses d’antipsychotiques sont à réévaluer après sevrage en
raison de l’augmentation des taux plasmatiques
Sevrage tabagique et schizophrénie
• Nécessité d’interventions adaptées prenant en
compte les aspects spécifiques pour le sevrage
– Possibilité d’utiliser les techniques habituelles de
sevrage (TCC, substituts, bupropion, varenicline,
certains AD)
– Choix de la période de sevrage
– Intérêt des techniques de groupe+++
– Utilisation des substitutions nicotiniques: posologies +
élevées et prolongées. Risque de surconsommation
– Intérêt des stratégies de réduction
– Importance de la prise en compte des interactions
pharmacocinétiques pour l’ajustement des traitements
perspectives
• La tabagisme chez les patients schizophrènes:
automédication via l’amélioration des
symptômes négatifs et cognitifs
– Utilité future de traitements agissant sur les récepteur
nicotinique alpha4 béta2, et alpha7(Winterer et al, Curr
opin psy, 2010)
• Molécule idéale?
– Ortells et al (med hypoth, 2009) évoque la
désensibilisation et l’up régulation comme mécanisme
de la dépendance.
– La molécule idéale devrait être capable d’inhiber
préferentiellement les recepteurs nicotiniques sans
provoquer d’up régulation
• D’Hoedt et al: Expert Opin ther targets,
2009
– Revue des différents récepteurs nAchR et
leur implication dans différentes pathologies
– Multiples molécules touchant ces récepteurs
en développement et perspectives
thérapeutiques ds la schizophrénie et gestion
du tabagisme
conclusion
• Des à priori à revisiter
• Des équipes et professionnels à former et mobiliser pour
aider les patients
• Des programmes motivationnels à développer
• Des étapes à respecter
• Les traitements et les outils du sevrage gagnent à être
davantage proposés chez les patients souffrant de
troubles psychiatriques….
• Développer la pratique du sport chez les patients
schizophrènes
• La PEC doit être pluridisciplinaire: intérêt de la stabilité
de la maladie pour le succès de l’arrêt
• Des patients qui ont tout à y gagner
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