Mettre les maux en mots, médiations dans la consultation épistolaire
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phie6. Je m'intéresserai plus précisément
à
la façon dont les personnes
touchées par la maladie, que ce soit les individus souffrants eux-mêmes
ou leurs proches, font le pas de s'adresser
à
un thérapeute en mettant
B
sa disposition un exposé écrit de leurs problèmes. Autrement dit, com-
ment met-on les maux du corps en mots sur le papier?
On
peut difficile-
ment répondre
à
cette question en faisant l'impasse sur le thème de la
médiation, un phénomène inhérent
à
la forme écrite, dans laquelle la
rencontre entre le demandeur et le prestataire de soins se fait sur la base
d'un médium textuel; ce n'est pas un discours prononcé sur le vif mais
un document rédigé, une reconstruction, dont la trame, la forme et le
contenu sont sans doute eux-mêmes en partie influencés par l'oeuvre et
la personnalité du médecin auquel on s'adresse. Ce n'est toutefois pas
de cette forme de médiation que je vais traiter; une telle perspective
im-
pliquerait des développements nécessitant des outils d'analyse de type
linguistique ou narratologique. Je ne m'étendrai pas non plus sur les au-
tres genres de médiations propres
à
la société ou
à
la médecine du XVIIIe
siècle, comme celle représentée par l'argent par exemple. Je focaliserai
plutôt mon propos sur l'intervention de médiateurs dans la consulta-
tion écrite.
Il s'agit, en premier lieu, de répertorier les différents types de média-
tions qui peuvent se présenter. Rappelons une évidence
:
pour qu'une
relation thérapeutique épistolaire s'établisse, il faut que quelqu'un re-
connaisse une situation pathologique, prête attention aux signes et aux
symptômes qui la caractérisent, et en fournisse un compte-rendu, qui
sera envoyé au médecin avec prière de fournir une réponse. Or les
sources montrent que ces différentes étapes ne sont pas toujours as-
sumées par les malades eux-mêmes, mais par des intermédiaires. Exa-
minons
à
quel moment peut se situer leur action.
MÉDIATION
EN
AVAL
DU PROJET DE CONSULTATION
i
La décision de solliciter les conseils de Tissot est parfois prise par une
tierce personne. Ainsi, Monsieur Pétion, prêtre vicaire de la paroisse de
St-George, prend la liberté de lui écrire
à
propos d'un homme non iden-
tifié, âgé d'une trentaine d'années, souffrant d'un problème d'équilibre
et de vue depuis trois ans7. Le malade a déjà consulté un médecin et es-
sayé divers traitements, sans résultats. Finalement, il a tout abandonné,
«se persuadant que c'étoit des vapeurs». Le prêtre, qui a acheté
L'Avis au
peuple sur sa santé,
se demande quant
à
lui s'il ne s'agit pas d'une mala-
die de nerfs et si les bains froids pourraient être utiles.
Il est intéressant de noter cette référence
à
cet ouvrage de Tissot, qui
allait connaître un succès retentissant?. Malgré ce que son intitulé sug-
gère, il était en réalité adressé aux intermédiaires sociaux, en premier
lieu les ecclésiastiques9, qui côtoyaient une population plus modeste,