Le spectateur du politique. Éléments pour une recherche sur le

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Le spectateur du politique. Éléments pour une recherche sur le spectateur de théâtre et
sa citoyenneté
Klaas Tindemans
Deux spectacles récents jettent, d’une manière bien distincte, un regard particulier sur
l’engagement du public dans sa qualité citoyenne. 100% Bruxelles est une production du
collectif suisse-allemand Rimini Protokoll. Ses membres créent une forme de théâtre
documentaire dans lequel des thèmes et des phénomènes contemporains sont présentés par des
« experts du quotidien. » 1 Il peut s’agir d’une relecture du Capital de Karl Marx par un
économiste de l’ancienne RDA actuellement au chômage, par un ex-maoïste qui gagne
maintenant bien sa vie en introduisant des investisseurs dans la bureaucratie chinoise, ou par
un escroc condamné pour avoir organisé une vente pyramidale2. Ou d’une série de témoignages
de muezzins du Caire sur leur métier3. Ou même d’un achat collectif d’actions de l’entreprise
Daimler-Benz afin de les distribuer aux spectateurs de théâtre qui veulent observer l’assemblée
annuelle comme un évènement théâtral 4 . 100% Bruxelles est la version bruxelloise d’une
formule déjà appliquée aux villes de Berlin, Vienne, Athènes, Vancouver, Paris – tout
récemment – et plein d’autres5. D’autres versions sont prévues pour Darwin, Philadelphie et
Amsterdam. La formule est née à l’occasion du centenaire du Hebbel Theater à Berlin, où
Rimini Protokoll occupe un bureau permanent. La recherche du 100% commence chaque fois
avec une visite au service de statistique de la région urbaine concernée. Les créateurs et les
fonctionnaires fixent ensemble quelques paramètres démographiques, parmi lesquels
l’espérance de vie, la la répartition de la population selon leur origine nationale, la connaissance
linguistique, les langues parlées à la maison, le degré d’activité professionnelle, le revenus
annuel disponible. De cette façon on détermine un échantillon représentatif de cent personnes
habitant dans la ville, Bruxelles le cas échéant. Si on dispose d’une période de préparation bien
longue , la première personne – dans le cas de Bruxelles, un fonctionnaire du service de
statistiques – en cherche une deuxième et on continue jusqu’à ce que tous les profils soient
trouvés. Mais dans la plupart des cas, cet enchaînement spontané s’arrête – dû aux délais trop
strictes – et les producteurs sont alors obligés d’organiser un casting. À Bruxelles, on a encore
ajouté quatre personnes sans papiers – absentes dans les statistiques, évidemment. Le soir du
spectacle, ces 104 personnes se présentent, toutes munies d’un objet qui leur est cher : un
vêtement, un livre, un souvenir intime, etc. La première partie de la représentation est une sorte
de preuve de la représentativité du groupe. Les gens se divisent selon les caractéristiques
prioritaires pour les statistiques : nationalité, emploi, âge. Parfois ce calcul est interrompu par
des histoires très personnelles, mais cela ne fait que colorer ce traité visuel de géographie
sociale. Il n’y a aucun drame qui s’annonce, mais en même temps des mécanismes
d’identification se manifestent. Les gens murmurent, les spectateurs se demandent, à voix basse,
1
Dreysse, Miriam, et Florian Malzacher (réd.), Experten des Alltags. Rimini Protokoll, Berlin, Alexander Verlag,
2007.
2
Karl Marx: Das Kapital, erster Band (2006).
3
Radio Muezzin, 2008.
4
Hauptversammlung, 2009.
5
Kunstenfestivaldesarts / 100% Bruxelles. 2014. http://kfdarc.live.statik.be/fr/archive/100-brussels (accès le 08
26, 2014).
Rimini Protokoll / 100% Bruxelles. 2014. http://www.rimini-protokoll.de/website/de/project_6368.html (accès le
08 26, 2014).
De Vos, Esther (réd.), 100% Brussels / Rimini Protokoll, Bruxelles, Kunstenfestivaldesarts, 2014 (livret
programme).
1
quel Bruxellois sur scène les représenterait le mieux. Puis un ensemble musical entre sur scène,
et les 104 acteurs reprennent leur liberté. À partir d’ici, ils ne doivent plus correspondre aux
positions statistiques, ils expriment leurs opinions et leurs sentiments personnels – avec toutes
les hésitations et les hypocrisies qui ne sont que trop humaines. Le spectacle se transforme en
bal populaire, en sourdine, parce que tous les interprètes sont bien conscients de la vulnérabilité
avec laquelle ils se sont livrés. Et c’est effectivement cette vulnérabilité intime, dans les idées,
dans les expériences et dans les sensibilités, qui rend cette production réellement théâtrale. C’est
ici que le public est invité à se poser des questions sur sa propre insertion dans une société
urbaine très fragmentée. L’illusion de convivialité qui est forcément communiquée par cet
ensemble, aussi statistique qu’il soit, se montre bien fragile, et cette impression demeure dans
la salle. Un peu L’amertume et la mélancolie laissent subtilement leurs traces. Je me souviens
de deux hommes qui témoignaient qu’ils avaient grandi sans leur mère, un Bruxellois de souche,
entre deux âges, et un jeune refugié afghan.
Le public est engagé d’une toute autre manière dans Numax Fagor Plus de l’artiste catalan
Roger Bernat6. Bernat crée des environnements interactifs, en immergeant, par des mécanismes
techniques, son audience dans une fiction, ou dans une reconstitution documentaire selon le
cas. Il marche là sur un terrain bien dangereux entre manipulation et association volontaire, en
confrontant ses spectateurs à leur liberté relative. Le discours de Numax Fagor Plus est basé
sur l’expérience autogestionnaire de Numax, une usine d’électroménager qui a fait faillite en
1979. Cette expérience a été documentée par un cinéaste, et Roger Bernat voulait en faire un
reenactment, une reconstitution d’un épisode légendaire du syndicalisme espagnol, peu de
temps après la mort du caudillo Franco. Fin 2013, une autre usine d’électroménager, Fagor,
faisait aussi faillite, en raison de la crise financière. Fagor fait partie du groupe coopératif
basque Mondragon, parfois considéré comme alternative exemplaire au capitalisme actionnaire.
Bernat organisa et enregistra ce reenactment de Numax par des travailleurs licenciés de Fagor,
ainsi qu’une deuxième reconstitution par les anciens travailleurs de Numax eux-mêmes, trentecinq ans après les évènements. Dans la production, quelques extraits de ces trois
enregistrements – le reportage historique de Numax, puis les deux reconstitutions – sont
montrés, mais le public, assis en cercle autour de deux écrans vidéo, est invité à participer à la
quatrième couche de l’histoire de Numax. Une actrice commence à lire le texte d’une des
travailleuses de Numax, et progressivement les spectateurs sont invités à lire les autres rôles.
Finalement, l’actrice « officielle » transmet même son rôle d’animatrice à un membre du public.
Au niveau du discours, on est témoin d’une double transformation. D’abord, la clarté de la lutte
des classes qui régnait chez Numax en 1979 est diluée dans les reconstitutions : les dialogues
ne sont pas simplement répétés, ils sont mélangés avec des commentaires contemporains qui
indiquent bien, par exemple, les différences pratiques et fondamentales entre autogestion et
coopératisme. Cette transformation idéologique, qui se montre dans l’absence de ce qu’on
pourrait appeler une « dogmatique référentielle »7 dans le cas Fagor, est redoublée par une
transformation chez les spectateurs. Ceux qui participent réalisent que les phrases qu’ils
6
Kunstenfestivaldesarts / Numax Fagor Plus. 2014. http://kfdarc.live.statik.be/fr/archive/numax-fagor-plus (accès
le 08 26, 2014).
Roger Bernat / Numax Fagor Plus. 2014. http://rogerbernat.info/en/shows/numax-fagor-plus/ (accès le 08 26,
2014).
Numax-Fagor-Plus / Roger Bernat/FFF. Bruxelles: Kunstenfestivaldesarts, 2014 (livret programme).
7
« Dogmatique » signifie ici un ensemble et un programme de principes, de « lois » logiquement supérieures,
permettant d’interpréter des questions particulières – surtout les questions juridiques (voir Herberger, Maximilian,
Dogmatik. Zur Geschichte von Begriff und Methode in Medizin und Jurisprudenz, Frankfurt am Main, Vittorio
Klostermann, 1981, p.4-5). Ici, ce programme de principes serait surtout politique, même idéologique.
2
prononcent étaient, en 1979, des « actes de langage » (speech acts8) dans un sens très réel : par
leur paroles, les travailleurs se constituaient en autogestionnaires. Les spectateurs se voient
responsabilisés d’une façon analogue : le déroulement même de la performance et sa spécificité
dépendent de leurs efforts, ils gèrent le spectacle. Certains spectateurs remarquent, après cette
expérience, que la dramaturgie – que Bernat appelle une « mise-en-abîme » –, que cette glissade
des idéologies sous-jacentes, leur a échappée complètement : ils devaient faire un boulot trop
stressant.
Ces deux productions sont, évidemment d’une manière très différente, exemplaires pour la
tendance, dans le théâtre contemporain, de « re-politiser », d’une façon assez explicite, le
rapport entre spectateur et évènement scénique9. Cette tendance, dans sa version moderniste,
est née, on le sait, dans les courants d’avant-garde signés Meyerhold et Artaud et dans le
performance art10, mais elle est en réalité liée à l’histoire même du théâtre occidental, à partir
de la tragédie attique. La tragédie était intégrée dans la vie de la communauté politique
d’Athènes ; l’expérience du spectateur faisait partie de sa constitution subjective comme
citoyen de la cité, malgré l’ambiguïté profonde des figures théâtrales qui n’arrivaient
précisément pas à se constituer comme sujets politiques11. Mais dans un passé plus récent, la
théâtralité, aussi bien dans le sens strict – le monde des spectacles – que dans le sens large –
une qualité du domaine public – est une donnée centrale dans le développement de la société
moderne et bourgeoise. Et elle continue de l’être au vingtième siècle et après. On pourrait dire
– ce n’est qu’une supposition – que le postmodernisme dans l’art théâtral a obscurci l’aspect
politique qui est toujours présent dans le rapport entre spectateur et spectacle. Évidemment, la
confirmation tacite du statuquo « bourgeois » dans le théâtre de divertissement n’est qu’un écho
faible de l’enjeu politique qui caractérisait des formes théâtrales historiques : je reviens sur ce
développement. Pour ce surplus de dépolitisation, je me réfère ici à la thèse de Fredric Jameson,
qui considère la culture postmoderniste comme l’expression d’un capitalisme post-industriel12.
La fragmentation du sens serait, dans cette hypothèse, le reflet de l’implosion des structures de
classe – pour longtemps la stratification dominante de la société occidentale. La question qui
se pose ici est donc la suivante : dans quelle mesure une redéfinition politique du rapport scènespectateur – une opération qui peut être dramaturgique, spatiale ou autre –, dans quelle mesure
alors ajoute-t-elle un élément significatif aux rapports de théâtralité entre le discours politique
et la pratique théâtrale concrète ? Je me limite, dans ces réflexions provisoires à l’ère dite
« bourgeoise », à partir du dix-huitième siècle.
Pour Richard Sennett, la distinction entre le rôle public et le rôle privé d’un individu gagne
une importance significative dans les sociétés urbaines et anonymes qui se constituent au dixhuitième siècle 13 . Des changements socio-économiques profonds sont à la base d’une
croissance énorme des centres métropolitains comme Londres et Paris, et ces changements
8
Searle, John R., Speech acts. An essay in the philosophy of language, Cambridge, Cambridge University
Press,1969, p. 16-19.
9
Pour ne citer que deux textes théoriques récents : Neveux, Olivier, Politiques du spectateur. Les enjeux du théâtre
politique aujourd’hui, Paris, La Découverte, 2013 et Badiou, Alain, Rhapsodie pour le théâtre. Court traité
philosophique, Paris, PUF, 2014.
10 Crombez, Thomas, Het antitheater van Antonin Artaud. Een onderzoek naar de veralgemeende artistieke
transgressie, toegepast op het werk van Romeo Castellucci en de Socìetas Raffaello Sanzio, Gent, Academia Press,
2008, p. 14-38. Même s’il est difficile de qualifier Artaud comme artiste politique, la transgression généralisée
qu’il inspire est proche d’un agonisme politique comme décrit par, entre autres, Chantal Mouffe (Mouffe, Chantal,
Agonistics. Thinking the World Politically, London/New York, Verso, 2013, p.5-9). Ceci dit, il est bien sûr difficile
d’inclure l’esthétique d’Artaud dans un discours démocratique (voir Jannarone, Kimberly, Artaud and His
Doubles, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2010).
11
Lehmann, Hans-Thies, Theater und Mythos. Die Konstitution des Subjekts im Diskurs der antiken Tragödie,
Stuttgart, J.B. Metzler, 1991, p. 127-145.
12
Jameson, Fredric, “Postmodernism or the cultural logic of late capitalism”, New Left Review, 145, p. 59-92.
13
Sennett, Richard, The fall of public man, London, Penguin, 1977, p. 89-106.
3
auront un impact plus que considérable sur le comportement quotidien. Dans ces
environnements urbains, les distinctions sociales ne sont plus discernables à première vue ; le
domaine public est désormais unifié. Tout le monde est devenu un étranger pour tout le monde,
et les apparences comptent alors effectivement pour définir le statut social. Ces statuts sociaux
sont eux-mêmes devenus instables dans une société qui devient de plus en plus méritocratique.
Le spectacle sociétal n’est donc pas exhibitionniste, mais il est né des nouvelles contraintes de
la sociabilité. Sennett constate que le theatrum mundi n’est plus une métaphore, mais une réalité
dans ces nouvelles villes. Dans le théâtre, la notion d’un public est définie, mais en plus, ce sont
les codes de confiance – codes of belief – qui déterminent la crédibilité des personnages, sur
scène mais également dans la vie quotidienne. Le corps et la parole du citoyen urbain ne
symbolisent plus une réalité référentielle, qui existerait indépendamment de ces performances,
mais ils créent désormais cette réalité même. Ce changement paradigmatique implique alors
que les conventions, les règles qui règnent dans les théâtres sont considérées comme des
instruments de discipline sociale dans un sens plus large. Cela explique par exemple la
disparation des sièges sur scène – en 1759, à la Comédie-Française14. Cette opération s’inscrit
d’abord dans l’effort – pendant tout le 18ième siècle – de discipliner les parterres des théâtres,
une évolution qui se poursuivra dans l’installation des sièges fixées au parterre à la ComédieFrançaise, en 1782, contre le plaidoyer de Jean-François Marmontel pour une audience
spontanée et chaotique15. Une discipline, garantie par la police, en est le résultat et cela prouve
a contrario l’importance politique du maintien de l’ordre dans le microcosme théâtral, cette
espace d’antagonismes exprimés à haute voix. En plus, cette démarche doit garantir une
lisibilité accrue de l’illusion théâtrale. Les codes doivent être clairs, afin de pouvoir imiter la
vie quotidienne. La théorie théâtrale de Diderot, formulée entre autres dans son Paradoxe sur
le Comédien, consacre ces principes : c’est l’artificialité du signe qui lui rend son efficacité,
aussi bien théâtrale que sociale17. Dans cette conception, on peut garantir l’itérabilité des signes
sociaux, comme mis-en-forme sur scène. Dans cette même période, la distinction entre le
domaine privé et le domaine public devient normative, comme réflexion de la distinction
ontologique entre nature et culture. D’où l’expression de Sennett : « Le public est une création
humaine, le privé est une condition humaine. »18 Cela impliquerait que les accidents de la vie
familiale – comme l’existence d’enfants illégitimes – ne devraient d’aucune manière influencer
la crédibilité de la vie publique – de l’homme politique, par exemple. Et là aussi Diderot reflète
les faits sociaux, en définissant le métier de l’acteur comme indépendant de la vérité
sentimentale sous-jacente –, une définition qui donne aux comédiens et à son audience le statut
d’acteurs nettement publics19. On comprend alors bien que Jean-Jacques Rousseau condamne
le théâtre comme pratique urbaine, dans une ville qui se prête trop facilement à feindre les
valeurs et les vertus – parce que sa stratification même dépend de cette théâtralité – une
théâtralité qui discipline en effet les antagonismes trop marqués.20
Sur l’histoire des « banquettes » sur scène: Mittman, Barbara G., Spectators on the Paris stage in the seventeenth
and eighteenth centuries, Ann Arbor, UMI Research Press, 1984, p. 77-96, citée par Ravel, Jeffrey S., The
contested parterre. Public theater and French political culture 1680-1791, Ithaca/London, Cornell University
Press, 1999, p. 72.
15
Marmontel, Jean-François, Œuvres de Marmontel (tome quatrième, Ire partie), Paris, A. Belin, 1819, p.829833. Ce texte était publiée comme le lemme « Parterre » dans le supplément de l’Encyclopédie de Diderot en
d’Alembert, en 1777.
17
Sennett, o.c., p. 110-115.
18
Sennett, o.c., p. 98.
19
Diderot, Denis, Paradoxe sur le comédien. Précédé des Entretiens sur le fils naturel, Paris, Flammarion, 1981,
p. 128-135
20
Voir Rousseau, Jean-Jacques, Lettre à M. d’Alembert sur son article Genève, Paris, Flammarion,1967, et
l’interprétation de cette anti-théâtralité chez Sennett, o.c., p. 115-122 et Wiles, David, Theatre and citizenship. The
theory of a practice, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 110-147.
14
4
L’étape suivante dans le développement urbain et donc aussi des rapports théâtraux, c’est
l’industrialisation capitaliste. Ce mode de production va, du point de vue de la culture publique,
essayer de fixer les rapports sociétaux et, notamment, de transformer l’expérience de diversité
typiquement urbaine en société de consommation. L’apparition des grands magasins – libre
entrée, prix fixes – devient le symbole de ce que Marx appelle le « fétichisme des
marchandises » 21 . Mais comme les rapports sociaux sont disciplinés – aussi bien du côté
bourgeois que du côté prolétaire –, la tension implicite mais dynamique entre domaine public
et domaine privé ne peut plus rester arbitraire : cette évolution culmine, selon Sennett, dans la
notion de « personnalité » qui va dorénavant dominer la position sociale de l’individu22. La
personnalité, c’est le moment où la théâtralité devient une réalité et n’est plus perçue comme
outil social. La personnalité, c’est le prisonnier des apparences et la victime des voyeurs. Ce
n’est pas un hasard si les romans policiers, où les détectives dévoilent la « vraie » personne
derrière les masques, deviennent populaires au dix-neuvième siècle. Les détectives sont des
voyeurs au superlatif. Toutes ces transformations redéfinissent aussi le statut de la
vraisemblance théâtrale. La scène du dix-neuvième siècle – prenons le mélodrame, par exemple
– ne raconte plus la réalité urbaine, où la méfiance règne. Paradoxalement, le goût pour
l’exactitude historique, chez Kean, chez la troupe de Meiningen, reflète justement le désir de
vérité qui est frustré dans la vie quotidienne. L’artiste – le comédien, le musicien – est jugé
selon les mêmes critères de personnalité, c’est-à-dire la conformité de son apparence à sa vie
sentimentale intérieure. On est bien éloigné de Diderot.23 Avec le romantisme, le public investit
dans une personnalité fantasmatique, qui obtient un sens quasi-politique. Quand les théâtres et
les salles de concert installent des autorités – les chefs d’orchestre – qui incarnent cet idéal, les
nouveaux codes de conduite du spectacle – notamment le silence absolu dans l’auditorium –
sont plus que le reflet d’une hiérarchie sociale.24 Ces codes anticipent en même temps un siècle
où le culte de la personnalité atteindra une nouvelle dimension, même sans tenir compte du
totalitarisme sécularisé qui marquerait la première moitié du vingtième siècle. Le culte de la
personnalité a des conséquences sociétales et politiques. Dans plusieurs mouvements populaires
du dix-neuvième siècle, on constate que les conflits sont plutôt formulés en termes de crédibilité
qu’en termes d’accomplissement. Dans le théâtre et sur la scène politique, dit Sennett, les
acteurs essaient de distraire l’attention de la substance, du texte, de l’argument, au profit d’une
personnalité partagée par la communauté qu’elle vise. La personnalité doit transformer ce que
Ferdinand Tönnies appelle la Gesellschaft – « société » – en Gemeinschaft – « communauté »,
c’est-à-dire une société dotée d’une convivialité imaginaire aussi bien dans le passé que dans
le présent. 25 Sennett élabore sur l’exemple du poète Alphonse de Lamartine, qui par sa
personnalité « romantique », arrive à maîtriser l’énergie populaire dangereuse en 1848. Par sa
performance pacifiante et disciplinante, il détache la révolution républicaine de sa substance
idéologique et, en même temps, de l’antagonisme de la lutte des classes.26 Par ce surplus de
personnalité, bien théâtralisé, une communauté politique devient une Gemeinschaft dans le sens
spécifique de Tönnies. Mais le résultat pourrait être une dépolitisation, une disparition des
substances idéologiques dans les luttes politiques – un phénomène qui n’a cessé de hanter aussi
bien les politiciens que les politicologues, bien que pour des motifs inverses. La star absolue de
cette logique au vingtième siècle est sans doute Ronald Reagan qui, avec une éducation
rhétorique et un passé de comédien, devient l’incarnation du rêve « consumériste » dans le
21
Sennett, o.c., p. 130-149.
Sennett, o.c., p. 150-174.
23
Sennett, o.c., p. 174-176.
24
Sennett, o.c., p. 195-212.
25
Tönnies, Ferdinand, Gemeinschaft und Gesellschaft. Abhandlung des Communismus und des Socialismus als
empirischer Culturformen, Leipzig, Fues’s Verlag, 1887.
26
Sennett, o.c., p. 227-232
22
5
General Electric Television Theater (1954-1962), où il présente, vivant avec sa famille dans
une maison du futur, des programmes pour le grand public. Là, il développe la personnalité
littéralement « électrifiante » qui le conduira à la Maison Blanche. Cette apparition télévisuelle
a contribué énormément, plus que sa réputation d’acteur à Hollywood, à son succès politique.
Dans le GE Television Theater, il introduit l’intimité familiale – ou plus précisément : une
version fictionnelle de cette intimité – comme critère dominant du sens de communauté dans la
nation américaine27. L’intimité personnelle est donc, assez paradoxalement, élevée au niveau
de la collectivité, ce qui correspond, selon Sennett, au dogme conservateur de la diabolisation
de l’intimité intérieure, l’intimité qui se défend contre sa « publicité »28.
Considérons maintenant ce rapport entre théâtralité et domaine public d’un autre point de vue,
celui du public en tant que tel. Jeffrey S. Ravel dit, dans son étude The Contested Parterre, sur
le rapport entre la culture politique et les théâtres publics en France au dix-huitième siècle, que
ces théâtres constituaient effectivement les lieux privilégiés du « rituel public » : performance
de la cour, discussion sur les idées des Lumières, présence de la vie quotidienne. Il est alors
évident qu’aussi bien la monarchie que les philosophes veulent discipliner ce domaine,
symbolisé par l’anarchie du parterre. Ce parterre, comme locus politique, est particulièrement
intéressant, puisqu’il n’y existe pas de distinction entre les riches et les pauvres. La
« politisation » de l’audience du parterre et, en termes généraux, l’échec de la disciplinisation
par la police, marqueront l’histoire du public théâtral du dix-huitième siècle. 29 Le parterre
dramatise en effet la chute de l’Ancien Régime, et un contemporain remarque, bien
pertinemment, que le parterre est comme la nation qui joue le prélude des États généraux.30
D’autres contemporains notent que les activités et les attitudes des spectateurs du parterre
reflétaient effectivement l’identité et le caractère de la nation. En France, la Révolution
marquera aussi bien l’émancipation des théâtres et des acteurs, que le déclin progressif de ce
forum politique, du point de vue des spectateurs. Dorénavant, ce seront les théâtres eux-mêmes
– avec la voix privilégiée de l’auteur dramatique – au lieu des censeurs, qui contrôleront le
répertoire, et ce seront également eux qui vont discipliner l’auditorium. Au dix-neuvième siècle,
les rapports entre scène et salle, entre représentation et spectateurs, sont définis de plus en plus
comme des rapports contractuels : l’audience perd alors son statut de communauté, et d’abord
de communauté politique. Dans une étude historique des publics américains, on observe que
l’audience du théâtre est approchée, aussi bien dans la littérature moralisante que dans la
pratique disciplinante, comme symbole de la responsabilité politique et civique31. Autrement
dit, si une jeune démocratie demande à ses sujets de se comporter d’une façon rationnelle en
tant que citoyen, les autorités morales et policières se fixent sur les codes de conduite dans les
salles de spectacle. Cette tendance va encore augmenter dans le sillage de la popularité
scientifique de Psychologie des foules, le livre de Gustave Le Bon32, qui exprime la crainte par
la bourgeoisie d’une société dominée par le caprice violent des foules – chimère terrifiante des
masses anonymes. Il s’agit alors de transformer ces foules potentielles en audiences
responsables, une opération qui est calquée sur les transformations dans le théâtre bourgeois
qui se distancie de plus en plus explicitement du théâtre de la foire, du théâtre populaire 33. Le
27
Raphael, Timothy, The President Electric. Ronald Reagan and the politics of performance, Ann Arbor, The
University of Michigan Press, 2009, p. 153-194.
28
Sennett, o.c., p. 337-340.
29
Ravel, o.c., p. 191-224.
30
Ravel, o.c., p. 188. Il se refère à Jacques-Henri Meister, secrétaire du diplomate bavarois (et ami de Diderot)
Frédéric-Melchior. Meister note la remarque d’un voisin dans le théâtre, dans la Correspondance littéraire de
Grimm, dont il était rédacteur.
31
Butsch, Richard, The citizen audience. Crowds, publics, and individuals, London/New York, Routledge, 2008,
p. 23-39.
32
Le Bon, Gustave, Psychologie des foules, Paris, PUF, 2013.
33
Butsch, o.c., p. 61-79.
6
théâtre du dix-neuvième siècle est donc, tout en contraste avec le parterre que Jeffrey Ravel a
décrit, un théâtre qui reflète, en théorie et en pratique, la nouvelle stratification, la société des
classes. On pourrait évidemment, au moins pour éviter la simplification, discuter des priorités :
est-ce que le théâtre s’adapte simplement aux lois historiques des divisions sociétales, où estce le théâtre qui servira comme laboratoire pour la culture qui concorde avec ces divisions ? Ni
Sennett ni Butsch ne donnent une réponse pertinente. Cela n’empêche pas qu’un phénomène
comme le « contractualisme » de la relation individuelle entre spectateur et spectacle sape le
sens de communauté virtuelle – le théâtre comme lieu qui déclenche l’action politique – qui
jadis y régnait. Et que cette évolution reflète bien, sur un niveau plus général, la tendance des
sociétés libérales contemporaines de considérer la démocratie responsable et le marché libre
comme conditions réciproques- une logique bien chère à l’industrialisation capitaliste. Au
niveau du rapport entre autorité et citoyen, cette rélation devient lui-même contractuel, le
citoyen-consommateur demande un bon rapport qualité-prix (value for money) : le client des
entreprises théâtrales – le spectateur – symbolise bien cette évolution.
Le cadre historique esquissé ci-dessus s’arrête à peu près au début du vingtième siècle, ce
qui est, du point de vue historique, discutable. Mais si on veut parler d’une re-politisation du
rapport public-représentation dans certains spectacles contemporains, ce n’est peut-être pas la
politisation de l’ordre scénique – l’héritage de Bertolt Brecht ou d’Augusto Boal – qui servirait
le mieux de cadre de référence. En revanche, il est préférable de réfléchir plutôt sur ces périodes
historiques où ce rapport avec les spectateurs, comme « communauté imaginaire »34, était plus
pertinent, où le public de théâtre était plusreprésentatif de la masse populaire, même quand les
élites se sentaient obligées de transformer cette masse en public, en audience « civilisée », pour
éviter le risque qu’elle ne se transforme en foule active. On voit, par exemple, que l’intérêt des
élites culturelles et politiques se déplace, au début du vingtième siècle, du théâtre à la radio :
comme le public de la radio, par sa fragmentation et sa dispersion géographique, ne risquait pas
du tout de devenir une foule, ce médium était idéal pour transformer cette masse de la
population en une audience civique et responsable. Même aux États-Unis, la radio était, jusqu’à
l’ère de Reagan – est-ce un hasard ? – considérée comme un service public, indépendant du
statut de propriété du station. La Radio Act (loi du radio) de 1928 exige des stations qui veulent
obtenir une licence, à servir à « la commodité, l’intérêt et la nécessité du public » (public
convenience, interest and necessity).35
Retournons, pour conclure, aux productions théâtrales décrites ci-dessus : 100% Bruxelles et
Numax Fagor Plus. Est-ce que ces spectacles, dans leur façon d’engager le public, défient
effectivement le public éduqué – pour ne pas dire élitiste – dans leur citoyenneté ? Est-ce qu’il
s’agit là d’une re-politisation ? Et, en plus, est-ce que cette opération pourrait prendre la forme
qu’Olivier Neveux suggère, à savoir une réappropriation, par le spectateur, des libertés que
l’acteur incarne dans son jeu propre36 ? 100% Bruxelles aussi bien que Numax Fagor Plus sont
des spectacles nettement politiques. Rimini Protokoll confronte le public non-représentatif à un
échantillon représentatif de la population. C’est déjà un geste dé-politisant, parce que l’unité
(provisoire) de la communauté des participants est constituée, pendant plus de deux heures.
Mais cette diversité culturelle montrée ne mène que très rarement à un conflit discursif, et
jamais à un conflit décisif. Le quart d’heure réservé aux questions du public n’y ajoute rien car
chaque spectateur respecte la convention implicite de la convivialité. Même le principe binaire
du questionnaire – les participants ne peuvent répondre que par « oui » ou « non » – ne
La communauté est définie par Benedict Anderson comme un rapport indirect, médiatisé – mais politiquement
productif (Anderson, Benedict, Imagined communities. Reflections on the origin and spread of nationalism,
London, Verso, 1991).
35
Butsch, o.c., p. 81-99.
36
Neveux, o.c., p. 227, citant Jacques Rancière: “Une communauté émancipée est une communauté de conteurs et
de traducteurs” (Rancière, Jacques, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 29.
34
7
radicalise pas les divisions. En effet, c’est un appel à une citoyenneté très gratuite et nonengageante, parce qu’aucune opinion, représentative ou non, n’est traduite en stratégie sociale
ou politique. De cette manière, une accumulation de réponses solitaires est obtenue, contrastant
à ce que des politologues appellent l’ « agrégation »37, c’est-à-dire de la mise en hiérarchie,
selon l’importance que les acteurs politiques attachent à leur intérêt et leur opinion vis-à-vis
d’un problème particulier. La représentation politique, dans son institutionnalisation – les partis
politiques –, exige cet « agrégat », cette hiérarchisation. 100% Bruxelles ne tient pas compte de
ce mécanisme dans sa dramaturgie ; la production traite toutes les positions individuelles
comme isolées. Le résultat est une configuration politique bien vague, qui évite les conflits et
reste inefficace. Tout le monde, sur scène et dans la salle, se comporte comme un citoyen
responsable et les chuchotements font partie de l’atmosphère, mais n’interrogent aucunement
la donnée politique institutionnelle, malgré la représentativité réclamée du dispositif théâtral.
La performance de Roger Bernat pourrait ouvrir la voie à une politisation du spectateur.
L’idée d’une sorte d’autogestion du spectacle, par des volontaires issus du public, n’est
évidemment qu’un faible écho de l’effort vraiment autogestionnaire des licenciés de Numax.
La mise-en-abîme des reconstitutions – par les licenciés de Fagor, puis par les ex-Numax, plus
âgés de 35 ans, puis par nous-mêmes, les spectateurs – montre bien le glissement des discours
idéologiques, et la portée politique d’un modèle d’autogestion par rapport à un modèle
coopératif est explicitement discutée, mais le lien entre le débat représenté et sa reconstitution
active, live, reste également inefficace : les participants se concentrent sur leur tâche et non sur
le contenu de leurs phrases, tandis que la position des non-participants ne diffère en rien d’un
public derrière le quatrième mur. Reste tout de même la question bien pertinente de la
reconstitution, comme procédé théâtral en général : participative ou pas, la dé- et puis la recontextualisation explicite d’un phénomène politique du passé opère probablement
différemment des dramatisations classiques de l’histoire. Mais cette question sera forcément le
sujet d’une autre analyse.
On pourrait résumer le raisonnement de Sennett de la manière suivante : la stratification
théâtralisée (y inclus la communauté des spectateurs, sur le parterre) est transformée en une
collection de personnalités théâtralisées, qui s’oppose à une massa amorphe. Dans cette
opération – Jeffrey S. Ravel en esquisse bien les débuts, pendant les Lumières, et Timothy
Raphael la conclusion avec l’ère-Reagan – les audiences du théâtre ne représentent donc plus
les antagonismes du discours social et des revendications opposées du discours politique – les
« agonismes », dans la terminologie de Chantal Mouffe 38 . La stratégie de juxtaposition
statistique de Rimini Protokoll et la méthode dialectique de Roger Bernat sont des efforts plus
qu’estimables, mais ils rencontrent vite les limites des représentations sociales existantes. Le
parterre contemporain est devenu trop « embourgeoisé », trop homogène.
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38
Mouffe, o.c., p. 11-15
37
8
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artistieke transgressie, toegepast op het werk van Romeo Castellucci en de Socìetas
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