Corrélation entre le mode de présentation des tumeurs

ARTICLE ORIGINAL Progrès en Urologie (2003), 13, 23-28
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Corrélation entre le mode de présentation des tumeurs du rein
et la survie des patients
Jean-Jacques PATARD (1), Karim BENSALAH (1), Sébastien VINCENDEAU (1),
Nathalie RIOUX-LECLERQ (2), François GUILLÉ (1), Bernard LOBEL (1)
(1) Service d’Urologie, (2) Département d’Anatomie et de Cytologie pathologique, CHU de Rennes, France
Traditionnellement 80% des tumeurs du rein étaient
découvertes par la classique triade : hématurie macro-
scopique, lombalgie, masse du flanc et 30 à 40% des
patients se présentaient avec une maladie localement
avancée ou des métastases [3, 5] Avant l’ère de l’écho-
graphie moins de 10% des tumeurs étaient découvertes
de manière fortuite [20]
La découverte fortuite de tumeurs du rein a augmenté
ces dernières années essentiellement du fait de la géné-
ralisation des moyens d’imagerie abdominale tels que
l’échotomographie ou la tomodensitométrie [2]. La
majorité de ces tumeurs incidentales sont asymptoma-
tiques lors du diagnostic, de plus petite taille et de stade
plus précoce [10, 18, 19, 23].
Un certain nombre de publications récentes ont pu
montrer que les tumeurs de découvertes fortuites
avaient un pronostique plus favorable que celles qui ne
l’étaient pas [1, 17]. Cependant peu d’études se sont
attachées à caractériser les tumeurs en fonction de leurs
modalités de découverte et à tester la valeur pronos-
tique des différentes classes de circonstances de décou-
verte. L’objectif de cette étude a été de comparer les
Manuscrit reçu : septembre 2002, accepté : novembre 2002.
Adresse pour correspondance : Dr. J . J . Patard, Service d’Urologie, CHU
Pontchaillou, rue Henri Le Guilloux, 35033 Rennes Cedex.
Ref : PATARD J.J., BENSALAH K., VINCENDEAU S., RIOUX-LECLERCQ
N., GUILLÉ F., LOBEL B., Prog. Urol., 2003, 13, 23-28
RESUME
Objectifs : Etablir un score symptomatique et tester sa valeur pronostique en com-
paraison des critères histo-pronostiques usuels.
Matériel et Méthodes : Les circonstances de découverte de 388 tumeurs malignes du
rein ont permis de classer les tumeurs en trois scores symptomatiques : S1 découver-
te fortuite, S2 découverte par hématurie ou lombalgie, S3 découverte par altération
de l‘état général ou métastase symptomatique. Les critèr
es pronostiques suivants ont
été étudiés : âge, sexe, taille de la tumeur, score symptomatique, ECOG (0 contre 1 ou
plus), stade (TNM 1997), grade de Fuhrman, envahissement veineux et surrénalien.
Les taux de survie ont été comparés par la méthode de Kaplan-meier (Log rank test).
L’analyse multivariée a été faite selon le modèle de Cox.
Résultats : Les tumeurs étaient classées T1, T2, T3, T4 dans respectivement 140
(36,1%), 73(18,8%), 162(41,8%) et 13 cas(3,4%). 31 tumeurs étaient G1(8%), 167
G2(43%), 152 G3(39,2%) et 38 G4(9,8%). 143 tumeurs étaient S1(36,9%), 159
S2(41%) et 86 S3(22,1%). 45 patients étaient N+(11,6%) et 54 étaient M+(13,9%). Le
recul moyen était de 73 mois. En analyse univariée étaient significatifs : l’ECOG, le
score symptôme, le stade TNM, le grade, l’envahissement surrénalien et veineux et la
taille tumorale (p<0.001). En analyse multivariée étaient significatifs : le score symp-
tôme, le stade TNM et le grade de Fuhrman (p<0.001).
Conclusion : Le score symptomatique est un facteur pronostique indépendant au
même titre que le stade et le grade tumoral. Ce score pourrait être utilisé dans un
algorithme mathématique prédictif de la survie des patients atteints de cancer du
rein.
Mots clés : Rein, tumeur, diagnostic, pronostic, survie.
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caractéristiques clinico-pathologiques des tumeurs du
rein en fonction de leurs circonstances de découverte et
d’étudier la survie des groupes ainsi définis.
MATERIEL ET METHODES
Population étudiée
Les données de 400 patients opérés pour une tumeur du
rein dans notre service entre 1984 et 1999 ont été
revues. Dans tous les cas, une tumeur maligne était sus-
pectée et une chirurgie radicale carcinologique élargie
ou conservatrice était réalisée.
Les tumeurs étaient appréciées selon la classification
TNM 1997 [7] et selon le grade de Furhman [6]. L’état
général des patients a été gradé selon les critères de
l’’ECOG (Eastern Cooperative Oncology Group) qui
comprend 4 grades : 0 - autonomie normale, 1 - symp-
tomatique mais ambulatoire, 2 - alité moins de 50% du
temps et 3 - complètement alité [24].
Le bilan d’extension comprenait un scanner abdomino-
pelvien et une radiographie de thorax. Les patients
étaient suivis par radiographie pulmonaire, échogra-
phie et bilan sanguin tous les 6 mois pendant 5 ans puis
tous les ans pendant 5 ans puis tous les 2 ans. Pour les
patients n’ayant pas suivi ce protocole, le patient lui-
même ou son médecin traitant a pu être joint afin d’ac-
tualiser le suivi en octobre 2001.
Au terme du suivi était déterminé l’état du patient :
vivant (rémission complète ou vivant avec une maladie
évolutive) ou décédé (décédé de sa tumeur, décédé
d’une autre cause avec un cancer évolué, décédé d’une
autre cause en rémission complète, décédé de compli-
cations dues au traitement).
Les facteurs suivants ont été évalués comme facteurs
pronostiques potentiels : l’âge, le sexe, les circons-
tances de découverte (score symptomatique), l’ECOG
(0 contre 1 ou plus), la taille de la tumeur, le stade T, le
grade de Fuhrman, l’extension veineuse, lymphonoda-
le ou surrénalienne ainsi que la présence de métastases
à distance.
Définition des groupes étudiés
Quatre groupes ont été définis en fonction des circons-
tances de découverte et des symptômes accompagnant
cette découverte.
Groupe I : tumeurs de découverte fortuite. Elles étaient
définies comme des tumeurs asymptomatiques décou-
vertes par échographie, tomodensitométrie ou par un
autre examen d’imagerie effectué dans le cadre de
troubles non en rapport avec une symptomatologie de
tumeur du rein.
Groupe II : tumeurs découvertes par des symptômes.
Ces symptômes pouvaient être une hématurie macro-
scopique, une lombalgie, une masse du flanc. Ces
symptômes étaient isolés et ne s’accompagnaient pas
d’altération de l’état général.
Groupe III : tumeurs avec altération de l’état général
(AEG). Il s’agissait de tumeurs soit rélées par une
AEG soit révées par des symptômes accompagnés
d’une altération de létat général. On incluait dans ce
groupe les tumeurs couvertes par un important syndro-
me inflammatoire ou par un syndrome paraoplasique.
Groupe IV : tumeurs du rein découvertes par une méta-
stase symptomatique.
Etaient exclues de cette étude : les tumeurs bilatérales,
les tumeurs découvertes dans la surveillance de
patients à risques tels que formes familiales, transplan-
tés ou hémodialysés.
Méthodes statistiques
Toutes les fiches correspondant à chacune des observa-
tions étaient entrées dans un base de données (File
Maker Pro 4.1). Les données étaient ensuite transférées
pour l’étude dans le logiciel statistique SPSS 10.1
Nous avons utilisé le test du Chi2 et le test T de student
pour évaluer les valeurs qualitatives et quantitatives
des variables. Les estimations des survies actuarielles
étaient calculées selon la méthode de Kaplan-Meier et
les différences testées selon le Log Rank test. L’étude
multivariée était réalisée à l’aide de la méthode de Cox.
RESULTATS
Population générale
Parmi les 400 patients, 153 étaient des femmes (38%)
et 247 des hommes (62%). L’âge moyen était de 62
ans. Dans 374 cas (93,5%) une néphrectomie élargie a
été effectuée et dans 26 cas (6,5%) a été réalisée une
néphrectomie partielle. Le diamètre tumoral moyen
était de 7,6 cm. 388 tumeurs étaient malignes (97%) et
12 tumeurs étaient bénignes (3%). Parmi les tumeurs
malignes, on distinguait 365 adénocarcinomes à cel-
lules claires (94%). 140 tumeurs étaient de stade T1
(36%), 73 de stade T2 (18,8%), 162 de stade T3
(41,8%) et 13 de stade T4 (3,4%). 31 tumeurs étaient
de grade G1(8%), 167 G2(43%), 152 G3(39,2%) et 38
G4(9,8%). 45 patients (11,6%) avaient un envahisse-
ment lymphonodal, 54 (13,9%) étaient métastatiques,
32 (8,2%) présentaient un envahissement de la surréna-
le et 111 (28,6%) un envahissement de la veine rénale.
Le recul moyen était de 73 mois.
Comparaison des groupes
La comparaison a porté sur les 388 tumeurs malignes.
Ces données sont rapportées dans le Tableau I. 143
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patients étaient de groupe I, 159 de groupe II, 71 de
groupe III et 15 de groupe IV. Les trois groupes étaient
comparables pour l’âge, le sex ratio et la proportion de
carcinomes à cellules rénales. Les tumeurs avec altéra-
tion de l’état général et avec métastases inaugurales
étaient comparables pour : le diamètre tumoral, le stade,
le grade, le pourcentage de métastases lymphonodales,
l’envahissement veineux et surrénalien et la survie spéci-
fique. En revanche lorsque l’on comparait successive-
ment tumeurs incidentales par rapport aux tumeurs
symptomatiques, tumeurs symptomatiques par rapport
aux tumeurs avec altération de l’état général, tumeurs
symptomatiques par rapport aux tumeurs métastatiques
et tumeurs incidentales par rapport aux tumeurs métasta-
tiques ces groupes étaient différents tant sur le plan des
tumeurs que sur le plan de la survie. Ceci nous a amené
à réunir les groupes III et IV et à définir un score symp-
tomatique pour l’analyse de la survie. Les tumeurs S1
étaient totalement asymptomatiques, les tumeurs S2
révélées par douleurs lombaires, hématurie ou masse du
flanc et les tumeurs S3 révélées par une altération de
l’état général ou une métastase symptomatique.
Analyse de la survie
En analyse univariée étaient significatifs : l’ECOG, le
stade TNM, le grade (Figure 1), le score symptôme
(Figure 2), l’envahissement surrénalien et veineux et la
taille tumorale (p<0.001). En analyse multivariée
étaient significatifs : le score symptôme, le stade TNM
et le grade de Fuhrman (p<0.001).
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Tableau I. Comparaison des caractéristiques clinico-pathologique et du pronostic des tumeurs du rein en fonction de leur mode
de présentation.
J.J. Patard et coll., Progrès en Urologie (2003), 13, 23-28
DISCUSSION
Grâce au développement et à la généralisation de nou-
velles techniques d’imagerie comme l’échotomogra-
phie et le scanner, une nouvelle entité clinique de can-
cer du rein est apparue : la tumeur de découverte for-
tuite ou incidentale. La fréquence des tumeurs inciden-
tales est en progression constante depuis la fin des
années 70. Ainsi en 1971, SKINNER rapportait un taux
de tumeurs incidentales de 7% [20] et dans les séries
les plus récentes, ce taux est évalué aux alentours de
60% [10].
Les tumeurs incidentales sont le plus souvent malignes
et ont la même distribution histologique que les tumeurs
symptomatiques. O
ZEN
, dans une série de 36 tumeurs
incidentales retrouvait 92% de carcinomes à cellules
claires [16]. Il est maintenant établi que les tumeurs
incidentales sont de plus petite taille, de stade moins
avancé et de plus bas grade que les tumeurs symptoma-
tiques [1, 12, 13, 21, 22, 24]. Seuls M
EROVACH
et
26
Figure 2. Survie en fonction des circonstances de découverte
de la tumeur. Censurés : patients vivants sans tumeur à l’issue
de leur suivi ou décédés d’autre cause.
Figure 1. Survie en fonction des critères clinico-pathologique
usuels. Score ECOG, stade T, grade de Fuhrman. Censurés :
patients vivants sans tumeur à l’issue de leur suivi ou décédés
d’autre cause.
J.J. Patard et coll., Progrès en Urologie (2003), 13, 23-28
T
OSAKA
n’établissent pas de lien avec le stade ou le
grade [14, 22]. L’ensemble des séries confirme que la
survie des patients chez qui l’on découvre une tumeur
de façon fortuite est significativement meilleure que
celle des patients chez qui la tumeur est symptoma-
tique. Les survies à 5 ans des tumeurs fortuites oscillent
entre 85 et 90% contre 30 à 60% pour les tumeurs
symptomatiques [21, 23]. Notre série confirme ces don-
nées en tous points puisque nos 143 tumeurs inciden-
tales sont significativement différentes des 156 tumeurs
symptomatiques concernant le stade, de grade, la taille,
l’envahissement surrénalien, ganglionnaire, métasta-
tique et la survie globale et spécifique (p<0.001).
Notre travail cependant apporte des renseignement sup-
plémentaires par rapport aux ries précédemment
citées. En effet nous avons pu montrer que les tumeurs
symptomatiques étaient aussi significativement diff é-
rentes des tumeurs accompagnées d’altération de l’état
ral pour le stade, le grade, lextension lymphonoda-
le, surrénalienne et la survie. Enfin pour tous ces critères
les tumeurs avec altération de l’état néral n’étaient pas
significativement différentes des tumeurs avecta-
stases symptomatiques inaugurales. Ceci nous a permis
definir une nouvelle classification clinique à visée
pronostique en fonction des circonstances de couverte
de la tumeur et distribuée en trois grades symptoma-
t i q u e s .
La valeur pronostique du retentissement général a déjà
été étudiée amplement dans le cancer du rein. De nom-
breuses études on validé la score de Karnolfski comme
un facteur pronostic dans le traitement du cancer du
rein métastatique [15]. En revanche l’importance de
l’état général dans le cancer du rein localisé a pour
l’instant été peu étudiée. TSUI a cependant pu montrer
que lECOG performance status score (Eastern
Cooperative Oncology Group) pouvait être un facteur
pronostique indépendant du stade et du grade [24].
Dans les articles faisant appel à ce score, comme dans
notre étude, l’ECOG est utilisé en opposant le grade 0
aux grades 1 ou plus. Ceci revient ainsi à considérer les
tumeurs symptomatiques ou non et rend en fait impar-
faitement compte de l’éventuelle valeur pronostique
spécifique de l’altération générale due à la tumeur.
Dans notre étude nous avons en effet pu montrer que
quelque soit le stade ou le grade une tumeur sympto-
matique avait un pronostique différent suivant qu’elle
était accompagnée ou non d’altération de l’état général
et l’intérêt de notre score est d’intégrer à la fois la
valeur pronostique de la découverte fortuite et la valeur
péjorative de l’altération de l’état général. C’est aussi
probablement la raison pour laquelle ce score efface la
valeur pronostique de l’ECOG en analyse multivariée.
Les localisations métastatiques qui révèlent les cancers
du rein sont essentiellement osseuses ou cérébrales. En
ce qui concerne les métastases osseuses, il semblerait
qu’il puisse exister une différence pronostique entre les
métastases inaugurales et les métastases asynchrones ;
par ailleurs en cas de métastase unique la chirurgie peut
donner des survies appréciables [4]. En ce qui concer-
ne les métastases cérébrales WRONSKI ne trouve pas de
différence de survie entre les métastases cérébrales
synchrones et asynchrones [25] et le pronostic semble
plus sombre ; la survie à 5 ans étant de 0 à 2,3% [8, 9].
Que signifie la valeur pronostique indépendante des
symptômes par rapport au stade et au grade ? Cette
question ouvre la voie à la très intéressante question
des événements biologiques qui conduisent à la pro-
gression tumorale. En effet le lien entre la graduation
des symptômes et la survie indépendamment du stade
et du grade traduit l’existence d’évènements biolo-
giques au sein de la tumeur dont la réalité est imparfai-
tement rendue par les critères histologiques usuels que
sont le stade et le grade. Cette caractérisation biolo-
gique en fonction des circonstance de découverte est
actuellement à l’étude dans notre groupe. De plus un
score pronostique indépendant du stade et du grade
signifie un nouvel outil pronostique qui apporte des
informations supplémentaires par rapport aux critères
usuels. Ce score mériterait d’être évalué par d’autres
centres et éventuellement validé sur des bases de don-
nées multicentriques. Enfin il pourrait être intégré dans
des modèles mathématiques, qui de plus en plus sont
développés pour prédire la progression et le décès par
cancer [11, 26-28].
CONCLUSION
Notre étude confirme la valeur pronostique inpen-
dante de deux variables cliniques essentielles dans le
cancer du rein: les symptômes et le retentissement
général de la maladie. Nous avons pu en effet montrer
quun simple score symptomatique, divisé en trois
grades, ingrant ces deux variables pouvait apporter
des renseignements compmentaires au stade et au
grade pour prédire la survie. Ce score devra être vali-
par des études multicentriques et pourrait être in-
gré dans des algorithmes mathématiques prédisant la
survie des patients atteints de cancer du rein.
REFERENCES
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Histoire naturelle. Prog. Urol., 1997, 7, 763-765.
4. DURR H.R., MAIER M., PFAHLER M., BAUR A., REFIOR H.J. :
Surgical treatment of osseous metastases in patients with renal cell
carcinoma. Clin. Orthop., 1999, 283-290.
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