L`anorexie mentale : un nouveau champ de pratique pour le

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Essais de maîtrise
L’anorexie mentale : un nouveau champ
de pratique pour le psychologue
en relations humaines
Steve Curadeau, psychologue
RÉSUMÉ
La diversité des champs de pratique du psychologue en relations humaines est susceptible
de l’amener à œuvrer auprès de clientèles posant un défi de taille au modèle coopératif
préconisé au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke. L’anorexie
mentale, un trouble psychiatrique grave, représente un de ces champs très peu documentés
en psychologie des relations humaines. Le présent article vise à démontrer théoriquement
qu’il s’avère possible, respectant certaines conditions, d’articuler ce modèle auprès des
anorexiques. L’idée centrale est de soumettre un cadre conceptuel et des éléments
méthodologiques fondés sur une expérience professionnelle de l’auteur. Pour explorer cette
idée, les limites des thérapeutiques actuelles sont présentées. Le modèle coopératif exercé
dans le rôle d’aidant est ensuite amené. L’auteur explicite les postulats théoriques qui en
sont à la base. Sont aussi repérées les trois structures relationnelles en psychologie des
relations humaines, en lien avec les thérapeutiques de l’anorexie. Enfin, deux enjeux à
l’application pratique du modèle sont retracés. Un cas type illustre une démarche
d’intervention selon les trois conditions de la coopération.
À l’instar de plusieurs syndromes connus, l’anorexie mentale se situe à la jonction
des sciences médicales, psychiatriques, et psychologiques. Plusieurs perspectives
thérapeutiques sont expérimentées auprès des anorexiques. Aucune ne correspond
intégralement aux exigences du modèle coopératif, tel qu’il est conçu et pratiqué
au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke. L’objectif de cet
article n’est cependant pas de présenter un nouveau mode de traitement. Il vise à
démontrer théoriquement l’applicabilité du modèle coopératif auprès des
personnes atteintes d’anorexie mentale. La relation coopérative, étant l’une des
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assises de la psychologie des relations humaines, il convient de l’approfondir et de
la situer dans le contexte des soins de santé à fournir à une anorexique. En ce sens,
cet article répond aux souhaits des auteurs Pronovost, Jinchereau et LeBlanc
(1997) qui soulignent l’importance de mener des études où le psychologue en
relations humaines est susceptible d’intervenir.
Dans la littérature, les explicitations relatives au processus relationnel qui s’établit
avec une anorexique sont lacunaires. Du moins, les conclusions que l’on dégage à
ce sujet sont limitées. Ce manque de précision amène à clarifier les enjeux
relationnels que suscite une relation coopérative entre l’aidante27 et l’anorexique
dans le cadre d’une relation d’aide. Pour ce faire, l’auteur de cet article s’est
inspiré de son travail d’aidant auprès des personnes souffrant d’anorexie. Il tente
ainsi de conceptualiser la modalité d’intervention coopérative qu’il pratique. Sa
démarche l’a conduit à formuler l’interrogation suivante : quels sont les enjeux et
l’apport du modèle coopératif dans l’intervention professionnelle auprès des
personnes présentant une anorexie mentale? Pour répondre à cette question, une
méthode dialectique est proposée. Elle consiste à soulever les contradictions
émanant de l’état des connaissances théoriques sur les traitements de l’anorexie.
Elle propose une optique relationnelle pour approfondir la dynamique complexe
de ce trouble. Compte tenu qu’il s’agit d’une question ouverte, les réponses
potentielles qui en découleront devraient également demeurer ouvertes, c’est-àdire sujettes à des réflexions pratiques.
L’article est divisé en six parties. La première partie (Les définitions) fournit des
données épidémiologiques et descriptives. Un contexte théorique constitue la
deuxième partie. Les principales causalités avancées et les thérapeutiques
dominantes y sont présentées. Une troisième partie aborde les postulats centraux
d’intervention retenus par l’auteur. Ces derniers permettent de comprendre la
philosophie de la relation d’assistance, préconisée ici comme modalité concrète
d’intervention coopérative. Une quatrième partie traite de la relation humaine et de
ses différentes structures reconnues en psychologie des relations humaines. Ces
structures sont envisagées dans leur rapport avec les thérapeutiques de l’anorexie.
La cinquième partie ébauche des enjeux à considérer dans la façon de gérer une
27
Afin d’alléger le texte et pour utiliser un langage qui soit exempt d’une forme sexiste,
l’expression “ aidante ” désignera la personne qui intervient auprès de la personne “ aidée ”
(l’anorexique). Cette dernière expression (“ aidée ”) pourra, quant à elle, être à l’occasion
remplacée par l’expression “ cliente ”, qui signifie implicitement la “ personne cliente ”. De
même, l’expression “ la psychologue ”, utilisée au féminin, désignera implicitement “ la personne
exerçant la profession de psychologue ”.
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intervention coopérative individuelle auprès de ces personnes. Une dernière partie
consiste en l’illustration d’un cas type à partir duquel l’application des trois
conditions de la relation coopérative y est élaborée. Il est important de retenir que
cet article traite des aspects théoriques de l’application du modèle retenu à des
personnes anorexiques. En ce qui a trait à la dimension pratique (les deux
dernières parties), c’est-à-dire plus à la marge d’innovation qui peut être avancée
en respectant les règles de l’art en psychologie avec cette clientèle, il faut garder
en tête le caractère relatif et contextuel des principes d’intervention relatés.
LES DÉFINITIONS
L’épidémiologie
L’anorexie mentale représente un trouble dont l’évolution à long terme peut être
potentiellement fatale. La mortalité survient chez 5 à 20 % des individus
lorsqu’une chronicité symptomatique s’est installée (Crow, Praus et Thuras, 1999;
Theander, 1985). Dans les cas sévères, pour lesquels les critères diagnostiques ont
été établis selon le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1996), ce trouble
affecte environ de 0,01 % à 1 % des adolescentes et des jeunes femmes
(Wakeling, 1996). L’âge de survenue se situe, dans une proportion de 90 %, entre
12 et 25 ans. Plusieurs études soulignent une augmentation de l’apparition de ce
trouble à l’âge adulte, passé l’âge de 25 ans (Blinder, Chaitin et Goldstein, 1988).
L’anorexie est observée chez les femmes dans 90 à 95 % des cas recensés (Garner
et Garfinkel, 1985). Ce désordre alimentaire peut souvent être associé à d’autres
problèmes psychiatriques comme les troubles compulsifs obsessionnels, la
dépression, les perturbations faisant suite à un traumatisme, de même qu’à des
troubles de la personnalité (Kaplan et Sadock, 1998; Saccomani, Savoini,
Cirrincione, Vercellino et Ravera, 1998). On estime généralement qu’il y aurait
environ 5 % des femmes qui présenteraient des symptômes du trouble sans
toutefois répondre à l’ensemble des critères diagnostiques (Strober, Freeman et
Morrell, 1999).28
28
La prévalence de l’anorexie mentale est difficile à évaluer. Il faut considérer que les gens en
général, professionnels y compris, sont de plus en plus sensibilisés à cette problématique. Cela
explique qu’ils la reconnaissent et la diagnostiquent plus facilement. D’autre part, il faut tenir
compte que la nosographie retenue et les instruments utilisés pour identifier le trouble
(autoquestionnaire, entretien) influent grandement sur la prévalence. Par ailleurs, l’augmentation
des conduites alimentaires atypiques chez l’humain complique la délimitation d’un seuil
pathologique sur un continuum.
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L’anorexie mentale
Les individus souffrant d’anorexie mentale se caractérisent par leur peur excessive
de l’obésité, leur recherche obsessionnelle de la minceur et leurs problèmes de
perception corporelle. Ces derniers provoquent, chez plusieurs individus atteints,
une distorsion dans la façon dont ils perçoivent leur corps, ou certaines parties de
celui-ci (Alfred, Heilbrun et Witt, 1990; Bruch, 1975; Hennighausen, Enkelmann,
Wewettzer et Remschmidt, 1999). On parle de “ distorsion de l’image du
corps29 ”, car plus la personne maigrit, plus elle se perçoit comme étant trop grosse
(Cash et Deagle, 1997).
Ces personnes montrent des symptômes qui sont pathognomoniques du trouble.
On observe une diminution substantielle des portions alimentaires avec tri des
aliments, des séances excessives d’activités physiques, une consommation abusive
de laxatifs ou de diurétiques, et une utilisation compulsive du pèse-personne
(Davis, 1999). Des épisodes de boulimie surviennent fréquemment, accompagnés
de vomissements auto-provoqués. Toutes ces manifestations visent à provoquer
des pertes de poids importantes (Leichner, 1987). Avant l’apparition des
symptômes, la personne a tendance à socialiser très peu et à s’isoler (Pauzé et
Lacharité, 1994). Elle vit souvent un sentiment d’impuissance devant l’existence.
La personne manifeste aussi des attentes élevées envers elle-même, elle craint le
vieillissement, la sexualité et l’indépendance (Bruch, 1990; Leichner).
À mesure que l’amaigrissement s’accentue, une symptomatologie physique est
susceptible de survenir : des étourdissements, faiblesses, pertes de conscience,
difficultés de concentration, une peau sèche et pâle ainsi que des douleurs
abdominales (Lena, 1987). Toutes les manifestations précédentes caractérisent la
conduite anorexique. Elles ont été codifiées dans des grilles d’évaluation et sont
utilisées en recherche et en clinique pour faire un diagnostic du trouble (DSM-IV,
1996; Feighner, Robins, Gruze, Woodruff, Winokur et Munoz, 1972).
29
Dans la perspective constructiviste décrite plus loin dans cet article et adoptée par l’auteur, il n’y
pas nécessairement de distorsion ou de bonne image du corps. Puisque dans cette perspective, la
réalité est un construit, il y a la perception de son corps par l’anorexique elle-même, et la
perception de ce corps par autrui. Le cœur du problème semble donc davantage se situer dans
l’écart des perceptions respectives et relatives qui subsistent. On ne peut ainsi présumer qu’il y a
une perception davantage “ normale ” à laquelle devrait adhérer l’anorexique en réponse à un
traitement particulier (Curadeau, 1996).
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LE CONTEXTE THÉORIQUE
L’historique
C’est plus précisément au XIXe siècle que les premiers tableaux cliniques
suffisamment valables sont retenus (Bemporad, 1997). C’est au Dr William Gull
(1874 : voir Brumberg, 1988), en Angleterre, que l’on doit l’expression
“ Anorexia Nervosa ”, signifiant une absence d’appétit nerveuse. Remarquons que
cette terminologie est contestée. Les personnes anorexiques, loin d’avoir perdu
l’appétit, éprouvent au contraire une faim insatiable jusqu’à un stade avancé du
trouble. Il semble plus s’agir d’un refus psychogène de se nourrir plutôt que d’une
véritable anorexie. À la même époque, le Dr Charles Lasègue (1873), en France,
publia un des premiers articles à ce sujet intitulé : “ De l’anorexie hystérique ”.
Quoique l’on ait l’impression que ce trouble ait commencé à se répandre dans les
années 60, il est plausible de penser qu’il a toujours existé. Sa “ propagation ”
contemporaine coïnciderait plus précisément avec le moment où il s’est
véritablement inscrit dans un discours (Eliacheff et Raimbault, 1989).
Les principaux modèles théoriques explicatifs
On retrouve l’accord des auteurs concernant la complexité de ce trouble.
Malheureusement, l’expression “ anorexique ” bénéficie d’une diffusion
médiatique considérable dans notre société, mais au prix de confusions souvent
très préjudiciables qui se répercutent dans les milieux de soins. L’évolution des
conceptions étiologiques de la dernière décennie a cependant permis des progrès
notoires en regard de certaines positions causatives réductionnistes antérieures. On
pense que la genèse de ce trouble englobe plusieurs facteurs psychologiques,
familiaux et sociaux. Une prédisposition constitutionnelle et génétique n’est pas
exclue : aucun de ces facteurs n’ayant pu, à lui seul, rendre compte de la survenue
du trouble. Une multiplicité de modèles théoriques existe. Ces modèles sont
regroupés en trois catégories : les modèles mettant l’accent sur les facteurs
physiologiques, ceux insistant sur les facteurs psychosociaux, et ceux prônant les
facteurs développementaux.
Des auteurs associent l’apparition de l’anorexie à des facteurs biologiques
(Blinder et al., 1988; Study group on anorexia nervosa, 1995). Un mauvais
fonctionnement hormonal ou un (des) problème(s) neurologique(s) en serait(ent) à
l’origine. Cependant, étant donné que l’amaigrissement observé dans l’anorexie
provoque des modifications biologiques importantes, le problème reste entier de
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déterminer laquelle de ces deux conditions est secondaire par rapport à l’autre.
Génétiquement, il y a une plus grande concordance du trouble entre des jumeaux
monozygotes que chez des jumeaux dizygotes (Kaplan et Sadock, 1998). On ne
peut toutefois démontrer en quoi consiste actuellement ce caractère génétique, ni
de ce qu’il rend compte.
La prépondérance des facteurs sociaux et culturels a été largement abordée
(Gordon, 1990; Guillemot et Laxenaire, 1997, Hepworth, 1999; Iancu, Spivak,
Ratzoni, Apter et Weizman, 1994). L’influence de l’image du corps maigre
véhiculée par les médias sur le comportement alimentaire des femmes a été
démontrée (Garner et Garfinkel, 1980). Toutefois, une analyse rétrospective nous
apprend que l’anorexie a existé à des époques où la culture était différente de la
nôtre (Lasègue, 1873). De plus, la majorité des adolescentes (environ 99 % d’entre
elles) vivant au sein de notre contexte socioculturel ne développent pourtant pas le
trouble. Ces considérations invitent donc à la prudence dans la primauté que l’on
accorde actuellement à la sociogenèse dans l’éclosion de l’anorexie. Il est
vraisemblable de penser que les facteurs socioculturels pourraient davantage jouer
un rôle perpétuant de la conduite anorexique chez des individus ayant une
prédisposition à développer le trouble.
D’autres auteurs ont étudié les facteurs familiaux dans la genèse de l’anorexie
(Minuchin, 1978; Selvini-Palazzoli, Boscolo, Cecchin et Prata, 1990). Des
caractéristiques relationnelles particulières auraient été identifiées au sein des
familles ayant un membre anorexique. Selvini-Palazzoli et al. nuancent
habilement cette position en considérant qu’il subsiste chez ces familles un “ jeu
de fou ” (p. 95) plutôt qu’une personne folle (l’anorexique). Cette position soulève
la question de savoir si c’est le fait d’avoir une personne anorexique dans la
famille qui génère des problèmes familiaux ou l’inverse.
L’approche cognitive postule que des schèmes cognitifs erronés sont à la source
du trouble (Garner et Garfinkel, 1985; Mirabel-Sarron et Lelord, 1989).
L’approche psychanalytique investit abondamment dans l’élaboration
d’hypothèses explicatives (Bruch, 1975, 1990; Brusset, 1998; Jeammet, 1984,
1993). Sa position étiologique présume que le foyer de l’anorexie est un conflit
intrapsychique. La perspective développementale préconise une compréhension de
l’anorexie dans un contexte propre à l’adolescence en tenant compte de certaines
variables (Plaut et Hutchinson, 1986).
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Tous ces modèles explicatifs laissent présager plusieurs formes de thérapies. Il
n’existe pas de traitement codifié de ce trouble qui ait fait les preuves de son
efficacité à 100 %. Peu importe la modalité d’intervention adoptée, le pronostic
demeure pratiquement toujours le même, soit le maintien de la règle des tiers. Un
premier tiers s’en sort assez bien. Une autre tranche regroupe des individus qui
maintiennent un fonctionnement satisfaisant, mais avec plusieurs difficultés
psychiques persistantes (tendances dépressives, phobiques et hypocondriaques).
Enfin, un dernier tiers se “ chronicise ” (Jeammet, 1991).
Les perspectives thérapeutiques
Toutes les formes d’intervention auprès des anorexiques doivent être comprises au
travers l’enjeu thérapeutique indissociable du corps et de l’esprit (Alvin, 1996;
Bruch, 1990; Brusset, 1998 ; Ward, Tiller, Treasure et Russell, 2000). L’anorexie
est reconnue comme étant essentiellement une affection psychopathologique. On
fait ainsi référence à la dimension de l’esprit. Mais, sa présentation clinique nous
oblige à considérer le danger associé à la dénutrition symptomatique de ces
personnes. Cette menace vitale, quant à elle, renvoie à la dimension corporelle
(médicale) de l’intervention. L’articulation de ces deux sphères que sont le corps
cachectique et l’esprit trouble (distorsion de l’image corporelle) confère à
l’intervention une coloration particulière. Par exemple, les risques de détérioration
somatique qu’encourent ces individus et la négation qu’ils en font déstabilisent
l’aidante et la confrontent à une certaine intimidation (Franco et Rolfe, 1996).
Cette difficulté crée une impasse dans laquelle l’aidante se trouve plongée (Bruch,
1990; Garner, 1985; Garner et Garfinkel, 1985). Progressivement, elle vit un
sentiment d’inefficacité de ne pouvoir aider la cliente (Hamburg et Herzog, 1990).
À mesure que l’état de santé de l’anorexique suscite de l’inquiétude, les modalités
de traitement convergent en direction d’une normalisation clinique du poids
corporel, de la prise alimentaire et des aspects psychopathologiques au-delà de
cette symptomatologie (Alvin, 1996; Beaumont, Russell et Touyz, 1993; Michael,
Maloney, Michael et Farrell, 1980). Selon la position étiologique des différents
auteurs, et selon le degré de sévérité des symptômes présentés par l’anorexique,
les approches thérapeutiques utilisées se classifient en trois catégories : les
approches individuelles, familiales, et biologiques ou pharmacologiques.
Les approches individuelles. Les thérapeutes de l’approche cognitivocomportementale mettent l’accent sur l’apprentissage de stratégies de résolutions
de problèmes et sur l’identification de schémas psychologiques qui donneraient
naissance à des cognitions erronées à propos du poids, des formes corporelles et
de la nourriture (Mirabel-Sarron et Lelord, 1989; Pederson Mussell, Crosby,
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Crow, Knopke, Peterson, Wonderlich et Mitchell, 2000). Les thérapeutiques
psychanalytiques visent une compréhension psychodynamique par l’anorexique,
face à son corps sexué et à la signification symbolique de la nourriture (Bruch,
1990; Brusset, 1998; Jeammet, 1984, 1993).
Les approches familiales. Les thérapies familiales systémiques mettent l’accent
sur les relations intrafamiliales. L’objectif visé par l’aidante est de mettre en
avant-scène les conflits dont la “ patiente désignée ” (l’anorexique) est devenue
l’enjeu (Apfeldorfer, 1995; Minuchin, 1978; Selvini-Palazzoli et al., 1990).
Les approches biologiques ou pharmacologiques. La pharmacothérapie obtient
des résultats variables et contradictoires (Jimerson, Wolfe, Brotman et Metzger,
1996; Parker, 1985; Walsh et Delvin, 1992). L’étiologie complexe du trouble
explique ce fait. Cependant, la médication peut atténuer l’état dépressif
concomitant à l’anorexie, ce qui facilite le travail psychothérapeutique. Jumelée à
la psychothérapie, une prescription médicamenteuse peut ainsi constituer un outil
complémentaire efficace (Peterson et Mitchell, 1999). La pharmacothérapie, à elle
seule, ne peut apporter des correctifs aux distorsions cognitives concernant la
nourriture, l’image corporelle et le poids.
Des approches cliniques vers la coopération
Les approches portant sur le traitement de l’anorexie mentale sont variées. Une
investigation de tous les traitements expérimentaux actuels déborderait le cadre
restreint de cet article. Dans l’ensemble, on remarque que cette problématique est
dominée par le champ clinique30. Cette constatation n’est pas déplorable en soi,
mais invite à s’interroger sur la place qui est faite, dans ces approches, à la nature
de la relation qui s’établit entre l’aidante et l’anorexique. St-Arnaud (1995), dans
un livre sur l’interaction professionnelle, a identifié trois structures de relation
s’établissant entre une aidante et sa cliente : la structure de pression, la structure de
service, et la structure de coopération. Tel que mentionné dans l’introduction de ce
travail, c’est précisément la structure de coopération qui n’est pas détaillée dans
les thérapeutiques de l’anorexie. Compte tenu que le but de cet article vise
l’application du modèle coopératif à l’anorexie mentale, il convient dans un
premier temps de le situer en regard du rôle particulier dans lequel il s’exerce et
30
Entendons par “ champ clinique ”, le fait pour l’aidante de partir de conduites concrètes
présentes chez l’anorexique, afin de leur donner un sens, de leur fournir une interprétation
psychologique à des fins diagnostiques.
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d’en étudier les bases sous-jacentes. Par la suite, les trois structures de la relation
seront abordées dans leurs liens mutuels avec les thérapeutiques de l’anorexie
mentale.
L’ANOREXIE MENTALE ET LA COOPÉRATION : LES
POSTULATS CENTRAUX RETENUS
L’anorexie mentale, en tant que syndrome psychiatrique, et son jumelage avec le
modèle coopératif en psychologie des relations humaines, représentent aux yeux
de l’auteur un champ de pratique novateur pour la psychologue en relations
humaines. Conséquemment, les prochaines pages seront consacrées à
l’approfondissement théorique des postulats qui découlent de cette combinaison.
L’auteur est conscient qu’on pourra lui reprocher une certaine partialité en se
centrant sur l’aspect relationnel avec les anorexiques. En éclairant cet aspect de
l’intervention qu’est la relation humaine, les autres dimensions semblent alors
dans l’ombre, mais elles ne cessent d’exister à ses yeux. Elles pourront être
éclairées à leur tour. Mais, il n’a pu se soustraire de son expérience avec ces
personnes et n’a donc pu faire autrement que de faire ressortir la dimension
relationnelle propre au modèle coopératif. Si nous réussissons à sensibiliser ne
serait-ce que peu de gens sur l’importance que revêt la coopération dans l’aide
professionnelle apportée aux anorexiques, tous les reproches de partialité – comme
l’écrivait Alice Miller (1990) – ne sont rien par rapport aux résultats qui en
découleront.
Dans la section qui va suivre, une attention particulière sera portée à la relation
d’assistance, une modalité d’intervention particulière exercée dans le rôle d’aidant
en psychologie des relations humaines (St-Arnaud, 1999a). La “ relation
d’assistance ” n’est explicitée que pour illustrer comment l’auteur applique
concrètement le modèle coopératif, l’idée centrale de cet article étant de démontrer
l’apport de la coopération à l’anorexie mentale.
La relation d’assistance et la coopération
La psychologie des relations humaines nous convoque à jouer plusieurs rôles
professionnels afin d’aider une cliente ou un système-client à se responsabiliser, à
devenir plus autonome. Comme nous l’avons vu précédemment, une des modalités
de traitement de l’anorexie réside dans une aide psychothérapeutique individuelle.
En psychologie des relations humaines, un des rôles utilisés pour apporter une aide
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individuelle à une personne est expérimenté dans le rôle d’aidant. C’est ce rôle
que l’auteur a exercé auprès des anorexiques. De façon plus précise, l’auteur a
emprunté la notion de “ relation d’assistance ” (St-Arnaud, 1999a) pour désigner
cette modalité particulière d’intervention coopérative. Comme le souligne StArnaud, la “ relation d’assistance ” renvoie à une forme de relation d’aide ayant
pour objectif le développement psychosocial de la cliente, incluant la relation
d’aide thérapeutique, laquelle est utilisée ici. Elle signifie que c’est toujours
l’aidée qui est la principale responsable du changement visé.
L’assistance et la suppléance. Dans cette terminologie de relation d’assistance, le
terme “ assistance ” réfère à une des deux grandes fonctions utilisées en
psychologie des relations humaines, l’autre étant désignée sous l’appellation
“ suppléance ” (St-Arnaud, 1998, 1999a, 1999b). La suppléance fait référence au
savoir disciplinaire de l’aidante, soit les connaissances portant sur les
généralisations du comportement humain en psychologie. On parle alors de
l’expertise de l’aidante. L’autre pôle, l’assistance, met l’accent sur les
compétences relationnelles au premier plan dans le modèle coopératif. Elle permet
à l’aidante de faciliter chez l’aidée le développement de ses propres ressources.
C’est la psychologue qui détermine l’usage respectif de ces deux fonctions
complémentaires, mais l’utilisation de l’assistance demeure toujours prioritaire. À
ce sujet, une des règles de la coopération, l’alternance, assure un balancement
entre l’assistance et la suppléance (St-Arnaud, 1995). En donnant des informations
sur le contenu scientifique et en gérant l’intervention (suppléance), l’aidante
convie la cliente à valider ou infirmer ce qu’elle lui soumet. Pour cette dernière
fonction (l’assistance), l’aidante utilise des comportements de réception manifeste
et de facilitation, tel que la sollicitation auprès de l’aidée sur ses ressentis ou idées.
L’impact de l’utilisation dosée de ces deux fonctions est appréciable avec une
anorexique. Soulignons déjà une différence substantielle entre les tenants d’un
modèle axé sur la suppléance par rapport au modèle de l’assistance : dans un
modèle où la suppléance prédomine, les interventions visent en priorité à traiter les
aspects physiopathologiques et psychopathologiques de la cliente. Comme l’on
vise majoritairement à traiter les pathologies, les interventions sont basées
essentiellement sur la suppléance. La psychologue en relations humaines, par son
adhésion à sa vision humaniste de la personne (que nous verrons), axe plutôt
majoritairement ses interventions sur les aspects sains de la personnalité de
l’anorexique. Sensible aux symptômes pathologiques exprimés par la cliente, elle
ne tiendra compte de ceux-ci que si cette dernière veut les aborder ou les traiter.
Sa préoccupation première est d’activer le processus d’autodéveloppement,
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présumé toujours présent, en dépit de contraintes pathologiques. Elle utilise
davantage le pôle de l’assistance.
Les conceptions méthodologiques. Pour bien saisir la relation d’assistance, il faut
la localiser à l’intersection de deux grandes conceptions méthodologiques dans
l’histoire de la psychologie. Il s’agit de l’approche humaniste-existentielle et du
courant des relations humaines. La première s’inspire d’une vision positive de la
personne (Jourard, 1985). Elle présume qu’il existe dans chaque individu un
mécanisme qui l’oriente vers son plein épanouissement, en dépit de
psychopathologies ou de conditions physiques très graves. Pour St-Arnaud
(1999a), l’expression “ tendance à l’actualisation ” désigne ce mécanisme. Le
terme “ actualisation ” signifie “ l’autodéveloppement ” de l’aidée, soit son
processus naturel d’actualisation autogéré. Le courant des relations humaines,
quant à lui, se rapporte à une conception de l’intervention dans laquelle le dessein
de la psychologue est d’activer les ressources de l’aidée pour la responsabiliser
face au changement visé. Suivant ce courant, l’expertise sur le contenu est
subordonnée à l’expertise sur le processus (Lescarbeau, Payette et St-Arnaud,
1996).
Mais, étant donné que dans la relation d’assistance, l’aidante se centre sur l’unicité
de l’anorexique, il n’y a de ce fait aucune indication précise quant à l’orientation
qui sera faite d’un quelconque comportement que présente celle-ci. Le contexte
d’intervention peut ainsi devenir très harassant pour l’aidante. En effet, celle-ci ne
présume pas se camper en position haute vis-à-vis de sa cliente. Elle adopte plutôt
une position égalitaire, telle que représentée dans le modèle coopératif. La réalité
de l’intervention ne se trouve ainsi soumise à aucun procédé normatif induit par
l’aidante, mais s’avère plutôt construite mutuellement par la dynamique de la
relation créée. Cela nous entraîne à introduire les principes de base rattachés au
constructivisme.
Le constructivisme. L’option constructiviste admet que ce que l’on désigne
comme étant la “ réalité ” n’est qu’un ensemble de “ construits ” personnels. Ces
construits s’avèrent plus ou moins fonctionnels et peuvent donc entraver
significativement l’état de santé d’une personne donnée, comme c’est le cas avec
les anorexiques.
Pour comprendre comment le constructivisme s’inscrit dans la relation
d’assistance en psychologie des relations humaines, il faut d’abord sortir d’une
perspective psychologique et se déplacer vers un cadre philosophique.
L’épistémologie n’est pas une conception psychologique, mais une manière
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
critique d’étudier “ l’origine logique des sciences, leur valeur et leur portée ” (Le
petit Robert) – la psychologie y compris. À ce titre, l’option épistémologique du
constructivisme ne remplace pas les deux conceptions méthodologiques et le
modèle coopératif cités, mais fait l’objet d’un choix personnel à quiconque utilise
la relation d’assistance.
Autrement dit, quiconque pourrait endosser le modèle coopératif (ou un autre
modèle) sans adhérer nécessairement à l’option constructiviste. Ce n’est toutefois
pas le cas ici. Dans le cadre de cet article, le constructivisme s’applique par
extension à tous les termes constituant la Figure 1 (voir l’Annexe 1). C’est pour
cette raison qu’il est placé en retrait à droite de la figure, alors que l’accolade qui
le juxtapose symbolise son inclusion épistémologique à l’ensemble des
subdivisions terminologiques. L’accolade a aussi une signification historique, car
elle témoigne que le constructivisme était implicitement présent dans les grandes
conceptions à l’origine du modèle coopératif, mais qu’il n’était tout simplement
pas nommé.
Par ailleurs, il a été mentionné précédemment que peu importe la thérapeutique
utilisée auprès des anorexiques, on arrive toujours approximativement à des
résultats équivalents sur le plan pronostic. On enregistre, en outre, le même constat
dans les grandes approches en psychologie. Que devons-nous en conclure en lien
avec le constructivisme? La réponse peut s’esquisser sensiblement comme suit : la
science psychologique, incluant les formes de traitement de l’anorexie mentale,
nous fournit actuellement assez de données pour que nous nous permettions
d’utiliser sciemment une approche que l’on peut qualifier de non normative.
Ainsi, dans un cadre constructiviste, l’anorexie mentale est considérée comme un
construit diagnostique qui permet à l’aidante de donner un sens à la réalité qu’elle
observe.31 On ne peut donc conclure que ce construit, à lui seul, basé sur le savoir
homologué (critères diagnostiques), aide l’anorexique, puisque l’aidante doit se
centrer sur l’unicité de sa cliente qui échappe à toutes classifications (St-Arnaud,
1999a). On peut présumer que le fait d’informer une personne qu’elle souffre d’un
31
Le terme “ anorexie mentale ”, correspondant au diagnostic du même nom dans le DSM-IV
(American Psychiatric Association, 1996, P. 634), n’est pas exclu de la terminologie utilisée
dans cet article. Il ne sert qu’à décrire l’ensemble et la fréquence des comportements particuliers
observés chez un individu qui présente les critères diagnostiques de l’anorexie mentale.
Soulignons que les grilles diagnostiques psychologiques peuvent être très utiles, dans la mesure
où l’aidante et l’anorexique surtout, gardent à l’esprit la relativité de l’utilisation de tels
instruments.
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
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trouble psychiatrique désigné sous le vocable “ d’anorexie mentale ” ne la rend
pas responsable à l’égard de ce qu’elle vit. Cela ne favorise guère son processus
d’autodéveloppement et risque sérieusement d’entraver toute tentative
d’élucidation personnelle. L’aidée s’expose ainsi à devenir très dépendante à
l’égard de son aidante qui, ayant fait ce diagnostic en vue de traiter cette
pathologie, semble répondre davantage à ses besoins professionnels qu’à ceux de
sa cliente.
Les conséquences du constructivisme. L’auteur de cet article choisit d’endosser
l’option constructiviste dans ses interventions auprès des anorexiques. Ce choix
impose le respect de deux conditions telles que décrites par St-Arnaud (1999a,
p. 36: 1) l’acceptation de son incapacité d’évaluer et d’orienter le comportement
de l’aidée (l’anorexique) en fonction de normes objectives; 2) une patience
optimiste face aux périodes de déstabilisation présentes chez l’aidée, lesquelles
sont considérées nécessaires pour mener à l’auto-organisation32.
Avec cette présentation de l’option constructiviste, l’auteur complète l’élaboration
des postulats et conceptions qui l’ont mené à démontrer théoriquement comment il
réfléchit et aborde son travail d’intervention auprès d’une personne souffrant
d’anorexie. Nous passons maintenant à une étape plus concrète de notre
élaboration, afin de préciser l’objectif central de cet article consistant en la
démonstration théorique de l’apport du modèle coopératif à l’anorexie mentale.
Nous devons ainsi fournir des éclaircissements sur les structures relationnelles
reconnues en psychologie des relations humaines, puisque la coopération réfère
précisément à une de celles-ci. Ces structures seront jumelées respectivement avec
les thérapeutiques de l’anorexie.
32
Issues des sciences de la complexité et de l’incertitude (Masterpasqua et Perna, 1997), “ l’autoorganisation ” et son antithèse, le chaos, comportent une complémentarité indissociable. Dans
une relation d’assistance, l’aidante offre son assistance pour épauler l’aidée (l’anorexique) dans
les nombreuses périodes de désorganisation qui surviennent (St-Arnaud, 1999a). L’habileté de la
psychologue à tolérer ces périodes chaotiques ambiguës sur le plan psychologique et
comportemental offre un terrain propice à une auto-organisation (ordre) qui peut apparaître
spontanément chez l’aidée (l’anorexique) (Apfelbaum-Igoin, 1996).
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
Les structures de la relation
Selon St-Arnaud (1995), la personne qui entre en interaction dans un contexte
professionnel érige implicitement ou explicitement avec son interlocuteur une
structure relationnelle qui va donner une forme à cette relation. St-Arnaud
identifie trois types de structures relationnelles. Il s’agit de la structure de
pression, la structure de service et la structure de coopération.
La structure de pression. Dans la structure de pression, l’aidante exerce un
contrôle quasi complet sur l’aidée, compte tenu du fait qu’elle lui accorde très peu
de compétences (St-Arnaud, 1995). On considère que la cliente devrait se
conformer aux interventions prescrites par la professionnelle (ou par l’équipe
soignante), souvent sous la forme d’un contrat de poids. Le diagnostic d’anorexie
mentale établi, les interventions suivent un protocole validé sur le plan physique,
en milieu hospitalier par exemple. En psychologie des relations humaines, on
dirait alors que les interventions visent à suppléer aux difficultés que semble
présenter l’anorexique dans la capacité de faire le choix de se soigner. Ces
interventions s’opèrent en fonction de rétablir l’équilibre pondéral par la
normalisation du comportement alimentaire (augmentation de l’apport calorique et
suppression des vomissements). Les limites de cette structure de pression ont été
étudiées dans la littérature (Tiller, Schmidt et Treasure, 1993). Elle encourage la
dépendance de l’anorexique envers l’aidante ou à l’égard de la médication (dans
l’approche pharmacologique, par exemple), favorise peu son autonomie
personnelle et s’avère à la source d’effets iatrogènes et de résistances importantes
(Jeammet, 1984; Michael et al., 1980).
La structure de service. Dans une structure de service, l’aidante et l’aidée sont
toutes deux perçues comme assez compétentes (St-Arnaud, 1995). Lorsque celleci consulte une psychologue qui exerce en pratique privée, par exemple, la nature
de la relation qui s’établit entre ces deux personnes s’apparente à une structure de
service : suite à une demande d’aide initiée par l’anorexique ou plus souvent sa
famille, c’est ensuite la psychologue qui contrôle le processus de l’interaction en
raison de sa compétence disciplinaire particulière (souvent dans les troubles
alimentaires), mais tout en tenant compte de certaines contraintes que la cliente lui
amène. Comme on reconnaît ici une certaine compétence à l’anorexique, c’est
souvent elle qui déterminera un but de traitement. Cependant, ayant une
compétence relative à l’égard de sa condition actuelle, elle a besoin de l’expertise
de la psychologue.
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
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La structure de coopération. Contrairement aux deux dernières structures, dans
la structure de coopération, l’aidante attribue une très grande compétence à
l’anorexique. La coopération entraîne nécessairement dans ce contexte une
référence à deux individus à l’égard d’un même objet : ils sont “ co-opérants ” au
fait d’accomplir quelque chose menant à un effet, désigné sous l’expression “ but
commun ” en psychologie des relations humaines. Conséquemment, le contrôle
que la psychologue exerce sur l’anorexique est, dans la plupart des situations,
presque inexistant. Pour être plus explicite, la structure de coopération implique le
respect de trois conditions essentielles avec une cliente (St-Arnaud, 1995, 1998) :
1) que l’aidante et la cliente poursuivent un but commun; 2) qu’elles se
reconnaissent mutuellement des compétences en regard du but visé; 3) qu’un
équilibre de pouvoir se maintienne, aidante et cliente exerçant l’une sur l’autre une
influence en fonction de son champ de compétence exclusif. Pour faciliter le
respect de ces trois conditions, cette structure propose, en outre, d’appliquer
continuellement cinq règles : la règle du partenariat, de l’alternance, de la
concertation, de la non-ingérence et de la responsabilisation. Le lecteur pourra se
référer à l’ouvrage de St-Arnaud (1995) pour une explication plus détaillée de ces
règles.
Avant de faire un bilan des structures relationnelles, nous renvoyons le lecteur à la
Figure 1 (voir l’Annexe 1). Cette image spatiale lui permettra d'asseoir
théoriquement les informations précédentes relatives au modèle coopératif exercé
dans la relation d’assistance : il lui faut se figurer schématiquement, en un tout
cohérent, que la relation d’assistance est surplombée en amont par deux grandes
conceptions en psychologie. Le modèle coopératif pratiqué à l’Université de
Sherbrooke avec ses trois conditions et ses cinq règles a, entre autres, émergé de
ces deux conceptions. Ce modèle s’exerce en respectant à son tour les deux
grandes fonctions précédentes d’assistance et de suppléance (explicitées par StArnaud, 1998, 1999a) en psychologie des relations humaines. Enfin, ces deux
fonctions se déploient en harmonie avec le modèle coopératif dans la relation
d’assistance.
LE BILAN DES STRUCTURES RELATIONNELLES EN LIEN
AVEC L’ANOREXIE MENTALE
On peut penser que la majorité des professionnelles intervenant auprès des
anorexiques reconnaissent l’importance des trois conditions de la relation
coopérative et désirent les appliquer dans leurs rapports avec leurs clientes (St__________________________________________________________________________________
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
Arnaud, 1995). Bien que l’on reconnaisse l’importance de la dimension
relationnelle, notamment entre les membres de la famille dans les thérapies
familiales (Minuchin, 1978; Selvini-Palazzoli et al., 1990), le processus
relationnel inhérent à la coopération professionnelle n’est point exploré
spécifiquement entre aidante et anorexique.
L’auteur de cet article a constaté que le savoir scientifique homologué sur
l’anorexie et les deux principales structures (pression et service) qui lui sont
associées, ne lui étaient guère d’un grand secours lorsqu’il se retrouvait face à
cette personne amaigrie. À mesure qu’il tentait de valider ce que les différentes
thérapeutiques préconisaient, visiblement sans succès apparents, son scepticisme
allait grandissant. La ressemblance symptomatique frappante de chaque
anorexique contrastait de manière inversement proportionnelle à la complexité
constituant l’unicité de chacune d’entre elles. Chaque cliente, bien que présentant
les mêmes symptômes, diffère substantiellement sur le plan de son cheminement
existentiel. Se refusant d’intervenir directement dans ce cheminement sans la
collaboration de l’aidée (puisque ce cheminement représente son champ de
compétence exclusif), il lui fallait donc explorer une autre voie. Cette autre avenue
résidait dans l’établissement d’une relation de coopération, laquelle lui permettrait
d’intervenir dans ce cheminement avec le consentement de l’aidée. De fait, le
modèle coopératif, appliqué à l’anorexie mentale, permet de décloisonner la
dimension intrapersonnelle dans laquelle s’assujettissent la majorité des approches
thérapeutiques. Cet aspect (décloisonnement) représente un premier pas important
franchi en direction d’une contribution fondamentale de ce modèle, en regard des
thérapeutiques traditionnelles de l’anorexie.
Jusqu’à présent, notre propos s’est penché sur les aspects théoriques du modèle
coopératif appliqué dans l’intervention avec une anorexique. Dans la cinquième
section qui va suivre, nous verrons que ce modèle comporte des probabilités dont
il faut tenir compte. Nous avons ciblé deux enjeux à anticiper dans la façon de
gérer une intervention coopérative avec une anorexique. Ces enjeux sont la
difficulté d’application du modèle coopératif et le problème relationnel, et ceux-ci
sont intimement liés entre eux par un fil conducteur commun : le danger
omniprésent de méjuger de la présence potentielle d’un préjudice pouvant être
causé à une anorexique dans le lien relationnel. L’importance d’atténuer ce
préjudice nécessite chez l’aidante de poser constamment un regard critique sur le
“ mouvement ” de la relation en cours (et non en premier lieu sur l’anorexique).
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
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LES DEUX ENJEUX À CONSIDÉRER DANS LA GESTION
D’UNE INTERVENTION COOPÉRATIVE AVEC UNE
ANOREXIQUE
Le premier enjeu réside dans l’application du modèle coopératif. Pour
l’anorexique, il peut sembler quelque peu incompréhensible, compte tenu de ses
symptômes accablants et de sa souffrance actuelle. Il peut arriver qu’elle réagisse
à la relation d’assistance et au constructivisme qui lui est inhérent, bien plus qu’au
modèle coopératif, pour autant qu’il soit bien assumé par l’aidante.
Dans un modèle axé sur la suppléance, par lequel la cliente a souvent été traitée
avant d’être référée à l’auteur, les compétences disciplinaires de la professionnelle
étaient au premier plan. Il faut comprendre ici que la relation professionnelle se
situait souvent alors dans une structure de pression. Ces compétences guidaient les
étapes de l’intervention selon un plan de traitement prédéterminé. La
préoccupation de la professionnelle portait davantage sur le problème relié au fait
de reprendre un “ poids santé ”, que sur l’anorexique elle-même en tant que
personne vivant un “ problème ”. Maintenant en face de l’aidante, la cliente
s’attend à des “ trucs ” pour solutionner son problème. Elle arrive très mal à le
définir. Elle ambitionne désespérément qu’on lui dise “ quoi faire ”. Face à cette
attente, remarquons qu’en adhérant au modèle coopératif et à la relation
d’assistance, l’aidante peut voir sa vulnérabilité professionnelle augmenter,
puisqu’elle n’a aucunement la prétention d’avoir des réponses aux questions
existentielles de l’anorexique (constructivisme).33
Précisons que cette sensation de dépendance de l’anorexique à l’égard de l’aidante
n’est pas à mésestimer, puisqu’en réalité, la véritable autonomie humaine (que
l’on vise précisément chez l’aidée) est souvent précédée de cette sensation. Si la
coopération est bien gérée par l’aidante, cela devrait permettre à l’aidée de
dépasser le sentiment très ambivalent – mais normal et nécessaire, soulignons-le à
33
Des auteurs comme Prochaska et Diclemente (1994) ont démontré que la plupart des individus
qui changent le font sans jamais avoir consulté une professionnelle. Cette argumentation doit
évidemment nous convier à l’humilité. Cependant, la plupart des auteurs reconnaissent qu’en ce
qui concerne plus précisément les anorexiques, ce constat doit être plus délibéré. On remarque
que plus tôt l’anorexique, ou la personne qui suspecte l’être, consulte une professionnelle
compétente, meilleur sera son pronostic et moins elle a de chance de se “ chroniciser ”
(Apfelbaum-Igoin, 1996; Curadeau, 1996; Leichner, 1987). Entendons, par cette dernière
expression, le fait de ne pouvoir procéder seule à des changements concrets et curatifs qui se
maintiendront dans le temps.
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
nouveau – de cette dépendance face à l’aidante pour tendre vers une véritable
responsabilisation.
Avec ce que nous venons de dire, on peut suspecter que l’aidante et l’anorexique
se heurteront à des difficultés d’ordre relationnel. C’est notre second enjeu. Il est
cependant plus difficile de savoir pourquoi au juste ces difficultés apparaissent et
comment elles se maintiennent dans le temps. Nous allons tenter d’avancer deux
hypothèses afin de rendre compte de ce problème relationnel.
Notre première observation est inspirée de Fromm (1978) qui procède, avec une
rare acuité, à la différence entre “ être ” et “ avoir ”. À partir de cette différence,
nous émettons l’hypothèse que le jeu relationnel avec une anorexique confronte
directement la capacité de l’aidante d’établir une relation humaine. Nous précisons
notre pensée en disant qu’il ne s’agit pas seulement “ d’avoir une relation ” avec
cette personne, mais bien “ d’être en relation ” avec celle-ci. C’est une différence
subtile, mais très importante. En fait, on ne peut qu’” être ” en relation avec une
anorexique, mais on ne peut pas “ avoir ” une relation avec elle. Cette ambiguïté
que l’on retrouve déjà au niveau du langage utilisé se répercute souvent dans la
relation humaine en milieux de soins. Essayer d’” avoir ” une relation revient à
dire s'employer à posséder cette relation, donc de la contrôler (structure de
pression) : la cliente devient un “ objet ” sur lequel on exerce un contrôle.
S’appliquer à “ être ” en relation est plus difficile et fait appel à une faculté, à une
disposition intérieure, c’est-à-dire à la faculté d’être foncièrement soi-même dans
le rapport relationnel à l’autre (cela donne la liberté à cet “ autre ” d’en faire
autant). Être en relation n’est donc pas une question d’objet, mais de faculté; c’est
la capacité de se reconnaître soi-même comme un individu vulnérable, de faire en
quelque sorte un constat d’humilité. Cela implique d’être en possession de la
vérité sur sa propre histoire de vie, et de développer une empathie pour les
souffrances occasionnées par cette histoire. Cette connaissance intime permet
d’éviter de se retrancher derrière des théories pour comprendre l’anorexique, ou
pour s’en protéger. Si l’on extrapole notre hypothèse, cette disposition intérieure
ne serait pas toujours consciemment reconnue par l’aidante, ce qui l’amènerait à
vouloir contrôler la relation pour se protéger de l’émergence de sa propre
souffrance au contact de l’anorexique. Pour optimiser la relation humaine, on
devrait en outre permettre que soient soulevées les questions suivantes : l’aidante
est-elle vraiment capable d’être en relation avec une personne qui, par son état
physique potentiellement fatal, l’oblige à reconnaître les limites de son savoir
disciplinaire? Permet-elle à l’image qu’elle se fait de cette personne souffrante de
vivre en elle?
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
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Deuxièmement, dans le prolongement de cette première hypothèse et des
questions qu’elle soulève, nous savons que la maigreur que présente la cliente et
les comportements de vomissements qu’elle s’inflige suscitent du désarroi chez
l’aidante. Bruch (1990) souligne que plusieurs aidantes perdent confiance en elles
et en viennent à s'alarmer devant leur cliente qui semble s’évertuer à les faire
paraître inefficaces et inutiles.34 Notre seconde hypothèse est donc que la perte de
confiance des aidantes a pour effet de se traduire dans des thérapeutiques axées sur
l’expertise. Il peut donc être risqué de considérer que l’on aidera une anorexique
en appliquant un traitement codifié. La rechute de celle-ci (la réapparition d’un
amaigrissement prononcé), lorsqu’elle se retrouve soumise ou face à elle-même en
dehors d’une structure de pression, est un phénomène fréquent. Cette rechute
témoigne souvent d’un excès de suppléance (d’expertise), lequel augmente le
sentiment d’impuissance de l’anorexique devant sa capacité à gérer sa condition
(autodéveloppement). Souvent, l’expertise vise à “ modifier ” la personnalité de la
cliente, s’appuyant ainsi sur une vision implicite de la personnalité “ idéale ”.
Dans le modèle coopératif, ce n’est pas ce point de vue que nous allons adopter,
quoiqu’il n’est pas exclu que des changements en ce sens puissent survenir.
L’auteur se permet d’ouvrir ici une parenthèse en soulignant qu’il ne dénigre pas
l’expertise psychologique et médicale relative aux troubles alimentaires.
Appliquée à bon escient, elle est fort utile, voire même impérative. C’est
précisément l’improvisation d’interventions sans assises scientifiques établies qui
est à proscrire avec une anorexique, comme avec tout autre type de
psychopathologie d’ailleurs. En s’inspirant des recommandations de St-Arnaud
(1999a), cette expertise ne devrait être déployée que lorsque ces deux conditions
sont réunies : 1) l’expertise contribue au changement visé; 2) on juge que l’aidée
(l’anorexique) démontre une autonomie avérée pour intégrer ou rejeter cette
expertise.
Précisons enfin, au prix d’un léger détour sémantique, que ce que nous omettons
souvent d’apercevoir avec les enjeux précédents, c’est qu’ils sont traduits avec des
mots. Les mots sont porteurs de sens et donc susceptibles de faire entorse à la
réalité qu’ils incarnent. Cet article implique nécessairement que nous devons
34
On peut certes avoir l’impression que notre irritation a été provoquée par l’anorexique, mais en
fait ne la vise pas elle, mais bien quelque chose que nous n’acceptons pas en nous. Par cette
reconnaissance, nous risquons moins d’abréagir cette irritation en la dissimulant sous le couvert
de soi-disant mesures “ éducatives ” guidées par notre propre désarroi .
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
utiliser des mots (autodéveloppement, actualisation, autonomie, etc.) pour
dépeindre des expériences humaines, mais ces mots “ ne sont pas ” ces
expériences; celles-ci ne peuvent être qu’humainement vécues (Fromm, 1978). De
la même façon, la coopération est un mot qui désigne une expérience relationnelle
humaine. Cependant, en tentant de conceptualiser ce processus coopératif, nous
sommes conscients que nous risquons d’atténuer, voire même de biaiser la portée
que nous voudrions lui donner. Conséquemment, “ être en coopération ” s’avère
impossible à traduire dans des mots, aussi éloquent que soit notre vocable. La
coopération, une fois nommée, confère faussement l’impression qu’il s’agit d’une
réalité immuable. Ce nominatif a pour effet d’obnubiler le fait que nous devrions
la voir comme un “ processus ” interactif et évolutif : la coopération ne peut être
éprouvée “ qu’en relation ” avec une autre personne, et ainsi expérimentée pour
être pleinement comprise. On ne peut pas à la fois comprendre par des mots et
ressentir ce processus, à moins que ne vienne se greffer à ce ressenti une
connaissance émotionnelle. Ce biais d’atténuation du sens par les mots fait aussi
partie d’un enjeu qui nous concerne lorsque nous écrivons sur la coopération.
Puisque nous ne pouvons nous passer de mots pour donner corps à notre réflexion,
notre souci premier est de le faire dans un sens qui soit, nous l’espérons, le moins
équivoque possible.
En tenant compte de nos propos précédents sur l’importance des enjeux
relationnels et de notre dernière réflexion sémantique sur la coopération, nous
revenons ici à un niveau plus pragmatique de notre discours. Il y aura donc la
possibilité d’une coopération dans la mesure où il y aura un but commun fixé.
L’obligation impérative de ce but commun se laisse logiquement comprendre en
raison de l’option constructiviste adoptée, laquelle suppose une vision différente
de la réalité chez l’aidante et l’anorexique (et aussi par la nécessité d’avoir des
“ mots ” ayant une signification commune). Sans la détermination d’un but
commun, en tant que réalité cohérente construite par les deux partenaires de la
relation, il ne pourrait y avoir convergence des visions respectives afin de procéder
à un changement. Mais auparavant, les champs de compétence devront être cernés
et acceptés de part et d’autre. Considérant la souffrance de l’anorexique et de ses
expériences antérieures avec les milieux de soins, l’aidante devrait bien affirmer
ses compétences et accroître graduellement l’utilisation de la règle de l’alternance;
il doit y avoir progression vers plus d’assistance.
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
161
L’établissement de la relation coopérative
Notre démarche de conceptualisation permet de reconnaître que la coopération
n’est pas toujours opérationnelle dans la plupart des modalités de traitement
auprès des anorexiques, même si celle-ci est professée.
Rappelons aussi que le modèle coopératif signifie que l’on ne tente plus
uniquement de donner un sens clinique (interprétation) à ce que la personne
anorexique éprouve (dimension intrapersonnelle) – quoique l’évaluation
psychologique puisse faire partie de ce processus coopératif –, mais que le cadre
d’intervention se déplace davantage vers une dimension interpersonnelle,
c’est-à-dire vers une inclination proprement relationnelle. On tient ainsi compte du
sens qui émerge de la relation avec l’anorexique. Pour utiliser une autre image
spatiale, disons que l’aidante doit s’inclure dans la définition de la signification
donnée à la relation, et non pas nécessairement observer “ en retrait ”
l’anorexique, comme si celle-ci était un “ sujet ” sur lequel elle tentait de valider
des critères diagnostiques. Le propre du modèle coopératif est de “ voir ” et de
considérer l’anorexique comme une partenaire responsable à part entière des
changements qui surviendront.
Toutefois, quels que soient l’école de pensée ou le modèle auquel l’aidante adhère,
certaines difficultés sont continûment à prévoir dans l’intervention auprès d’une
anorexique, comme nous l’avons succinctement démontré précédemment. Le
modèle coopératif, appliqué à cette clientèle, n’y fait pas exception et ne s’érige
pas en un idéal exempt de contraintes. En fait, sa portée va beaucoup plus loin et
complexifie amplement une description qui peut sembler claire et simple aux
premiers abords. L’aidante qui endosse les postulats décrits dans cet article se
verra confronter à des dilemmes cruciaux qui mobiliseront ses compétences
éthiques.
Enrichi de ces réflexions, les trois conditions nécessaires à la mise en place du
modèle coopératif seront maintenant étudiées après la présentation d’un cas type.
Ce cas résulte de la synthèse de plusieurs dossiers que l’auteur a suivis et illustre
comment pourrait s’effectuer la démarche d’une relation d’assistance avec une
anorexique. Cependant, chaque cliente présente une anamnèse fort différente, et
cela serait se leurrer que de parvenir à couvrir ici l’ensemble de ce travail
coopératif délicat. Cette dernière partie vient seulement appuyer ce qui a été
explicité jusqu’à présent.
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
LA PRÉSENTATION D’UN CAS TYPE
Il s’agit d’une jeune femme dans la vingtaine ayant une scolarité universitaire. Elle
a quitté sa famille depuis quelques mois en raison de ses études. Cette cliente
s’exprime et se présente bien. Elle est référée par son médecin de famille. Ce
dernier suspecte une rechute de l’anorexie (chose fréquente) en raison des
paramètres cliniques rencontrés dans ce trouble : amaigrissement douteux en
l’absence manifeste de pathologie organique, aménorrhée occasionnelle, perte
d’appétit d’origine nébuleuse, ou autres. Diagnostiquée anorexique mentale et
hospitalisée pour cause il y a quelques années, cette cliente désire poursuivre un
cheminement d’aide en externe. L’intervention psychologique implique de
travailler en collaboration avec un médecin afin de s’assurer qu’elle ne présente
pas de symptômes trop inquiétants et de l’exemption de causes organiques à sa
condition.
Cette cliente possède une bonne connaissance intellectuelle de son problème. Elle
éprouve beaucoup de honte à l’égard des comportements qu’elle s’inflige pour ne
pas engraisser, particulièrement à l’égard des vomissements occasionnels dont elle
désire se départir rapidement. À ce mélange de sentiments honteux se cumule une
curiosité insatiable d’en savoir plus sur elle-même. Son intérêt converge surtout
vers ses vomissements incontrôlables. Elle dit explicitement qu’elle veut “ guérir ”
et se “ sentir mieux dans sa peau ”. En ce sens, elle attend beaucoup de l’aidante.
Il est utile de faire ressortir que cette souffrance semble se situer à deux niveaux :
d’une part, un tourment psychique indéniable composé de conflits internes
actuellement inaccessibles; par ailleurs, une affliction relative à ses craintes de
voir sa condition physique se détériorer de façon irréversible (par exemple, la
crainte de ne pouvoir enfanter) par les ravages des comportements
“ autodestructeurs ” qu’elle s’inflige.
L’aidante et l’aidée se concertent dans la poursuite d’un but commun
Ce but commun représente un travail délicat pour l’aidante. Il implique par
analogie à conduire sur de la glace. Bien que l’aidante se centre sur la dimension
relationnelle, elle doit garder à l’esprit l’interaction entre la dénutrition chronique
et les conséquences de celle-ci sur l’état psychologique. L’omission de cette
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
163
interaction confère à penser que la cliente présente des traits psychopathologiques,
traits qui constituent souvent des effets secondaires de l’état d’inanition.35
La cliente désire “ guérir ”, elle veut “ se sentir bien dans sa peau ”. Cela est son
but premier. La recherche d’un partenariat, dont la maxime “ pourquoi se battre
lorsqu’on peut être alliés ” (St-Arnaud, 1995, p. 67), a pour effet de faire
converger les intérêts de la cliente et de l’aidante en une même direction. Cela
facilite la délimitation d’un but commun. L’aidante invite donc l’anorexique à lui
dire comment elle définit cette guérison. La cliente risque de renvoyer cette
question à l’aidante, présumant que cela relève de son champ de compétence.
Cette attitude est normale. La souffrance de la cliente est prégnante et elle souhaite
qu’on l’enraie. On peut signifier qu’il n’existe pas de critères absolus de guérison.
Il vaut donc mieux établir conjointement plusieurs buts communs plutôt qu’un but
ultime suscitant l’espoir douteux d’une “ guérison ”. Plusieurs buts communs sont
donc discutés avec la cliente : la cessation des vomissements, la diminution de
l’activité physique compulsive, la capacité de manger en compagnie de quelqu’un,
l’élucidation et la verbalisation des traumatismes infantiles, sont des exemples
fréquents de buts communs travaillés ponctuellement par l’auteur avec une
anorexique. L’aidante doit aider l’anorexique à traduire ces buts dans des
comportements observables. Cliniquement, cela pourra être que la cliente “ dira ”
(verbe d’action) qu’elle ressent un bien-être, qu’elle “ cessera ” ses vomissements,
etc.
Lorsque l’on travaille à la détermination d’un but commun, il faut éviter de
banaliser cette problématique et aller vers la complexité. Cela ne veut pas dire
qu’il faille s’ancrer dans une dynamique interpersonnelle équivoque. On peut
assister une anorexique dans sa démarche de formulation d’un but commun sans
nécessairement la comprendre. Lui dire qu’on “ essaie de la comprendre ” l’aide
davantage que de lui témoigner qu’on la “ comprend ”, alors qu’elle ne discerne
pas elle-même ce qui lui arrive. Elle sentirait le caractère feint d’une telle
35
Une étude, menée par des chercheurs américains dans les années 50, a grandement éclairé la
littérature scientifique sur les conséquences d’un état de dénutrition chronique chez l’être
humain (Keys, Brozek, Henschel, Mickelsen et Taylor, 1950). Trente-six jeunes hommes en
bonne santé ont été privés de la moitié de leur ration alimentaire sur une période de six mois.
Pendant l’expérience, ils ont tous développé des symptômes typiques de l’anorexie : des
sentiments dépressifs, de l’anxiété, des obsessions alimentaires, des problèmes de perception
corporelle, un repli sur soi, des sentiments d’impuissance. Plus surprenant encore fut de
constater, une fois l’expérience terminée, que la plupart d’entre eux éprouvaient la crainte de
devenir obèse et de faire des accès boulimiques, deux symptômes très fréquents dans l’anorexie
mentale.
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intervention et cela nuirait à la coopération. Bruch (1975) souligne à cet effet qu’il
est capital que l’anorexique ne se sente pas soumise aux “ interprétations ” d’une
thérapeute qui se présente comme connaissant mieux qu’elle ce qui se passe en
elle.
Cette dernière précision de Bruch semble fort pertinente à notre propos. Elle
souligne bien implicitement la notion de compétence exclusive de l’aidée, telle
que nous la concevons en psychologie des relations humaines. Cette compétence
exclusive, c’est notamment “ ce qui se passe en elle ”, c’est son univers existentiel,
dont aucune interprétation de l’aidante ne saurait prétendre, du moins sans la
condition sine qua none du consentement de l’aidée, orienter une quelconque
trajectoire à suivre. Car si ce champ de compétence exclusif n’est pas
suffisamment respecté par l’aidante, l’aidée sentira cette intrusion et sera vite prête
à renoncer à son plaisir de puiser dans son cheminement existentiel ses propres
ressources actualisantes pour s’adapter aux conceptions théoriques ou personnelles
de son aidante – de peur de perdre l’appui de cette dernière. Au contraire, le
respect de l’aidante de ce champ de compétence par l’établissement adéquat de la
structure de coopération diminue et parfois annule cette crainte chez l’aidée, tout
en favorisant son processus d’autodéveloppement.
Pour faciliter la formulation d’un but commun, il est utile de déterminer en
priorité ce qui se passe de conflictuel. Dans notre exemple, compte tenu de la
prégnance des vomissements, ce qui est typique des clientes anorexiques, il est
fort possible que l’aidante et l’aidée choisiront d’aborder l’arrêt de ce
comportement comme but commun à atteindre. Bien qu’il soit logique de
considérer comme étant sain l’arrêt d’un tel comportement (c’est souvent l’arrêt de
ce comportement que l’on “ prescrit ” dans un modèle axé sur la suppléance), sa
cessation soudaine ne l’est pas toujours. Cet arrêt provoquera-t-il la recrudescence
d’un autre comportement autodestructeur plus nocif encore? En psychologie des
relations humaines, cette question peut être une expertise fort pertinente à
soumettre à l’anorexique puisqu’elle appartient à son champ de compétence
exclusif.
Prévoir des moments fréquents de concertation est un moyen efficace d’assurer la
coopération (Lescarbeau et al., 1996). L’aidante et l’anorexique peuvent alors
faire le point sur le but visé et s’assurer de leur motivation réciproque à l’atteindre.
Par rapport aux autres modèles d’intervention, la singularité du modèle coopératif
réside dans ce processus relationnel concerté qui mène à la détermination d’un but
commun. L’aidante doit accepter d’avoir besoin du champ de compétence de
l’anorexique pour établir ce but commun. La conséquence en est que l’anorexique
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se sent plus responsable des changements qui surviennent. Cette responsabilité
augmente son sentiment de contrôle.
L’aidante et l’aidée (l’anorexique) se reconnaissent un champ de
compétence exclusif par rapport au but visé
Le but visé de cette première entrevue est donc l’arrêt des vomissements36.
L’urgence relative occasionnée par la présence de ce comportement incite à
rechercher un consensus sur le fait que celui-ci représente, à partir d’un certain
seuil, un danger sérieux pour la santé. Ce seuil est déterminé par le savoir
homologué. L’aidante garde à l’esprit qu’il s’agit d’une norme basée sur des
critères de santé mentale : une personne en bonne santé mentale ne se fait pas
vomir. S’il s’agit d’une norme, elle renvoie implicitement à un conformisme
comportemental, ce qui va exceptionnellement à l’encontre d’une relation
d’assistance. Mais, tenant compte du risque vital rattaché à ce comportement et
rejoignant le champ décisionnel de l’anorexique, l’évaluation de ce risque fait
l’objet d’un champ de compétence partagé. La décision finale qui sera prise à
l’égard de ce comportement devrait toutefois relever du champ de compétence
exclusif de l’aidée.
En psychologie des relations humaines, le champ de compétence est déterminé en
fonction du droit et de la possibilité respective de l’aidante et de l’aidée à juger et
à décider de ce qu’elles feront pour atteindre ce but (St-Arnaud, 1998). Quel est le
champ de compétence de chacune en regard de ce but? Le champ de compétence
de l’aidante consiste en la maîtrise des habiletés à procéder à des expertises sur les
contenus, de même qu’à gérer la relation coopérative avec l’aidée. Son champ de
compétence repose aussi dans les connaissances qu’elle possède ici sur l’anorexie
et qui lui permettent de décider d’un seuil à partir duquel elle soumettra l’idée
d’une référence médicale à l’aidée, si elle juge que son état physique représente un
risque de détérioration trop important. Si tel s’avère le cas, une évaluation
médicale est suggérée, mais toujours en maintenant une relation de coopération.
En pareille circonstance, l’auteur adopte une position d’expert37 en indiquant
36
Les comportements de vomissements autoprovoqués retenus conjointement pour établir un but
commun sont interchangeables ou cumulatifs avec tous les autres comportements qui pourraient
faire l’objet d’un consensus entre l’anorexique et son aidante (reprise de poids, cessation des
exercices physiques compulsifs ou des laxatifs, abandon de la potomanie, etc.).
37
Le terme “ expert ” signifie que l’auteur est, dans cette intervention, exceptionnellement
préoccupé par le(s) “ problème(s) ” d’ordre médical vécu(s) par l’anorexique (compte tenu du
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clairement à la cliente que le savoir homologué sur l’anorexie le conduit à choisir
de la référer. Cette position peut rassurer l’anorexique qui a déjà été traitée
antérieurement dans une structure de pression. Dès la première entrevue, l’auteur
signale à la cliente que cette opération de référence médicale sera proposée s’il la
considère nécessaire. Cela représente une cible parmi d’autres qu’il tente d’établir
avec la cliente. Il cherche à mettre en pratique la règle de la concertation avec
cette dernière. Cette règle implique de gérer le processus de communication en
annonçant ses intentions (St-Arnaud, 1995).
Mais avant de référer, la tâche de l’aidante consiste à maintenir un processus
relationnel par un travail coopératif. Une fois ce comportement symptomatique
retenu (arrêt des vomissements) comme but commun, on assiste la cliente pour
l’aider à faire un ou des choix éclairés quant à une ou des façons réalistes
d’atteindre ce but. On prend soin de l’informer avec respect des conséquences
nocives qui surviendront sur le plan physique et psychologique, si elle poursuit ce
comportement.
Quant au champ de compétence de l’anorexique, il consiste en la capacité de juger
librement si les expertises et l’assistance fournies par l’aidante lui permettent
d’apporter des changements. Comme nous le précisions, ce champ de compétence
concerne le cheminement existentiel de l’aidée, sur lequel repose le choix ultime
de décider de sa conduite. À cet égard, nous devons faire ressortir que cette
question du libre choix de l’anorexique de juger délibérément de son sort a fait
l’objet de maintes investigations sur le plan éthique au Canada, aux États-Unis et
dans quelques pays européens; cette question implique la notion controversée du
consentement éclairé aux soins (Appelbaum et Rumpf, 1998; De Villard, Maillet,
Revol, Rochet, Desombre, Gérard et Fourneret, 1999; Vidailhet, 1999). D’après ce
que nous avons pu en comprendre, la confusion semble résider dans le fait qu’on
laisse entendre que le soi-disant consentement porte sur la finalité de
l’intervention, alors qu’en l’absence d’un consensus clair sur ce que signifie d’être
guérie d’une anorexie mentale, aucune thérapeutique ne peut prétendre faire
risque vital). Cette intervention souligne aussi l’importance de la suppléance avec une
anorexique : dans une première entrevue, elle doit être ramenée constamment dans le processus
d’intervention, car elle révèle les connaissances formelles que l’aidante possède au sujet du
trouble et peut ainsi avoir, dans un premier temps, une fonction sécurisante pour l’anorexique.
Utilisée de cette façon, la suppléance facilite l’assistance, dans la mesure où l’aidante maintient
la règle de l’alternance.
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consentir à une telle finalité. Nous croyons que le consentement ne devrait porter
que sur le processus de l’intervention, en délimitant bien les champs de
compétence exclusifs, ce en quoi consiste précisément cette seconde condition de
la relation coopérative.
En mettant, par exemple, en pratique la règle de la responsabilisation, qui stipule
que “ chacun a le droit d’être ce qu’il est ” (St-Arnaud, 1995, p. 167), l’aidante
considère la cliente capable de faire un choix personnel par rapport à la décision
qu’elle prendra. Dans notre exemple, cela signifie que la psychologue légitime
l’unicité existentielle de l’anorexique.
Un équilibre de pouvoir est maintenu, chacune exerçant sur l’autre
une influence en fonction de son champ de compétence exclusif
Cette troisième condition implique le respect de trois champs de compétence : le
champ de compétence exclusif de l’aidante, le champ de compétence exclusif de
l’aidée (l’anorexique), et un champ de compétence partagé (St-Arnaud, 1998).
Plus ces champs de compétence sont bien délimités, plus les partenaires de la
relation acceptent de s’influencer. Cependant, en présence de cette cliente qui se
fait vomir, il peut être difficile d’admettre que cette dernière conserve un pouvoir
personnel à l’égard de cette décision. Cela ne va pas sans interpeller l’aidante sur
le plan éthique, en raison de son sentiment de complicité à un comportement
visiblement autodestructeur, comme nous venons juste de l’évoquer.
Par rapport à ces champs de compétence et au pouvoir de chacune, le modèle
coopératif pèche quasiment par sa relative simplicité. Nous devons éclairer un
aspect parfois épineux qui a trait à la délimitation du pouvoir de l’aidante envers
une anorexique. Si chacun “ a le droit d’être ce qu’il est ”, selon cette règle de la
responsabilisation, qu’en est-il des cas où l’anorexique persiste malgré tout à
vomir?
Dans la mesure où les trois conditions de la coopération sont maintenues,
l’apparition d’une telle situation devrait inciter l’aidante à réviser la structure
relationnelle en cours. Peut-être qu’une structure de pression s’est installée à son
insu (par un excès de suppléance, par exemple) et que le maintien des
comportements de vomissements traduit une résistance de l’aidée à cette structure
– aidée qui attend logiquement, dans ce cas, que l’agent de changement escompté
provienne de l’extérieur. Quoiqu’il en soit, il y a ici intérêt à rétablir la
coopération en signifiant notamment à l’aidée le pouvoir qui lui revient à l’égard
des comportements qu’elle adopte. Puisque ceux-ci relèvent de son cheminement
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existentiel (et dès que cela relève de ce cheminement), il lui appartient du droit de
choisir ce qu’elle fera. Ce dernier point mérite un développement.
Lorsque l’anorexique ne cesse ses vomissements ou sa perte de poids, cela peut
certes s’apparenter à une quête autodestructrice. En raison de son champ de
compétence exclusif (expertise sur le contenu), l’aidante peut lui signifier qu’elle
ne peut l’aider à poursuivre dans cette direction, mais qu’elle respecte malgré tout
son choix. Mais en respectant ce droit et ce pouvoir à l’anorexique de décider de
son évolution comme nous l’écrivons, cela pourra susciter chez plusieurs aidantes
des réactions de révolte, d’incompréhension, voire d’indignation : doit-on, au nom
du respect de l’autonomie de choix de l’anorexique (son champ de compétence
exclusif), tolérer jusqu’à l’extrême limite son choix de refuser les soins?38
Plusieurs personnes préféreront dès lors évincer un questionnement authentique
sur ce qui a pu mener l’aidée à s’autodétruire ainsi. Car si elles se posaient ces
questions, elles n’auraient plus la tranquillité d’esprit que leur confère l’expertise
devant un tableau clinique dont il leur est difficile d’admettre leur intolérance à la
complexité (donc d’admettre, dans ce cas précis, leur propre potentiel
autodestructeur); elles n’oseraient probablement plus s’attribuer autant de pouvoir
(structure de pression) et tendraient plutôt vers une réelle coopération (ce qui,
selon notre expérience, ferait que l’aidée ne se rendrait peut-être pas à cette
“ extrême limite ”). Elles comprendraient que leurs réactions spontanées
précédentes sont occasionnées par la résurgence de zones taboues dans
l’intervention auprès de ces personnes, zones qui trouvent - nous l’avons souvent
dégagé de notre propos – un apaisement dans l’accroissement de pouvoir et dans
certains cas, culminent vers une véritable iatrogénie. Comme le dit Legault (1999),
le fait de tendre vers la coopération alors même où prédominent les modèles
d’expert et de consommation, s’apparente davantage à une utopie qu’une réalité
empirique à exploiter – de là la persistance du tabou. Ce sont précisément ces
38
Hébert et Weingerten (1991) rapportaient au Canada le cas d’une jeune femme de 22 ans,
anorexique depuis 8 ans, et dont toutes les tentatives de soins n’avaient abouti à rien. Or les
soignants ont considéré la vie de cette femme comme une vie de souffrance extrême, et dans ce
mouvement de considération, l’ont vu comme une personne en fin de vie. Ils ont respecté son
refus de recevoir des soins, et ses comportements l’ont conduite à la mort. Évidemment, cet
exemple fait réfléchir au fait qu’il y ait ou non consensus en matière de soins aux anorexiques,
cela ne nous libère pas - et ne nous libérera jamais - de notre questionnement éthique. Notre
intention n’est pas de développer ici une éthique du modèle coopératif (à ce sujet, voir
Patenaude, 1998) ou de tout autre modèle dans les thérapeutiques de ce trouble, mais bien d’en
souligner pour nous l’importance incontournable.
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réactions de résistance (qu’il a d’abord pris conscience en lui-même) qui ont
indiqué à l’auteur qu’il se trouvait dans un terrain fragile et qui l’ont incité et
motivé à tenter d’adapter le modèle coopératif auprès des anorexiques.
Avec les vomissements de la cliente, plus tôt des conditions d’intervention auront
été émises en fonction des pouvoirs attribués, moins le pouvoir concédé à l’aidante
risquera d’être perçu par la suite comme étant punitif par l’anorexique. Mais là où
nous voulons précisément en venir, c’est que l’équilibre de pouvoir sera une tâche
difficile avec une anorexique, puisque nous devons établir d’emblée un seuil de
référence médicale avec celle-ci et en reconnaître la nécessité; ce seuil représente
une norme clinique basée sur les connaissances médicales, et rappelle ainsi une
réalité corporelle incontournable. En pareille circonstance, savoir reconnaître ses
limites et en faire part à l’anorexique nous semble aussi, et surtout, faire partie de
l’établissement d’une relation coopérative. Puisque la consolidation de ce seuil est
irréfutable, notre apport comme psychologue en relations humaines pourrait donc
davantage se situer dans la façon de l’établir. C’est une piste de réflexion que nous
comptons investir dans nos recherches ultérieures sur ce modèle appliqué à cette
clientèle.
CONCLUSION
Les considérations dans les lignes précédentes amènent enfin à se poser une
question qui peut paraître paradoxale au terme de cet article : la problématique de
l’anorexie mentale présente-t-elle trop de contre-indications pour être conciliable
avec le modèle coopératif? Du point de vue logique, il aurait été plus sage de se
poser cette question bien avant de traiter théoriquement de l’établissement d’une
relation coopérative, comme cela se fait habituellement. Cependant, cela nous
apparaissait inadéquat, considérant que l’étude des enjeux et de la complexité de
cette relation professionnelle nous semblait une prémisse indispensable à toutes
les nuances dont on doit tenir compte pour bien comprendre la profondeur de cette
dernière question. Nous devons, pour tenter d’y répondre, faire une petite
démarche rétrospective, laquelle permettra de faire une synthèse de notre étude.
Si nous nous sommes attardés sur le repérage de nos postulats centraux, c’est que
nous croyons que ceux-ci sont garants d’une intervention coopérative qui a
davantage l’opportunité d’être respectée et réussie. On commettrait cependant une
faute en évitant de rappeler que ce travail relationnel d’établissement de la
coopération a ses exigences. Nous pensons que c’est un travail d’artiste. Mais,
comme tout art, il implique la maîtrise d’une rigueur méthodique. L’aidante sera
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sensible au fait que l’on ne s’improvise pas aidante avec une personne souffrant
d’anorexie mentale. Cela commande une grande vigilance, entre autres, sur la
nature de ses intentions et de ses actes professionnels. C’est la compétence
éthique. La connaissance de soi-même dans ce que nous avons de vulnérable
évitera des interventions ne respectant pas la souffrance de l’anorexique. Le
recours à des interventions supervisées et au travail d’équipe n’est pas à négliger :
il est même souhaitable, compte tenu de l’imbrication simultanée des dimensions
psychologiques et médicales à considérer face à cette problématique.
Enfin, notre expérience nous permet de croire que pour une majorité de personnes
souffrant d’anorexie mentale, la coopération peut être envisagée. C’est un champ
de pratique certes nouveau pour la psychologue en relations humaines, et qui
pourra lui convenir. Nous sommes conscients que pour le moment, cet horizon
coopératif d’intervention n’est qu’à un stade embryonnaire dans les milieux de
soins spécialisés. Beaucoup reste à faire, et l’espoir est de rigueur, entre autres,
parce que les résultats qui pourront être obtenus en adhérant à ce modèle, si l’on
sait être réaliste, justifieront largement notre implication professionnelle. En
l’occurrence, l’objectif visé de cet article aura été atteint pour nous si, dans l’esprit
du lecteur, la coopération dans l’intervention professionnelle auprès des
anorexiques (et auprès de toutes autres clientèles) cesse d’être une évidence pour
devenir un questionnement.
En gérant le processus relationnel de façon à activer les ressources de
l’anorexique, l’aidante démontre un répertoire de compétences indispensables
pour cette clientèle. Ces compétences s’accusent d’une complémentarité
appréciable aux soins de santé actuels portés aux anorexiques dans notre contexte
contemporain de l’interdisciplinarité. Plus encore, le modèle coopératif, avec ses
pôles d’assistance et de suppléance, fait volte-face à l’égard des cadres
d’intervention traditionnels axés majoritairement sur l’expertise de l’aidante dans
les traitements de l’anorexie. En élargissant notre point de vue, on peut ainsi poser
l’hypothèse que d’autres
problématiques psychiatriques pourraient être
compatibles avec le modèle coopératif. Espérons que le présent article aura
transmis l’idée, et surtout l’inspiration à des auteurs et intervenants intéressés par
ce sujet, à investir cette piste encore peu fréquentée.
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L’anorexie mentale : un nouveau champ de pratique
ANNEXE 1
Figure 1. Une illustration des postulats centraux retenus pour conceptualiser
une intervention professionnelle auprès des anorexiques.
DEUX GRANDES CONCEPTIONS
C
L’APPROCHE
LE COURANT DES RELATIONS
HUMANISTE- EXISTENTIELLE :
HUMAINES :
elle amène une vision positive de l’être
il privilégie l’expertise sur le processus, plutôt
humain;
que sur le contenu;
elle se centre sur les aspects sains de la
personnalité (par opposition au pathologique). il amène une sécurité contextuelle favorisant
la relation humaine.
O
N
S
T
R
U
LE MODÈLE COOPÉRATIF EN PSYCHOLOGIE DES
C
RELATIONS HUMAINES COMPREND :
A)
LES TROIS CONDITIONS
: 1)
LE BUT COMMUN;
D’UN CHAMP DE COMPÉTENCE EXCLUSIF;
3)
2)
T
LA RECONNAISSANCE
UN ÉQUILIBRE DE POUVOIR.
B) LES CINQ RÈGLES : LE PARTENARIAT, L’ALTERNANCE, LA CONCERTATION, LA NON-INGÉRENCE, LA
RESPONSABILISATION.
I
V
I
L’ASSISTANCE
S
LA SUPPLÉANCE
T
LA RELATION D’ASSISTANCE AUPRÈS DES ANOREXIQUES
E
(EXERCÉE DANS LE RÔLE D’AIDANT)
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