Comment l`ascétisme devint un objet philosophique

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Comment l’ascétisme devint un objet philosophique
Schopenhauer, MVR, § 68 + « Suppléments », chap 48
Schopenhauer, Parerga et paralipomena, chap 14
Nietzsche, Généalogie de la morale, III
Weber, Sociologie de la religion, chap 10
Foucault, Cours
INTRODUCTION
L’objet
L’ascétisme non en tant que tel mais tel que considéré par la philosophie, par certains philosophes.
Grec askêsis : exercice. Le terme est d’abord athlétique (l’athlète qui exerce son corps). En grec très
ancien, le vb askein voudrait dire façonner, travailler un matériau. Le terme s’est spiritualisé par la
suite, utilisé dans le champ chrétien. Il s’agit de discipliner le corps et l’esprit. [Saint-Paul, 1ère Epître
aux Corinthiens, chap 9, versets 24-27]. L’ascète n’est plus l’athlète mais le chrétien en tant qu’il
meurtrit son corps. L’ascétisme désignera alors des pratiques d’autodisciplines, qui ont une fin
spirituelle (le salut), et qui deviennent très violentes. A la fin de la Doctrine de la vertu, Kant parle
d’une « gymnastique éthique ». Le paroxysme chrétien est atteint vers le IVe siècle. Les Pères du
Désert, individus qui se sentent appelés par Dieu, partent en solitaire dans le désert, devenant des
ermites, ou anachorètes. Ils exercent sur eux les mortifications les plus inouïes. [Lacarrière, Les
hommes ivres de Dieu]. Le mot apparaît tardivement dans le latin (Ve), asceta, désignant ces pères.
1580 : première occurrence en français. 1641 : adj ascétique. 1808 : adv ascétiquement. 1818 :
ascétisme. Fin XIXe : ascèse. Le « problème » ascétique n’existe pas avant le XIXe : c’est à ce moment
que cela devient un objet philosophique (et littéraire). Chateaubriand, Vie de Rancé – Flaubert, La
tentation de Saint-Antoine – Kafka, Le champion de jeûne (ou L’artiste de la faim). L’ascétisme
devient donc un objet au XIXe (réflexion philosophique et prod° littéraire).
Le motif
L’objet ne va pas de soi. D’où vient que Nietzsche s’intéresse à l’ascétisme ? De plus, sa position n’est
pas si claire et simple qu’on veut l’admettre (l’ascétisme serait la forme extrême de la dévalorisation
du monde sensible, ce à quoi Nietzsche s’opposerait radicalement, dans une philosophie de la
jouissance immédiate). Il faut s’essayer à une généalogie de l’objet généalogique (d’où cela vient ?).
La chronologie
A la fin du MVR, Schopenhauer écrit : « mais aucune philosophie […] n’a le droit de passer sous
silence le sujet du quiétisme et de l’ascétisme, car le thème en est, en substance, identique à celui de
toute métaphysique et de toute morale. Aussi est-ce là un point où j’attends toutes les philosophies,
avec leur optimisme, et sur lequel je suis curieux de les voir se prononcer ». [Quiétisme : prière
catholique, renoncement au fait même de vouloir]. La question de l’ascétisme, c’est la question, pas
seulement morale, mais aussi métaphysique. Ce serait le centre de gravitation de la réflexion
philosophique. C’est donc la pierre de touche : pour être dite vraie, toute philo doit avoir rencontré
et résolu ce problème. L’ascétisme n’a, de plus, jamais été traité sérieusement. Toute les
philosophies ont pêché en cela. Elles ne l’ont même pas vu, n’ont pas compris que c’était le
problème. Tout cela parce que ces philosophies étaient optimistes. La philo des Lumières a pêché par
optimisme (hédonisme et eudémonisme vont avec pour lui). C’est une philo qui a une théorie
empiriste de la connaissance, affirmant que toute connaissance est réductible à, trouve ses origines
dans l’expérience sensible. La philo morale des Lumières est aussi empiriste : toute morale valide se
ramène à un art de se rendre heureux par les plaisirs des sens (pour Schopenhauer bien sûr). Ce
diagnostic pose deux problèmes. Cmt Schopenhauer en arrive à cette proposition affirmant qu’il ne
faut s’intéresser qu’à l’ascétisme ? Dans quelle mesure son diagnostic est justifié ? Est-il exact que les
philosophes ne se soient jamais souciés de l’ascétisme avant lui ?
(La tradition philosophique antérieure semble avoir effectivement laissé l’ascétisme de côté. Diderot,
Pensées philosophiques : représentatif de la philo des Lumières, qui ne parle pas d’ascétisme, et dont
le grand adversaire est le préjugé (la religion notamment, en tant que superstition). C’est seulement
par là qu’ils rencontreront l’ascétisme. Être philosophe à cette époque en France, c’est être
adversaire du christianisme. Le « on » des Pensées Philosophiques, c’est le dévôt (ce que nous
appellerions ascète). C’est un terme positif de la tradition chrétienne. Introduction à la vie dévote,
Saint-François de Sales. Ouvrage destiné aux profanes, à ceux qui vivent dans le monde. L’objectif,
c’est de fournir une sorte de manuel de gvmt de soi. Cmt doit vivre un chrétien pour vivre
chrétiennement ? Il s’agit de combattre la position qui donne le monopole de la dévotion aux hô
d’Eglise. Aucune position sociale ne permet de se soustraire à la vie chrétienne. La dévotion, c’est la
charité quand elle est devenue habituelle. « Bref, la dévotion n’est autre chose qu’une agilité et
vivacité spirituelle par le moyen de laquelle la charité fait ses actions en nous, oo nous paraît,
promptement et affectionnément ». L’amour, c’est la première passion, en tant qu’amour de Dieu ; il
faut réserver l’amour à Dieu. Chez Descartes, l’amour n’est plus la seule passion mais l’une des six
passions primitives. §83 : Descartes évoque la dévotion cô l’amour d’un objet qu’on estime plus que
soi-même. 3 ressorts argumentatifs chez François de Sales : la métaphore ; l’argument d’autorité
(argument que la philosophie moderne éradique, argument chrétien par excellence) ; l’exemple. Le
tissu argumentatif fournit un art de se gouverner au quotidien dans le monde profane. Sales évoque
la nécessité d’un conducteur, d’un hô d’Eglise qui prend en charge le chrétien. D’où le « penser par
soi-même » énoncé par Kant et la philo des Lumières. Il s’agit de ne plus avoir de directeur spirituel.
Jamais Sales ne parle d’ascétique, d’ascète. Il parle d’« exercices de mortification extérieure ». Il faut
les employer avec modération. Plutôt que mortifier la chair, mieux vaut bien purifier nos affections
et rafraîchir nos cœurs. Sales prescrit des exercices (on retrouve l’askêsis). La pratique ascétique
n’est que l’un des visages du dévôt, de la religion.
Les Pensées philosophiques se divisent en trois grandes séquences, qui ont pour objet de condamner
le dévôt. Sous trois figures différentes. §1-11 : le dévôt cô pénitent (christianisme en tant qu’il
condamne les passions) ; §12-40 : le dévôt cô théologien (christianisme en tant qu’il s’oppose à la
raison) ; §41-62 : le dévôt cô imposteur, faiseur de faux miracle (christianisme en tant qu’il est
dangereux pour l’ordre civil). Il s’agit bien d’une critique systématique du chrétien cô dévôt. Diderot
procède à une réévaluation progressive des passions. Non seulement les passions ont leur positivité,
mais les grandes passions sont admirables, indispensables. C’est un leitmotiv de la philo des
Lumières. La religion, en tant qu’elle mortifie les passions, est contradictoire. Contradictoire avec les
impératifs de la vie sociale : clivage entre l’hô d’Eglise et le profane (une société vmt dévote se
détruirait elle-même). Contradictoire avec la théologie chrétienne elle-même : la thèse de la bonté
divine n’est pas conciliable avec la pratique de la mortification. Contradictoire avec elle-même : la
dévotion, cô christianisme ascétique, est instable.
Ce texte donne raison à Schopenhauer. L’ascétisme n’est, en effet, pas le pb de la philo des Lumières.
Il est l’un des visages de l’ennemi, qui n’est pas l’ascète, mais le dévôt. La philo des Lumières ne peut
pas prendre au sérieux l’ascétisme. Parce qu’elle est optimiste. La bonne morale nous dit que nous
devons viser le bonheur en ce monde-ci, pas en un autre. Si nous voulons vivre heureux, il ne faut pas
combattre la nature en nous, ce qui est le propre de l’ascétisme. L’hédonisme, le naturalisme, sont
des composantes de la philo des Lumières. Les Lumières peuvent critiquer l’ascète, mais pas le
prendre au sérieux. « C’est le comble de la folie que de se proposer la ruine des passions », écrit
Diderot. C’est une aberration. On combat ces pratiques, mais il n’y a pas encore lieu de les analyser,
elle ne constitue pas un objet philosophique.
Autre référence qu’il faut étudier pour être sûr qu’il a raison : Kant. L’un des principes de la
morale kantienne, c’est le refus de l’eudémonisme. Le bonheur n’est pas un critère (ni un objectif) ;
c’est une question étrangère à celle de la moralité [1ère section Fondements de la métaphysique des
mœurs]. Si la nature avait voulu que l’hô soit heureux, elle ne lui aurait donné que l’instinct ; elle lui a
donné la raison pour autre chose. Le critère moral, c’est le devoir, pas le bonheur. Devons-nous pour
autant renoncer au bonheur ? Non, car nous pouvons raisonnablement espérer qu’à terme je puisse
rencontrer le souverain Bien (association concevable de la vertu et du bonheur). Cette
disqualification préalable du bonheur expose Kant à une accusation d’ascétisme. Le 22 décembre
1798, Schiller, dans une lettre à Goethe, accuse Kant d’ascétisme : « il reste malgré tout en lui, au
fond, tout comme chez Luther, quelque chose qui fait songer à un moine, qui aurait sans doute forcé
les portes de son couvent, mais qui aurait été impuissant à en effacer totalement l’empreinte » (la
figure du moine est tjr péjorative chez les protestants). Kant resterait porteur de la tradition
ascétique. A la fin de la Doctrine de la vertu, Kant se défend. Il distingue deux ascétismes. Il ne s’agit
pas d’agir par seul respect pour la loi morale, mais il faut le faire avec gaieté, s’en réjouir. « c’est une
espèce de diététique […] ». Il distingue donc l’ascétisme moral de l’ascétisme monacal, fanatique.
« La discipline que l’hô exerce sur lui-même ne peut donc devenir méritoire et exemploire que grâce
à la joie qui l’accompagne ». Dans un cas, on rencontre gaieté, joie, dans l’autre, tristesse. Je combats
mes désire par l’ascétisme éthique, et en plus je dois aimer ça. L’ascétisme du moine est bcp plus
violent, et surtout il ne vise pas à l’amélioration de soi, mais à l’expiation fanatique, qui consiste à se
punir soi-même et à vouloir racheter ses fautes au lieu de les regretter. Il y a opposition de motifs :
l’un vise la vertu, l’autre le rachat, l’autopunition. Cet ascétisme monacal est causé par la
superstition, qui a ensuite un effet : il est dissuasif, rend la morale haïssable (on ne peut avoir envie
d’imiter le moine). Il est bien question ici d’ascétisme, sous la forme d’une accusation, dont il s’agit
de se défendre (on est bien à l’âge des Lumières). Bien qu’il parle d’ascétisme, cela n’est pas le pb de
Kant. L’ascétisme reste chargé d’une grande négativité, que Kant cherche à neutraliser. Le discours
kantien apporte donc une nouvelle confirmation de la prétention de Schopenhauer. Pour
Schopenhauer, la morale de Kant a le mérite d’être purifiée du bonheur, de toute préoccupation
eudémoniste. Mais Kant a réintroduit sournoisement le bonheur dans la morale. De quelle tradition
Kant est-il tributaire, qui le contraint à réintroduire le bonheur ? Son erreur, c’est d’avoir cru que le
discours moral devait s’énoncer sous une forme impérative, sous la forme d’une loi. D’où vient que
l’on conçoive la morale cô un discours du « tu dois » ? Cette perversion de la morale, cela provient du
judaïsme. Le pb de Kant, c’est qu’il est resté juif. Si on pose le pb en termes de loi, cela n’a
d’effectivité que si le respect ou la transgression sont récompensé ou puni. C’est pourquoi il est
obligé de ramener le bonheur dans la morale. Nietzsche à son tour se penche sur le pb. Pour lui, Kant
a continué de valoriser l’ascétisme, parce qu’il est resté chrétien, théologien. Aurore, § 339 : « Exiger
que le devoir soit toujours quelque peu importun – comme le fait Kant – revient à exiger qu’il ne
devienne jamais habitude et coutûme : dans cette exigence se cache un petit reste de cruauté
ascétique. » + Généalogie de la morale, II, 6. On retrouve l’accusation de Schiller. Du point de vue de
Nietzsche, il faut se débarasser de toute la morale telle qu’elle existe depuis le christianisme (et la
morale des Lumières en reste tributaire).
Dernière étude : Bentham. Fondateur de l’utilitarisme. Contemporain de Kant. Fragment sur
le gouvernement (1776) : il existe deux gds discours sur le droit. Celui de la common law, discours de
la jurisprudence, droit de la tradition. Tissu de bêtises. L’autre, c’est celui du droit naturel (de la
nature de l’hô nous pouvons déduire des droits). Pour Bentham, le concept de droit naturel est
dangereux, indéfiniment litigieux. Chacun mettra ce qu’il a envie de mettre. On peut déterminer un
critère pour faire des lois justes : l’utilité. « Une loi juste est une loi qui est conforme au plus grand
bonheur du plus grand nombre ». Puis il se lance dans la quantification, le calcul du bonheur. 1789 :
Introduction aux principes de morale et de législation. Le principe d’utilité, c’est le revers total de
Kant. Il faut admettre une fois pour toutes que les hô agissent pour éviter la douleur et pour se
donner du plaisir. « Par principe d’utilité, on entend le principe qui approuve ou désapprouve toute
action, quelle qu’elle soit, selon la tendance qu’elle semble avoir à augmenter ou à diminuer le
bonheur de la partie dont l’intérêt est en jeu […] ». Deux principes s’opposent au principe
d’ascétisme : le principe d’ascétisme et le principe de sympathie et d’antipathie. Le second principe
renvoie à toutes les doctrines qui consistent à universaliser arbitrairement une préférence
individuelle, subjective (ex : discours du sentiment, de la conscience morale ; on ne fait que prêter
une forme universelle à une sympathie dont on est incapable de rendre raison). Le principe
d’ascétisme, c’est le principe d’utilité à l’envers. § 3 : le principe approuve les actions dans la mesure
où elle diminuent le bonheur et condamnent les actions qui condamnent le bonheur. Entendu en son
sens large, le principe d’ascétisme est présent dès qu’on condamne une forme de plaisir en tant que
telle.
Dans une longue note, il dvpe l’origine historique et factuelle de l’ascétisme. Bentham présente
l’ascétisme monacal cô une aberration. Dieu, bienveillant, nous demande de souffrir pour mériter
une récompense future. Il n’y a pas de justification sensée, rationnelle, de l’ascétisme. Seulement, si
l’ascétisme ne touchait que les moines, aucune raison de s’y intéresser. Mais par un mystérieux tour
de force, l’ascétisme a gagné ce que Bentham appelle « la grande masse de l’humanité » (§7). La
critique de l’ascétisme s’effectue en trois temps. D’abord, le principe ascétique est le point d’accord
secret, la convergence clandestine, de deux partis : les philosophes ; les partisans du christianisme.
Deux camps qui semblent opposés (bipartition des Lumières). En réalité, ils sont complices et
s’accordent sur l’ascétisme. Les motifs sont différents : pour les philosophes, c’est l’espoir ; pour les
religieux, c’est la crainte (de la damnation éternelle). Différence d’intensité : condamnation modérée
pour les philosophiques (non pas « il faut souffrir » mais il faut mépriser les plaisirs) ; radicale pr les
religieux (il faut rechercher la souffrance). Différence de destinataires : élites pour les philosophes ;
vulgaire pour les religieux. Ainsi l’humanité est-elle gagnée à l’ascétisme. Cmt se fait-il que les hô,
naturellement gouvernés par la recherche du plaisir, le sont aujourd’hui par l’inverse ? Le conflit
apparent cache un autre conflit, entre tous ceux qui dévaluent le plaisir, et ceux qui le valorisent.
L’utilitarisme devient le seul à défendre le plaisir en tant que tel. Le 1er vice de l’ascétisme, c’est
d’être sournoisement hégémonique. Deuxième critique : l’ascétisme est inconséquent. Les partisans
de l’ascétisme ne sont pas vraaiment radicaux, ne peuvent pas l’être. Le principe ascétique a tjr été
restreint au champ moral, privé. On n’a jamais pu l’appliquer au champ politique. Mais n’y a-t-il pas
eu des tentatives pr réaliser politiquement l’ascétisme ? Sparte, semble-t-il. Dans L’Esprit des lois,
Montesquieu évoque Sparte cô un monastère.
Montesquieu distingue trois formes de gvmts : république (démocratie ou aristocratie) – monarchie
– despotisme. Tout gvmt doit avoir un principe, que les gouvernés soient dominés par une certaine
passion. Le ressort passionnel du despotisme est la crainte. Il faut entretenir la peur : le régime
despotique est donc imprévisible. Il se caractérise par l’absence d’horizon. La passion monarchique
est l’honneur. C’est le sentiment d’appartenir à une certaine classe, un certain corps social. Cela
implique des privilèges et des devoirs particuliers. Être un homme d’honneur, c’est faire honneur à
son nom et à sa caste. Le noble doit être un hô d’honneur. Le principe de la république, c’est la vertu
(politique, précise-t-il). La vertu politique, c’est l’amour de la patrie, de la république, amour de
l’égalité, amour de la frugalité. Il ne peut y avoir d’égalité qu’avec peu de richesses. Cmt comprendre
un régime où les citoyens ont massivement entretenu la pauvreté ? Sparte serait une république
ascétique. Pour Montesquieu, les passions qui d’ordinaire s’investissent sur toutes sortes d’objets, si
elles sont interdites de satisfaction, peuvent se retourner sur la règle même qui les interdit. A Sparte
cô dans les ordres monastiques, la passion se retourne sur l’interdit lui-même, sur la règle qui interdit
la satisfaction des passions. Passion pour la règle qui nous afflige.
Bentham récuse l’objection de Sparte-ascétique : si ces caractéristiques ont existé, c’est qu’elles
étaient utiles à la sécurité, donc au plus gd bonheur du plus gd nb. Qu’en est-il des communautés
quakers ? On n’impose rien, chacun décide de faire ça. Une politique ascétique imposerait le malheur
au plus gd nb. Aucun régime n’a un tel principe indique Bentham. Par def, l’ascétisme est pronominal
je me fait souffrir. L’ascétisme n’est pas vu cô une imposition : il n’est jamais transitif. Dans les
monastères de Chénouti d’Athipé (cf. Lacarrière) le principe de l’ascétisme, c’était le refus de
l’individualité. Toutes les prières se faisaient collectivement [à l’encontre de l’argument de
Bentham].
Troisième critique de l’ascétisme. A l’origine de l’ascétisme, c’est un sophisme, une inférence
fallacieuse. Certains constatent, au départ, que certains plaisirs produisent plus de douleurs qu’ils
n’ont apporté de plaisir ; ils sont coûteux. La proposition dégagée sera fausse : puisque certains
plaisirs sont coûteux, tout plaisir est dangereux. J’en conclus ainsi qu’il faut chercher la douleur, tous
les plaisirs étant dangereux. L’ascétisme est l’aberration pratique qui découle d’un sophisme.
On peut considérer cela cô une 3e confirmation de la présomption de Schopenhauer. Si
Bentham parle de l’ascétisme, c’est pour l’écarter préalablement. Au fond, l’ascétisme n’a pas de
consistance : c’est au départ un sophisme, et une aberration à l’arrivée. En réalité, personne ne va au
bout de l’ascétisme (ne travaille à réaliser le plus gd malheur du plus gd nombre). Historiquement,
Bentham est un faux départ. Il en parle, expressément, mais pour l’écarter, en refusant de lui
accorder une véritable consistance théorique.
L’ASCETISME COMME PIERRE DE TOUCHE DE LA PHILO : SCHOPENHAUER
Schopenhauer a sur l’ascétisme une double action : il en modifie le signe, et le statut. Réévaluation
positive : pour lui, il est éminemment positif, dernier mot de la morale. De l’autre côté, l’ascétisme
change de statut en cela qu’il devient central. Cmt en arrive-t-il là ? Le pessimisme devient un enjeu
de discussion au 19e. Pour comprendre le dualisme institué par Schopenhauer (volonté et
représentation), il faut comprendre le dualisme kantien phénomène/chose en soi. Le phénomène,
c’est ce qui se manifeste dans l’espace et dans le temps. La chose en soi, nous ne pouvons savoir
quelle elle est. Schopenhauer reformule la distinction kantienne, y superposant le couple
Volonté/représentation. Le monde est à la fois volonté et représentation. Dire que ce qui existe
avant la représentation, le phénomène, c’est la Volonté, c’est transformer un objet en un sujet,
passer du passif à l’actif. Qu’est-ce que la Volonté ? La Volonté n’est ni dans l’espace ni dans le
temps, une sorte de puissance antérieure à toute représentation. Il parle aussi de « Volonté de
vivre », ou « vouloir-vivre ». C’est un pléonasme même que de parler de volonté de vivre. Cette
Volonté est fondamentalement pronominale. Elle se connait elle-même. Il n’y a qu’un sujet : la
Volonté. Cmt peut-elle se connaître ? Elle se matérialise, se phénoménalise dans la nature
inorganique, végétale, animale, humaine. A travers l’hô, la Volonté se voit (seulement dans l’espace
et le temps). D’où la formule (§54) : le monde cô représentation « offre à la volonté le miroir où elle
prend connaissance d’elle-même ». Mais miroir déformant. [Objection du cercle : si la volonté se
matérialise, puis prend connaissance d’elle-même sous forme phénoménale, il apparaît que la
volonté doit s’être déjà phénoménalisé pour pouvoir apparaître cô phénomène.
Puisque nous nous représentons les choses dans l’espace et dans le temps, nous n’avons pas accès à
ce qu’est le monde en-deçà de l’espace et du temps, à la Volonté. La Volonté existe en-deçà de la
causalité et à la nécessité. Elle est donc par nature libre, soustraite à tout déterminisme. C’est en ce
sens qu’on peut redire ce que disait Kant : la volonté est autonome. Chez Schopenhauer, cela ne
signifie pas que la Volonté se donne une loi, mais qu’elle est antérieure à tout déterminisme. Le
phénomène est changé par Schopenhauer en apparence. La seule réalité, c’est la Volonté. Le monde
cô représentation, c’est la surface des choses, la face visible de la Volonté. C’est l’apparence.
Schopenhauer déréalise le phénomène. Le monde phénoménale n’est plus qu’une monde
d’apparences fugitives, svt comparé à un rêve. C’est un monde évanescent, assez inconsistant,
dépourvu de réalité. [Kant était déjà accusé de transformer le monde sensible en une unique
apparence. Dans les Prolégomènes, il se défend : les phénomènes ne sont pas des apparences mais
des apparitions de la chose en soi. Il y a une objectivité. L’idéalisme rêveur et l’idéalisme visionnaire,
ce sont deux erreurs symétriques : le premier, c’est celui qui transforme en choses les simples
représentations ; le second, c’est celui qui transforme les choses réelles en simples représentations,
images. La position intermédiaire, c’est l’idéalisme transcendantal. Kant se défend vigoureusement
de l’accusation selon laquelle il déréaliserait le monde.] Cf appendice « Critique de la philosophie
kantienne ». « En faisant cette distinction, Kant […] découvre sous un nouveau point de vue et par
une novelle méthode la même vérité qu’avant lui Platon ne se lassait point de répéter […] : « le
monde qui frappe nos sens ne possède point véritablement l’être ; il n’est qu’un devenir incessant,
indifférent à l’être ou au non-être ; le percevoir, c’est moins une connaissance qu’une illusion ».
La dévaluation du monde phénoménale va de pair avec la dévaluation de la connaissance scientifique
(connaissance des phénomènes). Schopenhauer valorise l’art contre la science. La philo elle-même
n’est pas une science, elle est un art. « Le philosophe ne doit jamais oublier qu’il pratique un art, et
non une science ». « La philosophie doit se distinguer de toutes les précédentes, celle de Platon
excepté, en ce qu’elle n’est pas une science mais un art ». Cela n’est accesible « qu’à une petite
minorité ». On trouvera des lecteurs enthousiastes de Schopenhauer chez les artistes : Maupassant,
Flaubert, Wagner, Nietzche. Schopenhauer s’institue en adversaire des « philosophies de l’histoire »
[pour lesquelles : tout ce qui est est historique. Tout ce qui est se trouve inscrit dans un processus,
universel et irréversible, organisé téléologiquement.] Les philo de l’histoire mettent le temps
historique au principe de tout. Ceci est archaïque, pr Sr, le temps n’étant, depuis Kant, qu’une forme
a priori de la sensibilité. L’histoire est un spectacle à la fois désolant et sans intérêt. A la philo de
l’histoire Sr oppose un autre type de récit : les biographies (des grands ascètes). On parle de récits
arétologiques (ont pr objet l’arétè) ; ou hagiographies. On peut opposer positivement le grand ascète
à son envers négatif (celui qui recherche la gloire, le conquérant). Qd Hegel valorise le gd hô, Sr
valorise le gd ascète, celui qui refuse le monde. « le phénomène le plus grand, le plus important, le
plus significatif qui se soit manifesté au monde, ce n’est pas le conquérant, c’est l’ascète ».
Déréaliser le phénomène, dire que ce qui est dans l’espace est illusion, c’est dire que le multiple
n’existe pas réellement. Le multiple n’existe que dans le monde phénoménal. Chez Sr, il n’existe
d’individu que dans le monde défini cô représentation. D’où la relativité du principe d’individuation :
l’individu, cô tous les phénomènes, n’est qu’une apparence. Il n’y a pas ainsi d’individu dans la
réalité. Quelle moralité alors s’il n’est pas d’individus ? Plus de devoir envers Dieu, ni autrui ou soimême. Plus de devoir du tout.

Affirmation et négation de la Volonté
Il évoque « cette vie dont il s’agit de vouloir ou de ne pas vouloir ; car c’est là le grand problème » [cf.
le to be or not to be]. Cette manière de formuler le pb moral évince celle du devoir. Cette philo
morale a pr objectif de formuler conceptuellement ce que nous savons tous déjà, confusément, qui a
déjà été formulé dans le langage religieux. Les religions les plus désastreuses sont le paganisme grec
et l’islamisme, religions optimistes. L’idée de loi morale est absurde. Maîtriser sa volonté n’a pas de
sens : cela suppose un sujet en possession de sa volonté. Chacun de nous n’a pas une volonté, mais
exprime la Volonté (qui déborde tout individu). L’idée même d’un discours normatif (qu’on aurait pr
devoir de mettre en œuvre) apparaît vide de sens. Critique de la morale de l’Ancien Testament, cô
morale du tu dois. Parerga, §63. Loi morale, devoir, libre arbitre : appareil conceptuel que nous
devons à l’AT. Nous devons comprendre cmt la Volonté s’exprime dans les volontés humaines. Dans
certain cas, la volonté de vivre se retourne en volonté-de-ne-pas-vivre. Il faut expliquer pourquoi. La
morale n’a pas fonction prescriptive mais descriptive, contemplative.
Vivre, c’est souffrir. « La perpétuité des souffrances est l’essence même de la vie » (§54, p361). « En
fait, on ne peut assigner d’autre but à notre existence que celui de nous apprendre qu’il vaudrait
mieux pour nous ne pas exister » (supplément 48, p 1373). Vouloir, c’est vivre, et vivre c’est souffrir.
Vivre, c’est souffrir parce que c’est vouloir. Vouloir, c’est le désir voué à l’indéfini ; la vie, c’est le désir
sans fin. Le désir est tout l’être de la volonté. Le désir satisfait, c’est l’ennui. Soit nous désirons, nous
sommes frustrés, soit nous nous ennuyons. Parce qu’il est Volonté, l’hô ne connaît que la frustration
et l’ennui. Le couple souffrance/ennui correspond au religieux enfer/paradis. La sagesse doit se
trouver dans le refus de vouloir. Affirmer la volonté, c’est l’affirmation du corps. Deux expressions :
l’instinct de conservation et la propagation de l’espèce (désir sexuel). §60, p412. La Volonté utilise
l’individu pour perpétuer l’espèce. Le désir sexuel, c’est l’affirmation la plus décisive du vouloir-vivre.
Au cerveau cô organe de la représentation il faut opposer l’appareil génital cô organe de la Volonté.
C’est pourquoi l’appareil génital, et donc la Volonté, s’oppose à l’intelligence (l’autre face du monde,
représentation). Saint-Augustin, La cité de Dieu, livre XIII, §13 : après la transgression du
commandement, la grâce de Dieu les abandonna et ils eurent honte de la nudité de leur corps. […] ».
Le péché, c’est la transgression d’un commandement, un acte de désobéissance. Le 1er châtiment,
c’est la désobéissance du corps à l’homme. La maîtrise parfaite du corps est antérieure au péché
originel. La chair veut par elle-même. C’est pourquoi on en a honte. C’est ainsi qu’interprète SaintAugustin le « Et ainsi ils virent qu’ils étaient nus » de la Genèse.
La vouloir-vivre pourra trouver une forme plus raffinée, plus haute. §54 p362. Quand la Volonté se
représente sa propre essence, prend conscience d’elle-même, cela n’arrête pas son vouloir. Elle
continue de vouloir la vie, non plus sans s’en rendre compte, mais avec connaissance, conscience,
réflexion. Nous pouvons vouloir vivre en connaissance de cause, avec intelligence. D’abord, l’individu
a compris qu’il était illusion cô individu. Vouloir la vie, c’est comprendre que nous ne sommes que
des apparences ; que la mort est elle-même une illusion, en tant que disparition d’une apparence.
Affirmation intelligente de la volonté : je ne cherche pas la mort mais je ne la crains pas. Surtout : j’ai
compris que je suis identique à l’autre. Alors je deviens bon. Celui qui est bon, c’est celui qui fait
moins de différence que personne entre soi-même et l’autre. Être bon, c’est s’identifier à autrui. §66
p468. Pour la même raison, je ne me différencie pas plus de l’autre-animal. Sr est un des premiers
auteurs, avec Bentham, qui défende les animaux. Dans quel affect se matérialise ce sentiment que je
ne me différencie pas d’autrui ? La pitié, la compassion. « Cette pitié, voilà le seul principe réel de
toute justice spontanée et de toute vraie charité. Si une action a une valeur morale, c’est dans la
mesure où elle en vient : dès qu’elle a une autre origine, elle ne vaut plus rien » (Fondement de la
morale, §16).
Le fondement de la morale, c’est donc un sentiment, un affect (la pitié). La distinction
volonté/représentation fonde la pitié, et la pitié fonde à son tour la morale. [lorsque Kant évinçait la
pitié de la morale, c’était dirigé contre Rousseau]. Fondamentalement, la pitié s’oppose à l’égoïsme.
Ce dernier est une illusion, en tant que morale de l’individu (qui est une illusion). C’est une morale
qui en reste au niveau du phénomène, morale de la représentation. Quel rapport peut-on entretenir
avec autrui quand on reste tributaire de l’illusion selon laquelle l’autre n’est pas moi ? Tant qu’autrui
est distinct, je le considère dans un rapport instrumental : soit cô un moyen, soit cô un obstacle. L’hô
égoïste n’est celui pour qui autrui n’est qu’un moyen, ou obstacle. [Chez Marx, la morale bourgeoise
est celle dans laquelle je suis contraint de percevoir l’autre cô un obstacle ou cô un moyen.  La
question juive et les Manuscrits de 1844]. Chez Marx, cette perception de l’individu vient de la
structure du monde moderne. Pr Schopenhauer, cette perception catastrophique d’autrui est liée à
l’illusion de la représentation, illusion de l’individu. Pr Sr, l’hô bon est bien celui qui a pitié, qui ne fait
pas de différence avec autrui. MVR, §65. Que signifient bonté et méchanceté ? Au sens courant,
faible, être méchant, c’est être égoïste. En fait, cela va jusqu’à la cruauté, mal radical, désintéressé.
[cf. GM, 2e dissert : la cruauté n’a pas disparu. Qu’est-elle devenue ?]. La cruauté, c’est l’expression
ultime de l’illusion que je ne suis pas autrui : nul n’est plus victime de l’illusion que le bourreau. La
joie du méchant, du bourreau, est pourtant impure : au fond, il y a tjr le pressentiment qu’il n’est pas
différent ; c’est pourquoi il souffre tjr aussi de la souffrance qu’il inflige. [Antelme, L’espèce humaine :
déshumanisation des prisonniers, de telle manière qu’on puisse se dire que ce ne sont pas des hô, et
les traiter ainsi n’importe cmt].
Que signifie alors ne pas vouloir vivre ? Au-delà de l’affirmation de la volonté, il y sa négation
(§54). Après cette découverte de la Volonté (affirmation organique de la vie, affirmation intelligente
de la vie), on doit cesser d’affirmer la vie et la nier. Si la cruauté est illusion ultime que je ne suis pas
l’autre, l’ascèse, en tant que cruauté exercée sur soi, vient de ce que j’ai vmt compris ce qu’est la
Volonté. Le meilleur moyen de ne pas souffrir, c’est de ne plus vouloir. On n’est plus dans une morale
qui cherche à soulager la souffrance d’autrui. La morale la plus juste, c’est celle où je travaille sur
moi, où je brise en moi la Volonté. Il s’agit de passer de la vertu à l’ascétisme. Cmt procéder ?
Parerga et paralipomena, §165 : « C’est précisément ce fait de se reconnaître dans l’apparence de
l’autre […] qui conduit finalement à l’abandon de la Volonté. Car les phénomènes par lesquels elle se
manifeste se trouvent si décidément en état de souffrance que celui qui étend son propre moi à tous
ne peut pas longtemps vouloir continuer […] ». On passe de la pitié à l’ascétisme car la 1ère est
insupportable : il y a trop de souffrance. Qd on a compris que la vie était souffrance, on est forcé
d’opérer une sorte de retrait, de cesser de vouloir. MVR, §68 : il y a deux chemins distincts pr en
arriver à l’ascétisme. Celui de la connaisance et celui de la souffrance. 2e : qd on est porté à une série
de souffrance, la Volonté se brise (cf. Job). L’autre chemin, c’est celui de la philosophie. On y
comprend que la plus haute forme de la morale, c’est de ne rien vouloir. Il cite Mme Guyon : « Tout
m’est indifférent, je ne puis plus rien vouloir ». La forme la plus ultime de celui qui cesse de vouloir,
c’est la mort. Cesser de vouloir parce qu’on connait, qu’on a compris, c’est une forme de délivrance,
qui nous mène au néant (ce qui est inaccessible à toute connaissance rationnelle). Il y a une autre
forme de connaissance, le mysticisme. C’est une connaissance où le sujet ne se distingue pas de
l’objet.
L’ascèté, ce n’est pas Job, c’est celui brise délibérément sa Volonté. « Par le mot d’ascétisme […],
j’entends à proprement parler cet anéantissement réfléchi du vouloir qui s’obtient par le
renoncement au plaisir et la recherche de la souffrance ; j’entends une pénitence volontaire, une
sorte de punition qu’on s’inflige pour arriver à la mortification incessante de la Volonté ».
L’ascétisme met le phénomène en contradiction avec lui-même : la Volonté qui s’exprime cô
phénomène se retourne contre elle-même. La mort du Christ, c’est l’expression mythologique de
cette cessation du vouloir. La plupart des grandes religions ont d’ailleurs l’ascétisme cô
dénominateur commun : interdiction de la satisfaction sexuelle. Sr utilise une métaphore récurrente :
la connaissance, l’ascétisme, cô calmant. Das Quietiv.
Quelle différence alors entre le suicide et l’ascétisme ? Sr condamne le suicide [§54, 59, 65]. Mais il
dit que l’ascétisme, à son bout, débouche sur le suicide. Ce qu’on appelle ordinairement suicide, ce
n’est pas une négation mais une affirmation de la Volonté. Le suicidaire ne combat pas la Volonté
mais l’individu en lui. Il reste victime de l’illusion de l’individu. Se suicider, c’est aimer la vie, être
déçu. L’ascète ne cherche pas à fuir la souffrance en se tuant ; il l’exerce méthodiquement sur soi,
pour la dépasser, pour parvenir au salut, à une certaine connaissance mystique. Il faut donc
expressément distinguer deux suicides : l’ascétique et le passionnel. Figures littéraires de celui qui
cesse de vouloir : Bartleby (I would prefer not to) ; L’artiste de la faim, Kafka. Le gai savoir, §151 : on
peut y voir l’effacement de ces deux sortes de suicide.
LA REEVALUATION DE L’ASCETISME : NIETZSCHE
La question ascétique est lancinante chez Nietzsche. Dès 1878, Nietzsche engage sa critique de Sr et
de l’ascétisme : Humain trop humain, §136-144. Aurore : §18, 39, 113, 440. Le gai savoir : §13, 131.
Zarathoustra, livre I. Par-delà le bien et le mal, III. Crépuscule des idoles, « La morale, une antinature ». L’antéchirst : §20-22, 51.
Sur Nietzsche : né le 15 octobre 1844, dans un milieu pasteural. Imbibé de Bible et de théologie
protestante. 1858 : pensionnaire dans un collège où il apprend les humanités (peu de sciences).
1864 : université à Bonn, en théologie et en philosophie. 1865 : université de Leipzig, pr y trouver
Ritschl, professeur de philologie. La même année il fait une découverte philosophique, le MVR.
S’instaure un écart qu’il passera sa vie à essayer d’effacer : l’histoire et une philosophie qui s’en
détache (Sr). Cmt être philologue et schopenhauerien ? La généalogie semble la solution. 1868 :
rencontre avec Wagner, schopenhauerien aussi. Nietzsche devient wagnerien. 1869 : nommé
professeur à l’université de Bâle, en philologie. Il doit renoncer à la nationalité allemande, mais n’est
pas suisse. A partir de 1872 commence une entreprise de publication forcenée. Tous ces écrits sont
publiés entre 1872 et 1888. Naissance de la tragédie essaye de marier ses deux aspirations. Il plaque
Sr sur la tragédie. La vraie tragédie grecque, détruite par Platon, peut être ressucitée par Wagner.
1873 : première Considération inactuelle, critique du théologien Strauss. 1874 : seconde
Considération inactuelle, sur l’histoire. 1874 : troisième Considération, apologie de Sr. 1876 :
quatrième, apologie de Wagner. Octobre 76-septembre 77 : il arrête. Rencontre de Paul Rée. Cette
parenthèse est le moment d’une prise de distance vis-à-vis de Wagner. 1878 : Humain, trop humain.
Il critique le génie, et par là Wagner et Sr. 1880 : Le voyageur et son ombre + Opinions et sentences
mêlées (regroupés ensuite sous Humain, trop humain 2). Il trouve alors une nouvelle forme
d’écriture, par aphorisme. L’objectif n’est pas de tout dire, démontrer, mais de faire penser. 1879 :
démission définitive de l’université de Bâle. Fin de la première période de publication.
Pdt 10 ans, il voyage entre Suisse, Italie, Côte d’Azur. 1881 : Aurore, où apparaît le « sentiment de
puissance » [§23, 140, 189, 245, 348, 356, 360]. Ce qui meut l’individu, ce n’est pas la conservation,
ni la propagation, c’est le plaisir, la jouissance éprouvée à exercer sa puissance. 1882 : Le gai savoir.
§341 : apparition de l’éternel retour. 1884 : Ainsi parlait Zarathoustra. 1885 : Nietzsche doit publier
la 4e partie à compte d’auteur. Il n’a donc aucun lecteur. 1886 : Par-delà le bien et le mal. Apparaît
aussi le projet d’un ouvrage, somme philosophique qu’il appellerait « La volonté de puissance, essai
d’une transvaluation de toutes les valeurs ». 1887 : Généalogie de la morale. 1888 : Le cas Wagner,
Le Crépuscule des Idoles, L’antéchris, Ecce homo, Nietzsche contre Wagner. 3 janvier 1889 : à Turin,
voyant un palefrenier qui bat un cheval, il s’approche et s’effondre, foudroyé.
Dernière période : 1889-1900. Il est mort intellectuellement. Sa sœur le récupère, mariée à Förster,
nationaliste antisémite. Strindberge en Suède, Taine en France : c’est le début d’un intérêt pour
Nietzsche. Sa sœur orchestre diaboliquement la promotion de son œuvre. En 1901, elle publie un La
volonté de puissance, sous le nom de Nietzsche. Faux ! c’est un montage, non innocent
idéologiquement.
Montimori, Friedrich Nietzsche. CP Janz, Nietzsche. Biographie. Foucault, « Nietzsche, la généalogie,
l’histoire » (in Dits et écrits, II).
Zur Genealogie der Moral. Pb de traduction du « Zur », svt supprimé. Cette suppression sous-entend
que l’ouvrage expose la généalogie de la morale. Autre traduction : Pour une généalogie de la
morale. On substitue à l’article défini un article indéfini. Ou bien : Contribution à la généalogie de la
morale. Elements pour la généalogie de la morale : peu défendable, élément ayant le sens
(géométrique) précis de la plus petite unité conceptuelle. Cela signifie tjr que l’auteur intervient dans
un débat, un champ polémique. Sous-titre : un écrit polémique. Il s’agit d’intervenir dans un champ
polémique préexistant, pouvant être défini par le syntagme « généalogie de la morale ». Nietzsche va
parler en généalogiste de la morale, mais aussi contre d’autres généalogistes de la morale. Au §4 de
l’avant-propos, Nietzsche critique Paul Rée, qui avait publié en 1877 L’origine des sentiments moraux.
Nietzsche évoque des hypothèses généalogiques à rebours et perverses. Nietzsche écrit son ouvrage
dans la critique d’une ou plusieurs autres généalogies existantes de la morale. « Bon et méchant »,
« bon et mauvais » : problème des sens qui ont été donnés à ces termes (ce n’est pas un pb de def :
qu’est-ce qu’être bon ou méchant) ; qu’est-ce que ça a voulu dire, pourquoi, et quand ça a changé ?
La question généalogique, au sens de Nietzsche, est la suivante : quelle est la volonté de puissance
qui s’est emparée de telle ou telle chose pour lui conférer et pour imposer tel ou tel sens ? Il faut se
défaire de ce que nous avons appris. [Dans le dialogue platonicien, le but est d’imposer une question,
pas tant une réponse, et imposer une manière de traiter la question. Et Socrate a triomphé, imposant
la nécessité de la définition et l’essence]. Pour Nietzsche, il n’y a pas d’essence, et donc pas de déf.
« Tout ce qui a une histoire échappe à la définition », et tout a une histoire. Dès le titre de la 1ère
dissert, il écarte ces préoccupations ; il demande, non pas ce que sont le bien et le mal, mais cmt on
les a définis. Les mots n’ont pas de sens fixe, la signification est tjr l’objet d’un conflit.
Les historiens de la morale pensent de façon anhistorique. Cet historien écrit un récit, mais il ne se
passe rien. 1ère étape : a été défini cô bon ce qui était utile au plus gd nb. 2e étape : on s’habitue (il
devient évident) à faire ce qui est utile au plus gd nb. 3e étape : l’habitude est indissociable de l’oubli
(cô on s’habitue à des « évidences », on oublie pq il est bien ou mal de faire ceci (l’utilité). 4e étape :
l’erreur ; ayant oublié, on va inventer d’autres motifs (ex : la loi morale de Kant). Utilité-habitudeoubli-erreur. C’est très anglais. Paul Rée notamment. Mandeville : la politesse, c’est la dissimulation
de l’orgueil (par intérêt) ; l’éducation apprend à l’individu qu’il est avantageux de paraître modeste ;
et la politesse s’accompagne de l’oubli des origines de la politesse. Raisonner comme ça, c’est faire 2
erreurs. La 1ère tient à l’auteur de l’évaluation. Qui décide de ce qui est bon ou mal ? Le plus gd nb.
Mais c’est faux. Ce sont les forts (ceux qui décident de l’évaluation) ; une aristocratie guerrière. La
1ère erreur porte donc sur l’identité de la volonté de puissance. La 2e porte sur le critère de la
signification : l’utilité est un critère de bourgeois, répond Nietzsche. « Que leur importait l’utilité ? ».
Cette histoire n’est pas une histoire, car le plus important ne change pas : ce qui était jugé bien est tjr
jugé bien. On a jugé vertu la sincérité, vice le mensonge, et on n’a jamais cessé cela. Le partage du
bien et du mal n’a jamais changé pour Mandeville et tout, seul change la compréhension qu’on en a.
C’est ici que Nietzsche indique que le partage même du bien et du mal a changé. Le vrai historien
comprend qu’il n’y a aucune permanence du partage. Une volonté de puissance, c’est un type, un
mode de vie. Chaque volonté de puissance cherche à imposer aux autres l’évaluation qu’elle fait du
monde, imposer ses valeurs. [distinguer le vieux concept moral de la valeur et le concept
économique des valeurs]. Chez Nietzsche, on devrait dire plutôt les évaluations que les valeurs (il
s’agit d’une activité). Vivre, c’est évaluer, hiérarchiser, interpréter. On ne peut vivre sans structurer
axiologiquement le monde. Dominer, c’est contraindre les autres à adopter ses valeurs. Contresens à
ne pas faire par rapport aux valeurs. On considère que les valeurs existent (la famille, la fidélité,
etc.) ; on hypostasie les valeurs (contresens platonicien). Ces valeurs, il appartient à chacun d’entre
nous de choisir celles qu’il préfère (contresens chrétien). Pour Nietzsche, les valeurs n’existent pas
indépendemment de ceux qui évaluent. La valeur ne fait pas l’objet d’un libre choix : pas des valeurs
d’un côté et des sujets moraux de l’autre.
Une véritable histoire de la morale doit comprendre cmt le partage bien/mal a lui-même changé.
L’erreur utilitariste n’est pas une simple erreur, c’est une falsification rétrospective de l’histoire de la
morale. C’est une falsification nécessaire, qui est commandée par le point de vue des masses. C’est
un préjugé démocratique qui commande cette falsification rétrospective. Les démocrates d’ajd ont
besoin de croire que c’est tjr le peuple, la masse, qui a décidé. Losurdo, Nietzsche, philosophe
réactionnaire. Nietzsche est critique de l’histoire démocratique de la morale, qui préjuge que le
demos, la masse, est l’auteur originel du partage bien/mal. Ce préjugé est celui de Rée, mais était au
départ le sien. [Humain, trop humain, §92 : pour qu’il ya ait justice, il faut un rapport de forces égal,
qui contraint à la négociation ; l’échange paraît plus rationnel que le conflit ouvert (parce que les
forces sont égales, sinon autant écraser).] Cette critique est une auto-critique. Le terme de
généalogie est alors un terme neuf chez Nietzsche, et en philosophie. La promotion du mot est celle
d’un nouveau traitement historique de la question morale. Nous ne pouvons plus présumer le
caractère immuable des gdes antinomies morales. Plus d’essence, mais une succession de victoires et
de défaites, batailles entre des volontés de puissance qui cherchent à s’emparer des mots, des
valeurs, pr les interpréter et imposer leur interprétation. Au début de la 2e dissert, il définit l’oubli
autrement. L’oubli n’est pas une simple force d’inertie, mais une faculté active, positive ; c’est
l’occultation positive, le refoulement, du passé. Cette positivité de l’oubli est nécessaire pour sauver
le présent de l’action. On retrouvait déjà cela, 13 ans avant, dans la seconde Considération inactuelle.
Pr revenir au titre. La généalogie nietzschéenne n’est pas une évolution (II, §12). Ce n’est pas
un progrès de la morale ; la généalogie est anti-téléologique. Crépuscule des idoles, « Divagations
d’un inactuel », §14. Critique de Darwin.L’erreur est de croire que l’instinct premier est celui de
conservation. Il n’est qu’une forme appauvrie de la volonté de puissance : la vie ne cherche pas
seulement à se conserver mais à s’imposer. L’autre contresens, c’est celui de la sélection du plus
fort : la lutte sélectionne paradoxalement les plus faibles, dit Nietzsche, la masse. Raison : le nb ; les +
faibles sont + intelligents (plus on est en situation de faiblesse, plus on a besoin de réfléchir pour
renverser les choses).
La généalogie n’est pas non plus une philo de l’histoire. [Philo de l’histoire : discours indiquant que le
réel est historique, et que l’histoire est un processus, irréversible, où s’accomplit un sujet,
irréversiblement, téléologiquement. A la fin de ce processus, le sujet se connaît lui-même] D’abord,
la généallgie de la morale travaille sur une autre chronologie. Hegel :avant que les peuples aient une
conscience historique d’eux-mêmes, un temps très long s’est écoulé ; cette préhistoire est nulle ; la
philo de l’histoire commence qd des peuples ont dit qqchose sur leur propre histoire. C’est le
contraire chez Nietzsche. La généalogie remonte au plus lointain. II, §14 : il évoque « ces millénaires
antérieurs à l’histoire de l’homme », ou encore « l’époque primitive, période la plus longue du genre
humain » ; III, §9 : « l’histoire essentielle, celle qui précède l’histoire universelle ». Il ne faut donc pas
faire abstraction de la pré-histoire, mais régresser à cette période, la plus lointaine et la plus décisive.
La généalogie se donne une chronologie bcp plus longue. Elle se donne également une autre
historicité (un certain type de rapport entre passé, présent et futur). L’historicité généalogique
récuse toute forme de téléologie. Nietzsche reconnaît qu’il faut penser historiquement, mais surtout
pas de façon téléologique : « successions de processus de subjugations plus ou moins indépendants
les uns des autres ». Penser généalogiquement, c’est penser une succession de batailles (une volonté
de puissance plus forte s’empare de qqchose pour lui conférer provisoirement un nouveau sens) ; la
succession de ces batailles est accidentelle, contingente. II, §13 : énumération des différents sens
donnés au châtiment. Pas d’acquis définitif pr la généalogie. L’historicité de la généalogie est
contingente car agonistique, faite que d’affrontements. La généalogie de la morale est enfin sur un
autre plan : non pas un récit (la philo de l’histoire) mais une pluralité de récit.
La généalogie de la morale est plutôt une histoire naturelle de la morale. Tous les philosophes
antérieurs ont prétendu fonder la morale. L’option nietzschéenne est, plus seulement, de décrire.
Fonder la morale, c’est s’interdire d’y voir un pb : celui qui fonde se met dans l’incapacité, par sa
posture, de douter de la morale. Celui qui fonde présuppose ce qui est à fonder. Kant : fonder, c’est
formuler dans sa pureté le critère moral (parce que la conscience des hô des fragile, confuse, tentés
de transgresser, par les incminations sensibles). Pr Nietzsche, c’est naïveté : jamais Kant ne doute de
la morale, il ne fait que la justifier. La généalogie récuse la fondation. Il propose une description :
établir une typologie des phénomènes moraux. Attention, il y a deux types de description : au début
de la généalogie, il critique la science historique moderne (qui décrit). L’historien moderne prétend
décrire des faits en faisant abstraction des valeurs, de purs faits. Décrire s’oppose ici à évaluer,
interpréter. La description de Nietzsche, c’est une évaluation, une interprétation. Décrire sans
interpréter est un leurre ; on ne peut s’en tenir à la surface du phénomènes ; les faits n’existent pas,
il n’existe que des interprétations. Evaluer les phénomènes moraux, c’est voir dans le phénomène
moral un symptôme, comprendre de quelle volonté de puissance il est l’exception. Le problème n’est
pas de fonder, justifier la pitié. Interpréter la pitié, c’est la mettre en doute. Qui a pitié ? De quoi ?
Depuis quand ? Pourquoi est-ce bien ? L’interprétation est nécessairement critique ; entreprise de
destruction.
La GM est l’un des instruments que Nietzsche élabore pour accomplir le projet, formulé en 1881
dans Aurore (§103). Nier la morale ? 2 sens. « Nier que les motifs moraux invoqués par les hommes
les ai véritablement poussés à agir comme ils l’ont fait » (moralistes français). 2e sens : nier que les
jugements moraux reposent sur des vérités. On admet alors qu’ils constituent réellement le
fondement des actions, mais ce sont des erreurs. La 1ère critique de la moralité est une critique
morale (insuffisante). Son point d’impact est le motif réel de l’action : les hommes doivent-ils
effectivement agir pour les motifs réels qu’ils se donnent ? C’est présupposer qu’il est souhaitable
d’agir, par ex, par charité. Le pb est que les hommes n’agissent pas par charité. La 2e critique, celle de
Nietzsche, demande : la charité est-elle un bon motif ? On laisse de côté le pb de la réalité du motif
pour questionner sa vérité. On met en cause, non pas les motifs, mais les valeurs. C’est encore un
projet. La généalogie est la méthode qui permettra de réaliser ce programme.
Pb du mode d’emploi : cmt lire l’ouvrage ? 2 options. La plus tentante, la plus simple, linéaire.
L’ordre chronologique serait aussi un ordre logique [Haar décrit le processus. 1 : extériorisation du
sentiment, le faible tourne son ressentiment vers l’autre, le maître. 2 : l’impuissance de l’esclave est
telle qu’il ne peut extérioriser son ressentiment, il ne peut le retourner que contre soi. 3 : le
ressentiment évolue vers la suppression de soi, l’ascèse]. Description presque hégélienne de la
généalogie (le germe est là et se dvpe). C’est faux : Nietzsche ne parle jamais de la GM cô d’un récit,
mais plusieurs. Tous les texte convergent. La GM n’est pas une, mais la succession aléatoire de trois
GM. D’ailleurs, le point de départ de la 2e dissert est antérieur à la première. Les trois disserts ne
s’enchaînent pas, sont des récits distincts. Ils se croisent. Cf. pb du libre-arbitre : deux interprétations
très différentes dans la 1ère dissert et dans la 2e. Ce n’est pas se contredire, mais prendre la chose
sous un mode différent, dans un récit différent. Qu’ont alors en commun ces 3 récits ? Montrer cmt
le phénomène moral s’inscrit dans une histoire. Récurrence d’un personnage, le prêtre (celui qui
contraint la volonté de puissance à se retourner contre elle-même)
3e terme du titre : morale. Au sens large : la morale désigne toute espèce de mode
d’évaluation, d’interprétation [là où il y a volonté de puissance, il y a une morale]. Toute espèce de
vie a besoin de hiérarchiser le monde. J’ai besoin de croire à mon interprétation et d’y faire croire. En
ce sens, pas de réalité morale ou non ; il n’existe que des morales. [Aurore, §9 : sur la morale des
mœurs]. Au sens strict : la morale désigne nos préjugés moraux. Ce n’est pas l’ensemble des morales,
des interprétations, mais cette morale qui nous gouverne depuis le triomphe du christianisme (et du
platonisme). Par-delà le bien et le mal, §32. Il distingue trois moments : la pré-histoire, pré-morale
(l’interprétation morale s’effectue selon le critère des conséquences, pas du motif ; on s’intéresse au
succès de l’action) ; la morale au sens strict : interprétation des actes en fct° de leur cause, du motif
(question du libre-arbitre se pose ; la connaissance de soi cô injonction nouvelle) ; puis aujourd’hui :
l’époque extra-morale, où il s’agit d’interpréter l’intention, la prendre cô un symptôme et la
rapporter à la volonté de puissance qui la porte et qui l’impose.
Corrigés
Peut-on concevoir des jouissances ascétiques ?
-caractère apparemment absurde de la question. Parce qu’il s’agit d’une contradiction dans les
termes, la question porte sur le caractère concevable de la proposition ? Pb de possibilité, de
compatibilité (jouissance/ascétique). Il faut essayer de dépasser cette contradiction. 1/ Revenir sur le
caractère contradictoire de cette proposition de prime abord. 2/ Essayer de dépasser cette
contradiction. Essayer d’articuler les deux.
Par nature, l’ascétisme semble indiquer l’interdiction, la prohibition de la jouissance. Non seulement
l’ascétisme exclut les plaisirs traditionnellement considérés cô nuisibles, les plaisirs non nécessaires,
mais il combat les besoins les plus élémentaires. En son sens le plus fort, l’ascétisme est négation de
la jouissance au sens large. L’ascétisme cô technique de survie : vivre le moins possible, vivre à la
limite de la mort. Cette prohibition ascétique de la jouissance ne doit pas être entendue seulement
au sens des jouissances physiques : le véritable ascète pourchasse en lui-même la satisfaction des
plaisirs moraux (psychiques, spirituels) les plus infimes. Il y débusque l’orgueil, le péché originel,
l’amour propre. L’humiliation est très importante : il s’agit d’humilier le corps et l’esprit.
Nier la jouissance à l’ascèse : l’ascèse cô condition de la jouissance future. Les techniques de
souffrance volontaire des grands ascètes étaient justifiées. La souffrance volontaire de l’ascète
résulte de la terreur d’une autre souffrance, celle, éternelle, de l’au-delà. Il faut souffrir bcp mtnt pr
ne pas souffrir éternellement plus tard. La souffrance volontaire a même pour but la jouissance : si je
suis sauvé, je bénéficierais de la jouissance des élus (la tradition chrétienne est restée bien évasive à
ce titre). [Boudhiba, La sexualité dans l’islam, chap 7]. Une telle jouissance n’est pas ascétique, plutôt
post-ascétique.
La jouissance, non plus après l’ascèse, mais par l’ascèse : non pas la jouissance des élus, mais la
jouissance mystique. Elle peut être conçue cô une technique qui a pr finalité, non pas tant la
récompense future, que de rendre possible, maintenant, un état extraordinaire, une expérience
remarquable (on parle parfois d’extase, cô sortie de soi). Expérience qu’on ne peut dire, tjr au-delà
du langage ; la tradition théologique française évoque le ravissement. Chez Schopenhauer, l’ascèse
doit permettre de connaître cette sorte d’expérience (à laquelle les philosophes n’ont rien compris).
Nouvelle articulation jouissance/ascétisme. La jouissance mystique est un effet dès ici bas de
l’ascète ; mais il s’agit encore d’une jouissance post-ascétique. L’ascèse en tant qu’ascèse n’est pas
jouissance.
Jouissance dans l’ascèse ? on jouirait véritablement dans la souffrance, de se faire souffrir. Jouir de
se faire souffrir, ce n’est pas jouir de souffrir (masochisme). L’ascétisme, c’est jouir de se faire souffrir
soi-même. Le masochisme exige un tiers : on n’est pas masochiste tout seul ; la souffrance du
masochiste est volontaire au sens de consentie (contrat de Masoch). Ce n’est pas une souffrance
volontaire au sens de pronominale. Dans le masochisme, le plaisir est expressément visé. S’il n’y a
plus que souffrance, le contrat est rompu. Il y aurait donc une spécificité de la jouissance ascétique.
Nietzsche est hanté par cette question : cmt l’ascétisme est jouissance. Ce qui caractérise la
jouissance ascétique, c’est l’intériorisation de la cruauté. La jouissance de l’ascète est la jouissance
barbare, jouissance de la cruauté, qu’on éprouve à exercer sa puissance sur un autre. C’est cette
jouissance qui se présente, chez l’ascète, sous une forme masquée et pathologique. Masquée car ne
se présente pas cô telle. L’ascète refuse d’admettre qu’il jouit, en tant qu’ascète. La jouissance du
barbare est saine (il est naturel d’exercer sa puissance) ; ce qui est maladif, c’est de retourner sa
jouissance contre soi.
Peut-on parler de jouissance ascétique ? On ne peut le faire qu’en délégitimant l’ascèse. LA critique
nietzschéenne démystifie l’ascèse. La jouissance ascétique n’est concevable que si l’ascèse n’est pas
ce qu’elle prétend être. La jouissance est même consubstantielle à l’ascèse, indique Nietzsche. C’est
affirmer qu’il n’existe pas d’ascèse authentique, puisque celle-ci est précisément l’exclusion de toute
espèce de jouissance.
Commentaire texte §113 Aurore
Dans ce texte, Nietzsche relève à nouveau le défi de Schopenhauer. Rendre raison
philosophiquement de l’ascétisme. Il relève le défi contre Schopenhauer. L’ascète n’est pas l’autre du
bourreau, il est le bourreau et le martyr. L’ascète naît du bourreau. L’ascétisme n’est pas le salut,
c’est la maladie. Ce qui Nietzsche appellera plus tard la décadence (fait d’aimer et de rechercher ce
qui tue, empoisonne). Ici, il y a une inflexion différente par rapport au § 18. Le texte ne répond pas
à : qu’est-ce qui contraint la cruauté à se retourner contre elle-même. Le texte nous dit, ce que le
§18 ne disait pas, La civilisation, c’est le nom que l’on donne à ce long processus par lequel la cruauté
s’est retournée contre elle-même. Ce retournement est la réalité plurimillénaire de la civilisation.
1er moment : du barbare à l’ascète. Il identifie la recherche de la distinction et la recherche de la
domination. Nietzsche ne parle pas de volonté, mais de sentiment de puissance. Il n’y a de jouissance
que dans l’exercice de sa puissance, dans le sentiment d’exercer sa puissance, de dominer. On se
distingue pour éprouver la jouissance de la domination. La domination peut n’être pas effective et
n’être pas directe. Elle peut être indirecte. Il arrive que la domination soit seulement une apparence,
un sentiment de domination. Elle peut même être rêvée. Nietzsche évoque parfois le pathos de la
distance (Généalogie, I, 2) ; c’est l’affect aristocratique, qui s’oppose à l’affect démocratique, la pitié.
L’aristocrate, c’est celui qui se distingue. 2e point. Le désir d’exercer sa puissance, sous de très
diverses formes, plus ou moins franches, n’est rien d’autre que le ressort de la civilisation, ou culture,
ou l’humanisation, ou la moralisation, etc. Tous ces termes désignent des processus positifs. Ces
processus tiennent leur unité dans le fait que toujours on cherche à exercer sa puissance. Droits de
l’hô : par nature, les hô ont les mêmes droits. Aucune raison naturelle pr qu’un hô en domine un
autre. Pr Nietzsche, cela ne peut être qu’une expression du désir d’exercer se puissance. Ce
processus désigne une trajectoire à la forme du chiasme : de la barbarie grimaçante jusqu’à la
grimace de . La répétition signifie l’identité et le retournement : on va d’une grimace à une grimace.
La grimace, c’est la métaphore du désir de domination. Si l’on recherche tjr la puissance, il y a un
retournement. La barbarie va s’inverser en l’excès de raffinement, et l’idéalité morbide. 3e point,
l’énumération des degrés entre le début et le présent ascétique, entre le barbare et l’ascète. Sens :
montrer la continuité du processus culturel. La recherche de la domination suffit en effet à expliquer
la civilisation. Nietzsche souligne d’abord la recherche de la distinction pr le prochain : ce qu’on va
énumérer, ce sontn des rapports à autrui. On va décliner des réponses successives dans le temps à la
question cmt se distingue-t-on, s’est-on distingué d’autrui. Cette énumération est une régression
chronologique. On part de celui qui se martyrise. Au bout, on a celui qui martyrise. Entre les deux
une inversion, un retournement : je me martyrise (ascète), je subis le martyre qu’on m’inflige, je
subis les coups, je subis l’effroi, puis la stupéfaction, puis l’étonnement, puis je l’insulte, je le frappe,
etc. La civilisation, c’est l’oubli de ce qu’on était, et qu’on ne cesse pas d’être. Parfois, dans
l’expérience individuelle de la folie ou du rêve, on retrouve cette préhistoire. 4e point. L’ascète, c’est
tjr, encore le barbare. C’est le barbare à l’envers. Contresens énorme de Schopenhauer, qui a cru que
le bourreau, c’était l’ascète. Pr lui, l’ascète était lucide, il avait pris conscience de l’illusion du
bourreau. Pr Nietzsche, l’ascète est le barbare lui-même qui vit dans l’illusion de ne plus être un
barbare. Sa barbarie transitive est devenue pronominale. C’est celui qui est dans l’illusion maximale.
2e moment : la barbarie ascétique. Il s’agit de caractériser l’ascétisme par un dédoublement.
L’ascétisme, c’est d’abord une intériorisation. L’ascète est celui dont le regard est tourné vers le
dedans. C’est celui qui a un dedans (l’intériorité n’est pas une réalité que l’ascète découvrirait ; c’est
une création de la civilisation). C’est l’invention de l’âme. Je me scrute en permanence, et donc je me
coupe de l’extérieur : l’invention de l’intériorité nie le monde extérieur. L’intériorisation est une
autodestruction ; on se brûle de l’intérieur. L’ascète devient le spectateur de soi-même. C’est ainsi
qu’il se distingue de lui-même. Entre le barbare et l’ascète, il y a continuité (dans les deux cas un
bonheur indicible au spectacle de torture) et inversion. De qui l’ascète se distingue-t-il ? Il se
distingue de lui-même ; le clivage passe à l’intérieur de lui-même puisqu’il a un dedans. C’est luimême qu’il cherche à dominer. En faisant ça, l’ascète se distingue du barbare et domine le barbare
(3e dissert, §10 : l’ascète fait peur au barbare). C’est le sens de la domination indirecte évoquée au
début. L’ascète domine le barbare en se dominant lui-même.
[La philo de Nietzsche cô expérimentation. On prend un thème et on le traite d’une certaine manière.
Puis, 100 pages plus loin, on le reprend, et on le traite d’une autre manière].
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