Le cerveau, machine à apprendre et à mémoriser

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NEUROPHYSIOLOGIE
Le cerveau, machine à apprendre et à mémoriser
R. HOUDART (1)
Memory, brain, a machine for learning and rememberingy
Summary. Following a previous paper describing how memory appeared in the nervous system in mammalians, during
evolution, and how its significant growth led to hominization, the present paper intends to show the prevailing place it
occupies in human brain. Memory, an attribute of cortex, is an engraving of neuronal circuits created during information
analysis of data input in the cortex. It is created either by repetition of information or by increase in brain activity, under
the influence of a central brain system. In the brain of human newborns, immature and unprogrammed, but endowed
with a great capacity for learning, the whole organization and programming will be possible through learning and remembering. Communication pathways between functions are memory pathways. Brain becomes a memory machine and every
cortical area is a memory territory. Its lesion results in a disturbance corresponding exactly to forgetting what has been
stored in that territory.
Key words : Agnosia ; Alexia ; Aphasia ; Apraxia ; Declarative memory ; Episodic memory ; Frontal syndrome ; Hippocampus ;
Memory ; Memory systems ; Procedural memory ; Vigilance ; Stroke.
Résumé. Faisant suite à un précédent article rappelant comment la mémoire est apparue dans le système nerveux, chez
les mammifères, au cours de l’évolution, et comment son
accroissement considérable a provoqué l’hominisation, ce
travail veut montrer la place prépondérante qu’elle occupe
dans le cerveau de l’homme. Cette mémoire qui est un attribut
du cortex n’est autre que la gravure des circuits neuronaux
qui se créent lors de l’analyse de toute information qui arrive
à ce cortex. Elle se crée soit par répétition de l’information,
soit par accentuation de l’activité cérébrale, sous l’influence
d’un système de vigilance centrencéphalique. Dans le cerveau du nouveau-né humain, immature et non programmé,
mais possédant une grande capacité d’apprendre, toute
l’organisation et la programmation vont se faire par apprentissage et mémorisation. Les fonctions corticales deviennent
ainsi des centres de mémoire. Les réseaux de communication qui s’établissent entre les fonctions sont des réseaux de
mémoire. Le cerveau devient une machine à mémoire et chaque aire du cortex est le territoire d’une mémoire, dont la
lésion se manifeste par un trouble qui correspond exactement
à un oubli de ce qui y a été mémorisé.
Mots clés : Accidents vasculaires cérébraux ; Agnosies ; Alexies ;
Aphasies ; Apraxies ; Hippocampe ; Mémoire ; Mémoire déclarative ; Mémoire épisodique ; Mémoire procédurale ; Syndrome
frontal ; Systèmes de mémoire ; Vigilance.
INTRODUCTION
Nous avons rappelé, dans un précédent article comment, au cours de l’évolution, dans le système nerveux
de la lignée qui a abouti à l’homme, la mémoire est apparue chez les mammifères avec le cortex des hémisphères
cérébraux, et comment elle a brusquement et considérablement progressé, entraînant l’hominisation. Cet accroissement considérable de la mémoire s’explique par l’immaturité du cerveau, lors de la naissance, résultant d’une
(1) Membre de l’Académie Nationale de Médecine, 26, quai de Béthune, 75004 Paris.
Travail reçu le 7 janvier 2005 et accepté le 2 mars 2005.
Tirés à part : R. Houdart (à l’adresse ci-dessus).
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interruption de la gestation, pendant la période fœtale du
développement. La conjonction de cette non-programmation et de cette importante capacité de mémoriser a fait
de ce cerveau du nouveau-né une structure vierge de
toute programmation, prête à apprendre, prête à mémoriser, prête à se programmer par apprentissage. Le cerveau de l’homme est devenu une véritable machine à
apprendre et à mémoriser.
Cette importance de la mémoire, longtemps réduite,
pour la neurologie, à l’évocation d’états de conscience
antérieurement perçus, a été en quelque sorte précisée
par les travaux des neuropsychologues, et ceci les a conduits à décrire différentes formes de mémoire, et même
différents systèmes d’organisation. Ainsi, en rapport avec
l’importance ou le degré de la fixation des souvenirs, on
parle de mémoire à court terme et de mémoire à long
terme, ainsi que d’une mémoire dite de travail ; en fonction
de ce qui est mémorisé, ou encore de ce dont on peut, ou
pas, évoquer l’acquisition, on différencie les mémoires
déclarative, sémantique, épisodique, procédurale, implicite et explicite.
Considérant, en fonction de son apparition avec le cortex des hémisphères cérébraux que la mémoire est une
propriété ou une faculté inhérente à ce cortex, nous pensons qu’elle ne relève nullement d’un système spécifique,
mais bien du fonctionnement même de ce cortex. Sa constitution n’est autre que la « gravure » plus ou moins importante des circuits neuronaux qui se créent, dans le cortex,
pour l’analyse de chacune des informations qui lui parviennent. Son organisation n’est autre que celle du cortex dont
la programmation se fait par apprentissage et mémorisation ; chaque fonction cérébrale devient ainsi centre de
mémoire, et il existe autant de formes de mémoire qu’il y
a de fonctions cérébrales. Les réseaux de communication
entre ces centres sont, eux aussi, des réseaux de mémoire
en perpétuel remaniement. La totalité du cortex devient
siège de mémoire, et toute lésion de ce cortex, de quelque
siège qu’elle soit, entraîne un déficit qui est essentiellement
la perte de ce qui est en mémoire à ce niveau.
MÉMORISATION,
GRAVURE DES CIRCUITS NEURONAUX
Il faut rappeler que le cortex des hémisphères cérébraux de l’homme est un maquis de cent milliards de neurones, dont chacun est uni aux autres par des dizaines,
des centaines, ou des milliers de connexions synaptiques,
formant ainsi un réseau fait de milliers de milliards de connexions. C’est dans ce réseau que s’organise, sous forme
de circuits de neurones, toute l’activité corticale, c’est-àdire les représentations mentales des informations qui
arrivent au cortex, et leur analyse par comparaison avec
ce qui est déjà en mémoire. Ce sont ces circuits neuronaux
qui vont, éventuellement, devenir mémoire. Ce « passage » en mémoire, dont chacun sait qu’il comporte des
niveaux différents, peut être comparé à une « gravure »
plus ou moins profonde, plus ou moins indélébile, de chaque circuit neuronal. C’est bien cette différence qui a con68
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duit à décrire deux mémoires : l’une à court terme, et
l’autre à long terme, considérées par certains comme deux
étapes de la mémorisation, par d’autres comme dépendant de deux « systèmes » différents. On leur ajoute une
troisième mémoire, dite de travail. En fait, la mémoire à
court terme représente la durée de persistance de toute
information qui arrive au système nerveux, y est maintenue entre 200 et 300 ms, et y reste disponible environ une
à deux minutes.
Pour la mémoire de travail et la mémoire à long terme,
nous pensons que leur gravure dépend tout naturellement
de la répétition de l’information, mais également de ce que
l’on pourrait appeler l’intensité de l’activité cérébrale, relevant du degré de vigilance du système nerveux, lors de
la perception et de l’analyse de l’information.
Répétition de l’information
Elle constitue une cause essentielle de cette gravure.
Chacun sait combien il faut l’utiliser pour « apprendre par
cœur », mais son rôle ne concerne pas seulement le langage, mais bien toutes les fonctions corticales. La répétition,
ou plus exactement le renouvellement de l’information explique tout d’abord la connaissance que nous avons de tout ce
que nous n’avons jamais appris, aussi bien l’utilisation des
objets usuels que ce qui constitue notre environnement. Elle
est également à l’origine de tous les actes moteurs effectués
de façon apparemment automatique, telle la marche qui
paraît si naturelle qu’on oublie avoir dû l’apprendre. Dans la
nomenclature actuelle des mémoires, cette répétition de
l’information intervient aussi bien dans ce que l’on appelle la
mémoire sémantique qui concerne, avec le langage, toutes
les acquisitions didactiques, que dans la mémoire procédurale qui est celle des activités motrices.
Vigilance du système nerveux
À côté de cette répétition nous voudrions montrer que
cette fixation de la mémoire, bien que se faisant dans le
cortex des hémisphères cérébraux, ne relève pas uniquement de ce cortex. Nous pensons qu’elle dépend de structures qui, dans l’histoire du système nerveux, sont antérieures à la création des hémisphères cérébraux et qui,
en quelque sorte, « veillent » à la protection de l’organisme. Cette vigilance s’exerce dans deux directions :
extéroceptive, surveillant le monde extérieur, et intéroceptive, surveillant les réactions thymiques et émotionnelles
de l’organisme lui-même. Elles dépendent l’une et l’autre
des structures centrencéphaliques : la formation réticulée
et le système limbique.
Vigilance extéroceptive
Sous forme d’attention, elle dépend de la réticulée
située dans le tronc cérébral, qui est le centre de l’éveil,
du sommeil, du coma, et de tous les états de conscience.
Certes elle intéresse directement le cortex puisqu’elle
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« focalise » l’activité corticale sur telle ou telle fonction,
mais cette focalisation suppose, au préalable, une activité
de la réticulée, transmise au cortex par l’intermédiaire du
système thalamique diffus. Son rôle pour mémoriser est
indéniable, et tous les enseignants savent combien il est
important de susciter l’attention des élèves. Cette attention joue un rôle sur la mémorisation en prolongeant la
durée de la trace de l’information dans le réseau neuronal,
et il n’est pas douteux que lorsqu’on pense étudier, chez
un sujet, les capacités de sa mémoire de courte durée,
on introduit ce faisant l’intervention de cette attention.
C’est probablement là l’explication de ce que l’on appelle
actuellement la mémoire de travail.
Vigilance intéroceptive
À côté de cette vigilance sur l’environnement, nous
pensons qu’existe, dans cette même région du centrencéphale, une vigilance que nous qualifierons d’affective ou de subjective, car elle est faite des états thymiques
et émotionnels ressentis par l’organisme dans les différentes circonstances auxquelles le sujet est confronté. Il
n’est pas douteux qu’elle joue un rôle considérable dans
la fixation de la mémoire ; et chacun de nous conserve,
indélébiles, les souvenirs d’« épisodes » de son existence, indélébiles parce que marqués d’une charge affective importante, tels la mort d’un proche ou la naissance
d’un enfant… ou un accident dans la rue.
Or, si le centre de l’affectivité où, comme nous le verrons, nous pensons que se loge la mémoire affective est
bien le cortex frontal, la structure qui, elle, « enregistre »
ces états affectifs, est le cortex limbique, et plus précisément, dans ce cortex limbique, les deux formations dites
hippocampes qui forment la partie antérieure de la première circonvolution temporale de chaque hémisphère.
On sait, en effet, qu’une lésion bilatérale des deux hippocampes provoque un état d’indifférence totale et absolue
et entraîne en même temps une amnésie antérograde, ce
qui signifie que le sujet (qui conserve des souvenirs
anciens) ne retient plus rien, ne peut plus fixer aucun souvenir. Par ailleurs, les physiologistes ont montré que la stimulation de l’hippocampe détermine, dans la création de
réseaux neuronaux, ce qu’ils appellent une potentialisation de longue durée, ce qui signifie que pendant une
période de plusieurs jours va être activé le circuit neuronal
qui vient d’être organisé. Ceci correspond à ce que l’on
appelle la mémoire à long terme. Tout se passe comme
si l’hippocampe était un centre de la vigilance affective
dont la « charge » plus ou moins lourde provoquait la gravure, plus ou moins marquée, de toute information, de
quelle que fonction qu’elle dépende.
FONCTIONS CÉRÉBRALES, CENTRES DE MÉMOIRE
Le cortex cérébral est fait de fonctions. Nous appellerons primaires celles qui relèvent directement des voies
qui arrivent au cortex, ou qui en partent, et nous appellerons secondes celles qui ne dépendent pas directement
Le cerveau, machine à apprendre et à mémoriser
d’un centre de perception, mais bien d’une fonction déjà
existante, ou de plusieurs fonctions se créant à leur jonction.
Fonctions primaires
Elles s’organisent à partir et autour des voies des fonctions de relation, c’est-à-dire autour de l’arrivée des voies
visuelles, auditives et somesthésiques qui occupent la partie
postérieure de chaque hémisphère et autour du départ des
voies motrices qui commandent le mouvement, à la partie
antérieure des hémisphères. À cette liste « classique » des
fonctions primaires corticales, nous pensons qu’il convient
d’ajouter une fonction primaire qui n’est pas décrite : celle
de l’affectivité. Il n’est pas possible, sachant le rôle que joue
l’affectivité dans la vie mentale, que n’existe pas un tel centre. Tout permet de le situer à la partie toute antérieure des
lobes frontaux dont la lésion entraîne une indifférence affective totale, et qui est au voisinage immédiat du cortex limbique dont nous avons vu qu’il enregistre et garde en mémoire
les réactions thymiques et émotionnelles de l’organisme.
Quoi qu’il en soit de cette fonction d’affectivité, il est possible
de comprendre, pour chacune de ces différentes fonctions,
la place qu’y occupe la mémoire.
Fonctions d’information
Pour les fonctions d’information, nous prendrons
l’exemple de la fonction visuelle. L’aire visuelle primaire
est située au pôle postérieur de chaque hémisphère qui
perçoit ainsi la vision de l’hémichamp visuel controlatéral.
Elle n’y occupe qu’un territoire limité. L’imagerie nouvelle
montre, au cours d’épreuves de perception visuelle, l’existence d’aires secondaires, connectées à cette aire primaire, s’étendant au-delà du lobe occipital, dans le lobe
temporal et le lobe pariétal. Au nombre, pense-t-on, d’une
trentaine, ces aires apparaissent spécialisées, chacune
l’étant dans l’une des composantes de la perception
visuelle : forme, couleur, mouvement, localisation dans
l’espace, nature, visage… Ce sont, en quelque sorte, des
modules ou des circuits neuronaux relativement indépendants les uns des autres, mais interconnectés. Il est très
vraisemblable que ces modules se sont créés par analyse
et mémorisation de ce qu’a vu le sujet, et ceci semble confirmé par le fait que leur localisation par l’imagerie n’est
pas la même chez les différents sujets, alors que le centre
primaire visuel occupe toujours le pôle occipital. De toute
façon, l’analyse que fait le cortex pour « reconnaître » tel
visage, telle couleur ou tel objet, suppose bien évidemment que sa mémoire y est conservée. Ainsi, il n’est pas
douteux que la fonction visuelle est un « centre de
mémoire », et plus précisément même que ce centre est
fait d’une série de « sous-centres » dont chacun est spécialisé, qui dans la mémoire des couleurs, qui des formes,
qui des visages…
Ceci est également vrai pour la fonction auditive, dont
le centre primaire occupe la partie supérieure de la première circonvolution temporale, et dont les modules sont
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situés dans les aires auditives secondaires. C’est à partir
de l’un de ces modules que va se créer la fonction seconde
qu’est le langage, à la partie postérieure de cette même
première circonvolution temporale gauche.
Il en est de même pour la fonction somesthésique et le
toucher.
sodique, dont on considère qu’elle permet à chaque sujet
de revivre un épisode ou un événement de son passé, et
dont on suppose qu’elle est due à un système particulier
de mémoire.
Fonctions motrices
Elles ne dépendent pas directement d’un centre de perception, mais bien d’une fonction déjà existante, ou de plusieurs fonctions se créant à leur jonction, en quelque sorte
à partir de modules de ces fonctions. La première de ces
fonctions secondes, apparue chez les primates, et dont
le rôle a été considérable puisqu’elle est à l’origine de
l’hominisation, est le langage.
Pour les fonctions motrices, il faut préciser ici en quoi
consistent ou peuvent consister, l’analyse et la mise
en mémoire d’un acte moteur. Cette analyse est en
quelque sorte la « dissection » de la complexité de cet
acte, et l’établissement de la programmation, dans le
circuit neuronal, des actes élémentaires dont la succession est nécessaire pour effectuer parfaitement
l’acte complexe. Le pianiste qui effectue des gammes
le fait moins pour entretenir les muscles de ses doigts
que pour graver, dans son cortex, le circuit neuronal
de cette activité gestuelle complexe. Il est certain
qu’existe, chez chaque sujet, dépendant du centre
moteur primaire et faisant partie de la fonction motrice,
un centre conservant la programmation de toutes ses
activités motrices, aussi bien des activités qu’il est en
train d’acquérir, de pianiste, de forgeron ou de cycliste,
que de la marche qu’il a acquise (par apprentissage)
dans sa petite enfance.
Cette mémoire motrice est généralement considérée,
actuellement, comme faisant partie de la mémoire dite
procédurale dont l’acquisition (telle la marche) serait en
quelque sorte un réflexe. C’est là méconnaître que toute
activité motrice doit être apprise, y compris la marche, dont
on dit que chez les enfants-loups elle se faisait à quatre
pattes, par imitation des loups. C’est méconnaître également que toute information dont la mémorisation s’est faite
dès le plus jeune âge semble a priori d’acquisition
« naturelle ». Il en est ainsi de la connaissance de tout ce
que nous utilisons sans cesse, par exemple une table ou
une chaise. Tout a été appris et peut, un jour, être oublié.
La démence n’est probablement pas autre chose que
l’oubli de tout.
Fonction d’affectivité
Pour la fonction d’affectivité, il en va très différemment.
Le cortex ne perçoit pas directement les informations thymiques et émotionnelles qui sont l’origine de l’affectivité.
Ces informations, perçues dans le centrencéphale, sont
analysées dans le cortex limbique où, comme nous
l’avons vu, elles participent à la vigilance. En même temps,
analysées dans le centrencéphale, elles sont transmises
au cortex préfrontal comme des « motivations » devenant
sentiments dans ce cortex. Celui-ci ne peut pas ne pas
être en même temps le centre de la mémoire affective dont
les différents modules sont certainement situés dans les
deux lobes préfrontaux, mais prédominants dans l’hémisphère droit. Cette mémoire de l’affectivité semble correspondre à ce que l’on appelle actuellement la mémoire épi70
Fonctions secondes
Langage
Le langage s’est créé à partir de modules dépendant
les uns de la fonction auditive, les autres de la fonction
motrice bucco-linguo-laryngée. C’est par mémorisation
qu’il s’est organisé autour de ces modules devenant deux
centres, différents mais interconnectés, dont il est possible
d’imaginer la création, et qui vont à leur tour devenir centres de mémoire.
Le premier centre qui dépend de la fonction auditive est
celui de la compréhension du message transmis. Il est
situé dans l’aire auditive secondaire, à la partie postérieure de la première circonvolution temporale de l’hémisphère gauche. C’est le centre de Wernicke. La très importante activité de ce module chez l’homme dont la capacité
de mémoriser est considérable, va en faire, pour chaque
individu, un centre de mémoire véritablement fabuleux,
capable de mémoriser et de connaître la signification de
tous les mots d’une langue, et même de plusieurs langues.
Le second centre dépend de la fonction motrice dans
sa localisation faciale. Il répond à un module de programmation de l’activité bucco-linguo-laryngée, c’est-à-dire de
la « gestuelle » des organes phonatoires dont l’exécution
correcte crée les mots, et qui est différente pour chaque
mot. Ce centre de programmation est situé immédiatement en avant des centres moteurs primaires des muscles
des organes phonatoires. Cette gestuelle phonatoire est
particulière à chaque individu, dépendant de la langue qu’il
parle, de son accent, et de l’imitation de son entourage.
Il est parfaitement clair qu’il constitue un centre de la
mémoire motrice bucco-faciale. Ce centre de Broca
occupe le pied de la troisième circonvolution frontale de
l’hémisphère gauche.
Ainsi créée autour de ces deux centres, cette nouvelle
fonction qu’est le langage devient, par le « territoire » cortical qu’elle va occuper, la fonction la plus importante et
le centre de mémoire le plus actif de tous les centres corticaux. Ce nouveau centre s’organise, le plus souvent,
dans l’hémisphère gauche, mais ce n’est pas une règle
absolue, et une latéralisation dans l’hémisphère droit
s’observe chez certains gauchers. De plus, et très remarquablement, avant l’âge de 5 ou 6 ans, le transfert de ce
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centre de gauche à droite est possible. C’est ce que l’on
observe chez un petit enfant chez qui, pour une affection
chirurgicale, telle un angiome, on est conduit à faire l’ablation du lobe temporal gauche. On sait d’ailleurs que cet
âge de 6 ans est celui au-delà duquel le langage ne peut
plus s’organiser, ou se créer, et jadis les enfants-loups ne
pouvaient apprendre à parler que s’ils étaient recueillis
avant l’âge de 6 ou 7 ans.
La somme considérable de mémoire « enregistrée » dans
ce cortex a conduit à décrire dans la nomenclature actuellement proposée une mémoire déclarative, faite des connaissances que l’on peut exprimer par le langage, et se divisant
elle-même en une mémoire sémantique qui comprend toutes les connaissances didactiques, et une mémoire épisodique. Il n’est pas douteux que, comme pour les fonctions primaires, l’organisation de ce centre d’analyse et de mémoire
se fait par modules. On a d’ailleurs pu mettre en évidence
l’existence de quelques-uns de ces modules (tels ceux spécialisés dans différentes catégories de mots), mais ceci reste
très modeste par rapport à ce qui existe sûrement, en fonction du rôle considérable de ce centre. Il faut bien comprendre, en effet, qu’il « intervient » dans toutes les fonctions corticales, et qu’il est un instrument de mémoire pour toutes les
connaissances. En permettant d’exprimer par des mots toutes les représentations mentales, le langage participe, ou tout
au moins est associé à la mémorisation des informations de
quelle que fonction qu’elles proviennent, aussi bien visuelles
et auditives que motrices et affectives. Cette participation du
langage à toutes les fonctions suppose la création de circuits
neuronaux l’unissant à chacune d’entre elles, et explique
l’extrême complexité de son organisation.
Écriture, musique et nombres
Les autres fonctions secondes : l’écriture, la musique
et les nombres sont postérieures au langage. Comme lui,
elles dépendent ou se rattachent à des fonctions déjà existantes. L’écriture se rattache au langage avec, comme
celui-ci deux centres, mais très différents de ceux du langage puisque l’écriture dépend, pour la perception, non
plus de la fonction auditive, mais de la fonction visuelle,
et pour l’expression, de la motricité non plus bucco-linguolaryngée, mais manuelle. Les nombres dépendent à la fois
du langage oral et du langage écrit. La musique se rattache (probablement) à la fonction d’affectivité. Il n’est pas
douteux que ces fonctions secondes, elles aussi, s’organisent sous forme de centres et de modules, dans l’un et
l’autre hémisphère, avec la création de multiples circuits
neuronaux compliquant encore l’organisation du cortex.
L’exemple du langage écrit dont la création est suffisamment récente pour que l’on puisse en préciser l’apparition et le développement, permet de dire, d’une part qu’il
n’est dû ni à une mutation génétique, ni à quelle que nouvelle structure ou nouvelle fonction du système nerveux,
d’autre part que créé par l’activité d’analyse du cortex, il
s’est « organisé » par le seul fait de l’activité d’analyse et
de mémorisation de ce cortex. C’est là un argument pour
penser qu’il en a certainement été de même pour la création du langage oral. Le fait remarquable est bien que cette
Le cerveau, machine à apprendre et à mémoriser
prodigieuse et complexe organisation s’effectue chez chaque sujet, et qu’elle s’effectue simplement par l’apprentissage et la mémoire. On apprend à lire, à écrire, à compter comme on apprend à parler.
Ces fonctions cérébrales sont toutes des centres d’analyse et de mémoire ; mais elles sont, au fur et à mesure
des informations qui leur parviennent, en perpétuel remaniement, en perpétuelle attente de nouvelle mémorisation,
de telle sorte que les « voies de communication » y jouent
un rôle essentiel.
RÉSEAUX NEURONAUX DE MÉMOIRE
La communication qui se crée entre ces différentes
fonctions constitue dans le cortex un véritable réseau, qui
très certainement se remanie sans cesse. On peut penser,
par exemple, qu’un nouveau circuit s’établit lorsqu’une
information est perçue et mémorisée par deux ou même
par plusieurs centres à la fois ; son souvenir pourra alors
être déclenché par une information n’intéressant qu’un
seul de ces centres. La madeleine de Proust, dont le goût
fait naître des souvenirs multiples, en est un parfait exemple. Deux des fonctions cérébrales nous paraissent être
à l’origine de réseaux de mémoire particulièrement
importants : le langage et l’affectivité.
Le langage, à l’évidence devient, chez l’homme, la plus
« active » des fonctions. Il « règne », pourrait-on dire, sur
l’hémisphère gauche. Outre le fait que s’établit une connexion permanente entre son centre de compréhension
et son centre d’expression, il est relié à toutes les fonctions
dont il permet l’expression. On peut probablement même
penser que le fait d’exprimer une information, la précise
et en facilite la mémorisation. Ceci pourrait expliquer pourquoi les souvenirs les plus anciens que chacun possède
ne remontent pas avant l’âge de 3 ou 4 ans, qui est celui
où l’apparition du langage et la mémorisation des mots
permettent de garder le souvenir de faits jusqu’alors non
mémorisés car inexprimables. Ces réseaux de mémoire
se créant autour du langage et de son organisation ont
probablement contribué à la description actuelle des différentes mémoires : déclarative, sémantique, épisodique.
L’affectivité, bien qu’elle ne soit pas décrite comme
fonction cérébrale, « règne » sur l’hémisphère droit,
comme le langage sur le gauche. Si cette affectivité est
faite, au départ, des réactions thymiques et émotionnelles
de l’organisme produites lors des circonstances de survie
ou de défense de celui-ci, elle est faite également de toute
activité corticale d’information ou de perception, entraînant une « émotion » plus ou moins profonde. Ces émotions bien que d’origine corticale, sont perçues, elles
aussi, non dans le cortex mais dans le centrencéphale,
puis analysées et mémorisées dans le cortex limbique,
d’où elles sont transmises au cortex hémisphérique préfrontal sous forme de motivations ou d’incitations à
l’action. Il n’est pas douteux que des réseaux de mémoire
s’établissent entre la perception corticale ayant déclenché
l’état émotionnel et la motivation frontale. Ce sont ces
réseaux qui, à l’évocation d’un événement passé, per71
R. Houdart
mettent de se souvenir de ce qui a été « ressenti » subjectivement, de rappeler les « états d’âme » perçus lors
de cet événement. Ils expliquent sans, nous semble-t-il,
qu’il soit nécessaire de faire intervenir un système particulier de mémoire, dans ce que l’on appelle actuellement
la mémoire épisodique qui permet à chaque individu de
revivre un épisode ou un événement de son passé. Peutêtre même pourrait-on penser que c’est à partir de ces circuits de mémoire que se créent les « sentiments », s’organisant autour de la communication qui s’établit par exemple entre la perception corticale temporale de l’audition
d’une symphonie, et la motivation frontale qui (par le système limbique) résulte de la réaction émotionnelle que
provoque son audition.
Ces réseaux de mémoire affective jouent certainement
un rôle majeur dans toute l’activité corticale et semblent à
l’origine de ce qui, dans le cortex, crée le « Moi », c’est-àdire ce qui est propre à chaque individu, ce qui constitue
sa « personnalité », sa « sensibilité », et par là même est
à l’origine de la conscience. L’activité du cortex (qui dépend
de la réticulée), est une activité « globale » qui, lorsque ce
cortex est en éveil, et si même l’attention « focalise » cette
activité sur une perception précise, intéresse la totalité du
cortex par l’intermédiaire de ces réseaux de mémoire. La
conséquence en est que l’analyse de la perception sur
laquelle est focalisée l’attention s’intègre dans cette activité
globale qui contient ce « Moi ». L’identification de la perception analysée se fait alors avec lui, ou plutôt par rapport
à lui. L’organisme reçoit plus qu’une simple perception.
L’identifiant par rapport à lui ce « Moi » « prend conscience » de l’existence de ce qu’il perçoit.
Ce fonctionnement du néocortex hémisphérique, rapporté à la mémoire, explique la différence entre la mémoire
du cortex frontal qui est consciente, et la mémoire du cortex limbique qui, bien que motivante, est inconsciente. La
dissociation de ces deux formes de mémoire n’est pas
purement imaginaire ; elle s’observe dans les lésions du
système limbique axial au cours desquelles la mémoire
limbique, inconsciente, persiste, mais n’est plus transmise
à la mémoire consciente du lobe frontal. Il en est ainsi dans
l’observation rapportée par Claparède d’une malade qui,
se rendant chez son médecin, n’avait aucun souvenir
(conscient) d’y être allé la veille, mais évitait de lui donner
la main, ayant le souvenir (inconscient) qu’il lui avait, la
veille, piqué le doigt en lui serrant la main. Il est important
de remarquer que cette distinction entre la mémoire consciente et la mémoire inconsciente ne porte, et ne peut porter que sur l’affectivité puisque ce sont seuls les états thymiques et émotionnels qui sont analysés par le cortex
limbique, pour être transmis sous forme de motivations
affectives au cortex frontal. C’est là un argument pour penser que l’inconscient de Freud qui porte surtout sur les
états affectifs et les circonstances qui les ont provoqués,
correspond à cette mémoire inconsciente. De même, le
fait que cet inconscient se crée essentiellement dans la
petite enfance s’explique probablement par l’importance,
dès cette période, de l’affectivité, alors que n’existe pas
le langage permettant, en « exprimant » une perception,
de la préciser et d’en faciliter la mémorisation.
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AIRES CORTICALES, CENTRES DE MÉMOIRE
La pathologie neurologique permet de connaître les
troubles qui résultent des lésions de chacune des différentes aires corticales, lésions dues à différentes causes,
et en particulier aux accidents vasculaires cérébraux
(AVC). Ces troubles sont de trois types, en rapport avec
le rôle de la fonction corticale répondant au territoire lésé :
les agnosies concernent les fonctions de perception, les
apraxies les fonctions motrices, et les aphasies le langage. Très remarquablement, et bien que la neurologie
l’admette mal, considérant que le cortex est le siège des
« fonctions supérieures », il n’est aucune de ces lésions
qui ne puisse s’analyser en termes de perte ou de diminution des acquisitions mémorisées autour de la fonction
corticale de ce territoire (ou même autour de l’un des
« modules » de cette fonction). Quelques exemples le
montrent à l’évidence.
Agnosie
L’agnosie tactile ou astéréognosie est l’incapacité de
reconnaître un objet par la palpation. Les tentatives
d’exploration de palpation que fait un sujet qui, atteint
d’agnosie tactile, ne réussit pas à identifier une cuillère sont
exactement semblables à celles que ferait un sujet
« normal » à qui l’on demanderait d’examiner un objet qu’il
ne connaît pas, et dont il ne sait pas à quoi il sert. Cette
agnosie tactile est due à une lésion du cortex pariétal qui
est le cortex de la fonction somesthésique (de l’hémisphère
contro-latéral). Elle s’explique parfaitement par la perte de
la mémoire des informations tactiles qui avaient été mémorisées autour de cette fonction somesthésique. L’agnosie
visuelle qui est l’incapacité d’identifier par la vue un objet,
ou ce que représente une image, peut dans certains cas
ne pas concerner la totalité de la fonction visuelle, mais en
quelque sorte se « localiser » à l’un des modules de cette
fonction. Il en est ainsi de la prosopagnosie qui est une
agnosie des visages. Le sujet ne reconnaît personne, pas
même ses proches, et ne se reconnaît pas lui-même
devant une glace. Cette agnosie des visages est due à une
lésion occipito-temporale de l’hémisphère droit.
Apraxie
Les apraxies sont de différents types, car l’activité gestuelle ne dépend pas uniquement de la fonction motrice,
mais également de la somesthésie du membre qui effectue le geste. Pour les apraxies relevant exclusivement de
la fonction motrice, elles consistent en l’oubli de la programmation des actes moteurs élémentaires dont la succession est nécessaire pour exécuter correctement une
activité motrice. Le type le plus pur en est l’aphasie de
Broca (cf. infra). Les apraxies, le plus souvent ne sont pas
purement motrices. L’apraxie dite idéatoire, où le sujet est
incapable d’exécuter des actes très simples, comme allumer une bougie ou tailler un crayon, le plus souvent relève
moins d’une difficulté motrice que d’une agnosie non de
reconnaissance, mais d’« utilisation ». Cette apraxie idéa-
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 67-74, cahier 1
toire n’est autre que l’oubli, par le sujet, de la façon d’utiliser des objets qu’il connaît et reconnaît parfaitement
bien, et dont il a appris à se servir dès son enfance. Elle
correspond à des lésions diffuses pariéto-occipitales de
l’hémisphère gauche. Il en est de même de l’apraxie de
l’habillage où le sujet se comporte, pour mettre ses vêtements, exactement comme le petit enfant qui ne sait pas
encore s’habiller tout seul, et essaie maladroitement de
le faire. Elle est due à des lésions pariétales de l’hémisphère droit.
Aphasie
Les aphasies sont des troubles du langage. Celui-ci est
une fonction seconde, dont nous avons vu qu’il s’organise
à partir de deux centres primaires différents : la fonction
auditive pour la compréhension du langage émis (ou du
langage à émettre) et la fonction motrice dans son territoire
bucco-linguo-laryngé pour l’émission.
La souffrance du premier centre, qui est l’aire de Wernicke, située à la partie postérieure de la première circonvolution temporale de l’hémisphère gauche, pourrait être
décrite avec les agnosies auditives. Elle fait partie des
aires secondaires de la fonction auditive dont l’aire primaire occupe la partie supérieure de cette première circonvolution temporale. Le sujet dont ce centre de Wernicke est lésé, ne reconnaît plus ou reconnaît mal les mots
qu’il entend ; il ne comprend plus ce qu’on lui dit. De même,
il ne trouve plus, ou trouve mal les mots pour exprimer ce
qu’il veut dire, déforme ces mots, les emploie les uns pour
les autres, pouvant même créer un véritable jargon, dit jargonaphasie. Il a « oublié » plus ou moins complètement
les mots qu’il avait appris.
La souffrance du second centre qui est l’aire de Broca
n’est autre qu’une apraxie de la motricité bucco-linguolaryngée, c’est-à-dire un oubli du programme de la
« gesticulation » des organes phonatoires dont l’exécution
correcte crée les mots, différente pour chaque mot. Ce centre de programmation de la gestuelle phonatoire est situé
immédiatement en avant des centres moteurs primaires
des muscles des organes phonatoires. Il occupe le pied de
la troisième circonvolution frontale de l’hémisphère gauche.
Une lésion localisée à cette seule zone entraîne ce que l’on
appelle une anarthrie qui va d’une simple difficulté articulatoire jusqu’à l’impossibilité absolue d’émettre un mot.
Cette anarthrie (du seul acte phonatoire) peut dans quelques cas s’étendre à toute la gestuelle bucco-faciale, réalisant une apraxie dite bucco-faciale, au cours de laquelle
le sujet est incapable, si on lui demande de le faire, de tirer
la langue, de montrer les dents, ou de claquer la langue.
Alexie
Les alexies sont des troubles du langage écrit. Elles
accompagnent souvent une aphasie, mais nous ne mentionnerons ici que cette forme dont la constatation est toujours très surprenante, et que l’on appelle l’alexie pure, au
cours de laquelle le malade parle normalement et est capa-
Le cerveau, machine à apprendre et à mémoriser
ble d’écrire, mais est incapable de lire, y compris ce qu’il
vient lui-même d’écrire. Cette forme d’alexie qui résulte
d’une lésion occipitale gauche est une agnosie visuelle,
c’est-à-dire un « oubli » de la signification des mots écrits
(tel un enfant qui n’a pas appris à lire), avec conservation
de l’activité motrice manuelle d’expression de cette écriture.
Apathie, adynamie et indifférence affective
À cette description de la perte de mémoire qui se manifeste lors des lésions des différentes aires corticales, nous
croyons devoir ajouter l’état d’apathie et d’adynamie,
associé à une indifférence totale, intellectuelle et affective
que l’on observe lors des lésions bilatérales de siège frontal antérieur, et que l’on décrit comme « syndrome
frontal ». C’est bien d’ailleurs la raison qui nous fait considérer ce cortex préfrontal comme le centre de l’affectivité
consciente et de la mémoire affective consciente.
CONCLUSION : LE PROPRE DE L’HOMME
Tout ceci montre, à l’évidence, le rôle et l’importance
de la mémoire dans l’organisation et le fonctionnement du
cerveau humain. Actuellement, on parle plus volontiers de
cognition et de « sciences cognitives » ; mais encore fautil préciser que si, dans le cerveau, tout est cognition, il n’est
pas de cognition qui n’ait été apprise et mémorisée.
De tout temps l’homme a cherché à se définir et à préciser comment, en quoi et par quoi il se différencie des
espèces animales ; et ainsi ont pu être proposés : la
parole, le rire, l’usage des outils, la culture… ou encore la
pensée, la raison, la morale, la conscience… Pour nous,
cette étude de la mémoire, de l’histoire de son évolution
chez les espèces qui ont précédé l’homme, son rôle dans
l’hominisation, sa place dans l’organisation du cerveau
humain, et sa présence dans toutes les fonctions supérieures, nous conduit à penser que ce qui caractérise le
mieux l’homme, ce qui le différencie de toutes les espèces
animales et lui donne la suprématie sur elles, c’est sa prodigieuse capacité d’apprendre et de mémoriser. Certes,
dès avant lui existait déjà, et existe toujours, chez toutes
les espèces dotées d’un cortex cérébral, cette possibilité
de mémoriser, mais celle-ci n’était et n’est encore, chez
ces différentes espèces, que très modeste. C’est son
développement considérable qui a créé l’espèce des hommes, en permettant à quelques primates bipèdes de retenir et de transmettre la signification d’un assemblage de
phonèmes ; c’est encore cette même capacité qui, depuis
lors, a permis à l’homme d’« inventer » et d’apprendre
l’écriture, la musique, les nombres, et l’a conduit, conscient de l’utilité de cette mémoire, à la multiplier quasi à
l’infini, en inventant l’informatique ; c’est toujours elle qui
construit et alimente ce que l’on peut appeler l’esprit et la
spiritualité.
Pour toutes ces raisons, pour nous, le propre de
l’homme, c’est sa prodigieuse capacité d’apprendre et de
mémoriser.
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R. Houdart
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