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NEUROPHYSIOLOGIE
Le cerveau, machine à apprendre et à mémoriser
R. HOUDART
(1)
(1) Membre de l’Académie Nationale de Médecine, 26, quai de Béthune, 75004 Paris.
Travail reçu le 7 janvier 2005 et accepté le 2 mars 2005.
Tirés à part :
R. Houdart (à l’adresse ci-dessus).
Résumé.
Faisant suite à un précédent article rappelant com-
ment la mémoire est apparue dans le système nerveux, chez
les mammifères, au cours de l’évolution, et comment son
accroissement considérable a provoqué l’hominisation, ce
travail veut montrer la place prépondérante qu’elle occupe
dans le cerveau de l’homme. Cette mémoire qui est un attribut
du cortex n’est autre que la gravure des circuits neuronaux
qui se créent lors de l’analyse de toute information qui arrive
à ce cortex. Elle se crée soit par répétition de l’information,
soit par accentuation de l’activité cérébrale, sous l’influence
d’un système de vigilance centrencéphalique. Dans le cer-
veau du nouveau-né humain, immature et non programmé,
mais possédant une grande capacité d’apprendre, toute
l’organisation et la programmation vont se faire par appren-
tissage et mémorisation. Les fonctions corticales deviennent
ainsi des centres de mémoire. Les réseaux de communica-
tion qui s’établissent entre les fonctions sont des réseaux de
mémoire. Le cerveau devient une machine à mémoire et cha-
que aire du cortex est le territoire d’une mémoire, dont la
lésion se manifeste par un trouble qui correspond exactement
à un oubli de ce qui y a été mémorisé.
Mots clés :
Accidents vasculaires cérébraux ; Agnosies ; Alexies ;
Aphasies ; Apraxies ; Hippocampe ; Mémoire ; Mémoire décla-
rative ; Mémoire épisodique ; Mémoire procédurale ; Syndrome
frontal ; Systèmes de mémoire ; Vigilance.
INTRODUCTION
Nous avons rappelé, dans un précédent article com-
ment, au cours de l’évolution, dans le système nerveux
de la lignée qui a abouti à l’homme, la mémoire est appa-
rue chez les mammifères avec le cortex des hémisphères
cérébraux, et comment elle a brusquement et considéra-
blement progressé, entraînant l’hominisation. Cet accrois-
sement considérable de la mémoire s’explique par l’imma-
turité du cerveau, lors de la naissance, résultant d’une
Memory, brain, a machine for learning and rememberingy
Summary.
Following a previous paper describing how memory appeared in the nervous system in mammalians, during
evolution, and how its significant growth led to hominization, the present paper intends to show the prevailing place it
occupies in human brain. Memory, an attribute of cortex, is an engraving of neuronal circuits created during information
analysis of data input in the cortex. It is created either by repetition of information or by increase in brain activity, under
the influence of a central brain system. In the brain of human newborns, immature and unprogrammed, but endowed
with a great capacity for learning, the whole organization and programming will be possible through learning and remem-
bering. Communication pathways between functions are memory pathways. Brain becomes a memory machine and every
cortical area is a memory territory. Its lesion results in a disturbance corresponding exactly to forgetting what has been
stored in that territory.
Key words :
Agnosia ; Alexia ; Aphasia ; Apraxia ; Declarative memory ; Episodic memory ; Frontal syndrome ; Hippocampus ;
Memory ; Memory systems ; Procedural memory ; Vigilance ; Stroke.
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interruption de la gestation, pendant la période fœtale du
développement. La conjonction de cette non-programma-
tion et de cette importante capacité de mémoriser a fait
de ce cerveau du nouveau-né une structure vierge de
toute programmation, prête à apprendre, prête à mémo-
riser, prête à se programmer par apprentissage. Le cer-
veau de l’homme est devenu une véritable machine à
apprendre et à mémoriser.
Cette importance de la mémoire, longtemps réduite,
pour la neurologie, à l’évocation d’états de conscience
antérieurement perçus, a été en quelque sorte précisée
par les travaux des neuropsychologues, et ceci les a con-
duits à décrire différentes formes de mémoire, et même
différents systèmes d’organisation. Ainsi, en rapport avec
l’importance ou le degré de la fixation des souvenirs, on
parle de
mémoire à court terme
et
de mémoire à long
terme
, ainsi que d’une
mémoire dite de travail
; en fonction
de ce qui est mémorisé, ou encore de ce dont on peut, ou
pas, évoquer l’acquisition, on différencie les mémoires
déclarative, sémantique, épisodique, procédurale, impli-
cite et explicite.
Considérant, en fonction de son apparition avec le cor-
tex des hémisphères cérébraux que la mémoire est une
propriété ou une faculté inhérente à ce cortex, nous pen-
sons qu’elle ne relève nullement d’un système spécifique,
mais bien du fonctionnement même de ce cortex. Sa cons-
titution n’est autre que la « gravure » plus ou moins impor-
tante des circuits neuronaux qui se créent, dans le cortex,
pour l’analyse de chacune des informations qui lui parvien-
nent. Son organisation n’est autre que celle du cortex dont
la programmation se fait par apprentissage et mémorisa-
tion ; chaque fonction cérébrale devient ainsi centre de
mémoire, et il existe autant de formes de mémoire qu’il y
a de fonctions cérébrales. Les réseaux de communication
entre ces centres sont, eux aussi, des réseaux de mémoire
en perpétuel remaniement. La totalité du cortex devient
siège de mémoire, et toute lésion de ce cortex, de quelque
siège qu’elle soit, entraîne un déficit qui est essentiellement
la perte de ce qui est en mémoire à ce niveau.
MÉMORISATION,
GRAVURE DES CIRCUITS NEURONAUX
Il faut rappeler que le cortex des hémisphères céré-
braux de l’homme est un maquis de cent milliards de neu-
rones, dont chacun est uni aux autres par des dizaines,
des centaines, ou des milliers de connexions synaptiques,
formant ainsi un réseau fait de milliers de milliards de con-
nexions. C’est dans ce réseau que s’organise, sous forme
de circuits de neurones, toute l’activité corticale, c’est-à-
dire les représentations mentales des informations qui
arrivent au cortex, et leur analyse par comparaison avec
ce qui est déjà en mémoire. Ce sont ces circuits neuronaux
qui vont, éventuellement, devenir mémoire. Ce « pas-
sage » en mémoire, dont chacun sait qu’il comporte des
niveaux différents, peut être comparé à une « gravure »
plus ou moins profonde, plus ou moins indélébile, de cha-
que circuit neuronal. C’est bien cette différence qui a con-
duit à décrire deux mémoires : l’une à court terme, et
l’autre à long terme, considérées par certains comme deux
étapes de la mémorisation, par d’autres comme dépen-
dant de deux « systèmes » différents. On leur ajoute une
troisième mémoire, dite de travail. En fait, la mémoire à
court terme représente la durée de persistance de toute
information qui arrive au système nerveux, y est mainte-
nue entre 200 et 300 ms, et y reste disponible environ une
à deux minutes.
Pour la mémoire de travail et la mémoire à long terme,
nous pensons que leur gravure dépend tout naturellement
de la répétition de l’information, mais également de ce que
l’on pourrait appeler l’intensité de l’activité cérébrale, rele-
vant du degré de vigilance du système nerveux, lors de
la perception et de l’analyse de l’information.
Répétition de l’information
Elle constitue une cause essentielle de cette gravure.
Chacun sait combien il faut l’utiliser pour « apprendre par
cœur », mais son rôle ne concerne pas seulement le lan-
gage, mais bien
toutes
les fonctions corticales. La répétition,
ou plus exactement le renouvellement de l’information expli-
que tout d’abord la connaissance que nous avons de tout ce
que nous n’avons jamais appris, aussi bien l’utilisation des
objets usuels que ce qui constitue notre environnement. Elle
est également à l’origine de tous les actes moteurs effectués
de façon apparemment automatique, telle la marche qui
paraît si naturelle qu’on oublie avoir dû l’apprendre. Dans la
nomenclature actuelle des mémoires, cette répétition de
l’information intervient aussi bien dans ce que l’on appelle
la
mémoire sémantique
qui concerne, avec le langage, toutes
les acquisitions didactiques, que dans
la mémoire procédu-
rale
qui est celle des activités motrices.
Vigilance du système nerveux
À côté de cette répétition nous voudrions montrer que
cette fixation de la mémoire, bien que se faisant dans le
cortex des hémisphères cérébraux, ne relève pas unique-
ment de ce cortex. Nous pensons qu’elle dépend de struc-
tures qui, dans l’histoire du système nerveux, sont anté-
rieures à la création des hémisphères cérébraux et qui,
en quelque sorte, « veillent » à la protection de l’orga-
nisme. Cette vigilance s’exerce dans deux directions :
extéroceptive, surveillant le monde extérieur, et intérocep-
tive, surveillant les réactions thymiques et émotionnelles
de l’organisme lui-même. Elles dépendent l’une et l’autre
des structures centrencéphaliques : la formation réticulée
et le système limbique.
Vigilance extéroceptive
Sous forme d’attention, elle dépend de la réticulée
située dans le tronc cérébral, qui est le centre de l’éveil,
du sommeil, du coma, et de tous les états de conscience.
Certes elle intéresse directement le cortex puisqu’elle
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« focalise » l’activité corticale sur telle ou telle fonction,
mais cette focalisation suppose, au préalable, une activité
de la réticulée, transmise au cortex par l’intermédiaire du
système thalamique diffus. Son rôle pour mémoriser est
indéniable, et tous les enseignants savent combien il est
important de susciter l’attention des élèves. Cette atten-
tion joue un rôle sur la mémorisation en prolongeant la
durée de la trace de l’information dans le réseau neuronal,
et il n’est pas douteux que lorsqu’on pense étudier, chez
un sujet, les capacités de sa mémoire de courte durée,
on introduit ce faisant l’intervention de cette attention.
C’est probablement là l’explication de ce que l’on appelle
actuellement
la mémoire de travail
.
Vigilance intéroceptive
À côté de cette vigilance sur l’environnement, nous
pensons qu’existe, dans cette même région du cen-
trencéphale, une vigilance que nous qualifierons d’affec-
tive ou de subjective, car elle est faite des états thymiques
et émotionnels ressentis par l’organisme dans les diffé-
rentes circonstances auxquelles le sujet est confronté. Il
n’est pas douteux qu’elle joue un rôle considérable dans
la fixation de la mémoire ; et chacun de nous conserve,
indélébiles, les souvenirs d’« épisodes » de son exis-
tence, indélébiles parce que marqués d’une charge affec-
tive importante, tels la mort d’un proche ou la naissance
d’un enfant… ou un accident dans la rue.
Or, si le centre de l’affectivité où, comme nous le ver-
rons, nous pensons que se loge la mémoire affective est
bien le cortex frontal, la structure qui, elle, « enregistre »
ces états affectifs, est le cortex limbique, et plus précisé-
ment, dans ce cortex limbique, les deux formations dites
hippocampes qui forment la partie antérieure de la pre-
mière circonvolution temporale de chaque hémisphère.
On sait, en effet, qu’une lésion bilatérale des deux hippo-
campes provoque un état d’indifférence totale et absolue
et entraîne en même temps une amnésie antérograde, ce
qui signifie que le sujet (qui conserve des souvenirs
anciens) ne retient plus rien, ne peut plus fixer aucun sou-
venir. Par ailleurs, les physiologistes ont montré que la sti-
mulation de l’hippocampe détermine, dans la création de
réseaux neuronaux, ce qu’ils appellent une potentialisa-
tion de longue durée, ce qui signifie que pendant une
période de plusieurs jours va être activé le circuit neuronal
qui vient d’être organisé. Ceci correspond à ce que l’on
appelle la mémoire à long terme. Tout se passe comme
si l’hippocampe était un centre de la vigilance affective
dont la « charge » plus ou moins lourde provoquait la gra-
vure, plus ou moins marquée, de toute information, de
quelle que fonction qu’elle dépende.
FONCTIONS CÉRÉBRALES, CENTRES DE MÉMOIRE
Le cortex cérébral est fait de fonctions. Nous appelle-
rons
primaires
celles qui relèvent directement des voies
qui arrivent au cortex, ou qui en partent, et nous appelle-
rons
secondes
celles qui ne dépendent pas directement
d’un centre de perception, mais bien d’une fonction déjà
existante, ou de plusieurs fonctions se créant à leur jonc-
tion.
Fonctions primaires
Elles s’organisent à partir et autour des voies des fonc-
tions de relation, c’est-à-dire autour de l’arrivée des voies
visuelles, auditives et somesthésiques qui occupent la partie
postérieure de chaque hémisphère et autour du départ des
voies motrices qui commandent le mouvement, à la partie
antérieure des hémisphères. À cette liste « classique » des
fonctions primaires corticales, nous pensons qu’il convient
d’ajouter une fonction primaire qui n’est pas décrite : celle
de l’affectivité. Il n’est pas possible, sachant le rôle que joue
l’affectivité dans la vie mentale, que n’existe pas un tel cen-
tre. Tout permet de le situer à la partie toute antérieure des
lobes frontaux dont la lésion entraîne une indifférence affec-
tive totale, et qui est au voisinage immédiat du cortex limbi-
que dont nous avons vu qu’il enregistre et garde en mémoire
les réactions thymiques et émotionnelles de l’organisme.
Quoi qu’il en soit de cette fonction d’affectivité, il est possible
de comprendre, pour chacune de ces différentes fonctions,
la place qu’y occupe la mémoire.
Fonctions d’information
Pour les fonctions d’information
, nous prendrons
l’exemple de la fonction visuelle. L’aire visuelle primaire
est située au pôle postérieur de chaque hémisphère qui
perçoit ainsi la vision de l’hémichamp visuel controlatéral.
Elle n’y occupe qu’un territoire limité. L’imagerie nouvelle
montre, au cours d’épreuves de perception visuelle, l’exis-
tence d’aires secondaires, connectées à cette aire pri-
maire, s’étendant au-delà du lobe occipital, dans le lobe
temporal et le lobe pariétal. Au nombre, pense-t-on, d’une
trentaine, ces aires apparaissent spécialisées, chacune
l’étant dans l’une des composantes de la perception
visuelle : forme, couleur, mouvement, localisation dans
l’espace, nature, visage… Ce sont, en quelque sorte, des
modules ou des circuits neuronaux relativement indépen-
dants les uns des autres, mais interconnectés. Il est très
vraisemblable que ces modules se sont créés par analyse
et mémorisation de ce qu’a vu le sujet, et ceci semble con-
firmé par le fait que leur localisation par l’imagerie n’est
pas la même chez les différents sujets, alors que le centre
primaire visuel occupe toujours le pôle occipital. De toute
façon, l’analyse que fait le cortex pour « reconnaître » tel
visage, telle couleur ou tel objet, suppose bien évidem-
ment que sa mémoire y est conservée. Ainsi, il n’est pas
douteux que la fonction visuelle est un « centre de
mémoire », et plus précisément même que ce centre est
fait d’une série de « sous-centres » dont chacun est spé-
cialisé, qui dans la mémoire des couleurs, qui des formes,
qui des visages…
Ceci est également vrai pour la fonction auditive, dont
le centre primaire occupe la partie supérieure de la pre-
mière circonvolution temporale, et dont les modules sont
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situés dans les aires auditives secondaires. C’est à partir
de l’un de ces modules que va se créer la fonction seconde
qu’est le langage, à la partie postérieure de cette même
première circonvolution temporale gauche.
Il en est de même pour la fonction somesthésique et le
toucher.
Fonctions motrices
Pour les fonctions motrices
, il faut préciser ici en quoi
consistent ou peuvent consister, l’analyse et la mise
en mémoire d’un acte moteur. Cette analyse est en
quelque sorte la « dissection » de la complexité de cet
acte, et l’établissement de la programmation, dans le
circuit neuronal, des actes élémentaires dont la suc-
cession est nécessaire pour effectuer parfaitement
l’acte complexe. Le pianiste qui effectue des gammes
le fait moins pour entretenir les muscles de ses doigts
que pour graver, dans son cortex, le circuit neuronal
de cette activité gestuelle complexe. Il est certain
qu’existe, chez chaque sujet, dépendant du centre
moteur primaire et faisant partie de la fonction motrice,
un centre conservant la programmation de toutes ses
activités motrices, aussi bien des activités qu’il est en
train d’acquérir, de pianiste, de forgeron ou de cycliste,
que de la marche qu’il a acquise (par apprentissage)
dans sa petite enfance.
Cette mémoire motrice est généralement considérée,
actuellement, comme faisant partie de
la mémoire dite
procédurale
dont l’acquisition (telle la marche) serait en
quelque sorte un réflexe. C’est là méconnaître que toute
activité motrice doit être apprise, y compris la marche, dont
on dit que chez les enfants-loups elle se faisait à quatre
pattes, par imitation des loups. C’est méconnaître égale-
ment que toute information dont la mémorisation s’est faite
dès le plus jeune âge semble
a priori
d’acquisition
« naturelle ». Il en est ainsi de la connaissance de tout ce
que nous utilisons sans cesse, par exemple une table ou
une chaise. Tout a été appris et peut, un jour, être oublié.
La démence n’est probablement pas autre chose que
l’oubli de tout.
Fonction d’affectivité
Pour la fonction d’affectivité,
il en va très différemment.
Le cortex ne perçoit pas directement les informations thy-
miques et émotionnelles qui sont l’origine de l’affectivité.
Ces informations, perçues dans le centrencéphale, sont
analysées dans le cortex limbique où, comme nous
l’avons vu, elles participent à la vigilance. En même temps,
analysées dans le centrencéphale, elles sont transmises
au cortex préfrontal comme des « motivations » devenant
sentiments dans ce cortex. Celui-ci ne peut pas ne pas
être en même temps le centre de la mémoire affective dont
les différents modules sont certainement situés dans les
deux lobes préfrontaux, mais prédominants dans l’hémis-
phère droit. Cette mémoire de l’affectivité semble corres-
pondre à ce que l’on appelle actuellement
la mémoire épi-
sodique
, dont on considère qu’elle permet à chaque sujet
de revivre un épisode ou un événement de son passé, et
dont on suppose qu’elle est due à un système particulier
de mémoire.
Fonctions secondes
Elles ne dépendent pas directement d’un centre de per-
ception, mais bien d’une fonction déjà existante, ou de plu-
sieurs fonctions se créant à leur jonction, en quelque sorte
à partir de modules de ces fonctions. La première de ces
fonctions secondes, apparue chez les primates, et dont
le rôle a été considérable puisqu’elle est à l’origine de
l’hominisation, est le langage.
Langage
Le langage
s’est créé à partir de modules dépendant
les uns de la fonction auditive, les autres de la fonction
motrice bucco-linguo-laryngée. C’est par mémorisation
qu’il s’est organisé autour de ces modules devenant deux
centres, différents mais interconnectés, dont il est possible
d’imaginer la création, et qui vont à leur tour devenir cen-
tres de mémoire.
Le premier centre
qui dépend de la fonction auditive est
celui de la compréhension du message transmis. Il est
situé dans l’aire auditive secondaire, à la partie posté-
rieure de la première circonvolution temporale de l’hémis-
phère gauche. C’est le centre de Wernicke. La très impor-
tante activité de ce module chez l’homme dont la capacité
de mémoriser est considérable, va en faire, pour chaque
individu, un centre de mémoire véritablement fabuleux,
capable de mémoriser et de connaître la signification de
tous les mots d’une langue, et même de plusieurs langues.
Le second centre
dépend de la fonction motrice dans
sa localisation faciale. Il répond à un module de program-
mation de l’activité bucco-linguo-laryngée, c’est-à-dire de
la « gestuelle » des organes phonatoires dont l’exécution
correcte crée les mots, et qui est différente pour chaque
mot. Ce centre de programmation est situé immédiate-
ment en avant des centres moteurs primaires des muscles
des organes phonatoires. Cette gestuelle phonatoire est
particulière à chaque individu, dépendant de la langue qu’il
parle, de son accent, et de l’imitation de son entourage.
Il est parfaitement clair qu’il constitue un centre de la
mémoire motrice bucco-faciale. Ce centre de Broca
occupe le pied de la troisième circonvolution frontale de
l’hémisphère gauche.
Ainsi créée autour de ces deux centres, cette nouvelle
fonction qu’est le langage devient, par le « territoire » cor-
tical qu’elle va occuper, la fonction la plus importante et
le centre de mémoire le plus actif de tous les centres cor-
ticaux. Ce nouveau centre s’organise, le plus souvent,
dans l’hémisphère gauche, mais ce n’est pas une règle
absolue, et une latéralisation dans l’hémisphère droit
s’observe chez certains gauchers. De plus, et très remar-
quablement, avant l’âge de 5 ou 6 ans, le transfert de ce
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centre de gauche à droite est possible. C’est ce que l’on
observe chez un petit enfant chez qui, pour une affection
chirurgicale, telle un angiome, on est conduit à faire l’abla-
tion du lobe temporal gauche. On sait d’ailleurs que cet
âge de 6 ans est celui au-delà duquel le langage ne peut
plus s’organiser, ou se créer, et jadis les enfants-loups ne
pouvaient apprendre à parler que s’ils étaient recueillis
avant l’âge de 6 ou 7 ans.
La somme considérable de mémoire « enregistrée » dans
ce cortex a conduit à décrire dans la nomenclature actuelle-
ment proposée une
mémoire déclarative
, faite des connais-
sances que l’on peut exprimer par le langage, et se divisant
elle-même en une
mémoire sémantique
qui comprend tou-
tes les connaissances didactiques, et une
mémoire épisodi-
que
. Il n’est pas douteux que, comme pour les fonctions pri-
maires, l’organisation de ce centre d’analyse et de mémoire
se fait par modules. On a d’ailleurs pu mettre en évidence
l’existence de quelques-uns de ces modules (tels ceux spé-
cialisés dans différentes catégories de mots), mais ceci reste
très modeste par rapport à ce qui existe sûrement, en fonc-
tion du rôle considérable de ce centre. Il faut bien compren-
dre, en effet, qu’il « intervient » dans toutes les fonctions cor-
ticales, et qu’il est un instrument de mémoire pour toutes les
connaissances. En permettant d’exprimer par des mots tou-
tes les représentations mentales, le langage participe, ou tout
au moins est associé à la mémorisation des informations de
quelle que fonction qu’elles proviennent, aussi bien visuelles
et auditives que motrices et affectives. Cette participation du
langage à toutes les fonctions suppose la création de circuits
neuronaux l’unissant à chacune d’entre elles, et explique
l’extrême complexité de son organisation.
Écriture, musique et nombres
Les autres fonctions secondes : l’écriture, la musique
et les nombres
sont postérieures au langage. Comme lui,
elles dépendent ou se rattachent à des fonctions déjà exis-
tantes. L’écriture se rattache au langage avec, comme
celui-ci deux centres, mais très différents de ceux du lan-
gage puisque l’écriture dépend, pour la perception, non
plus de la fonction auditive, mais de la fonction visuelle,
et pour l’expression, de la motricité non plus bucco-linguo-
laryngée, mais manuelle. Les nombres dépendent à la fois
du langage oral et du langage écrit. La musique se ratta-
che (probablement) à la fonction d’affectivité. Il n’est pas
douteux que ces fonctions secondes, elles aussi, s’orga-
nisent sous forme de centres et de modules, dans l’un et
l’autre hémisphère, avec la création de multiples circuits
neuronaux compliquant encore l’organisation du cortex.
L’exemple du langage écrit dont la création est suffi-
samment récente pour que l’on puisse en préciser l’appa-
rition et le développement, permet de dire, d’une part qu’il
n’est dû ni à une mutation génétique, ni à quelle que nou-
velle structure ou nouvelle fonction du système nerveux,
d’autre part que créé par l’activité d’analyse du cortex, il
s’est « organisé » par le seul fait de l’activité d’analyse et
de mémorisation de ce cortex. C’est là un argument pour
penser qu’il en a certainement été de même pour la créa-
tion du langage oral. Le fait remarquable est bien que cette
prodigieuse et complexe organisation s’effectue chez cha-
que sujet, et qu’elle s’effectue simplement par l’appren-
tissage et la mémoire. On apprend à lire, à écrire, à comp-
ter comme on apprend à parler.
Ces fonctions cérébrales sont toutes des centres d’ana-
lyse et de mémoire ; mais elles sont, au fur et à mesure
des informations qui leur parviennent, en perpétuel rema-
niement, en perpétuelle attente de nouvelle mémorisation,
de telle sorte que les « voies de communication » y jouent
un rôle essentiel.
RÉSEAUX NEURONAUX DE MÉMOIRE
La communication qui se crée entre ces différentes
fonctions constitue dans le cortex un véritable réseau, qui
très certainement se remanie sans cesse. On peut penser,
par exemple, qu’un nouveau circuit s’établit lorsqu’une
information est perçue et mémorisée par deux ou même
par plusieurs centres à la fois ; son souvenir pourra alors
être déclenché par une information n’intéressant qu’un
seul de ces centres. La madeleine de Proust, dont le goût
fait naître des souvenirs multiples, en est un parfait exem-
ple. Deux des fonctions cérébrales nous paraissent être
à l’origine de réseaux de mémoire particulièrement
importants : le langage et l’affectivité.
Le langage
,
à l’évidence devient, chez l’homme, la plus
« active » des fonctions. Il « règne », pourrait-on dire, sur
l’hémisphère gauche. Outre le fait que s’établit une con-
nexion permanente entre son centre de compréhension
et son centre d’expression, il est relié à toutes les fonctions
dont il permet l’expression. On peut probablement même
penser que le fait d’exprimer une information, la précise
et en facilite la mémorisation. Ceci pourrait expliquer pour-
quoi les souvenirs les plus anciens que chacun possède
ne remontent pas avant l’âge de 3 ou 4 ans, qui est celui
où l’apparition du langage et la mémorisation des mots
permettent de garder le souvenir de faits jusqu’alors non
mémorisés car inexprimables. Ces réseaux de mémoire
se créant autour du langage et de son organisation ont
probablement contribué à la description actuelle des dif-
férentes mémoires :
déclarative, sémantique, épisodique.
L’affectivité
,
bien qu’elle ne soit pas décrite comme
fonction cérébrale, « règne » sur l’hémisphère droit,
comme le langage sur le gauche. Si cette affectivité est
faite, au départ, des réactions thymiques et émotionnelles
de l’organisme produites lors des circonstances de survie
ou de défense de celui-ci, elle est faite également de toute
activité corticale d’information ou de perception, entraî-
nant une « émotion » plus ou moins profonde. Ces émo-
tions bien que d’origine corticale, sont perçues, elles
aussi, non dans le cortex mais dans le centrencéphale,
puis analysées et mémorisées dans le cortex limbique,
d’où elles sont transmises au cortex hémisphérique pré-
frontal sous forme de motivations ou d’incitations à
l’action. Il n’est pas douteux que des réseaux de mémoire
s’établissent entre la perception corticale ayant déclenché
l’état émotionnel et la motivation frontale. Ce sont ces
réseaux qui, à l’évocation d’un événement passé, per-
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