Risque d`homicide et troubles mentaux graves : revue critique de la

L’Encéphale (2009) 35, 521—530
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MÉMOIRE ORIGINAL
Risque d’homicide et troubles mentaux graves :
revue critique de la littérature
Risk of homicide and major mental disorders: A critical review
S. Richard-Devantoya,, J.-P. Olieb, R. Gourevitchb
aDépartement de psychiatrie et psychologie médicale, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49933 Angers cedex 9, France
bService hospitalo-universitaire de santé mentale et de thérapeutique, CHS Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris, France
Rec¸ule5f
´
evrier 2008 ; accepté le 28 octobre 2008
Disponible sur Internet le 6 mars 2009
MOTS CLÉS
Homicide ;
Épidémiologie ;
Maladie mentale
grave ;
Schizophrénie ;
Trouble délirant
paranoïaque ;
Trouble de l’humeur
Résumé
Introduction et objectifs. La forte médiatisation de quelques faits divers d’homicides commis
par des malades mentaux tend à renforcer la représentation collective de la folie criminelle
auprès de l’opinion publique. Cet article propose de clarifier l’association entre l’homicide et
la maladie mentale grave, en résumant les principales données concernant cette association.
Méthode. — Nous avons répertorié les principaux articles sur l’homicide dans les pays occiden-
taux depuis 1990. Nous avons uniquement retenu les études prospectives ou rétrospectives aux
méthodologies solides concernant la prévalence de la maladie mentale au sein de la popu-
lation homicidaire d’un pays donné. La recherche bibliographique a été faite par Medline,
sur la période 1990—2006 inclusivement. Les homicides—suicides et les homicides commis en
temps de guerre sont exclus de cette recherche. La maladie mentale «grave »de S. Hogdins,
qui correspond à une définition restreinte de la maladie mentale, regroupe les diagnostics de
schizophrénie, de trouble délirant et de trouble de l’humeur, alors que le DSM-IV retient une
définition large des troubles mentaux, incluant les troubles psychiatriques de l’axe I, dont les
abus et les dépendances à l’alcool, et les troubles de personnalité de l’axe II.
Résultats. — Le sujet qui commet un homicide présente plus souvent un trouble mental défini
par le DSM-IV qu’une maladie mentale grave. Actuellement, les schizophrènes, les délirants
paranoïaques, les sujets souffrants d’un trouble de l’humeur représentent respectivement 3,6
à10%,0,9à2%et2à8%,desauteurs d’homicides. Les maladies mentales graves augmen-
teraient de manière significative le risque de commettre un homicide, risque multiplié par
deux chez les hommes et par six chez les femmes, mais ne seraient responsables que de
0,16 cas d’homicides pour 100 000 habitants par année. Certes, le diagnostic de schizophrénie
est de fac¸on indiscutable associé à un risque plus élevé de violence homicide comparativement
à l’absence de diagnostic psychiatrique. Toutefois, ce risque est moins important que celui
associé à un abus de substances ou à un trouble de la personnalité antisociale : 12 fois plus de
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Richard-Devantoy).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009.
doi:10.1016/j.encep.2008.10.009
522 S. Richard-Devantoy et al.
risque de commettre un homicide par rapport à la population générale chez l’homme à 52 fois
chez la femme en cas d’abus ou de dépendance à l’alcool et entre 10 et 29 fois chez l’homme
en cas de trouble de la personnalité.
Conclusion. — L’essentiel des homicides n’est pas dû aux malades mentaux graves : 80 à 85 %
des auteurs d’homicides sont indemnes de maladie mentale grave. La majorité des auteurs
d’homicide ne sont pas «fous »et l’intervention psychologique et psychiatrique si elle doit
avoir lieu ne vient qu’après la réponse sociale et judiciaire.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
KEYWORDS
Homicide;
Epidemiology;
Mental disorder;
Schizophrenia;
Affective disorder;
Paranoia
Summary
Introduction. — Tragic and high profile killings by people with mental illness have been used to
suggest that the community care model for mental health services has failed. It is also generally
thought that schizophrenia predisposes subjects to homicidal behaviour.
Objective. — The aim of the present paper was to estimate the rate of mental disorder in people
convicted of homicide and to examine the relationship between definitions. We investigated
the links between homicide and major mental disorders.
Methods. — This paper reviews studies on the epidemiology of homicide committed by mentally
disordered people, taken from recent international academic literature. The studies included
were identified as part of a wider systematic review of the epidemiology of offending combined
with mental disorder. The main databases searched were Medline. A comprehensive search was
made for studies published since 1990.
Results. — There is an association of homicide with mental disorder, most particularly with
certain manifestations of schizophrenia, antisocial personality disorder and drug or alcohol
abuse. However, it is not clear why some patients behave violently and others do not. Studies
of people convicted of homicide have used different definitions of mental disorder. According to
the definition of Hodgins, only 15% of murderers have a major mental disorder (schizophrenia,
paranoia, melancholia). Mental disorder increases the risk of homicidal violence by two-fold
in men and six-fold in women. Schizophrenia increases the risk of violence by six to 10-fold in
men and eight to 10-fold in women. Schizophrenia without alcoholism increased the odds ratio
more than seven-fold; schizophrenia with coexisting alcoholism more than 17-fold in men.
We wish to emphasize that all patients with schizophrenia should not be considered to be
violent, although there are minor subgroups of schizophrenic patients in whom the risk of
violence may be remarkably high. According to studies, we estimated that this increase in risk
could be associated with a paranoid form of schizophrenia and coexisting substance abuse. The
prevalence of schizophrenia in the homicide offenders is around 6%. Despite this, the prevalence
of personality disorder or of alcohol abuse/dependence is higher: 10% to 38% respectively. The
disorders with the most substantially higher odds ratios were alcohol abuse/dependence and
antisocial personality disorder. Antisocial personality disorder increases the risk over 10-fold in
men and over 50-fold in women. Affective disorders, anxiety disorders, dysthymia and mental
retardation do not elevate the risk. Hence, according to the DMS-IV, 30 to 70% of murderers
have a mental disorder of grade I or a personality disorder of grade II. However, many studies
have suffered from methodological weaknesses notably since obtaining comprehensive study
groups of homicide offenders has been difficult.
Conclusions. — There is an association of homicide with mental disorder, particularly with cer-
tain manifestations of schizophrenia, antisocial personality disorder and drug or alcohol abuse.
Most perpetrators with a history of mental disorder were not acutely ill or under mental health-
care at the time of the offence. Homicidal behaviour in a country with a relatively low crime rate
appears to be statistically associated with some specific mental disorders, classified according
to the DSM-IV-TR classifications.
© L’Encéphale, Paris, 2009.
Introduction
Après une longue période où dangerosité et maladie
mentale étaient pratiquement confondues, la psychia-
trie a voulu croire, durant les années 1980, que les
malades mentaux ne représentaient pas pour la sécurité
du public un groupe plus dangereux que l’ensemble de la
population générale. On pensait que les comportements
violents étaient davantage associés à l’abus d’alcool
ou de drogues qu’à la maladie mentale elle-même.
La représentation collective du malade mental et
plus particulièrement de celle du schizophrène, figure
paradigmatique de la maladie mentale, est pourtant restée
celle de la dangerosité. En effet, 48 % des franc¸ais pensent
que les schizophrènes sont dangereux pour les autres [27].
Dans l’enquête «Santé mentale en population générale :
images et réalité », le meurtre et le viol sont associés, pour
une majorité de personnes, au malade mental [17]. Depuis
Risque d’homicide et troubles mentaux graves : revue critique de la littérature 523
les années 1990, des études méthodologiquement mieux
construites permettent de dire que la croyance relevée par
ces sondages franc¸ais, sans être illégitime, n’est pas entière-
ment fondée. S’il est possible aujourd’hui d’établir un lien
entre les troubles mentaux graves et la violence, celui-ci
doit être nuancé. Nous retenons la définition consensuelle
de S. Hodgins et al. [18,19] des troubles mentaux graves
qui regroupe les diagnostics de schizophrénie, de trouble
de l’humeur et de trouble délirant, qui correspond dans
la nosographie franc¸aise à la psychose paranoïaque. Cette
définition restreinte de la maladie mentale (troubles psycho-
tiques ou dépressifs exclusivement) s’oppose à celle, plus
large, du DSM IV qui inclut les maladies mentales de l’axe I
et les troubles de la personnalité de l’axe II du DSM-IV. Rap-
pelons que l’abus et la dépendance à l’alcool sont considérés
comme un trouble psychiatrique de l’axe I.
Cet article propose de clarifier l’association entre
l’homicide et la maladie mentale grave, en résumant
les principales données épidémiologiques concernant cette
association. Nous envisageons d’abord le lien avec le trouble
mental et psychologique au sens large (maladie mentale de
l’axe I et troubles de personnalité de l’axe II du DSM-IV) et
focalisons ensuite notre propos sur le lien avec les maladies
mentales dites graves de S. Hodgins et al.
Méthode
Nous avons répertorié les principaux articles sur l’homicide
dans les pays occidentaux depuis 1990. Nous avons unique-
ment retenu les études prospectives ou rétrospectives aux
méthodologies solides concernant la prévalence de la mala-
die mentale au sein de la population homicidaire d’un pays
donné. La recherche bibliographique a été faite par Med-
line, sur la période 1990—2006 inclusivement et a utilisé
les mots-clés «homicide »,«crime »,«murder »,«mental
disorder »,«major mental disorder »et «schizophrenia ».
Les homicides commis en temps de guerre sont exclus de
cette recherche. Les homicides—suicides et les infanticides
ne sont pas spécifiquement étudiés dans cette recherche,
ces deux dernières catégories étant la plupart du temps
colligées dans les populations de meurtriers des études rete-
nues.
Résultats
Données générales
Cinq à 15 % des meurtriers présenteraient une maladie
mentale grave [9,11,21,29,32,34—36] et 30 à 90 % les cri-
tères diagnostiques d’un trouble psychiatrique de l’axe
I ou d’un trouble de personnalité de l’axe II du DSM-IV
[9,11,21,29,32,34—36]. Les données varient suivant les cri-
tères diagnostiques utilisés, la définition de la maladie
mentale, selon le pays concerné, le type d’étude et la popu-
lation étudiée. Le Tableau 1 résume les principaux résultats
depuis 1990. L’accent a été délibérément mis sur la schi-
zophrénie pour deux raisons. Elle représente actuellement
le paradigme de la maladie mentale grave et constitue
une population spécifiquement prise en charge par les psy-
chiatres.
Trouble psychiatrique au sens large (axe I et II du DSM-IV)
Suivant le pays concerné, des différences considérables
apparaissent : en Angleterre et au Pays-de-Galles, 30 % des
meurtriers répondent aux critères DSM-IV d’une entité psy-
chiatrique (maladie mentale de l’axe I et trouble de la
personnalité de l’axe II) [32] contre 90 % en Suède [11]. Les
pays scandinaves retrouvent seulement 10 à 15 % de meur-
triers indemnes de troubles psychiatriques [8—11] contre
70 % dans l’étude de J. Shaw et al. [32]. Entre 1997 à 2001
à Singapour, K. Koh et al. [21] ont étudié les 110 homicides
commis pendant cette période. Dans 51,8 % des cas, aucune
pathologie mentale n’est retrouvée.
Maladie mentale au sens restreint (S. Hodgins et al.)
La prévalence des meurtriers présentant des troubles men-
taux graves est moins sujette à controverse. De manière
consensuelle, 15 % à 20 % des meurtriers répondent à un
diagnostic de maladie mentale grave (schizophrénie, trouble
délirant ou trouble de l’humeur) [9,11,21,29,32,34—36].
Mais les personnes souffrant de troubles mentaux graves
ont un risque de commettre un meurtre plus élevé que la
population générale [2,6—9,29,35,36]. Pour J. Shaw et al.
[32], seulement 11 % des meurtriers auraient une sympto-
matologie psychotique ou dépressive : en d’autres termes,
89 % des meurtriers de cette série sont indemnes de troubles
psychiatriques graves, mais ces chiffres portent sur des
constatations faites au moment des faits et non sur la vie
entière et ne doivent pas faire oublier que dans la même
série 18 % des criminels (n= 282) avaient été en contact avec
un service de psychiatrie au cours de leur vie et 9 % (n= 145)
dans les 12 mois précédant le crime.
Rôles des différents troubles psychiatriques
Homicide et schizophrénie
Les hommes atteints de schizophrénie sont surreprésentés
parmi les meurtriers avec une prévalence dix fois supérieure
à ce qu’elle est en population générale [9]. La schizophré-
nie multiplierait, par rapport à une population indemne de
pathologie mentale, le risque de violence homicide par six
à 16 chez l’homme [7,9,29,36] et par 6,5 à 26 chez la
femme [9,29,36]. Les schizophrènes hommes ou femmes
représentent 3,6 à 10 % des meurtriers selon les études
[7,10,11,21,29,32,34—36] et 5,5 à 13,5 % des meurtrières
ont un diagnostic de schizophrénie [7,8,11,24,29].
Homicide et trouble délirant
Le délirant paranoïaque aurait 1,3 [9] à six fois [29] plus de
risque de commettre un acte homicide qu’un sujet issu de
la population générale. La prévalence vie entière des meur-
triers souffrant d’une psychose paranoïaque est diversement
appréciée selon les pays et selon les études. Elle demeure
faible, entre 0,3 et 1,4 % [9,21,29].
Homicide et troubles de l’humeur
Un trouble de l’humeur est présent chez 1,4 à 8,2 % des
meurtriers suivant les séries [9,11,21,29,32,34—36]. Rares
sont les meurtriers en phase maniaque au moment des faits.
Seuls deux auteurs, H. Schanda et al. [29] et K. Koh et al.
[21] rapportent chacun un cas de manie dans leurs études.
En revanche, des troubles thymiques expansifs associés à des
524 S. Richard-Devantoy et al.
Tableau 1 Données de la littérature sur l’homicide à partir de 1990.
Auteurs (pays,
date de
publication)
Nombre de sujets
Période de l’étude
(durée)
Population étudiée Instrument
diagnostique
Avantages/inconvénients Résultats
Eronen et al.
(Finlande, 1996) [9]
n= 994
1984—1991
(8 ans)
Meurtres, homicides
involontaires
DSM-III
DSM-III-R
Population d’homicides du pays
Étude longitudinale
prospective
Examen psychiatrique complet
pour deux tiers des meurtriers
Taux d’élucidations du crime à
97 %
Homicides—suicides non inclus
Calcul des risques relatifs à
partir de la prévalence des
troubles mentaux aux
États-Unis (Swanson,
Epidemiologic Catchments
Area Surveys, 1990)
6,4 % (n= 58) schizophrénie
chez les hommes
6%(n= 5) schizophrénie chez
les femmes
2,5 % (n= 23) psychoses non
schizophréniques chez les
hommes
1,2 (n= 1) psychoses non
schizophréniques chez les
femmes
3%(n= 27) dépression chez les
hommes
6%(n= 5) dépression chez les
femmes
1,4 % (n= 13) dysthymie chez
les hommes
1,2 % (n= 1) dysthymie chez les
femmes
34,4 % (n= 313) trouble de la
personnalité chez les hommes
35,7 % (n= 30) trouble de la
personnalité chez les femmes
39,2 % (n= 357)
dépendance/abus de toxiques
chez les hommes
32,1 % (n= 27)
dépendance/abus de toxiques
chez les hommes
1,5 % (n= 14) trouble anxieux
chez les hommes
1,2 % (n= 11) retards mentaux
chez les hommes
2,4 % (n= 2) retards mentaux
chez les femmes
Risque d’homicide et troubles mentaux graves : revue critique de la littérature 525
Wallace et al.
(District de
Victoria, Australie,
1998) [36]
n= 168
1993—1995
(3 ans)
Meurtres, homicides
involontaires
ICD-9 Population d’homicides d’un
district
Étude rétrospective
Évaluation des pathologies
mentales à partir d’une
interrogation des services de
psychiatrie publique
Sous-estimation des sujets
souffrant d’un trouble mental
et n’ayant pas consulté un
service de soins
Hospitalisations et
consultations en secteurs
privés non prises en compte
Population de petite taille
Taux d’élucidation du crime
non précisé
6,5 % (n= 11) schizophrénie
chez les hommes, dont :
63 % (n= 7) sans abus de
toxiques
37 % (n= 4) avec abus de
toxiques
1,3 % (n= 2) psychoses non
schizophréniques
2,6 % (n= 4) dépression chez les
hommes
5,2 % (n= 8) dépendance/abus
de toxiques
3,9 % (n= 6) trouble de la
personnalité
Erb et al. (Allemagne,
État de Hessen,
2001) [7]
n= 290
1992-1996
(5 ans)
Homicides et
tentatives
d’homicides
DSM-III-R Population d’homicides d’une
partie du pays
Étude rétrospective, diagnostic
au moment des faits
Taux d’élucidation du crime à
90 %
10 % (n= 29) schizophrénie
(hommes et femmes)
37,9 % abus/dépendance à
l’alcool
14,3 % abus/dépendance aux
drogues
14 % trouble de la personnalité
Fazel et al. (Suède,
2004) [11]
n= 2005
1998—2001
(14 ans)
Homicides et
tentatives
d’homicides
ICD-9
ICD-10
DSM-IV
Population d’homicides du pays
Étude longitudinale
prospective
Examen psychiatrique complet
pour 55 % des meurtriers
Taux d’élucidation du crime à
70 %
8,9 % (n= 179) schizophrénie
2,4 % (n= 50) trouble de
l’humeur
6,5 % (n= 131) psychoses non
schizophréniques
19,7 % (n= 394)
dépendance/abus de toxiques
11,3 % (n= 227) trouble de la
personnalité
1,4 % (n= 28) troubles anxieux
0,6 % (n= 13) retards mentaux
1 / 10 100%

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