L’expérience patient : lorsque le rationnel rencontre l’émotion – Le cas du CSSS Richelieu-Yamaska Écrit par Jocelyn Théoret, directeur en gestion de l’expérience client, Groupe-conseil en stratégie et performance de Raymond Chabot Grant 1 Thornton, en collaboration avec Lise Pouliot, directrice générale du CSSS Richelieu-Yamaska Mercredi matin, Mme Lise Pouliot, directrice générale du CSSS Richelieu-Yamaska s’apprête à réaliser l’une des activités les plus importantes de sa semaine. Tellement importante que cette activité est récurrente, de façon hebdomadaire, dans l’agenda… mais surtout dans les faits. Elle s’apprête à rencontrer personnellement des patients qui reçoivent des soins et des services dans son organisation. Si elle était directrice générale d’une manufacture de chaussures, on s’attendrait à ce qu’elle porte les chaussures fabriquées par l’entreprise pour tester le produit. Comme elle n’a pas l’intention d’essayer personnellement tous les services du CSSS, elle s’en remet au patient. Ces rencontres permettent à Mme Pouliot et à l’équipe de gestion qui l’accompagne de maintenir un lien direct avec la clientèle, mais aussi de rester en contact avec la réalité terrain du personnel du CSSS. Le terme « expérience patient » et l’expression « placer le patient au centre de nos préoccupations » prennent une forme bien concrète au CSSS Richelieu-Yamaska. Expérience patient et leadership patient Évoluant dans un contexte exigeant, la mission première des établissements de santé et de services sociaux est parfois restreinte à la prestation d’actes cliniques. Le caractère holistique de la prestation des soins et services visant à prêter attention et à répondre aux attentes et aux besoins du patient, incluant leur composante émotionnelle, devient malheureusement une priorité reléguée au second rang, dans le meilleur des cas. Ainsi, au moyen de ces rencontres régulières avec les patients, la direction et le personnel du CSSS RichelieuYamaska ont décidé de passer à l’action en vue d’atteindre les trois objectifs suivants : Apprendre à connaître la clientèle pour mieux la servir et mieux circonscrire ses besoins et les émotions qu’elle ressent dans ses interactions avec l’établissement, et ce, dans le cadre d’un continuum de soins et de services; Générer un puissant signal lancé à toute l’organisation de priorité absolue de l’expérience patient, tant stratégique que liée à la prestation quotidienne de soins et de services. Dans le jargon du métier, on parlera de « leadership client » ou, dans ce cas-ci, de « leadership patient »; 1 Mme Lise Pouliot est directrice générale du Centre de santé et de services sociaux du Richelieu-Yamaska. En plus de ses maîtrises en sciences infirmières et en informatique de gestion, elle possède plusieurs formations complémentaires liées à la gestion. Elle travaille depuis près de vingt ans comme cadre supérieur dans le réseau de la santé et des services sociaux. Elle a occupé des postes de haute direction, notamment au Centre de santé et de services sociaux de la Côte-de-Gaspé, au Centre universitaire de santé McGill et à l’Hôpital général juif de Montréal. De plus, Mme Pouliot bénéficie d’une expérience très intéressante liée aux différents programmes-services du domaine de la santé, tant à titre d’auteure et de conférencière que de membre actif de comités spécialisés. L’expérience patient : lorsque le rationnel rencontre l’émotion – Le cas du CSSS Richelieu-Yamaska 2 Permettre à l’organisation d’être constamment en mouvement, avec l’identification et l’implantation rapide d’initiatives d’amélioration de l’expérience patient, lesquelles peuvent faire une réelle différence sur le terrain. Des rencontres à échelle humaine Une première rencontre2 a lieu avec une patiente en hémodialyse. En quelques minutes, le contact est établi entre la patiente et l’équipe venue la rencontrer. Parmi les gens de l’hôpital qui accompagnent la directrice générale lors de ses visites se trouvent la directrice du programme concerné et la gestionnaire du service où se fait la visite. Toutes sont attentives au récit empreint de sensibilité et d’émotion de cette dame, qui est pourtant une habituée de l’hémodialyse. Elle en profitera pour raconter l’épreuve psychologique qu’elle a vécue au cours de ses premiers mois de traitement, épreuve qu’elle avait décidé de surmonter avec la seule aide de son mari, épousé 46 ans auparavant, allant même jusqu’à refuser l’aide psychologique que lui avait pourtant offerte l’hôpital. Ce qui a fait dire à l’équipe du CSSS que c’est probablement au mari qu’aurait dû être offert le soutien psychologique, puisque c’est lui qui devait soutenir la patiente. La dame parle également de douleurs sporadiques à la hanche liées à la contrainte de rester immobile pendant toute la durée du traitement. On apprendra par la suite que certaines chaises du département offrent un meilleur confort que d’autres pour les traitements. Du même coup, on comprendra alors la raison qui motive son arrivée si tôt le matin. Une deuxième rencontre a lieu aux soins intensifs. Un homme d’une soixantaine d’années y raconte son séjour depuis son infarctus, une dizaine de jours auparavant. Ce dernier parle plutôt de courtoisie, variable selon les employés et les professionnels. Avec transparence, il donne des exemples d’expériences extrêmement positives et rassurantes, et d’autres, frustrantes, qui laissent une empreinte émotionnelle négative. Il nous parle également de l’insistance du personnel à lui mettre un masque respiratoire la veille, malgré sa phobie des masques couvrant le nez et la bouche, clairement communiquée à ces mêmes personnes. Finalement, il nous mentionne sa satisfaction quand un membre du personnel, sensible à son besoin, a trouvé une solution alternative et lui a finalement installé une « lunette nasale». Ces rencontres, centrées sur le patient, visent à améliorer les systèmes de prestation de soins et services, soit les systèmes par lesquels est fournie l’expérience patient3. Chaque rencontre avec un patient est suivie d’une rencontre avec l’équipe pour faire un bilan. C’est lors de cette rencontre d’équipe que l’on met le contenu des discussions en perspective et que l’on transforme des renseignements parfois anecdotiques en analyses concrètes et en lien avec la prestation des soins et des services. Tout comme au CSSS Richelieu-Yamaska, le principal défi des organisations, tous domaines confondus, est de s’assurer que les systèmes de prestation de soins sont non seulement performants, mais aussi coordonnés, afin qu’ils agissent en complémentarité pour fournir une expérience patient souhaitée optimale. 2 Même si, au début, ces rencontres de patients avec la directrice générale ont pu susciter un malaise et une certaine inquiétude chez les employés, aujourd’hui, on comprend mieux que l’objectif n’est pas d’enquêter sur des problèmes ou d’identifier des coupables, mais plutôt de dénicher des occasions d’amélioration des soins et des services, de reconnaître la contribution du personnel qui fait la différence et de mieux cerner le soutien que la direction peut offrir aux professionnels et aux employés. 3 Selon l’Institut pour la qualité de service de Disney, ces systèmes de prestation gravitent tous autour du patient et sont complémentaires. On y trouve les employés, les processus (et technologies) et l’environnement. L’expérience patient est appliquée à chacun de ces systèmes, individuellement ou en conjonction. Raymond Chabot Grant Thornton L’expérience patient : lorsque le rationnel rencontre l’émotion – Le cas du CSSS Richelieu-Yamaska 3 La relation avec le patient Heureusement, il existe de plus en plus d’écrits sur la relation avec le patient, lesquels tentent de définir les leviers principaux de satisfaction des patients. À titre d’exemple, RAND Healthcare COMPARE4, aux ÉtatsUnis, a identifié huit leviers de satisfaction importants : la réactivité du personnel de l’hôpital, la communication avec les médecins, la communication avec les infirmières, l’information fournie au départ de l’hôpital, la quiétude de l’environnement hospitalier, la propreté de l’environnement hospitalier, la communication à propos des médicaments et la gestion de la douleur. Plus près de chez nous, l’Institut de la statistique du Québec a publié en 2012 les résultats d’une enquête portant sur les attentes des usagers à l’égard des services de santé et des services sociaux. Parmi les aspects jugés les plus importants, on trouve les points suivants : que l’intervenant soit compétent; que les services reçus améliorent la santé ou permettent de mieux contrôler l’état de santé; que le délai pour obtenir un rendez-vous avec les professionnels soit raisonnable; que les intervenants prennent le temps de bien expliquer au patient ce qui se passe à chaque étape du traitement ou de l’intervention; que l’on prenne les mesures d’hygiène et de salubrité nécessaires; que l’intervenant prenne le temps nécessaire de s’occuper du patient; que le temps d’attente soit raisonnable lorsqu’un patient se présente sans rendez-vous; que les personnes soient traitées de façon juste et équitable; que le délai pour obtenir des services diagnostiques soit raisonnable; que l’intervenant comprenne bien la situation; que l’intervenant explique les choix de traitements ou d’interventions qui s’offrent au patient. Force est de constater que la prestation d’un soin ou d’un service à un patient va bien au-delà de la prestation physique et tangible du soin ou du service. Une expérience patient doit aussi se pencher sur les émotions positives et rassurantes que le patient devrait ressentir, en lien avec ses attentes exprimées, mais aussi avec ses attentes non exprimées (mais quand même existantes!). Une expérience patient améliorée rend les intervenants capables de dépasser les attentes du patient pour créer un « effet d'attachement » dans l’ensemble des interactions qu’aura ce patient avec l’organisation. Au bout du compte, c’est l’addition de ces effets d’attachement qui contribuera à raffermir le lien de confiance entre le personnel et le patient, au point de créer des relations de partenariat dans le continuum de soins et de services. 4 http://www.randcompare.org. Raymond Chabot Grant Thornton L’expérience patient : lorsque le rationnel rencontre l’émotion – Le cas du CSSS Richelieu-Yamaska 4 Une démarche rigoureuse en expérience patient aidera l’organisation à : démontrer de façon tangible que le patient est au cœur des préoccupations de l’organisation; réduire les insatisfactions et les plaintes récurrentes de la clientèle; élaborer une expérience holistique qui n’est pas seulement axée sur les aspects cliniques de la prestation du service, mais aussi sur les émotions à évoquer chez les patients dans le continuum de soins et de services; harmoniser une prestation de services de qualité et sécuritaire, visant à réduire les événements indésirables et à soutenir le processus de guérison; assurer une mobilisation des employés et des gestionnaires autour d’un sujet qui répond à leur vocation première; se démarquer des autres organisations de santé, dans un contexte de concurrence croissante entre les établissements. Une organisation alignée sur le réflexe patient Malgré les effets grandement bénéfiques de l’expérience patient au sein des organisations de santé et de services sociaux, celle-ci demeure encore malheureusement méconnue des stratèges de ces organisations. Pour exploiter pleinement l’expérience patient comme stratégie d’organisation et comme philosophie de gestion, l’organisation doit opérer un changement culturel qui l’incitera à se tourner constamment vers le patient au lieu d’être repliée sur ses opérations (et défis) internes. Plus facile à dire qu’à faire, on en conviendra! Toutefois, c’est seulement avec l’évolution de sa culture organisationnelle que l’organisation et ses employés développeront un réflexe « patient » qui teintera de façon transversale l’ensemble les décisions de l’organisation, le comportement du personnel, les processus, l’environnement et même l’offre de soins et de services. Les sept questions clés de l’expérience patient Vous êtes curieux de savoir où vous vous situez par rapport à l’expérience que vous offrez quotidiennement à votre clientèle? Selon Colin Shaw, spécialiste en expérience client, les sept questions suivantes vous permettront d’entamer une réflexion sur votre positionnement en expérience patient : Connaissez-vous bien vos patients? Quelle expérience patient tentez-vous d’offrir? Quelles émotions voulez-vous provoquer chez vos patients? Quelle est l’expérience subconsciente de vos patients? Que recherchent vraiment vos patients et qu’est-ce qui crée de la valeur pour l’organisation, en lien avec votre mission? Votre expérience patient est-elle réfléchie et délibérée? Dans quelle mesure votre organisation est-elle réellement axée sur sa clientèle? Source : Colin Shaw, Beyond Philosophy [en ligne], http://www.beyondphilosophy.com/ (page consultée le 12 août 2013). Raymond Chabot Grant Thornton L’expérience patient : lorsque le rationnel rencontre l’émotion – Le cas du CSSS Richelieu-Yamaska 5 Selon nous, le développement d’une stratégie axée sur le patient efficace et structurante implique : 1. de bien connaître ses patients et, surtout, l’expérience patient que l’on tente de leur fournir; 2. de réaliser une expérience patient alignée sur ce qui est attendu de l’organisation et qui permettra de générer un attachement avec le patient; 3. de mettre en place un programme d’amélioration comportant des initiatives concrètes, réalisables et durables; 4. d’instaurer un programme de mesure de l’expérience patient allant au-delà des simples sondages de satisfaction périodiques. Pour lancer le mouvement et arriver à réaliser ces différentes étapes, un leadership fort à la haute direction de l’organisation est essentiel. Les dirigeants doivent envoyer un message clair sur la volonté de faire de l’expérience patient une pierre angulaire de la stratégie de l’organisation et valoriser les succès afin de stimuler et de mobiliser le personnel pour qu’il y contribue au quotidien. Au CSSS Richelieu-Yamaska, l’engagement des gestionnaires suit cette trajectoire avec l’objectif que la population de son territoire soit fière de son établissement de santé : pour la direction, et très certainement pour l’ensemble du personnel, c’est la volonté d’être à la hauteur de la confiance que les patients accordent aux professionnels et au personnel de santé du CSSS Richelieu-Yamaska lorsqu’ils viennent s’y faire soigner. Raymond Chabot Grant Thornton