L’Encéphale (2009) 35, 90—96 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MISE AU POINT Durées d’hospitalisation des patients souffrant de schizophrénie : facteurs cliniques de variations et leurs conséquences Schizophrenic patients’ length of stay: Clinical factors of variability and consequences D. Capdevielle a,∗,b, K. Ritchie b, D. Villebrun b, J.-P. Boulenger a,b a Service universitaire de psychiatrie adulte, hôpital La-Colombière, centre hospitalier universitaire, 39, avenue Charles-Flahault, 34295 Montpellier cedex 5, France b Inserm U888, Montpellier, France Reçu le 31 décembre 2007 ; accepté le 13 juin 2008 Disponible sur Internet le 18 décembre 2008 MOTS CLÉS Schizophrénie ; Durée de séjour ; Désinstitutionalisation ; Variables cliniques KEYWORDS Schizophrenia; Length of stay ∗ Résumé Au cours des dernières années, la plupart des pays industrialisés ont mis en place, pour les patients souffrant de schizophrénie, des programmes de désinstitutionalisation s’accompagnant d’une baisse importante du nombre de lits en intrahospitalier, les soins s’orientant vers des prises en charge en extrahospitalier. Mais cette réduction des durées d’hospitalisation a de nombreuses répercussions qui sont encore mal connues. Les hospitalisations au cours d’une année seraient plus nombreuses mais la question qui est de savoir si le nombre total de jour d’hospitalisation sur une année a été modifié reste non résolue. Par ailleurs, de nombreux facteurs liés aux patients et aux traitements sont impliqués dans les variations de la durée de séjour. Ces facteurs sont actuellement peu pris en compte dans les prises en charge des patients. Enfin, les répercussions de ces diminutions des durées de séjours sont encore discutées. La plupart des auteurs vont dans le sens d’une amélioration de la qualité de vie avec une meilleure réinsertion socioprofessionnelle mais soulignent l’importance d’être vigilant sur le risque suicidaire et la nécessité d’un accompagnement soutenu en extrahospitalier. © L’Encéphale, Paris, 2008. Summary Background. — Schizophrenia is characterized by profound disruption in cognition and emotion, affecting the most fundamental human attributes: language, thought, perception, affect and sense of self. The clinical picture is further complicated by the multiple secondary consequences of the disorder; notably disrupted education, unemployment, impoverished social Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Capdevielle). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2008.06.012 Durées d’hospitalisation des patients souffrant de schizophrénie : facteurs cliniques de variations Deinstitutionalization; Clinical variables 91 relationships, isolation, legal difficulties, family stress and substance abuse. Not surprisingly, the disorder is also associated with suicidal behaviour. The management of schizophrenia is thus extremely difficult with high rates of relapse, treatment refusal and poor treatment outcome. In Europe and the United States there has been a general trend towards decreasing the former long duration of hospital care in favour of short-term pharmacological stabilization in the hospital setting, followed by longer multidisciplinary follow-up within the community. This change reflects, on the one hand, the evolution in aetiological conceptions towards a predominantly neurobiological model of the disorder, with complex social consequences and also social and economic constraints. The clinical consequences of these changes were not, however, evaluated prior to the implementation of these changes. Literature findings. — Several studies have shown a clear relationship between reductions in duration of stay and increases in readmission rates and suggest that the development of community services may not in fact significantly improve clinical outcome, and may also possibly increase relapse rates due to the instability of the clinical condition at first discharge. There has been some unsettling evidence to suggest that shortening hospital stays may not be a general panacea. Authors reported in 1999 that deinstitutionalization policies in Denmark had led to premature discharge and subsequently a 100% increase in suicide, a doubling of the rates of criminal acts committed by psychotic patients, and increases of 80 to 100% in acute admission rates. A large follow-up study of psychotic patients in the USA found that hospital stays of less than 14 days were significantly associated with increased suicide risk; on the other hand, shortening hospital stays appears to be linked to higher rates of care satisfaction. Conclusion. — Indeed, studies of patients returning to the community compared to those remaining in institutions show not only better quality of life and larger friendship networks, but also reductions in dependence on pharmacotherapy and lower mortality rates. The essential question of whether shortened hospital care may lead to premature discharge or, on the other hand, decreased patient dependency and social deviance, has not been adequately addressed. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction La schizophrénie est une pathologie d’évolution souvent chronique entraînant un retentissement social et professionnel très péjoratif. Au cours de la maladie, du fait de leur symptomatologie (troubles cognitifs, faible conscience des troubles), les patients peuvent arrêter leurs traitements et/ou leur prise en charge ce qui entraîne alors des hospitalisations répétées et la nécessité de mettre en place des suivis lourds et rapprochés [45]. Depuis plusieurs années la tendance générale des politiques de santé va vers une diminution des séjours hospitaliers de longue durée au profit d’une stabilisation à court terme à l’hôpital suivie d’une prise en charge sur le long terme en ambulatoire. Mais les conséquences cliniques de ces changements doivent maintenant être évaluées pour s’assurer du bien fondé de ces prises en charge et des modifications de nos pratiques. Ainsi, une des questions qui se pose est de savoir si des hospitalisations plus courtes ont l’avantage de réduire la dépendance du malade et sa désinsertion sociale ou l’inconvénient d’augmenter le risque de rechute. La durée des hospitalisations devient souvent au sein de nos hôpitaux un sujet de discussion, voire de polémique avec les autorités administratives concernant surtout la « durée moyenne de séjour ». Au vu de la littérature, les facteurs pouvant influencer les durées d’hospitalisation sont très nombreux. Connaître ces facteurs, leurs implications et leur rôle dans les durées de séjours pourrait permettre de mieux maîtriser cette variable des durées d’hospitalisation et ainsi adapter nos prises en charge et projet pour les patients et proposer ainsi des soins plus spécifiques et individualisés. L’objectif de cette revue de la littérature est de faire le point sur les données cliniques actuelles concernant les durées d’hospitalisation des patients souffrant de schizophrénie. Cet article développera successivement trois points : • le lien entre durée d’hospitalisation et risque de rechute ; • les facteurs cliniques pouvant faire varier la durée d’hospitalisation ; • les conséquences connues en termes clinique et de qualité de vie. La première étape de cette revue de la littérature a consisté à effectuer une recherche bibliographique sur la base de données PubMed. Une équation de recherche a été construite en utilisant les mots clés du medical subject headings (MeSH). Sa formulation était la suivante : (« delivery of health care » [MeSH Terms] OR « health services accessibility » [MeSH Terms] OR « patient acceptance of health care » [MeSH Terms] OR « patient admission » [MeSH Terms] OR « outcome and process assessment (health care) » [MeSH Terms] OR « referral and consultation » [MeSH Terms] OR « social support » [MeSH Terms] OR « social isolation » [MeSH Terms]) AND (« schizophrenia » [MeSH Terms] OR « psychotic disorders » [MeSH Terms]) AND « hospitals, psychiatric » [MeSH Terms]. 92 D. Capdevielle et al. Sur la période 1994—2004, 277 références ont été obtenues. Suite à cette sélection, 117 références ont été retenues auxquelles s’ajoutent celles d’articles cités dans les études retrouvées. Une mise à jour effectuée en mars 2006 a permis d’actualiser cette bibliographie en fournissant 92 nouvelles références. Nous avons souhaité nous limiter à cette question des durées d’hospitalisation chez les patients souffrant de schizophrénie ou de troubles schizoaffectifs au vu du nombre de ces patients dans les prises en charge en hospitalisation à temps plein. Durée d’hospitalisation et risque de rechute L’objectif de cette partie est d’étudier le lien entre durée d’hospitalisation et taux de réhospitalisation, celui-ci étant vu comme un indicateur de rechute. De plus, ce taux de réhospitalisation de patients souffrant de schizophrénie est important, pouvant atteindre 71 % à cinq ans comparé à 59 % pour des patients souffrant de trouble bipolaire ou 48 % pour des patients souffrant de dépression [6]. Plusieurs études se sont intéressées à cette association entre durée d’hospitalisation et taux de réadmissions mais les résultats sont assez contradictoires. Plusieurs études retrouvent qu’une diminution de la durée d’hospitalisation des patients souffrant de schizophrénie est associée à une augmentation des réadmissions au sein des services de psychiatrie (Tableau 1) [2,3,11,18,32,36]. Mais ces études ont plusieurs limites. Premièrement, il s’agit essentiellement d’études rétrospectives réalisées à partir de fichiers de données. Deuxièmement, si les résultats sont statistiquement significatifs dans ces études, la taille de l’effet est souvent assez faible. Enfin, les échantillons de patients sont hétérogènes (patients âgés, patients en hospitalisations volontaires seulement, patients ne souffrant pas seulement de schizophrénie) et il paraît donc difficile de porter des conclusions sur ces seules études. D’autant plus qu’une autre étude ne retrouve pas de corrélation entre durée d’hospitalisation et taux de réhospitalisation [34] ce qui confirme des données plus anciennes d’études randomisées réalisées dans les années 1970. Dans ces études, les patients étaient orientés soit vers des soins de courte durée en intrahospitalier (entre une semaine et 28 jours), soit vers des séjours plus longs (90 à 120 jours). Il n’est pas retrouvé de lien entre durée du séjour initial et nombre de réadmissions dans les un à deux ans suivants [13,14,19,20]. Par ailleurs, plusieurs études montrent que de longues hospitalisations augmentent le nombre de réhospitalisations [9,10,12,28]. Mais dans ces articles il n’existe aucune spécificité concernant les patients souffrant de schizophrénie, les groupes étant très hétérogènes une fois de plus et il est donc très difficile de tirer des conclusions de Tableau 1 Études montrant qu’une diminution de la durée d’hospitalisation est associée à une augmentation du taux de réadmission. Études Types d’étude Nombre de patients Résultats Appleby et al. [2] Rétrospective 1500 patients souffrant de schizophrénie Durée d’hospitalisation est significativement associée au taux de rechute à 30 jours et à 18 mois. Les patients avec des hospitalisations brèves sont plus réhospitalisés que les patients ayant bénéficié de longues hospitalisations Appleby et al. [3] Cohorte 3 groupes de 55 patients souffrant de schizophrénie Les patients traités pendant 30 jours ou moins rechutent plus tôt que ceux qui restent plus de 30 jours Les hommes ayant débuté une schizophrénie jeune et ayant déjà eu plusieurs hospitalisations sont plus à risque de rechuter si la durée d’hospitalisation est courte Olesen et Mortensen [36] Rétrospective 8953 patients schizophrènes Plus la durée d’hospitalisation est courte, plus le risque de réadmission augmente Heeren et al. [18] Rétrospective 1099 patients psychogériatriques : 30 % de troubles psychotiques Association temporelle entre diminution de la durée d’hospitalisation et nombre de réadmission. Les patients réadmis souffrent principalement de troubles de l’humeur et de troubles psychotiques Figueroa et al. [11] Rétrospective 5735 patients dont 6,4 % de troubles psychotiques Durée d’hospitalisation a un significatif impact mais modeste sur taux de réadmission Lin et al. [32] Rétrospective 29 373 patients ICD 9 pour trouble schizophrénique mais seulement hospitalisation volontaire 42,5 % des patients sont réadmis 30 jours après sortie de l’hôpital. De très courtes hospitalisations (1 à 13 jours) sont associées à une augmentation du taux de réadmission à 30 jours Durées d’hospitalisation des patients souffrant de schizophrénie : facteurs cliniques de variations ces travaux. Il est intéressant de noter que ces résultats contradictoires sont aussi retrouvés pour d’autres pathologies telles que la dépression. En effet, Wickizer et Lessler, en 1998, montrent que les patients ayant une courte durée d’hospitalisation pour cette pathologie ont des taux plus élevés de réadmissions dans les 60 jours suivant la sortie de l’hôpital [46]. Mais Lauber et al., en 2006, ne retrouvent pas de lien entre durée de la première hospitalisation pour épisode dépressif majeur et le nombre d’hospitalisations futures [30]. Ces données soulignent donc le lien complexe entre durée d’hospitalisation et taux de réadmission. Certains auteurs ont aussi tenté de répondre à cette question du lien entre durée d’hospitalisation et taux de réadmission en comparant plusieurs périodes au sein d’un même pays, périodes ayant des durées d’hospitalisation différentes du fait de politique de santé ou de problèmes économiques. Ces études vont dans le sens d’une diminution de la durée d’hospitalisation avec une augmentation du nombre d’hospitalisations courtes sans qu’une relation causale nette entre les deux soit établie car de nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte, par exemple des modifications socioéconomiques. Elles ne permettent donc pas de porter des conclusions claires du fait de l’hétérogénéité des groupes observés aux différents temps et du nombre de paramètres pris en compte [15,27]. Un autre point important serait de savoir si la diminution de la durée de séjour pour une hospitalisation diminue le nombre total de jours d’hospitalisation sur une année. En 2000, Goldstein et Shemansky retrouvent une diminution de la durée de séjours entre deux périodes avec une augmentation du nombre de réadmissions lorsque cette durée est plus courte mais un nombre de mois total d’hospitalisation sur une année identique. Mais les auteurs soulignent le fait que les différences sociodémographiques de leurs deux groupes (vétérans de la guerre de Corée hospitalisés entre 1965 et 1975 et vétérans de la guerre du Vietnam hospitalisés entre 1991 et 1994) pourraient en partie expliquer ce résultat. La seconde cohorte avait en effet un âge plus jeune de début de la maladie et était évaluée environ 20 ans après le début des troubles contre dix ans pour la première cohorte. Les patients étaient alors à des stades différents de leur pathologie [15]. Une fois de plus, il est difficile de porter des conclusions sur une seule étude et il serait très intéressant d’approfondir cette question. Facteurs faisant varier la durée d’hospitalisation Il existe une littérature assez importante concernant ce sujet mais une fois de plus avec peu de données spécifiques sur les patients souffrant de schizophrénie. Au vu des données actuelles de la littérature il semble adéquat de séparer ces facteurs en trois groupes : • les facteurs liés aux patients ; • les facteurs liés aux traitements ; • les facteurs liés aux systèmes de soins. Les facteurs liés au système de soins ne seront pas développés dans cet article. 93 Facteurs liés aux patients Un facteur important à prendre en compte dans la durée d’hospitalisation est l’intensité des symptômes au moment de l’hospitalisation. Les scores à la Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS) ont été utilisés dans deux études. Dans la première étude, il est retrouvé dans une analyse avec quatre sous-scores que les sous-scores de résistance, de symptômes positifs et d’inconfort psychologique étaient corrélés avec une hospitalisation prolongée dans 78 % des cas, et cela, dans une population de 2430 patients hospitalisés dont 33 % de patients schizophrènes [23]. En revanche, la seconde étude, portant sur 61 patients dont 28 souffraient de schizophrénie, ne retrouve pas de corrélation entre score à la BPRS à l’entrée et durée d’hospitalisation. Mais il est retrouvé une corrélation entre le pourcentage de diminution de la BPRS au cours des deux premières semaines d’hospitalisation et la durée d’hospitalisation [17]. En 2003, Oshima et al., se sont intéressés plus particulièrement à la place des symptômes négatifs. Ils retrouvent une corrélation positive entre présence et intensité des symptômes négatifs et durée d’hospitalisation [37]. Pour Durbin et al., en 1999, la sévérité des symptômes permettrait de prédire 9 à 11 % de la variabilité de la durée de séjour des patients souffrant de schizophrénie [8]. Ces études mettant en lien durées d’hospitalisation et symptomatologie sont peu nombreuses et n’explorent pas plusieurs domaines de la symptomatologie schizophrénique. Ainsi, à notre connaissance il n’existe pas d’étude mettant en lien les troubles cognitifs et les durées d’hospitalisation, alors que l’impact de ces troubles sur les problèmes de réinsertion socioprofessionnelle est maintenant très largement admis [22]. L’âge est un deuxième facteur important à prendre en compte et il est parmi les variables les plus souvent retrouvées dans les études recherchant des causes de variabilité des durées de séjour [24]. Mais cette variable âge serait à prendre en compte en fonction de la variable sexe. En effet, plusieurs études montrent que parmi les patients souffrant de schizophrénie dans la population de sujets jeunes hospitalisés il existe une surreprésentation masculine tandis que les femmes sont surreprésentées pour des âges au-dessus de 50 ans. Les femmes sont donc hospitalisées plus tardivement au cours de l’évolution de leur maladie et/ou la débutent plus tardivement permettant alors une meilleure intégration socioprofessionnelle et ainsi un meilleur pronostic. En revanche, il existerait une augmentation de la durée de séjour avec l’âge des patients qui touche donc plus spécifiquement les femmes [43,44]. Une troisième variable importante est celle des comorbidités. Parmi ces comorbidités l’une des plus décrite et des plus étudiée est la comorbidité addictive (alcool, cannabis, autres. . .). Les effets délétères de ces comorbidités sont maintenant bien connus. Il a en effet été montré que la présence d’une comorbidité addictive chez des patients schizophrènes pouvait entraîner une majoration de la symptomatologie, une utilisation plus fréquente des services d’urgence ou une désocialisation importante. De plus les patients ayant cette comorbidité présentent un taux plus élevé d’arrêt des traitements, de non-compliance aux soins et de plus nombreuses sorties d’hospitalisation sans avis médical [16]. Deux études se sont intéressées à la présence de cette comorbidité et aux durées d’hospitalisation. Les 94 D. Capdevielle et al. deux retrouvent une corrélation négative avec donc des durées de séjour plus brèves pour les patients présentant un double diagnostic comparés aux autres. Pour les auteurs, ces patients se stabiliseraient plus rapidement lorsque le problème de l’addiction est pris en charge et qu’un sevrage est entrepris ce qui est habituellement le cas lors d’une hospitalisation [24,42]. Cependant, ces résultats pourraient aussi indiquer des sorties prématurées des soins, indices de mauvaise stabilisation et d’échappement au soin. Des études prospectives seraient nécessaires pour démontrer cela. Les comorbidités somatiques sont aussi à prendre en compte et augmentent significativement les durées de séjour dans les hôpitaux psychiatriques [33]. En conclusion de cette partie, de nombreuses variables cliniques liées aux patients ont été étudiées afin d’évaluer leur impact sur la durée de séjour des patients souffrant de troubles psychiatriques et plus particulièrement de schizophrénie. L’étude de Huntley et al. retrouve deux modèles à quatre et cinq variables n’expliquant que 16 à 20 % de la variabilité de la durée de séjour. Ainsi, un diagnostic de schizophrénie, un diagnostic de trouble de l’humeur, un âge élevé et un nombre important d’hospitalisations antérieures prédisent une longue durée d’hospitalisation. En revanche, une comorbidité addictive prédirait une courte durée d’hospitalisation [24]. En 2004, Jimenez et al. ont mis en évidence un modèle à six variables pouvant prédire 37,4 % de la variabilité de la durée de séjour. Les six variables sont : • • • • • • l’âge ; la réponse au traitement ; un trouble de la personnalité ; un traitement par sismothérapie ; un trouble des conduites alimentaires et sexuelles ; des symptômes psychotiques [25]. Ces chiffres sont bas et montrent la complexité de ce problème des durées de séjour. Il existe donc probablement de nombreuses autres variables, ayant un poids important mais qu’il est plus difficile d’évaluer comme les systèmes de santé et les pratiques des médecins, par exemple. Facteurs liés aux traitements Le traitement paraît bien sûr être une des variables importante à laquelle s’intéresser lorsque l’on évoque les durées d’hospitalisation des patients. Pourtant, peu d’études spécifiques existent malgré les changements importants survenus au cours des 20 dernières années avec notamment l’apparition des neuroleptiques de seconde génération et plus récemment les techniques de réhabilitation inspirées des thérapies cognitives et comportementales. Renkel et Rasmussen, en 2006, se sont intéressés au traitement pharmacologique de patients souffrant de schizophrénie et à leur impact sur la durée de séjour mais dans le cadre d’une unité de sécurité maximum et donc sur une population bien particulière de patients. Ils montrent que malgré une augmentation des doses de neuroleptique entre 1987 et 2000 la durée de séjour n’a pas changé [41]. En 2005, Ahn et al. se sont intéressés à la place du traitement par clozapine dans la prise en charge des patients souffrant de schizophrénie résistante. L’utilisation de clozapine permet une diminution significative du nombre et des durées des hospitalisations [1]. Enfin, de façon très novatrice des auteurs se sont intéressés à la place de la pharmacogénétique dans la prise en charge des patients schizophrènes et plus particulièrement au rôle que ces tests pourraient jouer dans la prédiction de la durée d’hospitalisation. Ce génotypage, portant essentiellement sur les polymorphismes CYP2D6 et CYP2C19 du cytochrome P450, a montré que les patients « poor metabolizers » ont des durées plus longues d’hospitalisation. Les auteurs en concluent alors que ce génotypage pourrait permettre, en donnant le traitement le plus adéquat le plus rapidement possible et à la bonne dose, de diminuer la durée d’hospitalisation [29]. À notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à la place des prises en charge psychothérapeutiques au cours des hospitalisations (thérapie cognitive et comportementale, remédiation cognitive, psychoéducation) ou à la prise en charge des familles. Conséquences cliniques de la diminution des durées d’hospitalisation La question de la durée des hospitalisations des patients souffrant de schizophrénie rejoint assez clairement la question de la diminution du nombre de lits dans les services de psychiatrie. Certains ont des données très pessimistes. Ainsi, Munk-Jorgensen en 1999 rapporte les données suivantes provenant des registres danois. Parallèlement à la diminution du nombre de lits, il y a eu une augmentation de 100 % du taux de mortalité par suicide pour les patients psychotiques, une augmentation exponentielle de 6,7 % par an des actes criminels commis par des personnes présentant un trouble mental, une augmentation des temps d’occupation des lits de 80 à 100 % et une augmentation des admissions pour état aigu de 80 à 100 %. En revanche, il n’est pas retrouvé de diminution, ni d’augmentation du taux de réadmission à un an parmi les patients schizophrènes [35]. Ces données sont présentées telles quelles en lien avec la désinstitutionalisation mais on peut penser que de nombreux autres facteurs, notamment économiques peuvent entrer en ligne de compte. Mais elles soulignent un point important qui est les risques qu’une sortie prématurée d’hospitalisation pourrait faire encourir aux patients. Parmi ces risques, le risque suicidaire est bien sûr à prendre en compte et ce risque à la sortie d’une hospitalisation peut être un indicateur de la qualité des soins reçus. Une étude de grande ampleur réalisée au États-Unis portant sur 121 933 patients souffrant de schizophrénie, trouble bipolaire, dépression et syndrome de stress post-traumatique montre qu’une durée de séjour inférieure à 14 jours ainsi qu’un manque de suivi après l’hospitalisation sont significativement associés avec un risque plus élevé de suicide [7]. Il existe deux pics à risque de suicide durant une hospitalisation : la première semaine d’hospitalisation et la première semaine suivant la sortie de l’hôpital, et cela, d’autant plus que la durée de séjour aura été courte (inférieure à 14 jours) [40]. La question de la qualité de vie est ensuite aussi une question majeure dans la prise en charge des patients. À Sydney, une expérience de désinstitutionalisation de patients souffrant de schizophrénie a été suivie pendant six ans. Le principal résultat a été l’amélioration de la qualité de vie des patients qui étaient restés en moyenne huit ans à Durées d’hospitalisation des patients souffrant de schizophrénie : facteurs cliniques de variations l’hôpital. Au bout de 6 ans les 36 patients qui vivaient dans la communauté n’avaient plus besoin d’une prise en charge vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Leur état clinique s’est stabilisé avec une diminution des doses de traitement. De plus, les patients rapportent leur satisfaction à vivre à l’extérieur de l’hôpital [21]. De la même façon, Priebe et al., en 2002, se sont intéressés à la sortie de patients hospitalisés au long cours à Berlin. Les patients sortis après une longue hospitalisation ont une meilleure qualité de vie et moins de besoins, même s’il n’y a pas de changement du point de vue de leur psychopathologie [39]. Leff et al., en 1996, ont comparé la qualité de vie de patients sortant après une longue période d’hospitalisation à ceux restant à l’hôpital. Les patients sortis de l’hôpital vivent de manière beaucoup moins restrictive, préfèrent leur vie dans la communauté et leur nombre d’amis a augmenté. Mais les auteurs soulignent l’importance qu’une sortie soit bien préparée avec des ressources, nécessaires à celle-ci, disponibles [31]. C’est ce que le « Kiva project » dans l’État de Caroline du Sud aux États-Unis met en évidence, en montrant la diminution de la durée d’hospitalisation après le projet et la bonne insertion dans la communauté de patients très accompagnés [5]. En Australie, Browne et al. se sont intéressés au type d’hébergement à la sortie d’hospitalisation. Ils retrouvent que les patients retournant à leur domicile sont moins réhospitalisés que les patients habitant en foyer, et cela, même si les durées d’hospitalisation sont identiques [4]. Enfin, une revue Cochrane menée en 2000 montre que les patients ayant de courtes durée d’hospitalisation ont plus de chance d’être employés que les patients ayant de longues durée d’hospitalisation [26]. En conclusion, la majorité des études montrent une amélioration de la qualité de vie des patients souffrant de schizophrénie dans ces expériences de désinstitutionalisation. Discussion Cet article pose la question de l’évaluation de la durée du séjour initial à l’hôpital et des conséquences de celle-ci pour les patients. Au cours de ces années de désinstitutionalisation les données montrent une amélioration de la qualité de vie des patients mais il existe peu de données mettant en lien la durée d’hospitalisation et la symptomatologie. Ainsi, l’évaluation des troubles cognitifs, de l’insight, de la compliance au traitement et leur prise en charge spécifique ne sont pas abordés dans ce contexte des durées d’hospitalisation. Par ailleurs, les résultats concernant les taux de réadmissions sont assez contradictoires. Plusieurs points importants dans la prise en charge des patients souffrant de schizophrénie n’ont pas été pris en compte jusqu’alors dans l’évaluation de la durée de séjour. Tout d’abord, la question de la durée de psychose non traitée avant la première hospitalisation. Les conséquences cliniques et thérapeutiques de cette durée de psychose non traitée sont maintenant bien connues. Nous savons que plus le délai entre l’apparition des premiers symptômes et le premier traitement est long plus celui-ci mettra de temps à agir avec des conséquences péjoratives en termes de pronostic et de réinsertion socioprofessionnelle [38]. Nous pouvons donc penser que ce paramètre est bien sûr à prendre en compte dans la durée des hospitalisations pour 95 un premier épisode psychotique et l’organisation du suivi en extrahospitalier. De plus, la question de la durée de traitement non efficace durant l’hospitalisation est peu posée et la pharmacogénétique qui pourrait être une aide dans nos choix thérapeutiques nous apportera peut-être bientôt des solutions plus satisfaisantes. Autre point très important, les variables environnementales (lieu de vie, qualité de l’entourage, insertion socioprofessionnelle) sont elles aussi peu prises en compte. Il est en effet très difficile d’évaluer celles-ci de par leur nombre et leur complexité. Les variables cliniques ne permettent donc pas à elles seules de bien comprendre les facteurs influençant les durées d’hospitalisation. En revanche, elles peuvent permettre de mettre en évidence certains aspects positifs des courtes hospitalisations (meilleure qualité de vie, retour à l’emploi) et d’en souligner certains risques à prendre en compte (risque suicidaire). Dans les facteurs impliqués dans les durées de séjours les facteurs liés aux systèmes de soin ou aux conceptions théoriques des cliniciens semblent donc avoir une place importante. Du fait justement de leur importance et de leur complexité il ne nous est pas possible de les décrire dans cet article mais ils font l’objet d’un article spécifique. Conclusion La plupart des pays industrialisés ont mis en place, au cours de ces 30 dernières années, des programmes de désinstitutionalisation s’accompagnant d’une baisse importante du nombre de lits en intrahospitalier, les soins s’orientant vers des prises en charge en extrahospitalier. Mais cette réduction des durées d’hospitalisation a de nombreuses répercussions qui sont encore mal connues et les facteurs pouvant influencer ces durées d’hospitalisation sont aussi encore mal compris. Il paraît donc important de développer d’autres études prenant en compte ces divers facteurs afin de mieux comprendre les facteurs pouvant influencer les durées d’hospitalisation et les conséquences de celles-ci. Références [1] Ahn YM, Chang JS, Kim Y, et al. Reduction in hospital stay of chronic schizophrenic patients after long-term clozapine treatment. Int Clin Psychopharmacol 2005;20:157—61. [2] Appleby L, Desai RA, Luchins DJ, et al. Length of stay and recidivism in schizophrenia: a study of public psychiatric hospital patients. Am J Psychiatry 1993;150:72—6. [3] Appleby L, Luchins DJ, Deasi RA, et al. Length of inpatient stay and recidivism among patients with schizophrenia. Psychiatr Serv 1996;47:985—90. [4] Browne G, Courtney M, Meehan T. Type of housing predicts rate of readmission to hospital but not length of stay in people with schizophrenia on the Gold Coast in Queensland. Aust Health Rev 2004;27:65—72. [5] Cardona FA, Davis ER, Switzer PK. The Kiva project. 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