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MORT DU COMMUNISME
Le régime communiste chinois
après la guerre froide
par Paul André*
A
LORS QUE L’EUROPE VIENT DE CÉLÉBRER l’anniversaire de la chute du Mur de
Berlin, la Chine, elle, n’a pas pu commémorer l’anniversaire d’un événement
de plus triste mémoire: les vingt ans de la répression des manifestations
étudiantes de la place Tiananmen. Pourtant dès 1978, la Chine s’était engagée dans un
processus de réformes économiques. Elle fut aussi très tôt touchée par des mouve-
ments aspirant à plus de démocratie: « Printemps de Pékin » et « Mur de la démo-
cratie » en 1979, mouvements de 1987, manifestations étudiantes place Tiananmen et
manifestations à Lhassa en 1989. La première moitié des années 1980 vit se déve-
lopper dans tout le pays un mouvement de libéralisation du pays où nombre de
publications non officielles, débats, instituts de recherches furent tolérés[1].
Mais que dire de la situation actuelle? Pékin demeure l’un des derniers reliquats de
la période communiste avec la Corée du Nord, le Vietnam et Cuba au sens où le Parti
communiste y a l’exclusivité du pouvoir. Le régime semble figé et incapable de la
moindre réforme politique. Dans le même temps, la Chine a opéré une mue specta-
culaire de son économie. La transition vers l’économie de marché s’est accompagnée
d’une ouverture du pays sur le reste du monde. L’économie chinoise est aujourd’hui
largement intégrée dans l’économie-monde. Si bien qu’on parle souvent aujourd’hui
de la Chine comme d’un acteur majeur de la mondialisation.
Peut-on donc dans ces conditions parler de communisme en Chine ?
Pour définir la nature du régime chinois contemporain, il faut d’abord préciser les
caractéristiques du régime instauré par les communistes en 1949, puis l’ampleur des
changements économiques actuels avant de se demander dans quelle mesure la
société civile s’est affranchie du contrôle politique aujourd’hui.
*
Doctorant en Science politique à l’Université Paris-Est/Marne-la-Vallée.
1. Sur l’évolution du mouvement démocratique en Chine à cette période voir: Jean-Philippe BÉJA, À la recherche
d’une ombre chinoise, Paris, Seuil, 2004, partie I, CHEN Yan, L’éveil de la Chine, Paris, Éd. de l’Aube, 2002, ZHANG
Lun, La vie intellectuelle en Chine depuis la mort de Mao, Paris, Fayard, 2003.
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Retour sur une histoire proche
Définir les caractéristiques du régime instauré en 1949 semble une tâche relative-
ment aisée. Précisons, au préalable, qu’il serait erroné de réduire la République
populaire de Chine (RPC) – et à plus forte raison le régime actuel – au système
maoïste tel qu’il a pu s’exprimer pendant la révolution culturelle. Celle-ci ne fut
qu’une période de l’histoire de la République populaire (1966-1976). Le totalita-
risme en Chine ne peut se réduire à cette période même si elle en fut sans doute le
point culminant. Le Parti-État n’était pas moins totalitaire avant la période de délire
utopiste du Grand Timonier qu’il ne l’était après sa mort. La nature totalitaire du
régime dépasse la seule personne de Mao Zedong.
Quand le Parti communiste arrive au pouvoir en Chine en 1949, il emprunte à
l’Union soviétique sa stratégie de développement ainsi que ses institutions écono-
miques et politiques. Au-delà de la proximité idéologique, l’URSS était le seul pays
communiste qui, de par sa taille, pouvait lui servir de modèle. Le régime établi par
Mao à partir de 1949 constituait une variante du système communiste de type stali-
nien. Comme tel, il peut être rangé dans la catégorie plus large du totalitarisme que
Raymond Aron qualifie comme un système politique dans lequel s’accomplit « l’ab-
sorption de la société civile dans l’État » et « la transfiguration de l’idéologie de l’État
en dogme imposé aux intellectuels et aux universitaires »[2]. Le régime communiste
chinois a instauré un système de contrôle politique, économique, social et culturel
sans précédent dans l’histoire de la Chine. Le pays est devenu une seule et même
organisation gérant une infinité de micro-organisations interdépendantes. Pour ce
faire, le pouvoir s’appuie sur des institutions créées par le nouveau régime, comme le
danwei (l’unité de travail), le dossier personnel ou encore le comité de quartier.
Les campagnes ont connu un système un peu différent mais, pour la première fois
dans l’histoire de la Chine, les paysans subissaient un contrôle très fort de l’État, ce
que les précédents régimes ou dynasties n’avaient jamais voulu ou pu réaliser. L’avait
rendu possible la destruction préalable par Mao des structures existantes dans tous
les domaines de la vie sociale. Dans la mesure où la société civile n’existait plus, il
ne restait que « des masses », mobilisées par le pouvoir, à sa guise et selon ses objec-
tifs. Cette mobilisation ne fut pas une invention maoïste. Mais Mao Zedong y a eu
davantage recours que les autres dirigeants totalitaires. Elle lui a permis de résoudre
des problèmes politiques qui l’opposaient à d’autres membres du Parti. Ce fut le cas
lors la Révolution culturelle. Elle lui a permis aussi de maintenir vivante l’idéologie
et l’utopie révolutionnaire. L’édification du système totalitaire en Chine n’a été
2. Raymond ARON, Mémoires, 50 ans de réflexion politique, Paris, Julliard, 1983.
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possible que par la destruction, la déconstruction des structures sociales existantes
qui concurrençaient le monopole du Parti communiste chinois dans son rapport à
la société. Destruction de toute concurrence politique d’abord: tous les autres partis
politiques ont été interdits[3]. Destruction de la concurrence culturelle ensuite: l’État
s’est approprié tous les moyens d’information. Mais on a assisté aussi à la destruc-
tion de la concurrence économique car l’État-Parti s’est approprié tous les moyens
de production urbains et a « collectivisé » (mais pas étatisé) les campagnes. Enfin,
l’État-Parti s’est engagé dans la destruction de toutes les structures sociales car
certains groupes sociaux disposaient d’un prestige extérieur au Parti (à la
campagne: les propriétaires fonciers et les paysans riches, les chefs de clan et de
famille; dans les villes : les capitalistes, les entrepreneurs et les intellectuels). « Il va
de soi que toutes les associations et organisations sociales correspondant à l’ancien
système disparaissent et sont remplacées par des organisations de masse (Fédération
des syndicats, Fédération des femmes, Ligue de la jeunesse, etc.) toutes entièrement
contrôlées par le Parti, selon la théorie léniniste de la courroie de transmission »[4].
La réforme de l’économie: transition ou simple modernisation?
À partir de 1978, Deng Xiaoping initie une politique de réformes et d’ouverture
économiques. On aurait tôt fait de penser que cette évolution était une transition
vers l’économie de marché et porterait un coup fatal au régime. Or, il n’y a rien
d’automatique entre l’abandon du plan pour le marché et la transformation du
régime politique. Ce sont sans doute les excès de l’utopisme maoïste qui ont conduit
ses successeurs à aller plus loin que les autres régimes communistes dans les
réformes économiques et le pragmatisme. Le régime se recentre alors sur la question
du développement et reconnaît avoir accordé trop d’importance aux questions
idéologiques.
Pourquoi la Chine, contrairement à l’URSS, a-t-elle été capable d’accomplir une
réforme économique sans réformer sa structure politique? Bien que les deux
systèmes fussent structurellement très similaires, la version chinoise du commu-
nisme était moins institutionnalisée et plus décentralisée que celle de l’URSS.
LE RÉGIME COMMUNISTE CHINOIS APRÈS LA GUERRE FROIDE
3. Officiellement, le régime chinois est multipartiste. Mais dans les faits, ces partis n’ont aucune assise réelle.
4. Michel BONNIN, « Comment définir le régime politique chinois aujourd’hui? » in Yves MICHAUD (dir.), La Chine
aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 223.
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La concurrence pour le pouvoir
Nombre d’universitaires, tels Lieberthal, Oksenberg[5] ou encore Lampton[6], ont
montré que la politique en Chine était un processus pluraliste, caractérisé par un
pouvoir fragmenté entre différents départements et échelons bureaucratiques. Bien
que les dirigeants chinois ne soient pas élus par le peuple, ils ne sont pas non plus des
monarques absolus. Ils doivent rendre des comptes de leurs décisions. Mais la respon-
sabilité politique des dirigeants dans un régime autoritaire est plus élusive que dans
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5. Kenneth LIEBERTHAL & Michel OKSENBERG, Policy Making in China, Leaders Structures and Processes, Princeton,
Princeton University Press, 1988.
6. David LAMPTON, Policy Implementation in Post-Mao China, University of California Press, 1987.
Deng Xiaoping (1904-1997), Secrétaire général du Parti communiste chinois de 1956 à 1967,
puis dirigeant de facto de la République populaire de Chine de 1978 à 1992.
On le voit ici, en 1979, au Johnson Space Center, lors d’une visite à la Nasa.
Source: Great Images in NASA
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un régime démocratique. Les règles officielles de sélection ne sont pas toujours respec-
tées et les processus de sélection des dirigeants sont opaques. Les dirigeants du Parti
communiste (le Secrétariat général, le Politburo et le comité permanent du Politburo)
sont choisis par ce qu’on peut appeler un « collège ». Ce « collège » correspond au
Comité central, soit environ deux cents membres. Ce comité est choisi parmi les deux
mille membres du Congrès du Parti communiste (qui se réunit tous les cinq ans).
Cependant, il ne faut pas voir dans ce processus une forme de proto-démocratie dans
la mesure où la règle légale n’est pas toujours appliquée, le pouvoir informel conti-
nuant de jouer un rôle majeur dans la politique chinoise. Cette importance du
pouvoir informel est bien plus grande en République populaire de Chine qu’elle ne
l’était en URSS. Ainsi les membres influents du PCC (les vétérans du parti) continuent à
participer aux décisions politiques et à prendre part au processus de sélection des
cadres même s’ils ne sont plus membres du Comité central ou du Politburo. La déci-
sion de Deng Xiaoping d’introduire les réformes à la fin de l’année 1978 n’était pas
dictée par la nécessité économique, mais par l’intérêt politique qu’il avait à discréditer
Hua Guofeng et lui retirer les rênes du pouvoir[7]. La compétition pour le leadership
du Parti communiste chinois a permis l’introduction de nouvelles idées pour les poli-
tiques économiques.
La décentralisation
L’autre facteur explicatif de la réussite de la politique de réformes économiques est
sans doute que le système chinois était bien plus flexible que son homologue sovié-
tique. Cela peut s’expliquer par la construction historique de l’État moderne en
Chine. Mais cette flexibilité tient aussi à des causes plus récentes. Le caractère plus
décentralisé de l’économie et de l’administration chinoise est un héritage du
maoïsme, notamment des deux campagnes de masses que furent le « Grand bond en
avant » (1958) et la Révolution culturelle (1966-1969). Un des éléments fondamen-
taux de la stratégie politique de Mao était, en effet, de jouer la carte des provinces
contre le centre. Face à ses rivaux politiques (partisans d’un communisme plus
orthodoxe) qui tenaient les administrations du plan et les rouages du Parti, Mao
encouragea les cadres des provinces à étendre la politique de décentralisation et à
accroître leur représentation au sein du Comité central pour que leur voix pèse plus
au sein du PCC. Inspiré par la stratégie de Mao, Deng a utilisé les provinces (qui
voyaient dans la réforme un moyen d’augmenter leurs revenus et de gagner en auto-
nomie). Gorbatchev ne disposait pas d’une telle marge de manœuvre. C’est sous la
direction de Deng que les cadres de province devinrent le groupe le plus important
LE RÉGIME COMMUNISTE CHINOIS APRÈS LA GUERRE FROIDE
7. Susan SHIRK, How China opened its door, Washington D.C., Brookings Institution Papers, 1994.
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