Summer 2015.indd - Canadian Oncology Nursing Journal

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Soins psychosociaux complets aux patients touchés par le
cancer : Dépister la détresse chez les membres de la famille
par Anita Mehta et Marc Hamel
ABréGé
Les membres de la famille ont des rôles multiples dans le cadre de la prestation de soins
à une personne diagnostiquée du cancer. Le
fardeau associé à ces rôles peut se solder chez
les membres de la famille par des niveaux
élevés de détresse émotionnelle notamment
la dépression, l’anxiété et des plaintes d’ordre
physique. Afin que les soins psychosociaux
complets soient tout à fait inclusifs, le bienêtre et les niveaux de détresse des membres
de la famille doivent aussi être pris en
compte. À ce jour, on a peu d’information
sur les sources particulières de détresse chez
les membres de la famille.
Le but de cette recherche était de combler cette lacune. Plus particulièrement, les
chercheurs ont élaboré un outil de dépistage unique en son genre afin de dégager
les sources de détresse émotionnelle pour les
membres de la famille. L’étude s’est déroulée en trois phases : 1) une revue documentaire complète a été effectuée afin de générer
un premier ensemble d’éléments; 2) deux
groupes de discussion distincts se sont tenus,
composés de professionnels en soins de santé
et de membres de la famille, afin d’obtenir
leur opinion au sujet des éléments potentiels
que comporterait l’outil et; 3) un échantillon de membres de la famille a été invité à
discuter de la pertinence des éléments proposés. Les résultats de ces analyses ont mené à
un outil comprenant 46 éléments. Les réactions des membres de la famille au sujet de
ces éléments suggéraient qu’ils étaient souvent confrontés à des sources particulières de
détresse y compris des sources liées à l’autonomie, aux soins au patient et au relationnel.
L
e cancer touche la famille tout
entière. Alors que la détresse émotionnelle des patients atteints de cancer est amplement étudiée (Graves
et al., 2007; McLean & Jones, 2007;
Sellick & Edwardson, 2006; Zabora,
BrintzenhofeSzoc, Curbow, Hooker
& Piantados, 2001), la détresse des
membres de la famille est souvent négligée. Pourtant, il a été démontré que
les taux de détresse des membres de la
famille de patients en oncologie sont
élevés. Par exemple, à l’aide du Distress
Thermometer [Thermomètre de la
détresse], une équipe de chercheurs a
rapporté que 29,2 % des membres de la
famille de patients en oncologie éprouvaient un niveau de détresse modéré
et 18 %, un niveau de détresse élevé
(Zahlen, Hagenbach, Carley, Recklitis
& Buchi, 2008). De plus, la recherche
suggère que la détresse des membres
de la famille tend à augmenter lors de
moments spécifiques tout au long de
la trajectoire de la maladie (Murray
et al., 2010). Enfin, la capacité générale des patients à faire face à la situation est assurément liée au bien-être
des membres de la famille (Northouse,
2012). En se basant sur la clientèle des
Au sujet des Auteurs
Anita Mehta, inf., Ph.D., conseillère cadre en soins infirmiers spécialisés, Co-directrice,
Programme psychosocial en oncologie, Centre universitaire de santé McGill
Marc Hamel, Ph.D., directeur clinique, Programme d’oncologie psychosociale,
Centre universitaire
Correspondance : Anita Mehta, 1650 avenue Cedar T6-301, Montréal, QC
Tél. : 514 934-1934 poste 44815; Téléc. : 514 934-8593; Courriel :
[email protected]
reconnAissAnce de FinAncement
Le Fonds de développement de la recherche en sciences infirmières (Nursing Research Development Fund),
soutenu grâce à la générosité de la Fondation Newton et grâce à des fonds de contrepartie versés par les
fondations de l’Hôpital général de Montréal, de l’Hôpital Royal Victoria et de l’Hôpital de Montréal pour
enfants (Centre universitaire de santé McGill)
CANADIAN ONCOLOGY NURSING JOURNAL � VOLUME 25, ISSUE 3, SUMMER 2015
REVUE CANADIENNE DE SOINS INFIRMIERS EN ONCOLOGIE
membres de la famille observée dans
notre programme d’oncologie psychosociale, nous arguons que les soins
complets au patient doivent également
répondre aux besoins des membres de
la famille qui sont directement impliqués dans l’expérience du cancer de
leurs êtres chers. Actuellement, tous les
nouveaux patients et les membres de
leur famille qui voient un clinicien dans
le cadre de ce programme sont invités à
compléter la liste canadienne de vérification des problèmes (LCVP) (Groupe d’action pour l’expérience globale du cancer,
2009) afin d’identifier les sources de
leur détresse. Bien que la LCVP n’ait
pas été conçue spécifiquement pour les
membres de la famille, nous l’avons utilisée afin de savoir ce qu’ils cernaient
comme étant les sources de leur propre
détresse. Les membres de la famille
nous ont informés qu’ils avaient l’impression que cet outil ne s’appliquait pas
entièrement à eux. Ils ont noté que leurs
sources de détresse n’y étaient pas toutes
identifiées et que les sources de détresse
figurant dans la liste semblaient très spécifiques aux patients. Afin de résoudre
ce problème, nous avons reconnu que
l’élaboration d’un outil de dépistage pour
les membres de la famille était un premier pas nécessaire à la fourniture de
soins optimaux à ces derniers.
Le but de la présente étude était d’élaborer un outil de dépistage conçu pour
déterminer le niveau de détresse des
membres de la famille et la liste de leurs
préoccupations particulières. L’étude s’est
déroulée en trois phases. Premièrement,
on a effectué une revue documentaire
complète des sources qui contribuent à la
détresse émotionnelle chez les membres
de la famille. Ensuite, des groupes de discussion distincts se sont tenus, composés de professionnels des soins de santé
en oncologie et de proches de patients
touchés par le cancer. Les buts de ces
groupes de discussion étaient les suivants : 1) passer en revue les éléments
359
FEATURES/RUBRIQUES
communicAtion BrÈVe
FEATURES/Rubriques
préliminaires générés par la revue documentaire; 2) solliciter des suggestions
quant à l’addition ou au retrait d’éléments
et; 3) fournir un retour sur la Family
Member Problem Checklist (FMPC) [appelée ci-après « Liste de vérification des
problèmes des membres de la famille
[LVPMF]. Ces groupes de discussion ont
fait l’objet d’un enregistrement audio
et d’une transcription. Le contenu des
échanges de ces groupes a été codifié et
les thèmes pertinents en ont été extraits.
Enfin, on a demandé à un échantillon de
N=106 membres de la famille recrutés
dans des cliniques d’oncologie d’évaluer
la pertinence des éléments de la LCVP
par rapport à leur expérience globale.
L’outil de dépistage a fini par comporter 46 éléments (voir la figure 1). Les
résultats de cette recherche indiquent
que, comme les patients atteints de
cancer, les membres de la famille rapportent des sources de détresse liées
aux domaines pratique (p. ex. transport/stationnement), émotionnel (p. ex.
anxiété, inquiétudes), social/familial
(p. ex. manque de soutien), informationnel (p. ex. à propos du pronostic) et spirituel (p. ex. foi). Cependant les membres
de la famille rapportent aussi des sources
uniques de détresse pertinentes pour eux
notamment des sources liées au relationnel (p. ex. relation avec le patient), à l’autonomie (p. ex. gérer son propre temps)
et aux soins au patient (p. ex. gérer les
symptômes du patient).
L’étude invitait aussi les participants à
répondre à des questions qualitatives liées
à leur expérience de remplissage des éléments de la liste de dépistage. Beaucoup
d’entre eux étaient fermement convaincus que la nouvelle « liste de vérification
couvre la plupart des préoccupations
qu’un membre de la famille puisse avoir »
RÉFÉRENCES
Graves, K.D., Arnold, S.M., Love, C.L., Kirsh,
K.L, Moore, P.G., & Passik, S.D. (2007).
Distress screening in a multidisciplinary
lung cancer clinic: Prevalence and
predictors of clinically significant
distress. Lung Cancer, 55(2), 215–224.
Groupe d’action pour l’expérience globale du
cancer (2009). Guide d’implantation du
dépistage de la détresse, le 6ième signe vital.
Vers des soins centrés sur la personne.
www.canadianpartnershipagainstcancer.ca
McLean, L.M., & Jones, J.M. (2007). A
review of distress and its management in
360
Liste de vérification des problèmes des
membres de la famille [Traduction libre]
Veuillez cocher tous les éléments qui ont été
une préoccupation ou un problème pour vous
au cours de cette dernière semaine, y compris
aujourd’hui.
Pratique
❏❏ Finances
❏❏ Questions juridiques
❏❏ Transport/stationnement
❏❏ Tâches ménagères
❏❏ Prendre soin d’autres personnes
❏❏ Travail/études
❏❏ Gérer mon propre temps
Information
❏❏ Sur la maladie
❏❏ Sur le traitement
❏❏ Sur le pronostic
❏❏ Sur les ressources de soutien
Communication
❏❏ Agir à titre de porte-parole
❏❏ Difficulté de parler de certains sujets
Émotionnel
❏❏ Tristesse
❏❏ Colère/frustration
❏❏ Anxiété/inquiétude
❏❏ Culpabilité
❏❏ Sentiment d’être dépassé(e)
❏❏ Sentiment d’impuissance
❏❏ Choc
❏❏ Ressentiment
Social
❏❏ Sentiment de solitude
❏❏ Manque de soutien
❏❏ Attentes des autres
Relationnel
❏❏ Changement de rôles sociaux
❏❏ Relation avec le patient
❏❏ Relation avec l’équipe de soins
❏❏ Dynamique familiale
Spirituel
❏❏ Foi
❏❏ Signification et but
❏❏ Espoir
❏❏ Mort/mourir
Autonomie
❏❏ Sommeil
❏❏ Appétit
❏❏ Concentration/mémoire
❏❏ Fatigue/faiblesse
❏❏ Intimité/sexualité
❏❏ Mes propres problèmes de santé physique
❏❏ Mes propres problèmes de santé mentale
❏❏ Trouver du temps pour moi-même
❏❏ Faire face à la situation
Soins au patient
❏❏ Gérer les symptômes du patient
❏❏ Gérer les médicaments du patient
❏❏ Gérer les rendez-vous du patient
❏❏ Prendre soin du patient à la maison
❏❏ Confiance en soi en tant qu’aidant naturel
Mehta & Hamel, 2015 [Pas de version française officielle jusqu'à présent]
Figure 1 : Liste de vérification des problèmes des membres de la famille
et qu’elle est « claire » et « facile à lire ».
Le temps moyen pris pour compléter la
LCVP était de 7,6 minutes, avec une étendue de 30 secondes à 20 minutes, d’après
leurs réponses qualitatives. Les réactions
aux questions qualitatives suggèrent
qu’ils ont trouvé la LCVP facile à compléter et pertinente pour eux en tant qu’outil.
Les membres de la famille sont souvent considérés comme des « patients
cachés » dans le milieu de l’oncologie.
Ils doivent souvent prodiguer des types
de soins variés aux patients, sans avoir
de formation préalable ni de reconnaissance, et on attend d’eux qu’ils apportent
leur soutien continu tout au long de la
maladie du patient. Conséquemment, les
membres de la famille peuvent ainsi se
sentir dépassés, anxieux et/ou déprimés.
L’élaboration de cet outil clinique spécialement conçu pour dépister les sources
de détresse chez les membres de la
famille constitue le premier pas vers une
évaluation complète de leur détresse et
probablement aussi de celle du patient.
Cette évaluation/dépistage place les
infirmiers et infirmières et tous les professionnels de la santé dans une meilleure position pour prodiguer, à l’avenir,
un soutien optimal et des interventions
appropriées aux membres de la famille.
couples facing end-of-life cancer. PsychoOncology, 16(7), 603–617.
Murray, S.A., Kendall, M., Boyd, K., Grant,
L., Highet, G., & Sheikh, A. (2010).
Archetypal
trajectories
of
social,
psychological, and spiritual wellbeing
and distress in family care givers of
patients with lung cancer: Secondary
analysis of serial qualitative interviews.
British Medical Journal, 340, 2581.
Northouse, L.L. (2012). Helping patients
and their family caregivers. Oncology
Nursing Forum, 39(5), 500–506.
Sellick, S.M., & Edwardson, A.D. (2006).
Screening new cancer patients for
psychological distress using the hospital
anxiety and depression scale. PsychoOncology, 16(6), 534–542.
Zabora. J., BrintzenhofeSzoc, K., Curbow, B.,
Hooker, C., & Piantadosi, S. (2001). The
prevalence of psychological distress by
cancer site. Psycho-Oncology, 10(1), 19–28.
Zwahlen, D., Hagenbuch, N., Carley, M.I.,
Recklitis, C.J., & Buchi, S. (2008).
Screening cancer patients’ families with
the distress thermometer (DT): a validation
study. Psycho-Oncology, 17(10), 959–66.
Volume 25, Issue 3, Summer 2015 • Canadian Oncology Nursing Journal
Revue canadienne de soins infirmiers en oncologie
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