Longue vie aux vieux cerveaux

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Paru dans « Le Cercle-Psy », numéro 16, mars-avril-mai 2015
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Longue vie aux vieux cerveaux !
Martine Fournier
Le vieillissement cérébral est souvent présenté comme une catastrophe, et un ticket d’entrée presque
obligé pour la maladie d’Alzheimer. Plusieurs chercheurs s’insurgent : pour eux, le cerveau des
personnes âgées peut échapper au déclin.
Et si vieillir était une bonne nouvelle ? Et si la vieillesse n’était pas une maladie ? Et si on pensait le
vieillissement autrement ? Ces allégations – titres d’ouvrages récemment parus (1) – peuvent
surprendre. Selon le discours ambiant, un véritable « tsunami » s’abattrait sur les pays occidentaux
avec l’augmentation spectaculaire de l’espérance de vie et l’accroissement du nombre de seniors …
Tout cela accompagné d’un véritable fléau dont le nom est même passé dans le langage courant : «
c’est mon Alzheimer », s’entend-on prononcer à la moindre défaillance de mémoire…
Pourtant depuis quelque temps, de nombreuses voix de chercheurs, de neuropsychologues, de
gérontologues, s’élèvent contre « ce lancinant refrain » qui considère les détériorations de l’âge
comme une maladie. Un refrain dont les conséquences sont devenues délétères par les peurs et les
stigmatisations qu’elles engendrent.
Non qu’il s’agisse de nier la réalité du vieillissement cognitif (pertes de mémoire, de concentration, de
flexibilité face aux nouvelles informations) qui s’accroît au fil de l’âge. Mais, si la terrible maladie,
découverte en 1906 par le psychiatre Alois Alzheimer, existe bien, c’est son extension à tout un
ensemble de troubles que remettent en cause nombre de publications actuelles. « Les vieillards que
l’on accable avec ce diagnostic se présentent avec des tableaux cliniques tellement différents qu’il est
difficile d’admettre que l’on puisse les regrouper sous le vocable unique d’une seule et même maladie
», signale le gériatre Alain Jean (2).
Des recherches mettent en évidence la disparité des symptômes que l’on regroupe sous le diagnostic
de maladie d’Alzheimer (MA). D’autant que celle-ci n’est pas associée à des changements spécifiques
dans le cerveau. Ces modifications ne sont pas localisées uniquement dans les régions temporales
médianes (incluant l’hippocampe) comme l’indiquaient les critères diagnostiques traditionnels. Et l’on
constate aujourd’hui que la présence de plaques amyloïdes* et de dégénérescences neurofibrillaires*
ne sont pas réservées aux seuls patients Alzheimer. On les retrouve chez des vieillards « normaux »,
et ces phénomènes deviennent même identiques pour tous au-delà de 85 ans.
Un modèle biomédical dominant
« La communauté scientifique s’est laissé séduire par ces modifications neuropathologiques en les
attribuant à la maladie d’Alzheimer », affirment les neuropsychologues Martial et Anne-Claude Van
der Linden (3). Nous serions aujourd’hui sous l’emprise du neurologique et du biologique, estiment ces
chercheurs qui s’érigent contre un « modèle biomédical » prédominant dans nos sociétés. Voir le
vieillissement comme une maladie, c’est entretenir l’illusion que l’on pourra la vaincre. Et donc
entretenir le mythe de l’immortalité, dans une société qui valorise la jeunesse, la forme éternelle,
l’efficacité et où « la fragilité et la finitude n’ont pas leur place », renchérit Alain Jean (voir encadré).
Au total, ajoute celui-ci, on est arrivé aujourd’hui à cette « politique sanitaire de l’angoisse » que,
dans les années 1970, le psychiatre gérontologue Robert Butler, fondateur aux États-Unis du National
Institute on Aging, appelait de ses vœux. Ce modèle biomédical présente en outre de fructueuses
retombées économiques : les recherches génèrent d’importants crédits, des programmes nationaux,
des équipes de recherches et des laboratoires parfois sponsorisés par une industrie pharmaceutique
pour qui le vieillissement des populations constitue une véritable manne. Alors que, constatent encore
les Van der Lindern « on ne dispose à ce jour d’aucun médicament ayant une efficacité réelle qui
puisse entraver l’évolution de la MA, ni améliorer l’autonomie et la qualité de vie de ces malades». Et
l’on sait aujourd’hui que les neuroleptiques et les antidépresseurs, bien que souvent prescrits, sont
peu efficaces et peuvent entraîner des effets secondaires graves.
Autre sujet très controversé : le dépistage précoce de la maladie. Le MCI ( mild cognitive impairment,
déficit cognitif léger) est censé évaluer les prémices de MA chez des seniors présentant des troubles
de mémoire et de l’attention. Mais là encore, de nombreuses données mettent en avant une faible
validité de ce diagnostic, qui ne prédit pas la démence dans les deux tiers des cas. D’autant que les
performances aux tests sont très variables, conditionnées souvent par le stress de se voir étiqueté
futur Alzheimer, la fatigue, la prise de médicaments dont les effets négatifs sont connus sur la mémoire
et l’attention, et qui font que l’on peut observer de faibles performances au MCI chez des sujets
normaux. Cette extension de la demande du diagnostic précoce, nourrie par une grande peur sociale
et l’angoisse des patients, remplit les salles d’attente des cliniciens spécialisés. Elle fait aussi
fructifier les fabricants de tests de dépistage et autres logiciels de stimulation cognitive dont on
reconnaît aujourd’hui les effets plus que modérés (voir dossier du Cercle Psy n°13).
Au total, « le spectre d’Alzheimer », omniprésent par les dépistages, les diagnostics et surdiagnostics,
aboutit à stigmatiser la population des personnes âgées, et même, ajoute Alain Jean, « à les exclure
d’une société qui se voudrait éternellement jeune. Il existe en fait une multiplicité de facteurs qui
interviennent de manière délétère dans les détériorations cognitives du grand âge : les deuils,
l’angoisse de mort, le regard négatif de la société sur les vieillards, et notamment sur ceux qui
commencent à ‘‘perdre la tête’’. Mais aussi des interactions manifestes engendrées par les douleurs
chroniques, les anesthésies opératoires, les médicaments inadaptés… »
Partie intégrante de l’aventure humaine
C’est pourquoi des chercheurs et des cliniciens proposent de changer de focale. Pour eux, le
vieillissement cognitif n’est pas une maladie, « il fait partie intrinsèquement de l’aventure humaine»,
écrivent les Van der Linden. Son évolution est très variable selon les individus et d’innombrables études
montrent le poids des facteurs psychologiques, sociaux, culturels, environnementaux. On sait par
exemple que l’activité physique (dès la cinquantaine) contribue à optimiser le fonctionnement cognitif.
Ces effets bénéfiques seraient dus pour partie à son action sur le système endocrinien du stress. Alors
que justement, les grands stress de la vie (deuils, stress post-traumatique) et les émotions négatives
peuvent aggraver le vieillissement cérébral.
L’insertion sociale et familiale, les relations amoureuses, les loisirs, des activités intellectuelles
stimulent également le cerveau et entretiennent l’estime de soi. Tandis que le sentiment de solitude,
l’absence de sens à l’existence, souvent associés à des handicaps physiques engendrent des
symptômes dépressifs susceptibles d’accroître la détérioration cognitive.
On sait aussi que nous ne sommes pas égaux face à la vieillesse : généralement, plus on a fait d’études,
moins on présente de problèmes de mémoire et de risque de démence. Des facteurs tels que le niveau
scolaire, la profession exercée, et même, selon certaines recherches, le bilinguisme, contribueraient à
former ce que les psychologues appellent une « réserve cérébrale » qui limiterait les effets du
vieillissement.
Selon Alain Jean, « le cerveau ne s’use que si l’on ne s’en sert pas » . La découverte de la plasticité
cérébrale, grâce notamment aux progrès de l’imagerie fonctionnelle, a changé notre regard. Le
cerveau est capable de créer de nouvelles connexions à tout âge, même si, durant la vieillesse, une
partie des neurones s’atrophie et que la matière blanche, responsable de la vitesse des transmissions
cérébrales, se détériore. Ce caractère dynamique est attesté par des recherches qui ont montré, chez
des patients diagnostiqués MA ou MCI, des améliorations notables du fonctionnement cognitif et des
atteintes cérébrales à l’occasion d’un changement de vie.
Telle cette dame qui, irritée par le diagnostic dont on l’avait étiquetée, s’est remise à la photographie,
à l’accordéon, et à revoir plus souvent ses amis à 81 ans. Du coup, les tests ont montré une nette
amélioration de sa mémoire. (4)
Vers une révolution copernicienne
Le neuropsychiatre André Aleman voit même dans le vieillissement des vertus insoupçonnées.
Constatant que, dans les sondages, les sexagénaires se déclarent plus heureux que les 20-40 ans, il
démontre que l’avancée en âge permet de mieux gérer ses émotions en étant moins perméable aux
sentiments négatifs. Pour lui, les personnes âgées sont plus équilibrées et plus résistantes au stress
que les jeunes. Moins tournées vers le futur, elles profitent de leur longue expérience pour affronter
les situations difficiles présentes. Les examens au scanner corroborent ce constat : le cortex préfrontal
serait souvent plus actif chez les seniors, freinant l’activité de l’amygdale responsable du ressenti des
émotions. Pour certains chercheurs, la perte de la rapidité mentale liée au vieillissement pourrait
influencer positivement le fonctionnement émotionnel.
Plus globalement, ne faudrait-il pas, se demandent certains, prendre au sérieux l’hypothèse selon
laquelle les modifications cognitives ne seraient qu’un mécanisme adaptatif ou de défense face au
vieillissement ? Arrêtons de pathologiser la vieillesse ! Comme toutes les étapes de la vie, elle
constitue un processus certes synonyme de déclin, mais aussi de ressources nouvelles. Une nouvelle
vision du grand âge qui pourrait améliorer la prise en charge des vieillards dans les structures d’accueil,
tout autant que le regard souvent peu empathique que nos sociétés portent sur les personnes âgées.
Mais la culture occidentale, qui valorise le jeunisme, est-elle prête pour cette révolution
copernicienne ?
Des troubles cognitifs bons pour la santé
Et si les troubles du vieillissement, généralement perçus comme négatifs, étaient plutôt des
adaptations bénéfiques pour la santé et la longévité C’est l’hypothèse que font certains psychologues
évolutionnistes. On pense souvent par exemple que les changements dus à l’âge, tels le stress oxydatif,
l’élévation de la tension artérielle, et l’obésité ont un effet nocif sur le vieillissement. Des chercheurs
ont observé que, alors que prescrire des suppléments d’hormones et d’antioxydants contribuait à
accroître la mortalité, pression sanguine et obésité peuvent avoir des effets bénéfiques au grand âge.
Une tension artérielle élevée augmente la circulation sanguine et retarde ainsi la sténose des artères
et les risques vasculaires. L’obésité et le surpoids fournissent un stock d’énergie nécessaire pour
résister aux maladies graves (comme les accidents cardiaques ou les fractures de la hanche). De même
que le déclin des hormones sexuelles (testostérone et œstrogènes) pourrait permettre d’éviter
thromboses et cancers.
Toujours dans cette perspective évolutionniste, d’autres recherches font l’hypothèse que les
changements cérébraux et cognitifs seraient une composante adaptative de la réduction du
métabolisme (économie de calories) liée au vieillissement. Sachant que les humains consacrent une
grande partie de leur énergie pour le fonctionnement de leur cerveau, il se produirait au grand âge
une réduction du métabolisme cérébral, compensée par le recours aux connaissances accumulées (la
mémoire procédurale et les connaissances générales sont préservées).
Certes, lorsque les êtres humains mouraient autour de 55 ans, ce programme ne conduisait pas aux
manifestations problématiques du déclin cognitif que connaissent aujourd’hui les personnes très
âgées. Mais ces approches ont le mérite de dépathologiser le regard sur le vieillissement en focalisant
sur les capacités préservées plutôt que sur leurs aspects déficitaires. Elles pourraient modifier les
attitudes thérapeutiques vis-à-vis de nos aînés : ne pas combattre l’obésité ni la tension artérielle par
exemple (sauf chez les adultes plus jeunes).
*Source : Van der Linden, op. cit.
Martine Fournier
*NOTES*
1. *André Alaman*, Le Bel âge du cerveau. Et si vieillir était une bonne nouvelle ? Autrement, 2014.
2. *Alain Jean*, La vieillesse n’est pas une maladie. Alzheimer, un diagnostic bien commode, Albin Michel,
2015.
3. *Martial Van der Linden, Anne-Claude Juillerat Van der Linden*, Penser autrement le vieillissement cognitif,
Madarga, 2014.
* P.J. Whitehouse et D. George*, Le Mythe de la maladie d’Alzheimer. Ce qu’on ne vous dit pas
sur ce
diagnostic tant redouté , Solal, 2010.
4. Étude citée par Van der Linden, op. cit
5. *Plaques amyloïdes ou plaques séniles *: L’accumulation extra-cellulaire d’une protéine, la bêta-amyloïde,
entraîne un dysfonctionnement des neurones environnants par un stress oxydant. Elles s’attaquent à l’ADN du
neurone, d’où la destruction des fonctions de la cellule.
6. *Dégénérescence neurofibrillaire ou écheveaux, ou enchevêtrements neurofibrillaires :* Due également aux
anomalies d’une protéine, mais à l’intérieur des neurones cette fois.
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