20. Juni 2013
LE MAG SANTÉ, PAGE 16
neurologie
La bonne forme de notre cerveau s'acquiert tout au long de la vie.
Le vieillissement de la mémoire
MARTINE LOCHOUARN
Si le vieillissement normal s'accompagne habituellement d'une diminution de la
mémoire et des performances cognitives, certains y résistent mieux que d'autres.
Comprendre ce qui distingue ceux dont la mémoire est préservée malgré l'âge est un
défi majeur pour favoriser un vieillissement réussi. Ainsi, une récente étude suédoise a
comparé par IRM fonctionnelle, lors de tests de mémoire, l'activité cérébrale de deux
groupes de sujets âgés de 69 ans, l'un formé de sujets beaucoup plus «résistants»
aux atteintes de l'âge que l'autre. Chez les premiers, deux régions du cerveau
cruciales pour la mémoire, l'hippocampe et le cortex préfrontal, sont plus activées au
cours des tests que chez les seconds, donc mieux oxygénées, et probablement mieux
préservées.
De nouveaux neurones
Si l'apparition de nouveaux neurones dans l'hippocampe au cours de la vie est connue,
ce phénomène semblait jusqu'ici marginal chez l'homme. Or, une nouvelle étude
suédoise montre que ces neurones se renouvellent, même chez le sujet âgé, beaucoup
plus qu'on ne le pensait, au rythme de 2% par an: assez pour supposer qu'ils puissent
jouer un rôle physiologique…
La mémoire a trois fonctions: encoder une information, la stocker, puis la récupérer,
de façon automatique ou volontaire. En fait, il n'y a pas une mais cinq mémoires
différentes, constamment en interaction, mais que des tests permettent d'évaluer
séparément. La mémoire de travail est une mémoire de l'instant, qui permet de faire
une addition, de se souvenir de la phrase qu'on vient de lire… Les autres fonctionnent
à plus long terme. La mémoire sémantique est celle des connaissances acquises, la
mémoire épisodique, celle des souvenirs personnels sur des événements vécus et leur
contexte. Inconsciente, la mémoire procédurale est la mémoire du corps, des gestes
appris comme faire du vélo… Et la mémoire implicite, une mémoire d'amorçage qui
accélère le traitement par le cerveau d'informations déjà rencontrées.
La mémoire épisodique
«Ces cinq systèmes de la mémoire ne vieillissent pas de la même façon», explique le
Pr Michel Isingrini, psycho-cogniticien (CNRS-Université, Tours). «Les performances de
la mémoire de travail diminuent, mais l'effet de l'âge est surtout important sur la
mémoire épisodique. La mémoire sémantique et la mémoire implicite ne sont pas
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touchées. Quant à la mémoire procédurale, les compétences acquises sont conservées
mais les apprentissages nouveaux parfois moins aisés.»
Outre la mémoire épisodique et celle de travail, le vieillissement touche aussi les
capacités de raisonnement, les fonctions exécutives qui contrôlent l'ensemble des
processus cognitifs, et celles permettant de traiter des situations nouvelles. Ce
vieillissement de la mémoire débute vers 50 ans, et s'accélère après 75 ans. Avec
l'âge apparaît aussi une atrophie du cortex frontal, siège des fonctions exécutives.
Mais les petits soucis de mémoire à l'âge mûr sont rarement annonciateurs de
mauvaise nouvelle. «Les troubles de mémoire liés au vieillissement sont très différents
de ceux de la maladie d'Alzheimer, même si dans les deux, la mémoire épisodique est
touchée», explique le Pr Francis Eustache, neuropsychologue. «Dans la maladie
d'Alzheimer, l'information est mal encodée dès l'origine, donc mal stockée, et son
rappel sera impossible même en le facilitant. Dans le vieillissement normal, où ce sont
les fonctions exécutives aidant la mémoire qui sont moins performantes, des indices
suffiront souvent à rappeler les souvenirs.»
Pour être mémorisée, une information doit être organisée, avoir du sens. L'attention,
l'intérêt qu'on lui porte sont donc importants. «C'est ce qui fonctionne moins bien chez
les sujets âgés. En les aidant à se concentrer, leurs performances deviennent
similaires à celles de sujets plus jeunes.» Si nous ne sommes pas tous égaux devant
ce vieillissement, les bases de cette inégalité commencent juste à être connues. La
génétique joue un rôle, au-delà du surrisque connu associé à l'Apo4E (un variant du
gène d'un transporteur du cholestérol aussi associé à la maladie d'Alzheimer et au
diabète). Mais de plus en plus, la notion de réserve cognitive s'impose.
«C'est une réserve que l'individu se constitue tout au long de la vie grâce à des
activités intellectuelles, exigeantes et par la richesse de ses interactions sociales»,
précise le Pr Eustache. «Cette réserve a pour effet de retarder les effets du
vieillissement de la mémoire, mais freine aussi l'expression de pathologies séniles du
cerveau qui se manifesteront plus tardivement.» D'ailleurs, explique-t-il, «les réseaux
neuronaux impliqués dans le rappel des souvenirs, dans l'anticipation du futur et dans
nos relations aux autres sont en partie communs». Rester ouvert sur le monde et les
autres, c'est un des secrets… Le Figaro
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Les neurones peuvent se régénérer
Des chercheurs suédois viennent de publier les résultats d'une étude qui établit que
la production de nouveaux neurones dans l'hippocampe chez l'homme est loin
d'être négligeable, puisqu'elle représente chaque année presque 2% de neurones
nouveaux dans cet organe siège du stockage des souvenirs. «Ces nouveaux
neurones pourraient fournir un potentiel pour le codage ultérieur de nouvelles
informations», estime Claire Rampon, qui travaille sur les liens entre mémoire,
plasticité et vieillissement. «Ce qui est aussi nouveau, c'est que selon cette étude,
cette production se maintiendrait de façon stable jusqu'à un très grand âge.»
Résultats à confirmer, bien sûr.
Car des marqueurs fluorescents intégrés dans les neurones d'hippocampe de
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souris montrent que les nouveaux neurones formés en continu chez cet animal
établissent des connexions fonctionnelles. «Si on "interroge" une souris sur un
souvenir nouvellement formé, on voit que ces nouveaux neurones sont activés. Ils
sont utilisés préférentiellement pour le codage de nouvelles informations, et
encodent donc aussi une information sur la "date" où se forme ce souvenir.»
Chez les souris âgées, normales ou modèles d'Alzheimer, la production de
nouveaux neurones continue, mais leur maturation est plus lente. «En stimulant ces
souris par des exercices de cognition ou du sport, nous constatons que cette
neurogénèse s'accélère», explique Claire Rampon. «Chez ces souris modèles
d'Alzheimer, nous avons montré qu'un environnement stimulant prévient le
vieillissement cognitif.»
Les études épidémiologiques vont dans le même sens. Elles ont permis d'identifier
certains facteurs influençant ce vieillissement. «On connaît ainsi grâce à la cohorte
Paquid, suivie depuis 25 ans, l'effet protecteur d'un haut niveau socioculturel. Un
cerveau stimulé tout au long de la vie a développé un meilleur réseau neuronal,
acquis une plus grande plasticité cérébrale qui lui permet de compenser plus
facilement et plus longtemps les effets du vieillissement cérébral», souligne le Pr
Hélène Amieva, psycho-gérontologue. «Se sentir entouré, inclus dans un réseau
social riche, a clairement un effet bénéfique dans la prévention du déclin cognitif.»
Une alimentation saine
L'effet protecteur de l'activité physique, d'une alimentation saine, ont aussi été
démontrés. Parmi les facteurs associés à un vieillissement cognitif accru, les
pathologies cardio-vasculaires, le diabète, l'hyper-cholestérolomie, l'hypertension,
qui abîment le cerveau. L'effet du placement en institution fait actuellement l'objet
d'étude. «Souvent consécutif à un déclin cognitif avancé, il semble qu'il puisse
aussi contribuer à celui-ci», précise la chercheuse. D'où l'enjeu que constitue le
maintien à domicile.
Hélène Amieva a lancé un essai sur plus de 600 patients pour évaluer l'impact de
thérapies non-médicamenteuses visant à réduire le déclin cognitif dans la
prévention de la maladie d'Alzheimer. «Cette étude va probablement conduire à
remettre en question certaines pratiques actuelles», avance-t-elle.
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Le cas de la maladie d'Alzheimer
La mémoire repose sur trois étapes, l'enregistrement, le stockage et la
récupération. Le stockage dépend de la structure cérébrale elle-même, car
l'information doit être transcodée dans le langage des neurones qui vont en
conserver la trace. C'est cette fonction qui est atteinte au début de la maladie
d'Alzheimer. L'enregistrement dépend des ressources attentionnelles, et la
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récupération de la mise en jeu de stratégies cognitives fonctionnelles. Un trouble de
mémoire peut aussi être dû à un trouble de l'enregistrement ou de la récupération.
«La majorité des personnes de plus de 50 ans qui se plaignent d'un trouble de
mémoire ont en réalité un trouble de l'attention. Seul un petit nombre parmi elles
développera une maladie d'Alzheimer», insiste le Pr Bruno Dubois, neurologue
(CHU Pitié-Salpêtrière, Paris). «Ces troubles de mémoire sont majoritairement liés
au fait que nous ne prêtons pas une attention suffisante à un grand nombre
d'événements sans importance.» Des troubles de mémoire attentionnels peuvent
être provoqués par la dépression, le stress professionnel et l'anxiété, des troubles
du sommeil, une hypothyroïdie, par la prise de médicaments (benzodiazépines,
anticholinergiques), le vieillissement, et probablement l'hyperstimulation constante
laquelle nous baignons. «Ce qui doit alerter, c'est l'oubli vrai d'événements
marquants ou ayant une forte charge émotionnelle…»
En cas de doute, des tests de mémoire basés sur des listes de mots à apprendre et
à restituer selon un protocole précis vont chercher à isoler l'étape responsable de
ces difficultés. Si en mobilisant toutes les ressources attentionnelles du sujet, il se
souvient de ces mots, une difficulté de stockage peut être exclue. S'il en oublie
certains mais arrive à s'en souvenir quand on lui fournit des indices, ces troubles
sont plutôt dus une difficulté de récupération, laquelle dépend d'une région du
cerveau, les lobes frontaux, qui vieillit avec l'âge. C'est seulement en cas d'échec
qu'un trouble du stockage est envisagé. Une IRM, révélant la présence des lésions
typiques et l'atteinte de l'hippocampe, est nécessaire pour confirmer le diagnostic
de maladie d'Alzheimer.
L'incidence de celle-ci augmente avec le grand âge, mais on sait que ces lésions
sont présentes très longtemps avant que la maladie s'exprime. «Pendant une
vingtaine d'années, des mécanismes basés sur l'hyperactivité des neurones
restants vont compenser, et la fonction sera préservée malgré l'existence des
lésions. L'entrée dans la maladie signe l'épuisement de ce mécanisme», explique le
neurologue. C'est cette phase de compensation que le mode de vie peut moduler,
freiner ou accélérer. «Le développement d'un réseau synaptique riche, d'une
réserve cognitive importante acquise dès le plus jeune âge par la lecture, la
stimulation cognitive, ont un effet protecteur. L'âge venant, c'est surtout la richesse
des interactions sociales qui sera déterminante», souligne le neurologue.
Quand la maladie commence à s'exprimer par des troubles du stockage,
correspondant à l'atteinte de l'hippocampe où siège ce processus, sa progression
vers la perte d'autonomie peut prendre encore une dizaine d'années.
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© L'Express
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