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Une précision encore : je suis philosophe, et même si je fréquente de longue date les milieux
médicaux, je ne suis pas médecin ni soignante. Autrement dit, je ne vous livrerai pas ici une réflexion
basée sur des cas, des situations. Je préfère –avec l’accord des organisateurs- vous proposer une
réflexion plus fondamentale qui, je l’espère, pourra nourrir un peu votre approche des situations que
vous rencontrez.
1. Que nous disent l’éthique médicale, la déontologie et le droit belges de la liberté du
patient dans le cadre de la relation thérapeutique ?
1.1. Deux définitions « classiques » de la relation médicale : paternalisme et « contrat »
Longtemps, la profession médicale a pensé la relation thérapeutique en termes « paternalistes »
visant à protéger le patient. L’expression consacrée fut la définition que Louis Portes donna en 1950 :
la relation médicale, c’est « une confiance qui rejoint une conscience ». En 1936, le droit belge avait
pour sa part conçu la relation médicale en termes de « contrat médical », requérant ainsi que le
médecin donne à son patient des soins « conformes aux données acquises de la science »
. Ces deux
définitions ont fait l’objet de critiques nourries. Le paternalisme a été vu comme une infantilisation
abusive du patient : en raison de sa maladie, celui-ci deviendrait incapable de prendre une décision
cohérente à propos de sa santé. Cette critique n’est pas dénuée de justesse. On doit toutefois la
nuancer en l’interrogeant par les deux bouts :
-la confiance n’est-elle pas un ingrédient nécessaire de la relation thérapeutique dont les partenaires
sont, quoi qu’on fasse, inégaux tant sur le plan des connaissances que sur celui de la santé. ?
-la conscience n’est-elle pas une exigence à laquelle tout médecin doit satisfaire ? Le « contrat
médical » en exige précisément l’un des aspects. Dès lors, sans vouloir militer pour la restauration
d’une conception peu satisfaisante, je voudrais néanmoins souligner ce qui me paraît devoir être
retenu. Mais qui doit être intégré dans un cadre nouveau comme l’ont bien compris l’éthique
médicale, puis plus récemment la déontologie et le droit belges.
1.2. L’éthique médicale principliste
1978 fut une année décisive pour l’éthique médicale. Avec le Rapport Belmont
et les 3 principes
qu’il énonçait : autonomie, bienfaisance et justice, bientôt complétés par Beauchamp et Childress
qui avancèrent en outre le principe de non-malfaisance, une manière simple de traiter les questions
d’éthique médicale se mettait en place : examiner si le traitement envisagé pour les situations
problématiques passait victorieusement le test de ces 4 principes. Cette apparente simplicité du
principlism a favorisé sa longévité : aujourd’hui, le 1er réflexe en cas de difficulté est d’y recourir.
Mais cette apparente simplicité a aussi conduit à appauvrir le principlism: au lieu d’envisager
conjointement les principes comme un cadre quadripolaire, on en est venu à les hiérarchiser et à les
examiner successivement un à un, l’autonomie étant considérée comme le 1er d’entre eux. Inutile de
dire que cette démarche, du genre check list éthique, est peu pertinente et peu éclairante : non
seulement elle est mécanique, mais elle ressemble aussi à un filet dont les mailles sont tellement
larges qu’elles laissent échapper les poissons qui devraient précisément retenir l’attention. Une telle
Affaire Nicolas Mercier, Cass.civ., 20 mai 1936. Dalloz Périodique, 1936, I, p. 88.
Commission nationale pour la protection des sujets humains en recherche biomédicale et comportementale
(USA).
T.L. BEAUCHAMP et J.F. CHILDRESS, Les principes de l’éthique biomédicale, 1e éd. 1979, trad. franç.,
Paris, Les Belles Lettres, 2008.