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Interventions et perspectives thérapeutiques
une période de déstabilisation psychique, voire de crise. Mais souvent, ils
ont un passé professionnel long. Comment se jouait ce rapport avant la
période actuelle ? Souvent ces travailleurs qui décompensent ont, avant la
crise, connu un rapport heureux, ou au moins « satisfaisant », c’est-à-dire
un rapport d’effi cacité, à leur travail. Ils ont en tout cas donné satisfaction.
Ils ont fait preuve d’intelligence , de zèle , d’opiniâtreté, etc. Comment donc
sont-ils entrés en crise ? On se rendra compte alors que ce qui, aujourd’hui, à
l’aune de la crise, se révèle comme des fragilités ou une vulnérabilité psycho-
logique à la dépression , à la violence ou à l’interprétation délirante, est préci-
sément ce qui faisait de ce patient, un travailleur particulièrement habile.
C’est parce que, jeune, il a eu à faire, avec la maladie mentale d’un parent
– qui l’a effectivement fragilisé au plan psychologique – qu’un psychiatre
ou un psychologue va trouver l’énergie de se battre une vie entière avec les
maladies mentales. C’est que le travail clinique en psychopathologie est
pour lui une occasion de surmonter les effets des blessures de son enfance.
En d’autres termes, c’est sa vulnérabilité psychologique qui est à l’origine de
ses habiletés et de son intelligence au travail.
De même, c’est parce qu’il a eu à faire, avec de fortes tendances à la délin-
quance, à l’usage de drogues et à la violence qu’en s’engageant dans la
police, tel jeune homme ou telle jeune femme développe des talents et des
compétences exceptionnels en termes de calme et de maîtrise de soi sur le
terrain. L’investigation clinique, en remontant par ce biais à ces failles qui
sont au principe des meilleures habiletés et talents de métier, permet d’accé-
der aux racines mêmes de la sublimation et à l’analyse du rôle qui revient
à cette dernière dans la construction de l’identité et dans la place du travail
par rapport à l’accomplissement de soi et à la santé mentale du patient. On
comprend alors avec beaucoup plus de précision ce qui est en cause dans la
déstabilisation et la crise psychopathologique actuelles.
Au-delà, on pourra dans un travail psychothérapeutique au long cours
analyser de plus près l’impact des contraintes professionnelles non seule-
ment sur le développement et la révélation des habiletés professionnelles,
mais sur la façon dont ces contraintes fonctionnent comme « exigence du
travail imposée au psychisme » du patient, du fait de la relation avec le
réel ; exigence de travail sommant en quelque sorte le fonctionnement psy-
chique d’évoluer, de se transformer, de se remanier dans son architecture
même, pour que puissent apparaître et se stabiliser de nouvelles habiletés
qui n’adviendront pas sans ce travail de soi sur soi auquel se prête le patient
dans le cours même de la psychothérapie, et éventuellement grâce à elle (on
se reportera pour plus de détails sur cette question diffi cile à l’ouvrage de
Dejours C. [2009]. Travail vivant . Tome I Sexualité et travail . Chapitre VIII).
Reconnaître l’injustice ?
Beaucoup de patients arrivent à la consultation avec l’impression d’être
rejetés, désavoués, humiliés, non reconnus. Le vécu de paria dans un milieu
de travail hostile conduit le patient à demander la reconnaissance de sa
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