2) La problématique biologique : le milieu, la circonstance.
a) La réduction du vivant à l'inerte : la notion de circonstance.
En fondant les sciences de l'homme – les Geistwissenschaften – Dilthey fait un pas en
direction de la notion de situation : il découvre une appréhension subjective du monde extérieur,
telle que ce monde est finalement structuré de manière compréhensive et dynamique à partir de
l'unité psychique des instincts qui se développent dans la conscience.
Cette appréhension subjective à partir des forces instinctives de l'homme amènent Dilthey à
penser la notion de milieu. Cette dernière est relativement proche de la notion de situation, mais elle
n'y est pas identique. Elle permet de se faire une première idée de cette notion de situation, mais il
ne saurait être question de tenir ces notions pour équivalentes l'une à l'autre.
Cette notion appartient de fait beaucoup moins aux sciences humaines qu'à la biologie. Le
débat dans lequel cette notion est inventée et progressivement structuré peut sembler proche de
celui des sciences humaines. Bien des traits les rapprochent. En particulier, si les sciences humaines
ont à se battre pour découvrir une méthode ainsi qu'un domaine d'étude propre contre les sciences
de la nature, il en va de même pour la biologie qui doit également lutter pour sa légitimité. Si les
sciences humaines doivent lutter contre une psycho-physique du type de celle de Fechner, si elles
doivent dégager des principes théoriques différents de l'explication causale employée dans la
majorité des sciences de la nature, il en va de même pour la biologie, l'étude du vivant. C'est un fait
que que chaque fois que nait une nouvelle science, elle doit se donner un domaine d'étude objectif
et faire en sorte d'y être la seule maitresse, ce qui implique d'en exclure toutes les autres disciplines.
Ce travail préalable à l'exercice de toute science consiste à légitimer l'autonomie de son objet : les
sciences humaines mettent en valeur l'impossibilité de réduire l'étude de l'homme à la seule
explication causale : si ces explications s'avèrent parfois nécessaires, elles ne sauraient jamais
suffire à une étude achevée et complète des productions humaines. Il faut gagner une certaine
dignité objective : l'homme est un objet d'étude autonome, digne d'être étudier pour lui-même, et
dans lequel les mouvements et l'ensemble des phénomènes trouvent d'autres principes d'explication
– si du moins il est encore permis d'utiliser cette expression – que dans les sciences de la nature. Il
s'agit en quelque sorte de montrer que dès que l'étude scientifique franchit la frontière où commence
l'humain, elle doit changer d'outils au risque de se perdre.
La biologie est confrontée à la même difficulté, à cette différence près que l'objet dont elle
cherche à démontrer l'autonomie n'est pas l'homme, mais le vivant. La biologie doit démontrer –
contre les sciences physiques – que le mouvement spécifique de la vie n'est pas réductible à un
mouvement mécanique, et que le vivant n'est pas une machine. Le mouvement de la vie ne s'épuise
pas dans une description mécaniste. En d'autres termes, il n'est pas possible de montrer que le
mouvement du vivant est identique à un mouvement local, spatial, descriptible comme l'effet d'un
ensemble de causes mécaniques.
La notion de milieu joue un rôle dans cette recherche de l'autonomisation des sciences de la
vie par rapport au reste des sciences mécanistes de la nature, de la même manière que la notion de
situation joue un rôle dans l'autonomisation des sciences humaines. De fait si la vie est un
mouvement réductible à une succession complexe de cause mécaniques, l'être vivant n'est que le
point focal vers lequel converge un réseau de chaines causales, de forces extérieur qui, en lui
s'influencent les unes les autres. On expliquerait le comportement de l'être vivant par les modalités
de la rencontre des ces chaines causale dans cet être vivant. L'être vivant ne serait plus alors que la
proie des circonstances, entièrement passif : des causes mécaniques l'ont fait ''naitre'' d'autres causes
mécaniques l'ont modifié, d'autres causes encore ont modifié ces modifications. Il n'est plus alors
question d'étudier le vivant que comme un objet passif qui constituerait une somme d'événements
objectifs entièrement réductibles à leurs circonstances d'émergence.
Au XIXe et début XXe siècle un débat eut lieu – qui se poursuit aujourd'hui encore – sur la
notion de vie et sur la capacité des sciences physico-chimiques à définir et expliquer pleinement la
notion de vie et ce qu'est le vivant. Ce qu'il y a d'intéressant dans ce débat, c'est combien il semble
Anthropologie et Psychologie : la situation ; I – Archéologie de la situation. 2)Uexküll 1/9