économie & finance L’économie allemande sensible aux aléas politiques Après avoir enregistré un excédent commercial record l’an dernier, l’Allemagne va devoir affronter le Brexit et le protectionnisme américain. http://www.agefi.fr/dossiers Le gouvernement d’Angela Merkel, ici le 27 janvier 2017, prévoit une croissance économique de 1,4 % cette année. par Jessica Berthereau, à Berlin L ’économie allemande a une fois encore démontré sa robustesse en 2016, en affichant sa meilleure performance depuis 2011, avec une hausse du produit intérieur brut (PIB) de 1,9 % (première estimation). Mais au moment où les risques s’amoncellent, tant au niveau commercial avec la vague de protectionnisme aux Etats-Unis vertement dénoncée par les industriels allemands, qu’au niveau politique en cette année d’importantes échéances électorales en Europe, la conjoncture allemande pourra-t-elle tenir le rythme en 2017 et en 2018 ? Le gouvernement prévoit une croissance de 1,4 % cette année, un pronostic identique au consensus des principaux instituts allemands, qui tablent ensuite sur une progression du PIB de 1,6 % en 2018. Un taux de croissance moindre en 2017 « s’explique surtout par le fait que plus de jours fériés tombent en semaine par rapport à l’année dernière », prévient Simon Junker, directeur adjoint Top 10 de l’export Les principaux partenaires commerciaux de l’Allemagne (2015, exportations en milliards d’euros) 100 103 114 89 80 79 71 58 60 58 52 49 41 40 20 Bloomberg 0 États-Unis Royaume-Uni France 12 L’agefi hebdo / du 16 au 22 février 2017 Pays-Bas Chine Italie Autriche Suisse Pologne Source: Destatis 120 Belgique Incertitudes La consommation privée devrait toutefois croître moins rapidement que lors des deux dernières années (+1,4 % contre +2 %), car elle sera « légèrement écornée par la remontée de l’inflation », explique Philippe Vilas-Boas, économiste au Crédit Agricole. En ce début d’année, les prix à la consommation en Allemagne devrait progresser de plus de 2 %. Sur l’ensemble de l’année, l’inflation s’établirait à 1,6 %, envisagent les économistes de Deutsche Bank. Après avoir contribué à hauteur de 0,8 point à la croissance en 2016, la consommation publique va se tasser. Le gouvernement prévoit une progression des dépenses publiques de 2,3 % en 2017, après un bond de 4,2 % en 2016 notamment dû aux réfugiés. Les arrivées se sont largement réduites ces derniers mois et le défi est maintenant d’intégrer au marché du travail ceux qui ont obtenu le droit d’asile, « une tâche essentielle pour notre potentiel de croissance à long terme », souligne Timo Wollmershäuser, directeur des prévisions à l’institut économique de Munich (IFO). L’Allemagne, qui a dégagé en 2016 un excédent budgétaire de 19,2 milliards d’euros, a consacré 21,7 milliards à l’accueil des réfugiés l’an dernier et compte y affecter 21,3 milliards en 2017. Pour ce qui est de l’investissement des entreprises, seul le secteur de la construction est plein d’allant. L’investissement productif devra quant à lui « faire face à un degré d’incertitude plus élevé », avertit Philippe Vilas-Boas, faisant référence à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne et à la perspective d’une politique commerciale américaine plus protectionniste. De plus, souligne l’économiste, « les revalorisations salariales des deux dernières années sont venues empiéter sur les marges des entreprises L’avis de... Stefan Kooths, directeur du centre de prévisions de l’institut Kiel IfW « Le moral des exportateurs reste bon » Quelles sont vos prévisions de croissance pour l’économie allemande ? Le redressement de l’économie allemande se poursuit pour la quatrième année consécutive. Nous attendons une croissance de 1,7 % cette année et autour de 2 % l’an prochain. Elle repose sur trois piliers : la consommation, qui restera solide, au moins selon les standards allemands, tout comme l’investissement, qui est tout de même un peu plus faible que ce que l’on pourrait attendre en période de redressement. Pour ce deuxième pilier, la construction jouera un grand rôle, en particulier la construction de logements. Le troisième pilier est le commerce extérieur. L’année 2016 fut très difficile pour les exportations allemandes mais cela va s’améliorer cette année, grâce à la zone euro qui poursuit son redressement. Ce n’est certes pas un boom mais cela soutient l’activité économique en Allemagne, sans compter le coup de pouce apporté par la dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar. Vos prévisions en matière d’exportations ne sont-elles pas un peu optimistes compte tenu des incertitudes liées à la nouvelle administration américaine ? A court terme, le risque que le nouveau président américain crée beaucoup d’agitation est réel. Mais jusqu’ici, cela ne s’est pas vraiment reflété dans les indicateurs du climat des affaires. Le moral DR du département conjoncture à l’institut économique de Berlin (DIW). Tout comme en 2016, « la croissance restera principalement tirée par la consommation privée, indique Simon Junker. Avec l’accroissement des tensions sur le marché du travail, les salaires progressent sensiblement, ce qui profite à la consommation des ménages ». Selon le gouvernement, le taux de chômage devrait se stabiliser à 6 %, après 6,1 % en 2016 et 6,4 % en 2015. des entrepreneurs s’est un peu détérioré au début de l’année mais celui des exportateurs est toujours bon. Il convient de ne pas oublier deux choses. Premièrement, si les liens transatlantiques sont forts en termes de commerce, ils le sont encore plus en termes de flux de capitaux. Si le président des EtatsUnis veut « jouer les durs » avec l’Union européenne, les entreprises américaines seront négativement affectées et feront très certainement pression sur le gouvernement américain. Deuxièmement, la nouvelle administration compte mener une politique budgétaire extrêmement expansionniste. Cela donnera encore plus de raisons à la Réserve fédérale de remonter les taux, ce qui renforcera le dollar et accroîtra les importations aux Etats-Unis. Qu’en est-il de l’impact du Brexit ? Nous estimons que les exportations allemandes au Royaume-Uni seront inférieures de 10 % à la fin de l’année 2018 par rapport à ce qu’elles auraient dû être sans le Brexit. Mais même si le Royaume-Uni est un important partenaire commercial pour l’Allemagne, nous ne devons pas oublier que les entreprises allemandes ont montré à de multiples reprises qu’elles étaient flexibles et qu’elles savaient capter de nouveaux marchés. Le Brexit sera bien plus dommageable pour le Royaume-Uni lui-même que pour les autres pays de l’Union européenne. dont les carnets de commandes, souvent à l’exportation, sont plus volatils ». L’évolution de la demande externe reste en effet incertaine. Or celle-ci est clé pour l’Allemagne. Le pays a enregistré un excédent commercial record en 2016 de 253 milliards d’euros. De quoi alimenter les polémiques. Dans le cas extrême et hypothétique où les relations commerciales entre l’Allemagne et son premier partenaire commercial, les Etats-Unis, étaient réduites à néant, 1,6 million d’emplois seraient menacés, s’alarme Clemens Fuest, président de l’IFO. Reste l’Union européenne où l’Allemagne écoule les deux tiers de ses exportations. « L’incertitude politique en Europe, avec plusieurs élections prévues dans les principaux pays membres de l’UE, pourrait freiner les investissements des entreprises davantage que prévu », prévient Simon Junker. En Allemagne, où les élections législatives se tiendront le 24 septembre, le parti xénophobe AfD pourrait devenir la troisième force politique. Par conséquent, craint Mario Jung, économiste chez Coface, « on peut s’attendre à ce que le futur gouvernement fédéral, quelle que soit sa couleur, ait moins de latitude que l’actuelle grande coalition, ce qui réduira le potentiel de réformes possibles ». n du 16 au 22 février 2017 / L’agefi hebdo 13