Psychopathologie générale / 1
Université Rennes 2
PSYCHOPATHOLOGIE GÉNÉRALE
Une Introduction
1
1
- Rédaction : C. Bouchard, MCU Psychologie clinique (Université Rennes 2). Version mai 2002.
Plan
I. QU’EST-CE QUE LA PSYCHOPATHOLOGIE ?
1. La psychopathologie ne sert pas
qu’à étudier les maladies mentales
2. Les concepts de base
2.1. Personnalité
2.2. Trouble mental
2.3. Symptôme Syndrome
2.4. Défense
II. ÉLÉMENTS DE NOSOGRAPHIE
1. Qu’est-ce qu’une psychose ?
2. Qu’est-ce qu’une névrose ?
3. Psychopathie et perversion
Références bibliographiques
___
I. QU’EST-CE QUE LA PSYCHOPATHOLOGIE ?
1. La psychopathologie ne sert pas
qu’à étudier les maladies mentales
La première définition que nous pouvons donner de la
psychopathologie, c’est au sens propre l’étude des
« affections de l’âme ». (Le mot « psychopathologie » est
composé à partir des radicaux grecs pathos : ce qui affecte,
affection, maladie ; psykhê : l’âme sensitive ; logos :
discours, étude, science). De fait, la psychopathologie est
d’abord la partie de la psychologie qui étudie les « maladies
du psychisme », c’est-à-dire les troubles mentaux, et (chez
l’enfant) les troubles du développement.
Mais dans la mesure la psychopathologie a été
amenée à élaborer des théories de la personnalité pour
soutenir son étude, elle nous permet également de saisir les
aspects psychiques en jeu dans les comportements non
pathologiques. Plus précisément, la psychopathologie a été
amenée à construire des théories de la personnalité et du
fonctionnement psychique à partir de l’étude des maladies
mentales. Déjà à la fin du XIXème siècle, Théodule Ribot
préconisait de rechercher les mécanismes de la mémoire ou
de la volonté, par exemple, dans l’étude des troubles de la
mémoire ou de la volonté, estimant que la pathologie
réalisait, pour ainsi dire, une expérimentation spontanée des
mécanismes et processus en jeu dans ces fonctions
complexes. Cette approche du psychisme nous permet d’en
apercevoir le fonctionnement à partir de ses « ratés », plus
explicites que le fonctionnement normal, par définition
« silencieux » ; elle nous permet aussi de réduire le risque
d’une compréhension psychologique trop vite fondée sur
une normalité posée a priori, en nous donnant de
précieuses indications sur ce qui compose, justement, cette
normalité apparente.
L’étude des troubles névrotiques, par exemple, nous
éclaire grandement sur les processus sous-jacents à
certains phénomènes courants, communément partagés,
comme l’anxiété ou encore comme les actes manqués. Ces
phénomènes étant particulièrement fréquents et intenses
chez les sujets névrosés, l’étude de l’anxiété névrotique et
des actes manqués des névrosés nous informe de façon
particulièrement évidente, instructive sur ces expériences
affectives et psychiques que connaissent aussi les sujets
normaux.
Cette lecture de la psychopathologie est possible, bien
entendu, dans la mesure où l’on considère qu’il n’y a pas
de frontière radicale entre normalité et pathologie, ce
qu’admettent aujourd’hui pratiquement toutes les théories
en psychopathologie. Dans ces conceptions, le patho-
logique ne se distingue du normal que par une question de
degré d’organisation, et non par nature (voir plus loin :
définition de la notion de « maladie mentale »).
Le premier point sur lequel nous pouvons insister est
donc que la psychopathologie n’a pas seulement pour but
d’étudier les troubles psychiques ou les troubles du
développement ; elle nous propose aussi des théories de la
personnalité issues de l’étude de ces troubles et nous
permet, par conséquent, de comprendre tout autant le
fonctionnement psychique de l’homme non pathologique.
Un second point, corollaire du précédent, s’impose alors
à nous. Il consiste à dire que ce n’est pas parce que nous
nous proposons d’étudier un comportement ou un
phénomène psychique à la lumière de la psychopathologie,
que nous considérons pour autant qu’il s’agit d’un
comportement ou d’un phénomène relevant de la
pathologie. Cela veut simplement dire que nous utiliserons
les modèles explicatifs de la personnalité et du psychisme
développés par la psychopathologie, mais pour comprendre
des phénomènes qui peuvent très bien rester de l’ordre du
« normal » ou, comme disait Freud, de l’ordre d’une
« psychopathologie de la vie ordinaire ».
Ces précisions étant faites quant au sens de notre
approche, voyons à présent quels sont les concepts
fondamentaux de la psychopathologie.
Psychopathologie générale / 2
2. Les concepts de base
Il existe plusieurs théories et courants de pensée dans le
champ de la psychopathologie. Toutefois, la plupart des
approches contemporaines relèvent de conceptions
psychodynamiques (du grec dynamis : « force »). Cela veut
simplement dire que ces théories conçoivent généralement
le fait psychique comme la résultante de forces et de
tensions entre forces, ces forces pouvant être soit
intrapsychiques, soit relever d’interactions entre l’individu et
son milieu. La notion de dynamique psychique ou de de
psychodynamique s’oppose à une approche descriptive,
« statique », qui réduirait les phénomènes psychiques à un
ensemble de facteurs isolés et plus ou moins fixés.
Nous ferons principalement référence ici à l’un des
principaux courants théoriques veloppés à partir de telles
vues psychodynamiques : le courant psychanalytique.
(On aurait pu citer aussi, autre exemple d’approche
psychodynamique, le courant systémique.) L’approche
psychanalytique est actuellement, en France, la plus
représentée en psychopathologie.
L’approche psychanalytique défend l’idée que les
conduites individuelles sont essentiellement l’effet de
conflits intrapsychiques entre des niveaux différents de
fonctionnement (conscient / préconscient / inconscient, Ça /
Moi / Surmoi) et se présentent comme un équilibre instable,
plus ou moins susceptible de se défaire et de produire alors
des symptômes (voir ci-après).
Pour l’approche systémique, les conduites individuelles
ou groupales sont relatives à l’ensemble dynamique
(système) dont elles font partie et dont elles contribuent à
maintenir l’équilibre interne (homéostasie) et externe
(relations inter-systèmes). Lorsque le système ne peut plus
maintenir cet équilibre, ni le modifier, surgissent des
conduites apparemment aberrantes mais qui visent en fait à
ramener le système à son équilibre antérieur.
Nous développerons donc le point de vue psychana-
lytique, et c’est dans cette perspective que nous allons
définir nos concepts de base.
2.1. Personnalité
Les théories psychanalytiques contemporaines considè-
rent que le fonctionnement psychique de tout individu
présente des constantes qui lui sont propres et qui
organisent l’ensemble de sa conduite. Notre comportement
est ainsi déterminé, de façon constante et relativement
stable, par des particularités de fonctionnement, qui ne sont
pas à identifier à des « traits de personnalité » que l’on
pourrait énumérer et dont la personnalité serait la somme,
mais qui sont plutôt à concevoir comme des caractéristiques
structurelles, dont notre comportement est en quelque sorte
une série de variations.
(Analogiquement, en musique, les « variations »
possibles à partir d’un « thème » mélodique : les variations
peuvent être fort nombreuses, mais cependant de façon non
infinie, dans les limites de ce que permet plus ou moins
richement le thème de base, et aussi selon l’aisance, la
créativité du compositeur ou de l’interprète auteur de ces
variations.)
Dans cette conception, la personnalité est donc une
structure, c’est-à-dire un ensemble fini de rapports entre les
divers aspects du fonctionnement psychique.
L’approche psychanalytique définit généralement une
structure donnée de personnalité par divers paramètres,
dégagés de l’observation différentielle des diverses
pathologies mentales et de leurs soubassements psycho-
dynamiques. Il s’agit essentiellement :
du mode de relation d’objet : en psychanalyse, on
appelle « relation d’objet » le type d’investissement
psychoaffectif libidinal que le sujet établit avec les « objets »
de cet investissement, ces objets pouvant être aussi bien
des choses que des personnes ou des activités par
exemple (la psychanalyse reprend ici le sens ancien du mot
« objet », que l’on retrouve par exemple dans le vers
cornélien « Rome, aucune objet de mon ressentiment ») ;
du type d’angoisse fondamentale : toute personnalité,
même en dehors d’une maladie mentale, est susceptible de
connaître des expériences d’angoisse ; or, on repère qu’il
existe quelques modes d’angoisse typiques, et qui
distinguent des structures de personnalité différentes ;
des mécanismes de fense, visant à réduire
l’angoisse et à préserver l’équilibre psychique : encore,
on repère que chaque structure de personnalité se
caractérise par le recours à des mécanismes de défense
spécifiques, et donc particulièrement discriminants.
La personnalité comme structure
« Dans ses Nouvelles conférences de psychanalyse, en
1932, S. Freud nous rappelle que si nous laissons tomber
par terre un bloc minéral sous forme cristallisée, il se brise ;
mais il ne se brise pas d’une façon quelconque.
« Dans tout corps cristallisé, en effet, il existe, à l’état
d’équilibre normal, des microcristallisations invisibles,
réunies entre elles pour former le corps total selon des
lignes de clivage dont les limites, les directions et les
angulations se trouvent préétablies de façon précise, fixe et
constante pour chaque corps particulier ; il n’existe pour
chaque corps qu’une seule façon de se cristalliser et
chaque mode de cristallisation demeure le propre d’un seul
corps chimique seulement. De plus, ces lignes de clivages
demeurent invisibles tant que le corps n’est pas brisé ou
bien placé sous un appareil optique particulier ; tout au plus,
à l’état d’équilibre, la forme générale de l’échantillon
examiné montrera-t-elle à l’observateur quelques figures
géométriques spécifiques sur son pourtour, sa périphérie,
ses limites extérieures au monde.
« Si nous laissons tomber à terre notre échantillon minéral
cristallisé, il ne pourra se briser, comme l’explique Freud,
que selon les lignes de clivage préétablies à l’état
d’équilibre, selon leurs limites, leurs directions, leurs
angulations jusque invisibles. De telles lignes de clivage
originales et immuables, définissent la structure interne du
minéral.
« Et Freud pense qu’il en serait de même pour la structure
mentale, que l’organisation d’un individu se trouverait
constituée de façon durable, spécifique et invisible dans la
situation normale. Il suffirait d’un accident ou d’un examen
minutieux pour qu’on en retrouve les lignes de clivage (et
aussi de soudure) fondamentales entre les éléments
primaires.
« Que ce soit au niveau de la maladie ou au niveau
préalable de la simple structure non décompensée, on ne
peut passer du mode de structuration vrotique au mode
de structuration psychotique, ou inversement, une fois qu’un
Moi spécifique est organisé dans un sens ou dans l’autre. »
(Bergeret, 1985, p. 50-51)
Psychopathologie générale / 3
L’approche psychanalytique a défini quelques grandes
« lignées structurelles », c’est-à-dire quelques grandes
structures de personnalité, en posant que tout un chacun
relève de l’une de ces grandes lignées. Les deux structures
principales sont la structure névrotique et la structure
psychotique.
Ces qualificatifs ne signifient pas qu’il s’agit, dans ces
organisations de personnalité, de maladies mentales (un
sujet qui présente une structure névrotique, par exemple,
n’est pas nécessairement un « névrosé »). Cela veut
simplement dire qu’il s’agit de personnalités dont les
fondements structurels se rattachent à ce qu’on observe
dans les pathologies névrotiques ou dans les pathologies
psychotiques. Cela veut dire aussi que, dans le cas de
troubles psychiques, ces personnalités s’orientent vers les
pathologies, névrotiques ou psychotiques, correspondant à
leur « lignée structurelle » : une structure de personnalité
névrotique ne peut donner, en cas de décompensation, que
des troubles de personnalité psychotique, et de même, une
structure de personnalité psychotique ne peut s’orienter, en
cas de pathologie, que vers des troubles de type
psychotique (cf. citation de Freud).
2.2. Trouble mental
Cette dernière remarque nous éclaire sur ce qu’on peut
appeler « trouble mental » ou « maladie mentale », ou
encore : « dysfonctionnement psychique ».
Nous avons dit que, pour la psychanalyse, la vie
psychique est à comprendre comme un jeu de forces qui se
maintient dans un certain équilibre. Les mécanismes de
défense, en particulier, vont contribuer au maintien de cette
équilibre, empêchant que l’angoisse ne soit trop forte et que
se déstabilise l’ensemble du fonctionnement psychique.
Autrement dit, il y a trouble mental, et donc pathologie,
lorsque l’organisation structurelle de la personnalité se
« décompense » (i.e. se déséquilibre), cette décompensa-
tion pouvant être ponctuelle, passagère (on parle alors
d’épisode pathologique ou d’épisode morbide), ou plus
durable (en ce cas, on parle de maladie mentale
proprement dite).
Le psychiatre contemporain Jean Bergeret définit ainsi la
maladie mentale :
« Dans le cas d’épisodes morbides véritables les termes
de “névrotique” ou de “psychotique” désignent un état de
désadaptation visible par rapport à la structure propre et
profonde. C’est une forme plus ou moins durable de
comportement émanant réellement de la structure profonde
à la suite de l’impossibilité de faire face à des circonstances
nouvelles, intérieures et extérieures, devenues plus
puissantes que les défenses mobilisables habituellement
dans le cadre des données structurelles, et dans ce cadre
seulement. En effet, telle maladie ne peut éclore que sur
telle structure et telle structure ne peut pas donner
naissance à n’importe quelle maladie. » (Bergeret, 1985,
p. 47)
Dans la perspective psychanalytique structuraliste, il y a
donc lien étroit, de nature dynamique, entre structure de
personnalité et maladie mentale : celle-ci n’est qu’un état de
perte, plus ou moins durable, de l’équilibre fensif et
fonctionnel par lequel se caractérise telle ou telle structure
de personnalité.
2.3. Symptôme Syndrome
Les manifestations par lesquelles se présente et se
repère une pathologie mentale, s’appelle un symptôme.
L’observation clinique des principales affections mentales a
permis de dégager les symptômes de ces grandes
pathologies et même de classer celles-ci en fonction des
symptômes auxquels elles donnent lieu (nosographies).
Toutefois, il faut ici retenir un point important : un
symptôme est toujours équivoque ; il peut renvoyer à
plusieurs types d’affections mentales (polysémie du
symptôme), et à l’inverse, une même affection mentale peut
s’exprimer à travers des symptômes variés ; autrement dit, il
n’y a pas de liaison directe et univoque entre symptôme et
structure.
Ce point entraîne deux conséquences décisives :
en psychopathologie, pas plus d’ailleurs qu’en
physiopathologie, un symptôme ne suffit pas à lui seul à
déterminer de quel type de pathologie il s’agit : un trouble
mental, quel qu’il soit, se reconnaît non à un symptôme
mais à un groupe typique de symptômes, c’est-à-dire en
fonction d’un syndrome ;
d’autre part, le syndrome repéré ne sera lui-même
assuré que dans la mesure il est resitué par rapport à
une structure définie de personnalité, c’est-à-dire que s’il est
vraisemblable dans le cadre des critères par lesquels se
définit telle ou telle organisation (mode de relation d’objet,
angoisse de base, mécanismes de défense).
2.4. Défense
La notion de défense nous ramène à celle d’angoisse,
précédemment citée. Sans entrer trop en détail dans les
théories de l’angoisse développées par la psychopathologie
psychanalytique, indiquons simplement que l’angoisse est
l’expérience émotionnelle par laquelle se signalera un
risque de « décompensation » (i.e. de déséquilibration) de
l’organisation de personnalité. Dit en d’autres termes, c’est
donc l’expérience psycho-affective qui va se manifester
lorsque les mécanismes défensifs qui contribuent
habituellement à maintenir cette organisation en équilibre,
se trouvent plus ou moins débordés, ou en imminence de le
devenir. L’angoisse, en ce sens, est un signal : celui d’un
moment de fragilisation de la structure.
2.5. En résumé :
Quels en sont les grands principes d’une psycho-
pathologie psychodynamique d’inspiration psychana-
lytique ? Enonçons-les succinctement en les complétant sur
certains points :
1) que les faits psychiques sont la résultante d’un
ensemble complexe de forces (intra- et extra-psychiques)
en interaction constante, dans le sens soit d’un
renforcement soit d’une inhibition mutuelle (conflit intra-
psychique) - d’où la notion de psychologie « dynamique » ;
2) que cet ensemble, toutefois, n’est pas sans se
maintenir en un ensemble équilibré, relativement défini et
constant. C’est ce qu’on appellera la personnalité, ou mieux
encore : la structure de personnalité. On pourra parler aussi
d’organisation de la personnalité et de fonctionnement
psychique.
3) que la conduite par laquelle s’exprime la personnalité
inclut différents niveaux (actes, pensés, langage) qui la
déterminent consciemment et inconsciemment (en ce sens,
la conduite n’est pas le comportement) ;
4) que la conduite manifeste d’un individu (son
« comportement » et son « discours ») a essentiellement
pour fonction de maintenir son fonctionnement psychique en
un équilibre optimal.
Psychopathologie générale / 4
Sur ces bases simples, l’approche psychopathologique
commence lorsqu’il apparaît qu’un tel équilibre est fragile
(immaturité, détérioration) ou qu’il est brusquement et plus
ou moins passagèrement rompu (décompensation). On
parlera alors de comportement symptomatique.
D’où les principes suivants, à propos du symptôme :
a) Un symptôme exprime un dysfonctionnement
psychique en même temps qu’il en permet la régulation.
(Exemple : la phobie, l’inhibition intellectuelle.)
D’où l’importance d’envisager toujours un symptôme
dans ses aspects à la fois négatifs (invalidants) et positifs
(défensifs-créatifs), et de ne jamais aborder un symptôme
« de front » sans prendre la précaution d’en comprendre le
sens et la fonction.
b) Tel ou tel comportement ou type de discours, pris
isolément, ne permet pas d’emblée d’en déduire un type de
fonctionnement psychique particulier. Il n’existe jamais
d’adéquation univoque entre tel symptôme et tel type de
personnalité (fausses catégories psychopathologiques :
dépression, alcoolisme, toxicomanie, homosexualité... ).
Sur ce point, nous partageons tout à fait la position
énoncée par Hubert Van Gijseghem (psychocriminologue
contemporain) à propos des « abus sexuels » :
« Il nous semble que l’on fait fausse route si, en matière
d’abus sexuel (comme dans toute matière de symptôme !),
on se fie à l’aspect visible i.e. observable et descripible -
de la chose. Et on fait doublement fausse route si on fonde
sur la description du geste, une typologie. C’est un peu
comme si, en voulant classifier les gens à partir du critère
de la couleur de cheveux, on ignorait qu’en dessous du
visible, qui peut toujours bien relever du factice - la teinture -
il existait une réalité plus fondamentale, non visible celle-là.
En plus, il nous paraît clair que l’abus sexuel ne peut être vu
comme une entité nosologique, pas plus que ne l’est
l’alcoolisme, l’abus de drogue ou le vol. En poursuivant la
caricature, une typologie d’abuseurs sexuels se fondant sur
la description des gestes abusifs (homo, hétéro, etc.)
ressemble malgré tout à une fictive typologie d’abuseurs
d’alcool proposant des types tels que : alcoolique du whisky,
alcoolique de gin... etc !
« Dès lors, une typologie ne devrait pas utiliser comme
critère l’acte abusif et sa description, mais devrait partir
plutôt de l’être qui le commet.
« Nous proposons donc une porte d’entrée différente,
c’est-à-dire la structure de la personnalide l’abuseur [...].
Une fois la structure connue, il s’agira par la suite de saisir
le sens de l’agir ponctuel dans la perspective de cette
structure. En dehors de cette approche, l’entreprise
typologique dépendra bien toujours de l’anecdotique, de
l’accidentel, du factice. » (H. Van Gijseghem, La person-
nalité de l’abuseur sexuel, 1988, p. 52-53)
« L’abus ne répond pas à des types sui generis [en soi],
mais est symptôme d’une condition psychologique de base.
Il semble donc beaucoup plus rentable (sur le plan de la
compréhension des phénomènes) de décrire les types de
structures psychologiques chez qui l’abus peut apparaître
comme symptôme parmi d’autres. C’est de la condition
psychique plus large de l’individu que l’abus tirera son sens
en tant que symptôme ou signifiant. » (ibid., p. 66)
Encore un mot pour conclure ce préambule. Il s’agit
cette fois de terminologie. Certains termes issus de la
psychopathologie se sont introduits dans le langage courant
mais parfois en changeant de signification à l’occasion de
cette familiarisation. (Exemples : le qualificatif « maniaque »
pour qualifier quelqu’un de perfectionniste, alors qu’en
psychopathologie la manie est un état d’agitation anormale ;
le terme de « psychose » pour désigner une panique
collective ; le mot « hystérie », utilisé pour désigner un état
d’excitation ; etc.)
Il nous faudra donc être particulièrement attentif sur ce
point, notamment lorsque nous évoquerons la perversion et
la psychopathie (confusion sens psychopathologique / sens
criminologique au niveau de ces termes).
II. ÉLÉMENTS DE NOSOGRAPHIE
Nous présenterons d’abord les deux grandes lignées,
psychotiques et névrotiques, pour traiter ensuite de la
question particulière de la psychopathie et de la perversion,
sur lesquelles les psychopathologues ne sont pas tous
d’accord quant à leur statut structurel.
1. Qu’est-ce qu’une psychose ?
Qu’appelle-t-on psychose ? Et comment comprendre
l’agir violent dans le cadre d’une personnalité psychotique ?
Les psychoses se subdivisent en : schizophrénies,
paranoïa, psychose maniaco-dépressive (P.M.D.),
mélancolie. On peut y ajouter les démences (détérioration
mentales organiques). Certaines personnalités dites
« déficientes mentales » ou « carencées » relèvent
également du registre psychotique.
En psychopathologie, on définit les psychoses comme
un trouble (généralement précoce) de la relation d’objet, ou
plus précisément : un trouble du processus par lequel le
petit d’homme accède à la différenciation sujet-objet ou
moi-autre. (Le terme d’objet peut désigner ici autant une
chose qu’une personne. C’est ce par quoi se réalise
l’investissement pulsionnel.)
Les psychologies dynamiques modernes considèrent le
développement humain précoce comme un long processus
partant d’une totale indifférenciation entre « sujet » et
« objet » l’objet étant d’abord la « mère », support
maternant primaire (ou objet maternel primaire). L’enfant n’a
pas d’emblée d’existence propre, clairement distincte par
rapport à l’entourage. On parle parfois de fusion ou de
symbiose pour désigner cet état primordial l’enfant, par
conséquent, ne peut non plus clairement repérer ses
besoins et ses satisfactions en fonction d’un agent extérieur
(narcissisme primaire, identification primaire). Ce n’est que
vers la fin de la première année que cette connaissance
d’un « objet » extérieur à soi pourra se faire et que l’enfant
pourra identifier l’autre comme « autre » en me temps
qu’il se découvrira lui-même comme « non-autre », c’est-à-
dire comme « moi ».
Pour effectuer cette différenciation (que certains
auteurs ont appelé séparation-individuation), l’enfant doit
cependant pouvoir bénéficier de deux conditions
essentielles, apparemment paradoxales mais en fait
complémentaires :
d’une part, une continuité et une régularité des soins
maternants qu’il reçoit ;
d’autre part, l’expérience d’une discontinuité lui
permettant de percevoir que ces soins, d’une certaine
manière, échappent à son besoin et qu’il existe donc un
monde extérieur (i.e. autre que lui).
Sans entrer dans le détail, disons simplement que les
pathologies psychotiques s’originent dans des échecs
plus ou moins sévères de ce processus de séparation-
Psychopathologie générale / 5
individuation, soit par l’effet de carences ayant compromis
gravement la continuité des expériences de soins, soit par
l’effet d’une trop grande continuité ayant maintenu l’enfant
dans une relation indifférenciée (symbiotique) à l’autre
maternant et dans une illusion de toute-puissance.
Les psychoses correspondent ainsi à des perturbations
(primaires ou acquises) des processus organisateurs de la
personne, entendue à la fois comme individualité et comme
identité. L’angoisse de base, dans les psychoses, est donc
une angoisse de morcellement (perdre son unité et/ou son
identité, par éclatement ou par fusion).
(L’inorganisation psychotique trouve un écho « normal »
dans les expériences ordinaires de changement de le, de
statut, de lieu, d’activité : déménagement, changement de
travail, adolescence, mariage, grossesse et accouchement,
retraite, entrée en institution... )
L’accord se fait aujourd’hui pour reconnaître sous le nom
de psychoses : des distorsions pathologiques, plus ou
moins précoces, du processus d’organisation de la
personne ce processus incluant à la fois des facteurs
relationnels et des aspects de structure.
La structure psychotique se caractérise par les
processus suivants :
un développement fragmentaire du moi et de l’identité :
le moi, en tant qu’instance de synthèse et de contrôle, est
extrêmement fragile, d’où un sentiment d’identité défectueux
(repérable notamment par des troubles de l’image du corps)
et une non-maîtrise de la vie pulsionnelle, chaotique et
souvent contradictoire (intrications des pulsions agressives
et des pulsions sexuelles) ;
une angoisse typique de morcellement : le sujet est
saisi par des craintes intenses et des impressions
d’anéantissement, d’éclatement, d’engloutissement, de
décomposition, de dépersonnalisation, d’envahissement
(sentiment de persécution ou d’influence), qui impliquent la
perte du sentiment d’exister et d’être soi ;
un mode de relation d’objet caractérisé par la
confusion entre moi et non-moi (et plus globalement entre le
moi et le monde environnant) : le sujet n’établit pas vraiment
de distinction entre lui et les autres, la frontière entre ses
limites propres et celles d’autrui ne sont pas clairement
définies ; d’où des réactions inadaptées à la présence
d’autrui (chez le jeune enfant), ou l’impression que les
autres pensent et sentent de la même façon que soi, la
sensation de se perdre dans l’autre, ou l’impression d’être
menacé ou envahi par l’autre (chez le grand enfant et
l’adolescent) ;
contre l’angoisse de morcellement, plus ou moins
intense, le sujet recourt à des mécanismes de défense
typiques : déni de la réalité, projection, identification
projective (basée sur l’identification primaire), clivage (de
l’objet, du moi).
Du point de vue évolutif, le pronostic des psychoses les
plus précoces (psychoses infantiles) est généralement
sévère, et justifie la mise en place d’interventions précoces
et intensives bien que l’on puisse rarement atteindre une
véritable réintégration des processus en cause.
2. Qu’est-ce qu’une névrose ?
Avec les personnalités névrotiques, nous nous trouvons
dans un tout autre registre. Le trouble fondamental ne
concerne pas la constitution de l’objet (son existence ou son
gauchissement) mais le désir que l’on peut en avoir et la
satisfaction que l’on peut en retirer.
Le névrosé, pour ainsi dire, souffre d’une conscience
morale exacerbée, qui perturbe inconsciemment et
jusqu’à l’empêcher parfois tout ce qui peut être de l’ordre
d’un désir ou d’une jouissance. L’angoisse névrotique
typique est une angoisse de culpabilité, en conséquence
d’un sentiment morbide de transgression et d’illégitimité.
Structures
Critères différentiels
Structure
psychotique
Structure
névrotique
finition du trouble
trouble
du processus d’individuation
trouble de l’investissement
de l’objet comme source
de désir et de plaisir
Relation d’objet
non-accès ou accès incomplet
à la différenciation moi-autre
relation d’ambivalence
(conflit intrapsychique
désir versus inhibition)
Angoisse de base
angoisse
« de morcellement »
angoisse
« de culpabilité »
Mécanismes
de défense
déni de la réalité
clivage de l’objet
clivage du moi
refoulement
projection de l’angoisse
de culpabilité vers l’extérieur
Formes pathologiques
schizophrénies - paranoïa
psychose maniaco-dépressive
mélancolie - démences
déficiences mentales
(psychotiques)
névrose hystérique
névrose obsessionnelle
phobies névrotiques
Comparaison structurale psychose / névrose
D’après la psychanalyse (qui s’est tout particulièrement
consacrée à l’étude des névroses), ce sentiment trouverait
principalement son origine dans l’expérience infantile
connue sous le nom de « complexe d’Œdipe », et qui
correspond au moment l’enfant accède à une identité
sexuée. Cette identification se fait d’abord dans un élan
amoureux pour le parent du sexe opposé, donc dans une
rivalité avec le parent du même sexe. Puis, conformément à
l’interdit de l’inceste qui régit tous nos rapports humains
(principe anthropologique dont les parents réels de l’enfant
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