Psychopathologie générale / 4
Sur ces bases simples, l’approche psychopathologique
commence lorsqu’il apparaît qu’un tel équilibre est fragile
(immaturité, détérioration) ou qu’il est brusquement et plus
ou moins passagèrement rompu (décompensation). On
parlera alors de comportement symptomatique.
D’où les principes suivants, à propos du symptôme :
a) Un symptôme exprime un dysfonctionnement
psychique en même temps qu’il en permet la régulation.
(Exemple : la phobie, l’inhibition intellectuelle.)
D’où l’importance d’envisager toujours un symptôme
dans ses aspects à la fois négatifs (invalidants) et positifs
(défensifs-créatifs), et de ne jamais aborder un symptôme
« de front » sans prendre la précaution d’en comprendre le
sens et la fonction.
b) Tel ou tel comportement ou type de discours, pris
isolément, ne permet pas d’emblée d’en déduire un type de
fonctionnement psychique particulier. Il n’existe jamais
d’adéquation univoque entre tel symptôme et tel type de
personnalité (fausses catégories psychopathologiques :
dépression, alcoolisme, toxicomanie, homosexualité... ).
Sur ce point, nous partageons tout à fait la position
énoncée par Hubert Van Gijseghem (psychocriminologue
contemporain) à propos des « abus sexuels » :
« Il nous semble que l’on fait fausse route si, en matière
d’abus sexuel (comme dans toute matière de symptôme !),
on se fie à l’aspect visible – i.e. observable et descripible -
de la chose. Et on fait doublement fausse route si on fonde
sur la description du geste, une typologie. C’est un peu
comme si, en voulant classifier les gens à partir du critère
de la couleur de cheveux, on ignorait qu’en dessous du
visible, qui peut toujours bien relever du factice - la teinture -
il existait une réalité plus fondamentale, non visible celle-là.
En plus, il nous paraît clair que l’abus sexuel ne peut être vu
comme une entité nosologique, pas plus que ne l’est
l’alcoolisme, l’abus de drogue ou le vol. En poursuivant la
caricature, une typologie d’abuseurs sexuels se fondant sur
la description des gestes abusifs (homo, hétéro, etc.)
ressemble malgré tout à une fictive typologie d’abuseurs
d’alcool proposant des types tels que : alcoolique du whisky,
alcoolique de gin... etc !
« Dès lors, une typologie ne devrait pas utiliser comme
critère l’acte abusif et sa description, mais devrait partir
plutôt de l’être qui le commet.
« Nous proposons donc une porte d’entrée différente,
c’est-à-dire la structure de la personnalité de l’abuseur [...].
Une fois la structure connue, il s’agira par la suite de saisir
le sens de l’agir ponctuel dans la perspective de cette
structure. En dehors de cette approche, l’entreprise
typologique dépendra bien toujours de l’anecdotique, de
l’accidentel, du factice. » (H. Van Gijseghem, La person-
nalité de l’abuseur sexuel, 1988, p. 52-53)
« L’abus ne répond pas à des types sui generis [en soi],
mais est symptôme d’une condition psychologique de base.
Il semble donc beaucoup plus rentable (sur le plan de la
compréhension des phénomènes) de décrire les types de
structures psychologiques chez qui l’abus peut apparaître
comme symptôme parmi d’autres. C’est de la condition
psychique plus large de l’individu que l’abus tirera son sens
en tant que symptôme ou signifiant. » (ibid., p. 66)
Encore un mot pour conclure ce préambule. Il s’agit
cette fois de terminologie. Certains termes issus de la
psychopathologie se sont introduits dans le langage courant
– mais parfois en changeant de signification à l’occasion de
cette familiarisation. (Exemples : le qualificatif « maniaque »
pour qualifier quelqu’un de perfectionniste, alors qu’en
psychopathologie la manie est un état d’agitation anormale ;
le terme de « psychose » pour désigner une panique
collective ; le mot « hystérie », utilisé pour désigner un état
d’excitation ; etc.)
Il nous faudra donc être particulièrement attentif sur ce
point, notamment lorsque nous évoquerons la perversion et
la psychopathie (confusion sens psychopathologique / sens
criminologique au niveau de ces termes).
II. ÉLÉMENTS DE NOSOGRAPHIE
Nous présenterons d’abord les deux grandes lignées,
psychotiques et névrotiques, pour traiter ensuite de la
question particulière de la psychopathie et de la perversion,
sur lesquelles les psychopathologues ne sont pas tous
d’accord quant à leur statut structurel.
1. Qu’est-ce qu’une psychose ?
Qu’appelle-t-on psychose ? Et comment comprendre
l’agir violent dans le cadre d’une personnalité psychotique ?
Les psychoses se subdivisent en : schizophrénies,
paranoïa, psychose maniaco-dépressive (P.M.D.), mélan-
colie. On peut y ajouter les démences (détérioration
mentales organiques). Certaines personnalités dites
« déficientes mentales » ou « carencées » relèvent égale-
ment du registre psychotique.
En psychopathologie, on définit les psychoses comme
un trouble (généralement précoce) de la relation d’objet, ou
plus précisément : un trouble du processus par lequel le
petit d’homme accède à la différenciation sujet-objet ou
moi-autre. (Le terme d’objet peut désigner ici autant une
chose qu’une personne. C’est ce par quoi se réalise
l’investissement pulsionnel.)
Les psychologies dynamiques modernes considèrent le
développement humain précoce comme un long processus
partant d’une totale indifférenciation entre « sujet » et
« objet » – l’objet étant d’abord la « mère », support
maternant primaire (ou objet maternel primaire). L’enfant n’a
pas d’emblée d’existence propre, clairement distincte par
rapport à l’entourage. On parle parfois de fusion ou de
symbiose pour désigner cet état primordial où l’enfant, par
conséquent, ne peut non plus clairement repérer ses
besoins et ses satisfactions en fonction d’un agent extérieur
(narcissisme primaire, identification primaire). Ce n’est que
vers la fin de la première année que cette connaissance
d’un « objet » extérieur à soi pourra se faire et que l’enfant
pourra identifier l’autre comme « autre » en même temps
qu’il se découvrira lui-même comme « non-autre », c’est-à-
dire comme « moi ».
Pour effectuer cette différenciation (que certains
auteurs ont appelé séparation-individuation), l’enfant doit
cependant pouvoir bénéficier de deux conditions
essentielles, apparemment paradoxales mais en fait
complémentaires :
d’une part, une continuité et une régularité des soins
maternants qu’il reçoit ;
d’autre part, l’expérience d’une discontinuité lui
permettant de percevoir que ces soins, d’une certaine
manière, échappent à son besoin et qu’il existe donc un
monde extérieur (i.e. autre que lui).
Sans entrer dans le détail, disons simplement que les
pathologies psychotiques s’originent dans des échecs plus
ou moins sévères de ce processus de séparation-