On peut donner une idée des temps mis en
jeu en prenant l’exemple d'un pendule de
masse 1 gramme, de période 1 seconde et
dont l'amplitude s'amortit de moitié en une
minute. Si l'on suppose que le pendule peut
être placé initialement dans une superposition
de deux états ayant des positions voisines dis-
tantes seulement de 1 micron (un millième de
millimètre), on trouve que les effets d'interférence
ont diminué de moitié au bout de 10"16 se-
condes, c'est-à-dire un dix-millionième de mil-
liardième de seconde, dans le cas où le pendule
est initialement dans le vide au zéro absolu –
s'il est à température ordinaire ou plongé dans
l’air, on arrive à des temps encore plus courts.
Il est inutile de dire ce que sont devenus les
effets d’interférence au bout d’un temps réelle-
ment contrôlable par les moyens de l’électro-
nique la plus moderne, car le nombre de zéros
derrière la virgule est alors énorme, à cause de
l’effet ravageur des exponentielles.
Ainsi, les interférences quantiques à grande
échelle sont inaccessibles expérimentalement
dans la très grande majorité des cas. On peut
même dire que l’effet de décohérence est le
plus efficace et le plus rapide que l’on connaisse
dans toute la physique – cette efficacité exem-
plaire a d’ailleurs pour conséquence paradoxale
le fait qu’il est presque impossible de surprendre
l’effet pendant qu’il est en train de se produire.
Ce n’est que tout récemment qu’on y est par-
venu, grâce à des expériences proposées par
ANTHONY LEGGETT et réalisées à la fin des
années quatre-vingt[2] sur des dispositifs parti-
culiers (les Squids, pour Superconducting Quan-
tum Interference Devices, ou « dispositifs su-
praconducteurs d’interférence quantique »).
L’effet miraculeux existe donc bien.
Il convient cependant de préciser que les
interférences qui disparaissent ainsi sont celles
qui auraient pu se manifester macroscopique-
ment, et donc celles qui auraient été visibles
en pratique. Dans le cas d’un compteur GEIGER,
cela peut être l’affichage du numéroteur, le
courant électrique dans l’enceinte ou le voltage
aux bornes, toutes quantités bien visibles, mais
cela ne va pas jusqu’à l’état subtil de la matière
à l’intérieur du compteur, qui pourrait encore,
« en principe », receler des possibilités d’inter-
férence. Cette dernière éventualité offrait donc
encore matière à critique, et JOHN BELL signala
en 1975 (en réponse aux travaux prémonitoires
de KLAUS HEPP) qu'il existe toujours, au moins
en principe, des observables que le théoricien
sait écrire explicitement, même si l'expérimen-
tateur doit renoncer à les atteindre, et dont la
mesure éventuelle permettrait de montrer que
toutes les interférences n'ont pas disparu. Ainsi,
la décohérence apporterait, selon BELL, une
réponse satisfaisante pour tous les besoins de
la pratique, mais la mécanique quantique n'en
serait pas pour autant guérie des interférences
au niveau purement conceptuel.
On peut lever cette objection. Il faut d'abord
calculer pour cela quelle devrait être la grosseur
de l'appareil permettant d'accomplir les mesures
auxquelles BELL songeait. Si, par exemple,
l'objet dans lequel on veut révéler la persistance
des interférences pèse 1 gramme, on trouve
que l'appareil de mesure qui pourrait le tester
devrait peser quant à lui 10 à la puissance 10 à
la puissance 16 grammes. Ce nombre est fan-
tastique : toute la matière présente dans l'univers
connu n'est qu'une infime poussière comparée
à un tel appareil. Qui plus est, un tel monstre
ne pourrait jamais vraiment faire de mesure,
car il faut que cette dernière ait lieu à un
instant suffisamment bien défini, et la lumière
mettrait trop de temps à traverser l'appareil s'il
était fait de matière ordinaire : un temps sans
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