la physique, le monde tel qu`expérimenté - Reseau

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ilosophie – sagesse – histoire des idées – penseurs – sages – philosophes – sagesse – histoire des idées – pense
La science contemporaine
III - LES CONTRIBUTIONS À LA
PHYSIQUE CONTEMPORAINE
2 - penser Le monDe en partant DU QUantiQUe
d - Expérimenter le monde des mesures à la démesure
par Henri Duthu
introduction et textes précédents => ICI
La réconciliation du sens commun et de la
mécanique quantique n’épuise pas les leçons
de cette dernière en matière de théorie de la
connaissance. on a vu en effet qu’elle excluait
les phénomènes du monde des atomes du domaine alloué au sens commun, et il y a là matière à d’autres révélations. cela va de l'étrangeté
de la réduction de la fonction d’onde* lors
dune mesure à une révision profonde de la notion de vérité qui vient répondre aux inquiétudes
d’un esprit aussi avisé que celui d'EINSTEIN.
Un autre problème majeur se profile derrière
ceux-là : c’est la relation du formel avec le
réel, de la théorie avec la nature, qui apparaîtra
pleinement en fin de compte.
Le lancinant problème des interférences
on a déjà rencontré un exemple de mesure
quantique, avec le compteur GEIGER du chapitre précédent, qui détectait si un noyau radioactif a émis ou non un électron. si l’on
résout l’équation de schrödinger du système
physique complexe formé par le compteur et
le noyau radioactif, en supposant le noyau
intact au départ, on peut calculer à quoi ressemble la fonction d’onde totale, par exemple
au bout de dix minutes. on constate qu’elle se
présente alors comme la somme de deux termes
dont le premier représente un noyau encore
intact, alors que le compteur est toujours au 0,
et le second représente un noyau désintégré et
La méthode qu’on propose pour traiter ces un compteur qui montre le chiffre 1 pour indiquestions se fonde uniquement sur les principes quer qu’une désintégration a été détectée.
de la physique quantique, et notamment sur
or on sait qu’une fonction d’onde qui se
ceux qui ont trait à la logique. elle procède de présente comme une somme de deux termes
manière purement déductive, ce qui en garantit permet en principe des interférences quantiques
la cohérence, mais ne nous empêchera pas de entre les deux états qu’ils représentent. Qu’en
découvrir certains points de vue qui avaient est-il dans le cas présent ? il est difficile, à vrai
échappé auparavant aux physiciens et aux phi- dire, d’imaginer à quoi, pourraient ressembler
losophes.
des interférences entre deux états différents
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mis en ligne en 02/ 2017
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d’un même compteur Geiger où un numéroteur
montrerait des chiffres différents. notre imagination s’y refuse, car la réalité ne nous a jamais
mis en face d’une telle situation. De plus, un
tel désaccord entre la théorie et l’expérience
suggère évidemment que le problème qu’on
semble rencontrer est trompeur ou que la
théorie elle-même est douteuse. La seconde
éventualité nous oblige à aller plus loin : si les
interférences existaient, ressembleraient-elles
à quelque chose comme la superposition de
deux photographies ou à ces états que la fièvre
peut provoquer, quand des visions antagonistes
se chevauchent ? La théorie s'obstine à prévoir
la possibilité de tels papillotements du réel, et
il est donc absolument nécessaire d'en avoir le
cœur net.
ce problème a fait couler beaucoup d’encre,
et il est souvent présenté sous une forme particulièrement frappante, introduite par SCHRÖDINGER, et qui, bien que très connue et déjà
évoquée, vaut qu’on la rappelle. Un chat est
enfermé dans une boîte contenant un dispositif
diabolique : une source radioactive dont la
désintégration peut provoquer la rupture d’une
fiole de poison. La théorie, sous sa forme la
plus directe, prévoit que, au bout d’un certain
temps, la fonction d’onde du chat est une superposition de deux fonctions dont chacune
représente respectivement la possibilité que la
source soit intacte et le chat vivant ou que la
source ait donné lieu à une désintégration et
que le chat soit mort. La question se scinde
alors en plusieurs : tout d’abord, peut-on dire
que ces deux événements (le chat est mort ou
vivant) sont bien séparés et sans interférences,
sans « papillotement » ? peut-on ensuite affirmer
sans l’ombre d’un doute qu'un seul des deux
événements a réellement lieu, quand bien
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même nous ne pouvons savoir lequel sans
d’abord ouvrir la boîte ?
on peut donner un autre exemple, peutêtre encore plus explicite, de la nature des difficultés sous-jacentes. imaginons un homme
du nom de pépin qui vivait à l'époque de
charlemagne. il y avait dans les murs de sa
maison un terrible noyau radioactif. supposons,
pour simplifier, que deux événements seulement
aient pu se produire : dans le premier cas, le
noyau s’est désintégré quand pépin avait trois
ans, et il en est mort ; dans le second cas, le
noyau était encore intact quand pépin est mort,
très âgé, après avoir eu des enfants. ces enfants
eurent à leur tour des descendants, parmi lesquels napoléon Bonaparte et le professeur Babillard, aujourd’hui spécialiste de mécanique
quantique. ce dernier mesure les traces du fameux noyau, et il y découvre des interférences.
Que doit-il en déduire ? Les interférences
constatées attestent la survivance du morceau
de fonction d'onde qui correspond à la situation
où pépin est mort à trois ans, et il y a donc toujours aujourd'hui une probabilité non nulle
pour que pépin soit mort à cet âge. Le cours
suivant du professeur Babillard ne peut alors
que commencer ainsi : « J'ai établi que, dans
l'état actuel du monde, il y a une probabilité
non nulle pour que pépin soit mort en bas âge.
on doit donc se résigner à admettre que napoléon a une probabilité non nulle de ne
jamais avoir existé et que moi-même qui vous
parle, je n'existe pas. »
on voit bien où le bât blesse, s'il devait en
être ainsi : aucun fait ne pourrait jamais être
définitivement avéré. La notion même de fait,
bien qu'elle soit à la base de toute science,
serait en opposition manifeste et grinçante avec
la théorie. Le discours aberrant du professeur
Babillard force à peine le ton dans son imitation
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de ceux qui voudraient faire de la physique
quantique le prétexte à un doute universel ou
aux rêves les plus fous. certains parlent d’univers
parallèles et proclament comme aussi vrai que
le nôtre le monde où Jules césar est né fille de
marius. D'autres supposent que l’intervention
de la conscience humaine peut seule briser les
sommes de fonctions d’onde. D’autres vont
encore plus loin, en inversant le processus : si
c’est la conscience qui sépare les réalités possibles, alors l’esprit peut agir sur la matière, et
la parapsychologie est théoriquement démontrée.
pour d'autres encore, la science n’est plus
qu’un ensemble vague où tout est possible, et
l’eau a une mémoire dont le vin seul apporte
l’oubli. certains se veulent plus prudents, et ils
se retranchent derrière des positions qu’ils
jugent sages : la physique ne serait qu’une
convention entre les hommes et n'atteint jamais
la réalité ; la fonction d’onde n'est que l'expression de ce que moi, je me trouve connaître.
ajouterons-nous d'autres commentateurs, qui
bâtissent sur ces galimatias non seulement des
philosophies, mais une psychologie, et même,
dit-on, des théologies où Dieu contemple tous
les univers simultanés qui sont son œuvre indécise ?
BOHR tenta toujours de maintenir contre
vents et marées le caractère objectif de la
science qu'il avait contribué à fonder, et, comme
on le verra, il avait bien raison de le faire. pour
le reste, qu’on se le dise, ce sont billevesées,
coquecigrues, sornettes et calembredaines (ROLAND OMNES avoue avoir aussi en réserve
quelques mots plus forts). La sagesse était de
dire au moins, avec l'honnêteté d'un FEYNMAN
ou le doute d’un EINSTEIN : « il y a quelque
chose qu’on ne comprend pas. » mais alors,
direz-vous, comment comprendre ?
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La décohérence
il fallut du temps pour trouver la réponse au
problème des interférences macroscopiques,
et la solution n’est apparue en toute clarté
qu’au début des années quatre-vingt. elle est
assez facile à dire, mais très difficile à prouver,
et c’est pourquoi ROLAND OMNES ne tentera
pas d’indiquer comment on l’établit. il mentionne seulement que les étapes de cette analyse
furent marquées par des travaux de FEYNMAN
et VERNON en 1963, de HEPP et LIEB en
1974, de ZUREK en 1982, de CALDEIRA et
LEGGETT en 1983, de JOOS et ZEH en 1985.
Le temps qui sépare toutes ces contributions
montre bien la difficulté du problème, et c'est
sans doute à WOJCIECH ZUREK que l'on doit
la réponse la plus claire.
Le résultat d'un calcul théorique approfondi
allant au-delà des considérations élémentaires
qui ont été faites au début est simple à décrire :
quand un système est suffisamment grand
(quand il est fait d’un grand nombre de particules), toutes les interférences entre deux états
macroscopiquement distincts disparaissent très
rapidement, à supposer même quelles aient
existé un instant. cet effet porte le nom de décohérence[1].
il se trouve que ce sont les mêmes termes
de l'énergie qui sont responsables à la fois de
la décohérence et de la dissipation thermique.
cette communauté d'origine se traduit par le
fait que le temps nécessaire à ce que la décohérence ait lieu est proportionnel à celui qui
contrôle la dissipation (ou temps d'amortissement), quoique beaucoup plus court. en fait,
les effets d'interférence décroissent de manière
exponentielle au cours du temps, c'est-à-dire
de façon radicale et, de plus, à très vive allure.
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on peut donner une idée des temps mis en
jeu en prenant l’exemple d'un pendule de
masse 1 gramme, de période 1 seconde et
dont l'amplitude s'amortit de moitié en une
minute. si l'on suppose que le pendule peut
être placé initialement dans une superposition
de deux états ayant des positions voisines distantes seulement de 1 micron (un millième de
millimètre), on trouve que les effets d'interférence
ont diminué de moitié au bout de 10"16 secondes, c'est-à-dire un dix-millionième de milliardième de seconde, dans le cas où le pendule
est initialement dans le vide au zéro absolu –
s'il est à température ordinaire ou plongé dans
l’air, on arrive à des temps encore plus courts.
il est inutile de dire ce que sont devenus les
effets d’interférence au bout d’un temps réellement contrôlable par les moyens de l’électronique la plus moderne, car le nombre de zéros
derrière la virgule est alors énorme, à cause de
l’effet ravageur des exponentielles.
qui auraient pu se manifester macroscopiquement, et donc celles qui auraient été visibles
en pratique. Dans le cas d’un compteur GEIGER,
cela peut être l’affichage du numéroteur, le
courant électrique dans l’enceinte ou le voltage
aux bornes, toutes quantités bien visibles, mais
cela ne va pas jusqu’à l’état subtil de la matière
à l’intérieur du compteur, qui pourrait encore,
« en principe », receler des possibilités d’interférence. cette dernière éventualité offrait donc
encore matière à critique, et JOHN BELL signala
en 1975 (en réponse aux travaux prémonitoires
de KLAUS HEPP) qu'il existe toujours, au moins
en principe, des observables que le théoricien
sait écrire explicitement, même si l'expérimentateur doit renoncer à les atteindre, et dont la
mesure éventuelle permettrait de montrer que
toutes les interférences n'ont pas disparu. ainsi,
la décohérence apporterait, selon BELL, une
réponse satisfaisante pour tous les besoins de
la pratique, mais la mécanique quantique n'en
ainsi, les interférences quantiques à grande serait pas pour autant guérie des interférences
échelle sont inaccessibles expérimentalement au niveau purement conceptuel.
dans la très grande majorité des cas. on peut
on peut lever cette objection. il faut d'abord
même dire que l’effet de décohérence est le calculer pour cela quelle devrait être la grosseur
plus efficace et le plus rapide que l’on connaisse de l'appareil permettant d'accomplir les mesures
dans toute la physique – cette efficacité exem- auxquelles BELL songeait. si, par exemple,
plaire a d’ailleurs pour conséquence paradoxale l'objet dans lequel on veut révéler la persistance
le fait qu’il est presque impossible de surprendre des interférences pèse 1 gramme, on trouve
l’effet pendant qu’il est en train de se produire. que l'appareil de mesure qui pourrait le tester
ce n’est que tout récemment qu’on y est par- devrait peser quant à lui 10 à la puissance 10 à
venu, grâce à des expériences proposées par la puissance 16 grammes. ce nombre est fanANTHONY LEGGETT et réalisées à la fin des tastique : toute la matière présente dans l'univers
années quatre-vingt[2] sur des dispositifs parti- connu n'est qu'une infime poussière comparée
culiers (les squids, pour superconducting Quan- à un tel appareil. Qui plus est, un tel monstre
tum interference Devices, ou « dispositifs su- ne pourrait jamais vraiment faire de mesure,
praconducteurs d’interférence quantique »). car il faut que cette dernière ait lieu à un
L’effet miraculeux existe donc bien.
instant suffisamment bien défini, et la lumière
il convient cependant de préciser que les mettrait trop de temps à traverser l'appareil s'il
interférences qui disparaissent ainsi sont celles était fait de matière ordinaire : un temps sans
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commune mesure avec l'âge de l'univers. À
moins d'admettre, dirait un irréductible, que
cet appareil soit fait d'une matière assez dense.
eh bien soit ! on constate alors qu'il est si
lourd pour si peu de place qu'il doit immédiatement s'effondrer sur lui-même pour laisser
un trou noir : on ne peut rien sortir d'un trou
noir, et donc pas un résultat de mesure. au
total, ce genre d'expérience est non seulement
impossible en pratique, mais il est strictement
inconcevable, car il viole trop de choses : la finitude de notre univers et, surtout, les principes
de la relativité, dont on sait qu'ils contrôlent le
monde en plus de ceux de la mécanique quantique.
il ne peut donc y avoir d'interférences quantiques que pour des objets assez petits. on les
a vues avec des particules élémentaires (photons,
électrons, neutrons, etc.) ainsi qu'avec des
atomes ; on devrait aussi pouvoir les observer
pour de petites molécules. au-delà, très vite
(car tout est contrôlé par des exponentielles),
la décohérence doit les supprimer, sauf lorsqu'on
a recours à des systèmes très subtils et très particuliers qui peuvent contenir beaucoup de
particules, mais dont une condition essentielle
(non suffisante) est de ne pas subir de dissipation.
Le compte en est vite fait : il ne peut s'agir que
d'un supraconducteur (ce sont les squids de
LEGGETT), d'un superfluide ou, devinez quoi ?
tout simplement de la lumière, c'est-à-dire des
bonnes vieilles interférences de YOUNG* et
de FRESNEL.
La théorie de la mesure
on a dit que la théorie de la mesure procède
de manière déductive à partir des premiers
principes. certains des résultats dont nous
avons déjà parlé interviennent de façon essentielle dans cette déduction. c'est ainsi que les
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données de l'expérience montrées par un appareil de mesure peuvent être décrites de manière purement classique – on a vu pourquoi
cela est permis lorsqu'on a retrouvé le sens
commun. il est également nécessaire que ces
différentes données soient exemptes de toute
interférence, ce qui résulte de la décohérence.
Là décohérence joue également un rôle majeur
dans le fait que ces données appartiennent à
des histoires cohérentes au sens de GRIFFITHS
(si le lecteur veut bien excuser ce grincement
du vocabulaire où la décohérence provoque la
cohérence, mais les mots ont été ainsi frappés.
La langue anglaise utilise deux mots différents :
dans le cas qui nous occupe,
• des ondes peuvent être cohérentes et la décohérence est la perte de cette qualité,
• alors qu'un champ logique ou un système
d'histoires est consistent, ce qui souligne une
cohérence au sens logique du terme).
pour bien comprendre ce qu'est une mesure,
il est bon de distinguer au préalable deux
notions trop souvent confondues :
• ROLAND OMNES veut parler de la donnée
(concrète) d’une expérience
• et de son résultat (significatif).
La donnée est pour lui un fait macroscopique,
classique : ainsi, lorsqu’on voit le chiffre 1
affiché par le numéroteur du compteur GEIGER,
c’est une donnée. Le résultat est différent, car
c'est une propriété strictement quantique, qui
n’a trait le plus souvent qu'au monde microscopique : il dit par exemple qu’un noyau radioactif s'est désintégré, ou il fournit une composante du spin d'une particule. La donnée est
une propriété classique qui ne concerne que
l’appareil, et c’est l'expression d’un fait. Le résultat concerne directement une propriété du
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monde quantique. La donnée est un intermé- où la théorie peut être enfin comparée à l’exdiaire indispensable pour atteindre un résultat. périence, et le chemin qui va du formel au
Une théorie rigoureuse doit commencer par concret est finalement achevé.
préciser quelles vertus font d'un certain dispositif
expérimental un appareil de mesure. nous les
laisserons de côté, cependant, pour éviter d'entrer dans la technique. L'important est qu’à
partir de ces critères on peut établir la clef de
l’édifice : la donnée et le résultat sont logiquement équivalents. cela peut servir d'excuse à
tous ceux qui n'avaient jamais fait de distinction
entre les deux, bien que ce théorème mette en
jeu toute la puissance des formalismes logique
et dynamique de la théorie. c'est aussi un
exemple de la puissance étonnante de la logique
quantique et de son potentiel de clarté. soulignons que ce théorème ne repose que sur les
hypothèses suivantes :
La réduction de la fonction d’onde revisitée
Un autre résultat important concerne les
probabilités. on peut l’exprimer en gros de la
manière suivante : si l’on effectue un grand
nombre de fois la même mesure, on obtient
des données dont on peut faire la statistique ;
cette dernière est alors nécessairement en
accord avec les probabilités élémentaires de la
théorie telles qu’on les postulait depuis l’origine.
il faut souligner que, dans la construction nouvelle, ces probabilités n’étaient apparues que
comme un outil de la logique, du langage, et
c’est au stade présent qu’elles acquièrent enfin
la signification empirique qui leur faisait défaut,
et que le hasard fait son entrée dans la construction théorique. on est ainsi parvenu au point
cription empirique, mais comme une des lois
les plus fondamentales de la mécanique quantique — une véritable loi de la nature. il la
considérait même comme une loi différente de
toutes les autres, car elle seule permet d’appliquer la théorie, et donc de la vérifier. il lui
semblait impossible de la soumettre elle-même
à une vérification expérimentale, puisqu'elle
était la condition préalable à toute prévision.
son ascendance devait même l’emporter sur
celle de la dynamique de SCHRÖDINGER,
puisque cette dernière était supposée ne plus
s’appliquer quand une mesure avait lieu.
on sait qu'une des règles les plus importantes
promulguées par BOHR concerne deux mesures
faites successivement. sous sa forme la plus
faible, cette règle affirme que les probabilités
des résultats de la seconde mesure peuvent
être calculées « comme si » le résultat de la
première mesure déterminait la fonction d'onde
à la sortie de l’appareil qui l'a effectuée. La
forme exacte qu'il faut donner à cette fonction
d'onde ne nous concerne pas directement ici
(c'est, pour le théoricien, une « fonction propre »
de la première observable mesurée). La grande
question est de savoir si le « comme si » que
nous venons d'employer recèle une recette de
• on a bien affaire à un appareil de mesure, pratique ou une réalité physique. La règle ellequ'on suppose parfait (les imperfections peuvent même a été en tout cas amplement vérifiée
être discutées après coup) ;
dans d’innombrables expériences, et sa validité
• cet appareil subit l'effet de décohérence ; les ne fait aucun doute.
autres hypothèses sont les principes mêmes de
on a vu que BOHR ne considérait pas la
la théorie.
règle de réduction comme une simple pres-
classement > 7A28
La réponse apportée par les méthodes nouvelles est beaucoup plus banale. La réduction
mis en ligne en 02/ 2017
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6/13
de la fonction d’onde n’y apparaît pas comme
un véritable effet physique, et il n’est même
pas nécessaire de l'utiliser, voire de la mentionner, pour développer une théorie complète
de la mesure. si l'on reste en effet dans le
cadre de la théorie des histoires en tenant
compte de toute l’histoire des appareils de mesure aussi bien que de celle des objets mesurés,
on ne rencontre nulle part rien qui ressemble à
une réduction de la fonction d’onde, et tout
reste toujours en parfait accord avec l’équation
de SCHRÖDINGER. on constate seulement
un résultat purement mathématique : la probabilité d’une histoire où se succèdent deux mesures peut être écrite sous une forme qui ressemble trait pour trait à la règle de réduction et
qui, d’ailleurs, la généralise lorsque cette
dernière est mal définie.
La réduction de la fonction d’onde ne serait
donc en ce sens qu’une recette commode mais
non indispensable, une formule simplificatrice
permettant l’économie d'un calcul de logique.
elle apparaît quand on fait abstraction de l’histoire détaillée du premier appareil de mesure
pour ne retenir que la donnée qu’il a fournie ;
on continue alors à suivre l’histoire ultérieure
de l’atome mesuré quand il pénètre dans le second appareil de mesure, et cela conduit au
résultat donné par la règle.
on peut constater une analogie frappante
entre ce résultat et d’autres formes de simplification logique plus familières. on a vu par
exemple, à propos de logique et de mathématiques, qu’on peut se permettre d’oublier comment un théorème a été démontré pour ne
retenir que sa conclusion et repartir de là pour
faire d’autres démonstrations. c’est ce qu’on a
appelé le modus ponens. La réduction de la
fonction d’onde est en quelque sorte une autre
forme de modus ponens, un autre raccourcisclassement > 7A28
sement logique. ici, ce sont des portions entières
de l’histoire des appareils de mesure qu’on efface. Le seul véritable effet physique qui conditionne le résultat est la décohérence qui a lieu
effectivement dans l’appareil de mesure, et
non dans l’objet mesuré, comme on l’a cru
longtemps.
La question de la vérité
Une autre question importante concerne ce
qu’il faut entendre par la notion de vérité en
mécanique quantique. sous une apparence
quelque peu académique, elle ouvre la voie à
d’autres questions, qui relèvent directement
de la philosophie de la connaissance : peut-on
connaître certaines propriétés du monde quantique avec toute la certitude qu’on attache à la
vérité ? La théorie quantique conduit-elle à
voir l’univers comme un tout inséparable ou
permet-elle d’en analyser les parties comme le
réclame la méthode scientifique ? Derrière ces
questions se profile aussi la question du réalisme,
c'est-à-dire du degré d'accès à la réalité auquel
la connaissance peut prétendre.
ces questions exigent malheureusement
qu’on entre un peu dans la technique. on
éprouve en effet de la difficulté à cause de la
complémentarité, c’est-à-dire de l'existence
de multiples familles d’histoires cohérentes différentes qui permettent de décrire également
bien un certain objet quantique de manière logique. si l’on peut adopter tant de points de
vue inconciliables pour décrire un même objet,
on peut légitimement se demander s'il sera jamais possible d’atteindre une quelconque forme
de vérité. peut-on dire, en effet, qu'une certaine
proposition à qui résulte logiquement des faits
observés est vraie, alors qu’une autre proposition
b résulte tout aussi bien de ces faits si l'on se
place dans un cadre logique complémentaire
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et qu'il est impossible d’énoncer a et b simultanément ? on a toujours considéré en effet
comme une nécessité que si a est vrai et b est
vrai, alors la proposition « a et b » est vraie. or
on connaît de nombreux exemples où la proposition « a et b » est totalement dépourvue
de toute signification, notamment quand elle
fait intervenir simultanément deux composantes
différentes du spin d'une particule[3].
si l’on est quelque peu enclin à la philosophie
de la connaissance, on ne saurait rester indifférent à une telle situation où la notion de
vérité vacille.
• on a vu que la vérité d'une proposition
concernant la réalité repose sur la constatation
d'un fait : la proposition « La rose est rouge »
est vraie quand la rose en question est rouge.
• on a vu également que les lois de la nature
permettent d'étendre cela à d'autres propositions
qui ne sont pas des faits, ou pas encore, comme
l’issue d’événements à venir quand on peut
s’appuyer sur une forme de déterminisme.
pour étendre cela au cas quantique, il
convient de restreindre les logiques cohérentes
qui permettent de décrire la physique, pour ne
retenir que celles qui prennent explicitement
en compte tous les faits de la réalité observable.
on notera que c’est une condition objective,
car il s'agit là en principe de tous les faits qui
ont réellement lieu, et non seulement de ceux
qui sont venus à la connaissance d’un observateur. ces logiques quantiques cohérentes
qui incluent parmi leurs propositions l’énoncé
de tous les faits seront dites sensées.
• Dans le second cas, la proposition en question
doit obéir à deux critères, qui sont en principe
vérifiables par un calcul logique : on peut
ajouter la proposition au champ de propositions
de toute logique sensée sans modifier la cohérence de cette dernière (ce qui signifie, en pratique, que les conditions de GRIFFITHS qui
accompagnent son introduction sont automatiquement satisfaites) ; elle est de plus logiquement équivalente à un fait quelle que soit la
logique sensée dans laquelle elle a été introduite.
on peut alors établir que les conditions imposées par l'axiomatique des logiciens à ce
qu'ils entendent par « vérité » sont bien satisfaites, et on a donc réussi à surmonter l'ambiguïté venue de la complémentarité, tout en
gardant la possibilité de parler du monde quantique lui-même. en fait, quand on recense les
propositions qui peuvent être ainsi qualifiées
de vraies, on constate qu’elles appartiennent à
deux catégories.
• La première est celle des faits eux-mêmes et
des propriétés classiques qu'on peut en déduire
à l'aide du déterminisme, quand il est valable
(il va alors aussi bien vers le passé que vers
l'avenir). on y trouve donc les propriétés qui
ont eu lieu dans le passé et dont les faits
présents ont gardé la trace, comme c'est le cas
quand on reconstitue une scène ancienne à
partir d'une photographie, et on a là, en somme,
la justification théorique de la mémoire comme
témoin de la vérité.
on dira alors qu’une certaine proposition
est vraie dans deux cas distincts.
• La seconde catégorie de vérités est purement
spécifique au monde quantique, et elle se
réduit essentiellement aux résultats des mesures.
• Le premier est celui où la proposition est purement et simplement l’énoncé d'un fait.
on peut aussi mentionner une autre catégorie
de propositions, dont la possibilité a provoqué
classement > 7A28
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dans le passé de grandes perplexités. ce sont
des propositions remarquables qui ressemblent
par certains côtés à des propositions vraies
sans en posséder néanmoins toutes les qualités.
au contraire des propositions vraies, elles ne
figurent que dans certaines logiques censées
particulières et ne peuvent pas entrer dans
toutes (elles violeraient alors les conditions de
GRIFFITHS). elles partagent cependant avec
les propositions vraies la vertu d'être la conséquence logique d'un fait expérimental avéré,
au sein bien entendu des logiques particulières
où elles sont permises. elles ne peuvent pas
être considérées comme vraies, car elles sont
entachées d'arbitraire, puisqu'il nous est possible
de choisir à volonté une logique où elles sont
énonçables ou une autre où elles n'ont aucun
sens. il n'en reste pas moins qu’elles ont
quelque chose de crédible dans le cadre logique
où elles ont leurs entrées, en ce sens que le
fait de les admettre ne conduit jamais à aucune
contradiction, mais dans ce seul cadre.
L'existence de ces propositions crédibles
constitue un piège logique diabolique auquel
einstein lui-même se laissa prendre. ce n'est
en effet que par la distinction claire du crédible
et du vrai qu'on peut clarifier certaines difficultés
rétives, car elle seule, grâce à une logique
quanti que formelle inattaquable, permet d'éviter
les traîtrises des mots et des images mentales
trompeuses. L'exemple le plus célèbre se trouve
dans un problème posé en 1935 par EINSTEIN,
PODOLSKY ET ROSEN. il se présente ainsi,
sous la forme que lui a donnée DAVID BOHM :
une particule se désintègre en deux particules
p et p' de spin 1/2 dont le spin total est 0. on
mesure la composante du spin de la particule
p le long d’une certaine direction n à un
instant t et on trouve un certain résultat, par
exemple +1/2. À un moment ultérieur t', on
classement > 7A28
mesure la composante du spin de la particule
p' le long d’une autre direction, n ', différente
de la première, et on trouve encore, par exemple, +1/2. La question qu’on se pose est de
savoir ce qu’on peut dire du spin de la particule
p' au premier instant t où on a mesuré le spin
de l’autre, celui de p.
en s’appuyant sur la forme explicite de la
fonction d'onde totale et sur l’hypothèse d’une
réduction réelle, physique, de la fonction
d’onde au moment de la première mesure,
EINSTEIN, PODOLSKY ET ROSEN pensaient
pouvoir affirmer que la composante du spin
de la particule p' le long de la direction n à
l'instant t est -1/2. ils allaient même jusqu’à
qualifier d’élément de réalité cette propriété
de la particule p ' qu’on peut connaître sans la
toucher ni la perturber d’aucune manière.
comme la particule p ' peut se trouver très
éloignée de p lorsqu’on mesure cette dernière,
la connaissance ainsi acquise sans aucune
action directe laisse à penser que le monde
quantique est très fortement corrélé à distance,
« non local », ou encore « holistique », c’està-dire constituant un tout indissociable où rien
ne peut être rendu indépendant de ce qui se
passe loin ailleurs. cela donnait évidemment
au monde quantique un aspect étrange et troublant, source ensuite d’immenses commentaires.
L'intérêt des « éléments de réalité » est plus
que diminué, dans le contexte actuel, et leur
nom apparaît même comme particulièrement
trompeur dès lors que l’on fait la remarque
suivante : il existe effectivement une logique
sensée qui inclut les deux données expérimentales ainsi que la proposition exprimant
l’élément de réalité (lequel découle dans cette
logique de la première donnée expérimentale).
L’élément de réalité est donc crédible, au sens
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que nous avons donné à ce terme (en l'admettant, on ne sera jamais conduit à une contradiction). il ne va pas néanmoins jusqu'à être
vrai, car il existe une autre logique, tout aussi
sensée que la première, dans laquelle la propriété du spin de p' à l’instant t anticipe en
quelque sorte le résultat futur de la seconde
mesure : la composante du spin de p ' le long
de n'est déjà égale à +1/2 à l’instant t. cette
autre logique est tout aussi cohérente, et la
proposition nouvelle (donnant la composante
de spin de p' le long de n') n’a strictement rien
à voir avec l’élément de réalité, alors qu’elle
découle cependant de la seconde donnée expérimentale. elle est donc tout aussi crédible
et tout aussi peu vraie que l’élément de réalité,
et ces deux propositions incompatibles ne sont
que le fruit d'une décision arbitraire qui ne
peut satisfaire aux critères de la vérité.
La situation peut être rendue plus vivante et
sans doute plus claire si on la personnalise :
supposons que deux physiciens, Lapin et Belette,
ont fait chacun une des deux mesures. chacun
d'eux peut soutenir mordicus qu'il sait parfaitement quel était l’état de spin de la particule
p ' à l'instant de la première mesure : « Je
connais sa composante x. – et moi sa composante z. » chacun peut démontrer à l’autre
qu’il n'y a pas la moindre erreur dans son
propre raisonnement et que la logique lui
donne raison : « Je sais raisonner, moi, monsieur,
tout le monde le reconnaît à mon club. » il ne
peut admettre cependant la logique de l'autre,
qui est incompatible avec la sienne : « mais
enfin, puisqu’il est clair que j'ai raison, vous
ne pouvez pas avoir raison aussi. » Le juge raminagrobis les renverra tous deux dans le
cercle exclusif de l’Hadès, où se tient à présent
chrvsippe, en leur démontrant qu’ils n’avaient
pas le droit de tenir pour vrai ce qu’ils affirclassement > 7A28
maient. car il existe des propriétés d'un système
quantique que l’on peut concevoir mais qui
ne peuvent jamais être tranchées conformément
à la vérité par aucun moyen logique convenable.
Une autre conséquence remarquable de
cela est que l’apparence holistique et hautement
non locale du monde quantique, dont on nous
a longtemps rebattu les oreilles, se révèle le
fruit d’une inconséquence logique, et qu'elle
s’évanouit en même temps que les éléments
de réalité. on voit par là tout ce que l’on
gagne à bien comprendre les conséquences
d’une science formelle, car le formel permet
seul de cerner pleinement la nature trop subtile
du monde quantique, sur lequel le sens commun
vient inévitablement se briser.
La béance
il semblerait, à ce qu’on vient de dire, que
les principes premiers de la physique quantique
engendrent parfaitement leur propre interprétation et qu’ils conduisent naturellement, sans
qu’on leur ajoute rien, à une image du monde
ordinaire en parfait accord avec ce qu’il offre
de plus familier. peut-on se reposer ainsi, et
dire que tout est simple, finalement ? non,
malheureusement (ou heureusement ?), car ici
se greffe une question immense, celle d’une
réalité qui paraît vouloir rompre le tissu de
pensée dont on l’avait revêtue. Je qualifie sa
démesure de béance, car elle est en quelque
sorte la bouche béante de l'abîme, non celle
qui parle, comme à Hugo, mais celle qui
gronde.
Béance, d’où viens-tu ? EINSTEIN frissonnait
à te voir et te refusait : non, « Dieu ne joue pas
aux dés ! ». approchons-nous de toi, la redoutable, à pas comptés.
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parlons en physicien et revenons quelque
peu en arrière. Lorsque nous avons pu écarter
la réduction de la fonction d'onde de la liste
des principes de la théorie, nous n’avons pas
tenu compte du fait qu'elle dissimulait aussi
une question toujours présente. Une expérience
de mesure aboutit en effet, dans la réalité, à
une donnée unique, à un fait tangible, indubitable. or qu’avons-nous à proposer en face de
cela ? Une théorie plus que jamais tressée de
probabilités, un jeu des possibles. rien, dans
cette théorie, n’offre un mécanisme, une cause
d’où sortira le vierge aujourd’hui, l’inaltérable
et pure unicité du réel.
Les questions les plus grandes éblouissent,
et de nombreux physiciens préfèrent ici se
voiler les yeux. ils se terrent dans l’antre de la
théorie rassurante, dont ils refusent de sortir.
La théorie, disent certains d’entre eux, contient
tous les possibles, et nous concevrons donc
une vaste fonction d'onde de l'univers, née
avec lui, qui se déroule depuis en conformité
avec les lois quantiques. chaque fois qu'une
branche d'alternative s’ouvre, la fonction d'onde
de l’univers se divise en fourches pour épouser
toutes les issues possibles. il suffit d’un rien ;
qu'un noyau, sur une planète inconnue, se
désintègre ou non et qu'il laisse ou non une
trace dans un roc inaccessible, et la fonction
d'onde majestueuse de tout l'univers se dédouble. Qu’un physicien mesure dans son laboratoire un effet quantique, et il en va de
même. Qu'un caillou vire à droite plutôt qu’à
gauche dans le lit turbulent d'un torrent, et
c'est une autre bifurcation. certains de ces
événements peuvent être grandioses, et il suffit
peut-être qu'aux premiers temps de l'univers il
y ait un peu plus de matière ou de rayonnement
ici que là, tout à côté, pour que se profile au
lointain l’éventualité de deux galaxies aux
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formes différentes. Des milliers d’étoiles en
dépendent. La plupart au contraire sont minimes,
indignes, au regard de ce qu'ils affectent.
certes, mais c’est là le propre d’un monde
où le hasard a un rôle. La théorie est parfaite
en ce qu’elle en tient compte ; elle n’envisage
que le possible. il nous faut mentionner pourtant,
même sans l’admettre, une idée étrange avancée
par EVERETT en 1956. tout ce que recèle aujourd'hui la fonction d’onde de l’univers issue
des premiers temps n’est pas, dit-il, un cimetière
de possibilités anciennes annulées par l’histoire
d’où surgit, seule survivante, celle du monde
que nous voyons. c’est une fonction qui s’accorde à autant de réalités parallèles poursuivant
leurs cours séparés. Le réel n’est pas unique.
idée folle, dira-t-on, et je suis prêt pour ma
part à partager cette opinion qui suggère davantage le délire d’un esprit intoxiqué de
théorie qu’une conception sensée. et pourtant,
puis-je la réduire à néant ? eh bien non ! tout
ce qu'on sait en effet du phénomène de décohérence montre que jamais nul être appartenant
à l’une des branches de la réalité multiforme
ne pourra accéder à d'autres branches. aucune
expérience qu’il pourrait faire ne lui permettra
d’établir que d’autres branches continuent
d’exister ou que la sienne est unique. Les
univers parallèles, incommensurablement innombrables, s'ignorent parfaitement.
parfait, pourra dire l'empiriste, en voilà assez
pour que cela n'ait plus aucun intérêt. La
science ne traite que de ce qui est constatable,
et ces théories ne peuvent pas l'être. Donc
elles n’ont rien à voir avec la science. Laissons-les à la philosophie si elle consent à s’en
embarrasser.
c'est justement ce que je voulais prouver.
Du seul fait que la théorie d’EVERETT existe et
mis en ligne en 02/ 2017
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quelle ne peut être réfutée, même en principe,
il résulte que la question de l'unicité du réel
n’appartient pas au domaine de la science, du
vérifiable, mais à celui de la philosophie, des
options métaphysiques[4].
• La première était justement celle d’une règle
pratique qui permet de calculer les probabilités
des résultats de deux mesures quantiques successives : c’est elle qui est devenue depuis un
simple théorème.
eh bien soit ! et pourquoi refuser d'y pénétrer ? examinons, au contraire d’EVERETT, une
autre éventualité, qu’il faut bien appeler métaphysique en dépit de tout ce qui nous attire en
elle : le réel est unique. « Les choses sont ce
qu'elles sont, profond, profond est cela. Devant
celui qui se prosterne, on se prosternera »
(o.V. de LUBICZ-MILOSZ).
• La seconde était de pouvoir rendre compte
de l’apparition d'un fait unique parmi toutes
les issues possibles d’une mesure, et c’est ainsi
qu’elle était une règle différente de toutes les
autres. L’interprétation a suffisamment évolué
aujourd’hui pour qu’il soit clair que la règle
qu’on vient d’énoncer recèle l’essence des
idées de BOHR, bien quelle en diffère profondément par la forme.
profond est cela en effet, mais disons-le
d'abord de manière plus pondérée. on pourrait
formuler ce point de vue à la manière d'une
règle de la physique qui aurait une forme telle
que celle-ci : « La réalité est unique. elle évolue
au cours du temps de telle sorte que des faits
différents qui prennent naissance dans des
conditions identiques ont des fréquences d’apparition conformes aux probabilités théoriques. »
Formulée ainsi, l’idée n’est pas entièrement
nouvelle, et on en trouve en quelque sorte
l’anticipation chez NIELS BOHR. on se souvient
en effet de la singularité qu’il attribuait à la réduction de la fonction d’onde*. il la séparait
des autres règles de la physique, et elle était
pour lui le fondement de toute possibilité de
comparaison entre la théorie et l'expérience,
de sorte qu’en ce sens elle échappait à la vérification expérimentale. on a vu certes depuis
que la règle pratique de réduction de la fonction
d’onde* n’est pas l’expression d’un effet physique, mais une simple commodité logique. il
n’en reste pas moins qu’elle avait chez BOHR
deux significations bien distinctes.
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et voici maintenant la béance. Que dit cette
règle si particulière, métaphysique on l’a vu,
sinon que la théorie laisse échapper ce qui est
peut-être l’essence de la réalité ? tous les caractères de la réalité sont réapparus dans la reconstruction qu’en a faite le modèle théorique,
à une seule exception près, qui est précisément
l’unicité des faits. La théorie et la réalité s’accordent en tout point, sauf en cet unique
hiatus. Leur conflit y est cependant absolu (et
ROLAND OMNES n’emploie pas ce mot à la
légère), car il a lieu à leur contact ultime et il
n’oppose pas certaines de leurs qualités accessoires, mais leur essence même. car la
théorie, parce qu’elle est purement mathématique, ne peut englober que les possibles, et
son caractère probabiliste est irréductible. La
réalité, pour sa part, est avant tout unique, car
elle est ce qui est totalement défini quand on
pointe le doigt en disant : « cela ».
il semble bien qu’on se heurte à quelque
chose de fondamental, d'irréductible, d’indépassable, à un avertissement qui nous dirait de
manière solennelle que la réalité n’entre pas
en entier dans les formes que peuvent exprimer
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les mathématiques et leur logos. Qu’est-ce à
dire, sinon qu'on a atteint les bornes du « programme cartésien », honni du seul Heidegger
et jusqu’ici partout triomphant ? maints philosophes et physiciens n'ont cessé
de faire reproche à la physique quantique,
depuis plus d’un demi-siècle, de ne pas expliquer
l’existence d’un état de fait unique. il est vrai
quelle n’offre aucun mécanisme, ni même aucune suggestion qui aille dans cette direction.
c’est là, dit-on souvent, la marque indélébile
d’une tare de la théorie, qui devra céder la
place dans l’avenir à une autre meilleure. cette
attitude se fonde, selon moi, sur une idolâtrie
de l’explication théorique. ces critiques veulent
en fait à tout prix que l’univers se plie à une
loi mathématique, jusqu’au moindre de ses
détails, et il est vrai qu'ils trouvent là une
contradiction flagrante à leur désir. tout a
semblé longtemps les encourager, mais voici
que la béance gronde. osez-vous, mortels,
face au réel, à ce qui est, à ce qui s’écoule en
un fleuve où rien n’est jamais à la même
place, à ce qui sans cesse engendre et se transforme, osez-vous n’en faire qu’un encart dans
le logos de vos mathématiques, fermé au temps
et demeure de l’éternel immobile ?
ROLAND OMNES en tient, et l’on pourrait
presque alors parler de prosternation, pour la
thèse adverse, qui dit que c’est merveille, merveille que les immenses efforts consentis par
les hommes pour comprendre la réalité aboutissent à une théorie qui l'épouse de si près
qu’on ne les distingue plus qu’à leur frontière
extrême. elles se séparent cependant, car sinon
le réel perdrait sa propre nature et s’identifierait
aux formes intemporelles du royaume des
signes, à sa propre représentation à jamais
figée. non, l’incapacité de la science à rendre
compte de l’unicité des faits n’est pas une tare
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d’une théorie transitoire, mais au contraire la
marque flagrante d'un triomphe sans précédent.
Jamais auparavant l’humanité n'était parvenue
aussi loin dans la conquête des principes qui
atteignent au cœur et à la moelle des choses,
mais qui ne sont pas les choses.
Henri Duthu
[1] il est difficile d’expliquer par des mots en quoi
consiste exactement en quoi consiste exactement cet
effet de décohérence. on peut l’imaginer quand on
sait que les fonctions d’onde internes d’un objet macroscopique sont en nombre énorme et que chacune
d’elles est extrêmement sensible à la moindre perturbation qui vient ici du mouvement collectif. Les fonctions d’onde de milliards de milliards d’atomes sont
incapables dans ces conditions, de conserver la trace
de leur phase initiale, qui seule permettait à des interférences de se manifester.
[2] Voir l’article de J. clarke, a. cleveland, dans la
revue Science, vol. 239, 1988, p. 992.
[3] cette question a été soulevée par Bernard d’espagnat, Journal of statistical physics, vol. 56, 1989,
p. 747, et la réponse donnée ici est celle de l’auteur dans le même journal, vol. 62, 1991, p. 841,
laquelle a été endossée par d’espagnat, Foundations of physics, vol. 20, 1990, p. 1147.
[4] L'argument ne vaut à vrai dire que si tout, absolument tout, obéit à des lois quantiques. seul, apparemment, un objet de nature physique pourrait
éventuellement leur échapper, et c'est l’espace luimême. La question technique sous-jacente est de
savoir s’il faut ou non, si l’on peut ou non « quantifier » la théorie de la relativité générale. si l’espace n’a rien de quantique, il faut supposer, semble-t-il, l'existence d’une interaction entre lui et
son contenu, la matière, dont il ne peut être exclu
qu’elle ait des conséquences vérifiables. ROLAND
OMNES a offert ailleurs un tel modèle, mais il n’y
croit guère, en dépit de quelques attraits mathématiques. il faudra sans doute cependant ouvrir
mieux ou fermer cette porte.
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