« Les calories » : de l’assiette à la cellule...
Xavier Leverve
50ème JAND 29 janvier 2010
INSERM U884 “Bioénergétique Fondamentale et Appliquée”,
Université Joseph Fourier, Grenoble et
Direction Scientifique Alimentation
Institut National de la Recherche Agronomique
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Quoi de plus universel que la calorie que l’on compte dans l’assiette avec la précision (supposée…)
d’un apothicaire, que l’on utilise pour mesurer la « dépense énergétique » (au pourcent près…) et qui
dans tous les cas sert de « monnaie énergétique » universelle, convertissable et transposable a merci
dans tous les domaines sans toujours bien tenir compte des limites et des contraintes que cette notion
impose.
La grande difficulté de ce sujet est lié à son objet même : l’énergétique, difficile à définir, à quantifier
et à interpréter, notamment en physiologie humaine et en nutrition. Indispensable, quoique pas
toujours bien utilisée, la calorie est extrêmement pratique mais sa généralisation et le caractère
péremptoire des conclusions parfois retirées est sans doute excessif. Ainsi, les « calories » ne sont pas
totalement équivalentes selon leur origine (glucides lipides pour simplifier, en témoignent les régimes
dissociés !), leur utilisation (selon le tissu et/ou la voie métabolique considérée), l’état physiologique
intégré (croissance, réponse inflammatoire, jeûne, exercice, maladie), etc.
De manière simplifiée, l’énergie caractérise l’état de la matière (son degré d’organisation ou « d’ordre »)
ce qui est évidemment très difficile à quantifier. Du fait de cette difficulté on a cherché à mesurer les
transferts d’énergie, c’est-à-dire le passage de l’ordre au « désordre » (entropie) d’un corps, qui de ce
fait peut gagner ou perdre de l’énergie selon qu’il s’organise ou se désorganise (glace, liquide, vapeur
par exemple). Bien sûr ces échanges se font dans le cadre d’un système global qui doit obéir aux lois
de la thermodynamique : la somme totale de l’énergie (« ordre plus désordre ») est constante (rien ne
se perd rien ne se créé…) mais les échanges se font toujours dans le sens d’une diminution de l’ordre
et d’une augmentation du désordre (l’entropie de l’univers augmente).
La Vie est une magistrale exception au second principe de la thermodynamique puisque la synthèse
de chacun de ses constituants (protéine, membrane, cellule, etc.) correspond à la création d’ordre et
donc à la diminution de l’entropie de ses constituants. Cette « négentropie » (E. Schrödinger) ne se
conçoit que si l’énergie utilisée pour le travail d’acquisition de l’ordre biologique de nos constituants
est puisée dans l’environnement, créant de ce fait davantage de désordre environnemental. Le contenu
énergétique d’un individu est représenté par la somme de l’organisation de tous ses constituants.
Lorsque la masse corporelle, et/ou, sa composition varie, la « quantité d’énergie » contenue varie,
mais cette quantité est impossible à mesure dans l’absolu. La dépense énergétique correspond à
l’augmentation de l’entropie de notre environnement générée pour assurer la maintenance de la Vie.
Pour simplifier et faciliter cette mesure, il a été décidé arbitrairement que les variations d’état seraient
toutes converties en variation de température, de ce fait les transferts d’énergie sont exprimés en
chaleur (enthalpie), ce qui nous amène à la calorie. Cependant, il est important de bien réaliser les
simplifications que cela impose et de ce fait les limites d’interprétation. Pour illustrer ce type de
difficultés on peut prendre l’exemple d’une automobile. Ainsi, au lieu de parler de consommation
d’essence on parlerait de la chaleur produite par le système qui, évidemment, varie selon le moteur,
la route, la conduite, l’environnement (résistance de l’air), le confort (climatisation), etc. et l’on voit
bien de ce fait qu’un même déplacement peut être effectué dans des conditions de production de
chaleur bien différentes selon le véhicule, le chauffeur, le confort, l’environnement, etc. C’est ici que
la question du coût de la Vie nous entraine vers des perspectives complexes alliant biologie et
philosophie.
Si la masse corporelle d’un sujet ne varie pas (ce qui est bien sûr le cas sur une petite échelle de
temps), qu’il reste à la même altitude et qu’il n’effectue pas de travail mécanique externe, alors son
bilan énergétique est nul par définition (le rendement de la Vie est égal à zéro…), toute l’énergie est
alors convertie en entropie, donc en chaleur, et de ce fait peut être exprimée en calories, base
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théorique de la calorimétrie. Ainsi, en termes quantitatifs le bilan est nul (la thermodynamique ne
considérant que le bilan état initial—état final, quel que soit le chemin parcouru), reste donc à apprécier
le bilan qualitatif, c’est à dire justement le chemin parcouru… On voit bien l’intérêt et la difficulté de
ce frottement entre les mondes Quantitatif et Qualitatif.
Dans cet ordre d’idée il est intéressant de considérer et de comparer les « calories », c’est-à-dire en
fait les échanges énergétiques, correspondant aux grandes fonctions cellulaires (synthèse, transport,
signalisation, multiplication, dégradation, etc.), aux différents tissus et leurs spécificités (cerveau,
cœur, foie et rein représentent 5% du poids corporel et 60% des dépenses énergétiques), des
contraintes intégrées (états physiologiques) et des échanges inter-organes qu’elles supposent. Il est
évident que les éléments « stratégiques » d’adaptation et d’anticipation représentent également des
coûts très importants : boucles de redondance concernant les fonctions majeures, anticipation
d’évènements rares et potentiellement dangereux, coût d’entretien et de renouvellement : recyclage
de différents constituants : base de l’évolution et de l’adaptation (on défait l’existant pour le refaire à
l’identique en se gardant la capacité de petites variations permettant l’adaptation à des changements
environnementaux).
Bien sûr, ces coûts peuvent être réduits pour faire des « économies » (jeûne, dénutrition) mais cela
augmente certains risques aléatoires et leur gestion ; inversement l’augmentation de la sécurité
(accroissement des réserves) ou des nécessités d’adaptation (en pathologie par exemple avec les
besoins accru de synthèse, ou l’accélération des renouvellements) représente un « surcoût » qui peut
être impérieux, même s’il met en danger d’autres fonctions évalués par l’organisme comme moins
prioritaire (fonction der reproduction et sévère dénutrition) dans l’état et à l’instant donnés. Les
caractéristiques (paramètres d’intérêt et signaux, voies d’intégration et voies effectrices) de cette
gestion permanente des priorités et de leurs aspects « coût/bénéfice » au service de la Vie et de sa
permanente adaptation sont encore largement inconnue et représentent un enjeu majeur des
recherches, non seulement de la bioénergétique, mais plus généralement de notre compréhension
du Vivant à travers ce qu’il est convenu d’appeler la biologie intégrative ou systémique.
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