Michèle,
notre regrettée amie et collègue,
a eu le temps, sur son lit d’hôpital, de revoir ce texte.
Que cette publication soit le témoin de sa présence parmi nous.
Cahier n°5
Michèle Genthon
Lectures plurielles de l’apprentissage
Une exploration
Définir l’apprentissage demeure une tâche difficile ; les tentatives ont
été nombreuses, mais les processus restent encore obscurs. Il ne sera ici
cherché ni à fournir une revue de questions sur le sujet, il en existe déjà
d’excellentes (Prawat, 1989 ; Tiberghien et al , 1987, par exemple), ni à
développer une réflexion approfondie qui aurait la prétention de rendre
compte de ces processus. Il sera seulement proposé quelques approches, à
partir de différents courants qui abordent l’apprentissage chacun à leur
manière. Ils apportent des éléments particuliers d’éclairage, mais ils
comportent tous, de mon point de vue, mais aussi du leur, des insuffisances
: ces limites serviront de supports à la formulation de quelques
interrogations.
Cette brève exploration sert en fait de point d’appui à l’explicitation
de mon propre référentiel, sans prétention, ni à l’exhaustivité des champs
possibles, ni à l’approfondissement de ceux qui sont évoqués. C’est
davantage la diversité qui intéresse, comme champ de référence pour une
synthèse, bien sûr partielle, mais utile pour pouvoir ensuite aborder la
notion de transfert d’apprentissage.
Les courants évoqués sont : le behaviorisme, la psychologie cognitive,
l’approche développementale et la didactique. Les analyses conduites
pourront vraisemblablement paraître un peu caricaturales aux tenants de
ces différents courants : c’est seulement en fait pour mieux mettre en
exergue ce qui semble être des noeuds problématiques.
Deux arrières plans sont à préciser :
- les apprentissages qui m’intéressent sont ceux dits “délibérés”
(alors que la plupart des travaux ont porté sur les apprentissages dits
“spontanés”, à l’exclusion de la didactique) ;
- l’apprentissage qui se donne comme un processus d’acquisition ne
concerne pas seulement l’enfant, mais aussi l’adulte (si tant est que cette
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Michèle Genthon : Lectures plurielles de l’apprentissage
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distinction soit fondée, c’est en tout cas ce que la perspective
développementale suggère, comme d’ailleurs le registre législatif).
1 L’approche behavioriste
Le behaviorisme a recherché l’explication des phénomènes
d’apprentissage au niveau des comportements (Le Ny, 1970, traité de
psychologie expérimentale, 1964). Les premiers modèles du behaviorisme
reposaient sur l’établissement de liaisons entre stimuli et réponses
comportementales, conçues comme des réactions. Ils s’appuyaient sur le
schéma proposé par Wetson et devenu classique : S --- R .
L’apprentissage y est conçu comme la sélection d’une conduite dans
un répertoire de conduites disponibles, dans une logique adaptive où c’est
l’effet produit par la réponse qui régit l’apprentissage, et ce qui l’active est
la motivation, état du système nerveux de l’organisme qui le pousse à
l’action.
Ce schéma de base fut complété, ou aménagé, comme par exemple,
par Tolman, qui introduit une activité intermédiaire de l’expression : (S -
(0) - R) de type représentationnelle : il considérait ainsi que ce sont moins
des connexions entre stimuli et réponses qui s’élaborent en cours de
l’apprentissage qu’une organisation d’un ensemble de stimuli et de
réponses reliant des éléments de stimulation discontinus.
Quoi qu’il en soit, ces modèles restent néanmoins essentiellement
inscrits dans ce qu’on pourrait appeler des théories de l’environnement : le
comportement est déterminé par les stimulations de l’environnement,
l’apprentissage est fonction de contingences externes, notamment des
contingences de renforcement (sur lesquelles Skinner, en particulier a
insisté) . Les travaux sur le conditionnement ont ainsi mis en exergue la part
d’influence de l’environnement sur les productions comportementales.
On peut souligner à ce sujet un aspect de cette approche qui peut être
intéressant pour alimenter la réflexion sur l’apprentissage. Il s’agit de la
dimension interventionniste des expériences conduites dans la théorie du
conditionnement (1 où le caractère finalisé des situations construites par les
expérimentateurs peut rejoindre une des dimensions de l’activité
pédagogique en situation d’apprentissage délibéré (2. On ne peut que
constater à partir de ces travaux, que ce caractère finalisé d’une intervention
n’est pas sans incidence sur les comportements (que les objectifs qui lui
correspondent soient élucidés ou inconscients pour celui qui les poursuit, et
explicites ou implicites pour celui qui doit les atteindre). Mais, cela confère,
par là même, un rôle passif au sujet par rapport à la finalisation de sa
conduite : la finalisation reste en effet externe au sujet, bien que la
production de la réponse soit orientée par la motivation.
Par ailleurs, bien que la perspective behavioriste ait privilégié les
conditions de l’apprentissage, à travers l’influence de l’environnement, on
1 on peut aussi souligner l’intérêt de cette théorie dans les travaux sur le conditionnement
pour concevoir la recherche sur l’apprentissage : la nécessité d’intervenir pour étudier la
liaison entre sujet et situation et plus encore, pour l’établir
2 On peut reconnaître là une des sources vraisemblables d’ailleurs au développement de la
pédagogie par objectifs.
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peut cependant identifier une dimension interactive sujet - situation, qui, si
elle n’a jamais été étudiée en tant que telle, est néanmoins sous-jacente. On
peut ainsi considérer l’idée de liaison entre stimulus et réponse, et celle de
rétroaction de l’environnement sur les réponses produites (notamment l’effet
renforçateur ou aversif de certains stimuli). Mais bien sûr, on reste encore
dans une perspective de finalisation externe de la conduite, et la rétroaction
est seulement conçue comme négative, c’est-à-dire agissant pour corriger ou
renforcer les réponses dans le sens de cet objectif initial posé de l’extérieur.
Enfin, l’environnement étant défini comme le déterminant majeur ,
ceci laisse dans l’ombre la part de participation consciente du sujet dans
l’élaboration de ses réponses et l’activité cognitive sous-jacente à leur
production. Les apprentissages concernés relèvent essentiellement des
habiletés sensori-matrices et la centration des travaux porte plus sur la
production que sur la construction des réponses (comme le souligne
Berbaum, 1984). Ainsi cette perspective s’avère insuffisante, voire incapable
pour les tenants de la psychologie cognitive de rendre compte des
apprentissages complexes qui nécessitent une perspective plus
constructiviste.
2. L’approche cognitive
Après un relatif désintérêt pour l’apprentissage, lié notamment aux
limites du behaviorisme pour en rendre compte, la psychologie cognitive
semble avoir de nouveau réinvesti ce champ. Elle recherche alors, quant à
elle, l’explication de l’apprentissage au niveau des représentations
symboliques. Ses modèles reposent sur l’existence d’une architecture
cognitive définie comme un système de représentations et de traitement de
l’information (avec “entrées” sensorielles et “sorties” comportementales).
Cette approche relève de ce qu’on pourrait appeler des théories du
sujet, où l’activité cognitive est centrale, puisque l’apprentissage consiste à
modifier des représentations de situations ou de connaissances, modifications
internes au sujet.
Les processus invoqués comme variables intermédiaires (3 entre les
situations et les concepts relèvent essentiellement de l’abstraction.
L’apprentissage procèderait par schématisation, c’est-à-dire que la
confrontation à une ou plusieurs situations provoquerait la construction d’un
schéma qui serait actualisable dans de nouvelles situations, schéma qui
paraît lui-même à son tour se trouver modifié par cette nouvelle
confrontation. On peut repérer ici plusieurs traits intéressants : la
décentration des situations particulières qui produit l’activité de
schématisation, et son caractère inachevé, se construisant, se modifiant au fil
des interactions avec le milieu. L’existence d’une structure de contrôle,
interne à l’architecture cognitive, paraît également devoir retenir l’intérêt,
parce qu’elle sert non seulement à la régulation du processus de
schématisation, mais aussi à la détermination et au réajustement des
procédures de traitement (Hoc, 1987). Ici, les rétroactions ne sont pas
externes, mais internes, tenant aux caractères endogènes du fonctionnement
3 puisque la psychologie cognitive est essentiellement issue du courant de la psychologie
expérimentale
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cognitif lui-même.
Cependant il est notable de constater un développement important de
recherches sur le fonctionnement cognitif et un nombre beaucoup moins
élevé de travaux renvoyant explicitement à l’apprentissage. Or, si
l’apprentissage, ne peut faire l’économie de recherches sur l’activité
cognitive, il ne peut y être réduit (4 .
On peut évoquer à ce sujet deux courants majeurs : celui de la
résolution de problème et celui des comparaisons experts/novices. Dans ce
dernier champ, l’apprentissage est posé comme le passage du statut de
novice à celui d’expert, par accommodation à des savoirs constitués et des
procédures nécessaires dans le champ d’expertise considéré. C’est en effet la
compétence dans un domaine particulier qui différencie expert et novices.
Le passage s’effectuerait alors à travers certaines conduites d’entraînement
notamment à la schématisation (Chi, Glaser et Feltovich, 1981 ; Bellarost,
1982). Cependant certaines questions restent entières : comment par
exemple expliquer que des experts, malgré leur compétence, rencontrent,
lors d’apprentissage de résolution de problèmes nouveaux, des difficultés
similaires à celles des novices, dans certaines conditions particulières, par
exemple (Novick, 1988) quand le premier problème appris et celui proposé
en seconde tâche présentent des traits de surface similaires sans que cette
similarité ne fonde de caractéristiques structurales communes ? Ces résultats
remettent ainsi en partie en question la vision implicite dans ce courant,
d’un sujet aprenant en quelque sorte monofinalisé, prédéterminé à
sastisfaire, essentiellement par accommodation, aux exigences externes des
situations.
Quant aux travaux sur la résolution des problèmes, leur hypothèse
implicite est “qu’il n’existe pas d’opération ou de mécanisme spécifique aux apprentissages.
L’apprentissage découlerait des activités cognitives élémentaires qui interviennent dans le
fonctionnement habituel. (...) Cette hypothèse implicite conduit à réduire, parfois de façon
discutable, les processus d’apprentissage à l’activité de résolution de problème” (selon
Tiberghien et al , 1987)..
Il faut également noter un déplacement de l’intérêt pour
l’apprentissage vers la mémoire, déplacement qui amène notamment à
poser la résolution de problème comme une situation d’actualisation de
connaissances dans des contextes particuliers, mais qui n’est alors pas
suffisante pour rendre compte de l’apprentissage. En effet, le problème pour
le sujet serait d’entrer dans la tâche prescrite (représentation de la tâche) et
d’activer les connaissances antérieures utiles pour ce problème (traitement
dde l’information). Cette approche postulerait alors l’idée d’une
préformation interne qui entraînerait l’activation de la représentation
adéquate (5 du problème posé à l’externe. Le sujet serait là encore considéré
comme pré-monofinalisé, dans le sens de l’adéquation de sa représentation
au monde externe. Toute activité de problématisation se trouve de fait
exclue (le problème étant déjà structuré de l’extérieur), il s’agit d’étudier
comment le sujet arrive à ajuster ses ressources cognitives à la tâche
prescrite, à s’accommoder pour résoudre le problème.
Mais ces limites sont vraisemblablement liées au fait que les
4comme le suggèrent Simon et Langley (1980) en considérant les processus
d’apprentissage comme plus généraux que les processus cognitifs.
5 elle suppose ainsi l’existence d’une représentation qui serait adéquate
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formalisations de l’architecture cognitive emprunte pour beaucoup à la seule
cybernétique. Bien sûr l’idée d’architecture cognitive avec des réseaux, des
connexions renvoie à l’idée de complexité où les productions seraient en
partie imprévisibles (parce que trop nombreuses). Mais dans le même
temps, ramener l’imprévisibilité à la seule dimension quantitative, postule
de façon sous-jacente, la visée de prédictibilité des stratégies possibles face à
un problème : c’est en tout cas l’objectif que s’assignent bon nombre de
psychologues cognitivistes. L’organisation en niveaux réintroduit également
une dimension de strates et de hiérarchies qui a parfois du mal à cohabiter
avec celle de réseau (cf. par ex. l’organisation que propose Mendelsohn,
1990)..Revenons alors à la distribution opérée entre tâche et activité (Leplat
et Pailhous, 1978), ou entre tâche prescrite et tâche effective (Leplat et Hoc,
1983). Ainsi, dans le contexte d’apprentissages délibérés, imposés par un
agent extérieur (Not, 1990), les objectifs assignés par l’enseignant lors d’une
tâche, ne sont pas directement assimilables, superposables aux objectifs que
se donne le sujet qui a à réaliser la tâche. C’est le problème de la finalisation
de la conduite du sujet (Leplat 1976). Leplat et Paillous (1974), dans leur
analyse de l’origine des erreurs, relèvent celles résultant d’un écart entre
l’objectif assigné et la représentation que s’en est construite le sujet. Cet écart
pourrait témoigner de la différence entre fonctionnement cognitif et
apprentissage. Mais poser le problème même de cet écart ne renvoie-t-il pas
à l’idée latente que le problème consiste bien à amener le sujet à entrer
dans la tâche prescrite, à résoudre le problème posé par l’expert ? Le sujet
aurait alors à s’accommoder et les conditions devraient l’amener à cette
accommodation. Mais la tâche n’est-elle pas alors considérée comme système
clos et le sujet comme monofinalisé pour l’occasion ?
3. L’approche développementale
Une autre approche cognitive est celle qui concerne le développement
cognitif. Bien que les théories du développement soient distinctes des travaux
sur l’apprentissage, elles peuvent alimenter la réflexion sur l’apprentissage.
La théorie piagétienne décrit le développement cognitif comme une
structuration progessive régie par des mécanismes d’équilibration. La
construction de la connaissance se caractérise comme une auto-organisation
cognitive, qui, s’ouvrant de façon continue sur de nouveaux possibles,
donne sa dimension téléonomique à la connaissance.
Certains travaux dans la lignée piagétienne ont alors porté sur les
rapports entre développement et apprentissage, pour des apprentissages
essentiellement “spontanés”. Ainsi des résultats tels que ceux relatés par
Inhelder, Sinclair et Bovet (1974) montrant que l’apprentissage suivrait le
développement, invitent à faire dépendre l’apprentissage du
développement. Inhelder (1966) indiquait clairement cette position :
«l’apprentissage est subordonné aux lois du développement et non pas
l’inverse».
Cette perspective a fondé et fonde encore vraissemblablement bon
nombre de pratiques scolaires qui ajustent les tâches d’apprentissage au
stade de développement présumé atteint (cf le modèle d’apprentissage
décrit par Ferry, 1970) : l’apprentissage suivrait ainsi le développement, les
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