Le consentement libre et éclairé du patient. Pourquoi et comment? Pr. Dominique Maïza Chirurgie Cardio-Vasculaire CHU Côte de Nacre - Caen Evolutions récentes de la Médecine et de la Société. ❂ Progrès médicaux remarquables au cours des 50 dernières années: – « ce qui était impensable hier est couramment réalisé aujourd’hui ». – Augmentation de la durée et du confort de vie. ❂ Modification familles: de l ’attitude des malades et des – La souffrance et la mort ne sont plus intégrées dans le schéma collectif de la vie. – Les échecs médicaux et/ou les résultats incomplets sont de moins en moins acceptés et les médecins de plus en plus souvent accusés de négligence voire d ’incompétence. Evolutions récentes de la Médecine et de la Société. ❂ En raison de cette « judiciarisation » des rapports médecins-malades , l ’information des malades et/ou de leur famille est devenue une nécessité. ❂ Les modalités de cette information ont beaucoup évolué au cours des dernières années. Evolution historique des principes d ’information et de consentement. ❂ La relation qui se crée entre le médecin et le malade n ’est pas une relation ordinaire : le médecin a le savoir et le pouvoir et le malade est en situation d ’infériorité. ❂ L ’information donnée au malade peut permettre de rétablir une certaine égalité entre la partie qui a la connaissance et celle qui ne l ’a pas. ❂ Evolution de l ’attitude médicale au fil du temps. Evolution historique des principes d ’information et de consentement. ❂ Le Talmud : le médecin ne peut exécuter aucune opération sans le consentement de son patient. ❂ Au Moyen Age, le paternalisme médical est à l ’image de l ’autorité de l ’Eglise : le malade doit être soumis au médecin qui est plus ou moins considéré comme un représentant de Dieu. « Le malade doit obéir au médecin comme un serf à son seigneur » Guy de Chauliac (1300-1363) Evolution historique des principes d ’information et de consentement. ❂ Au siècle des lumières, polémique en Grande Bretagne : • John Gregory (1750), professeur de médecine à Édimbourg, souligne l'importance de l'information du patient, sauf si elle est nuisible et compromet la guérison. • Thomas Percival (Traité d ’éthique médicale - 1803), chirurgien à Manchester soutient que la vérité est nuisible aux patients et que le médecin doit cacher sa fin prochaine à un mourant. ❂ Aux USA, l ’American Medical Association a rédigé son premier code d ’éthique médicale en 1947 et est restée fidèle aux conceptions de Percival jusqu ’en 1980. Evolution historique des principes d ’information et de consentement. ❂ En France: • Le 30/01/1950, le Pr. Louis Portes, président du CNOM, admet la nécessité d ’un consentement du malade à l ’acte médical, mais: – La seule parcelle de liberté se résume au libre choix du médecin. – Le contrat d ’adhésion entre le malade et le médecin est admis mais cette adhésion reste inconditionnelle car le consentement n ’est ni libre ni éclairé. • 1er Congrès international de Morale Médicale (Paris 1955): – Le principe du consentement du malade est admis mais sa liberté se réduit au libre choix du médecin par le malade qui lui accorde sa confiance et lui délègue la responsabilité du traitement. Evolution historique des principes d ’information et de consentement. ❂ En France: • Cependant, arrêts de la Cour de Cassation: – Arrêt Mercier (1936): Nature contractuelle des relations médecin-malade impliquant le consentement des parties et définition du contenu du contrat médical en mettant à la charge du médecin l ’obligation de soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science. – Arrêt Tessier (1942) : Comme tout chirurgien, le chirurgien d ’un service hospitalier est tenu d ’obtenir le consentement du malade avant de pratiquer une opération. En violant cette obligation imposée par le respect de la personne humaine, le chirurgien commet une grave atteinte aux droits du malade. – La nécessité juridique du consentement est ainsi affirmée mais celle de l ’information préalable n ’est pas clairement définie alors qu ’elle constitue une condition fondamentale du respect du libre arbitre du malade. Evolution historique des principes d ’information et de consentement. ❂ En France: La nature de l ’information est précisée dans l ’article 35 du Code de déontologie médicale publié en 1995: Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. • Toutefois, dans l'intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic graves, sauf dans les cas où l'affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination. • Un pronostic fatal ne doit être révélé qu'avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. • La nature de l ’information ❂ L ’information doit permettre au malade de donner ou de refuser son consentement. ❂ Elle concerne: • La maladie: nature, évolution et pronostic. • Les investigations nécessaires à la précision du diagnostic et au choix du traitement • Les traitements proposés avec leurs risques potentiels, leur efficacité et leurs échecs. ❂ Elle permet : • de faire participer le malade au choix de la stratégie diagnostique et thérapeutique (ex: angioplastie versus chirurgie, choix d ’une valve cardiaque etc..). La nature de l ’information ❂ L ’information peut être traumatisante: « L ’homme préfère un message qui console à une vérité qui éclaire » Saint Thomas ❂ L ’information doit être dispensée avec tact : • Le choc provoqué par l ’annonce d ’une maladie sévère peut être atténué en arguant d ’une situation non désespérée en raison des progrès actuels de la médecine. • La plupart des malades préfèrent connaître la vérité qui permet de s ’adapter à la maladie, de mieux la combattre et à mieux supporter les traitements parfois pénibles (chimiothérapie) plutôt que d ’entretenir des espoirs illusoires avant de découvrir une réalité désespérante. La nature de l ’information : Précisions apportées par le code de déontologie médicale. ❂ Le droit du malade au refus des soins (article 36) : • « Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences ». • Ce refus suppose que le malade soit prévenu des conséquences de son refus et en prenne la mesure. Il est prudent que le médecin obtienne du malade qu ’il stipule par écrit et signe qu ’il est prévenu de tous les risques résultant de son refus surtout s ’il s ’agit d ’une intervention indispensable. La nature de l ’information : Précisions apportées par le code de déontologie médicale. ❂ Prise en charge du malade par plusieurs médecins (article 64): • « Lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement d'un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés ; chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l'information du malade. ». • Le devoir d ’information du malade pèse autant sur le médecin prescripteur que sur celui qui réalise la prescription. Chaque intervenant est, en outre, tenu de tenir informé ses confrères (lettres, compte-rendus, …). La nature de l ’information : Précisions apportées par le code de déontologie médicale. ❂ Les interventions mutilantes (article 41): • «Aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l'intéressé et sans son consentement. ». • L'amputation d'un membre, l'ablation d'un organe, sont lourdes de conséquences puisque irréversibles. Les interventions mutilantes ne sont pas seulement chirurgicales (stérilisation à la suite d'un traitement médical ou d'une radiothérapie, …). …) • L'urgence ne dispense pas le médecin, si le malade ou blessé n'est pas inconscient, d'avoir avec celui-ci un entretien qui le renseigne ou le prépare, en respectant la réserve et les ménagements nécessaires à cette annonce. La nature de l ’information : Précisions apportées par le code de déontologie médicale. ❂ Les soins aux mineurs (article 42): • «Un médecin appelé à donner des soins à un mineur ou à un majeur protégé doit s'efforcer de prévenir ses parents ou son représentant légal et d'obtenir leur consentement ….. Si l'avis de l'intéressé peut être recueilli, le médecin doit en tenir compte dans toute la mesure du possible ». • Le médecin qui soigne un enfant doit une information loyale et précise aux parents, et leur consentement lui est nécessaire pour agir car ils ont l'autorité parentale (art. 371 -2 du code civil). Evolution de la jurisprudence. ❂ La jurisprudence refuse de considérer le malade comme un incapable sans pouvoir de décision. ❂ Elle exige constamment qu ’il soit parfaitement éclairé. ❂ Le défaut d ’informations relatives aux risques des investigations et des soins constitue la source majeure de contentieux en matière de responsabilité médicale. ❂ Le renforcement actuel de la jurisprudence concerne les risques graves et exceptionnels et la preuve d ’exécution de l ’information. Le renforcement de la jurisprudence. ❂ Jusqu ’à une période récente, la jurisprudence admettait que le médecin ne devait informer le malade que des risques normalement prévisibles et non les risques graves exceptionnels (sauf en chirurgie esthétique arrêt de la Cour de Cassation 17/11/69). ❂ Cette limitation de l ’information est contestable: • Fiabilité relative des statistiques du risque de certaines interventions et absence d ’obligation d ’auto-évaluation des résultats. • Elle ne tient pas compte des spécificités du malade (âge, situation familiale, … ) pouvant influencer le choix du malade (éventualité même faible de complications mortelles lors d ’une intervention pour une affection n ’ayant pas un risque vital chez un père de famille jeune). Le renforcement de la jurisprudence. ❂ Arrêts de la Cour de Cassation du 14 octobre 1997, 27 mai 1998 et 7 octobre 1998: • Obligation d ’information sur les risques graves de nature à avoir des conséquences mortelles, invalidantes ou même esthétiques graves compte tenu de leurs répercussions psychologiques et sociales même si ces risques sont exceptionnels. • Hormis les cas d ’urgence, d ’impossibilité ou du refus du malade d ’être informé, le médecin est tenu de donner au malade une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et aux soins proposés et il n ’est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que le risque est exceptionnel. Le renforcement de la jurisprudence. ❂ Arrêt de la Cour de Cassation du 17 février 1998: • En matière d ’actes médicaux et chirurgicaux à visée esthétique, l ’obligation d ’information doit porter non seulement sur les risques graves de l ’intervention mais également sur tous les inconvénients pouvant résulter de ces actes. ❂ Arrêt de la Cour de Cassation du 27 mai 1998: • L ’information doit porter sur les risques des investigations et des traitements demandés par un patient. • Le médecin doit refuser d ’accéder à une demande du patient qui l ’expose à un danger sans justification thérapeutique. Le renforcement de la jurisprudence. ❂ Si la jurisprudence a été renforcée, les arrêts 1567 et 1568 de la Cour de Cassation du 7 octobre 1998 reconnaissent des limites a l ’obligation d ’information: • En cas d ’urgence, d ’impossibilité ou du refus du patient d ’être informé, il est dérogé à l ’obligation d ’informer. • Prévision d ’une possible limitation de l ’information thérapeutique si celleci peut avoir une influence délétère sur le résultat du traitement (angor instable nécessitant une intervention à haut risque, etc…) Le renforcement de la jurisprudence. ❂ Renversement de la charge de la preuve d ’un manquement au devoir d ’information: • Depuis l ’arrêt de la Cour de Cassation du 29 mai 1951, le malade plaignant devait apporter la preuve que le praticien avait manqué à son obligation contractuelle en ne l ’informant pas du risque d ’une intervention et en ne sollicitant pas son consentement. • Depuis l ’arrêt du 25 février 1997 (confirmé par l ’arrêt du 29 avril 1997 à l ’encontre d ’un avocat) : le praticien accusé doit apporter la preuve qu ’il s ’est acquitté de son obligation d ’information. Le renforcement de la jurisprudence. ❂ La preuve de l ’information peut être faite par tous les moyens (arrêt de la cour de cassation du 14 octobre 1997): • Présomptions définies par l ’article 1353 du code civil: – Le juge peut tenir compte du nombre de consultations ayant précédé l ’intervention, des renseignements figurant dans le dossier et notamment des lettres adressées à des confrères. • L ’écrit reste la forme la plus sûre : – La loi ne l’exige que lors de recherches biomédicales sur l’être humain (formulaire approuvé par le CCPPRB avec recueil d’un consentement écrit par les patients) – Les fiches d’information éditées par les sociétés savantes ne dispensent pas d’explications. La sanction du défaut d’information. ❂ Le médecin qui ne peut prouver avoir informé son patient du risque d’une investigation ou d’un traitement réalisé en dehors de cas précis ( urgence, impossibilité ou contre-indication thérapeutique) engage sa responsabilité civile, mais non sa responsabilité pénale comme dans le cas de la recherche biomédicale. ❂ Il devra réparer le préjudice subi par le patient qui mieux informé aurait pu échapper au risque. La sanction du défaut d’information. ❂ La perte de chance d’échapper au risque est un préjudice distinct des atteintes corporelles résultant du traitement (arrêt de la Cour de Cassation du 7 février 1990); sa réparation ne peut représenter qu’une partie des différents dommages subis par le malade (arrêt du 8 juillet 1997). ❂ Les Tribunaux et Cours d’appel apprécient souverainement le quantum de la perte de chance (élevé si malade jeune pour affection sans risque vital, éventuellement nul si soins indispensables pour maladie à pronostic spontané mortel ou très grave) La sanction du défaut d’information. ❂ Le seul défaut d’information ne suffit pas à engager la responsabilité du médecin : il s’agit certes d’une faute au regard de la loi mais cette faute ne donne droit à indemnisation du malade que si elle lui a causé un préjudice. Conclusions. ❂ Les principes de l’information et du consentement préalables à tout acte médical s’inscrivent dans le cadre du respect de la personne humaine et de son inviolabilité. Ils ne sont pas assimilables aux principes valables dans le droit de la consommation. ❂ L’évolution de la jurisprudence inquiète à juste titre les médecins et pourrait conduire à leur éviter de prendre des risques souvent salutaires pour les malades. Conclusions. ❂ Cette évolution oblige les médecins : • À une plus grande vigilance dans le choix des investigations et des traitements à proposer à un malade , • et surtout à l’obligation d’une réflexion faisant participer le malade à l’évaluation du bénéfice/risque de la stratégie envisagée. ❂ La participation du malade à cette réflexion impose au médecin de dispenser une information adaptée, condition préalable indispensable à l’obtention d’un accord éclairé du malade quant aux objectifs, aux conditions, aux risques et aux bénéfices espérés de l’acte médical.