Une analyse critique de la notion de services - e

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Une analyse critique de la notion de services
écosystémiques en milieu corallien dans le Pacifique
Gilbert David, IRD UMR Espace-Dev, Montpellier
Jean Brice Herrenschmidt, GIE Océanides, Nouméa
Nicolas Pascal, Criobe, Mooréa
Session: Nouveaux défis environnementaux et gouvernance dans le Pacifique
Colloque e-toile Pacifique, Paris 3-4 octobre 2013
Par services éco-systémiques on entend « les biens et services que les hommes
peuvent tirer des écosystèmes, directement ou indirectement, pour assurer leur
bien-être » (Millénium assessment, 2005)
Ecosystème
de soutien (biodiversité
espace cultivable,…) Services
Culturels (esthétique,
patrimonialisation,…)
perception, cognition
d’approvisionnement
(chasse, pêche, tisane,...)
Services
Populations
humaines
De régulation (réduction
énergie vague, piègeage
du carbone,…)
exploitation, gestion ressources
Les services écosystémiques peuvent être appréhendés
-
selon la présence ou l’absence d’intervention humaine dans la relation écosystème / population pour qu’ils soient effectifs
-
selon la nature de cette intervention humaine :
a) Exploitation de l’espace et des ressources pour les services d’approvisionnement et de soutien,
b) Gestion des ressources pour les services d’approvisionnement,
c) Perception et cognition pour les services culturels
Pourquoi parler de services écosystémiques ?
- Pour mieux intégrer l’environnement dans la décision publique après
l’échec d’un argumentaire axé uniquement sur la biodiversité (perçu comme
relevant de l’éthique et de la morale par les décideurs publics et privés) en
développant un argumentaire de nature économique via l’évaluation
monétaire des services écosystémiques.
« Nous avons besoin d’évaluations économiques pour être pris au
sérieux ». Secrétaire d’État chargée de l’écologie, quotidien La Croix,
12 octobre 2010
Hypothèse sur laquelle se fonde cette approche pour les récifs coralliens:
« porter à la connaissance des décideurs et du public la valeur
monétaire des services fournis par les récifs coralliens est une
condition nécessaire et suffisante pour générer des pratiques
vertueuses parmi les usagers de ces récifs et ainsi atténuer leur
dégradation »
Cette proposition souffre de nombreuses imprécisions conceptuelles et
méthodologiques qui la rendent peu opératoire
Le principal problème tient-il aux difficultés d’évaluer
monétairement les services écosystémiques ?
La confrontation entre l’offre et la demande est l’unique méthode retenue par
l’économie néoclassique pour donner une valeur aux services écosystémiques.
Or tout écosystème et tout service qui en est issu échappent à l’évaluation
monétaire car ils ne peuvent pas faire l’objet de transaction sur un marché.
Face à cette contradiction, la solution préconisée est simple : il convient
d’internaliser (faire rentrer dans l’économie de marché et l’économie
marchande) les externalités (les services qu’assurent les écosystèmes) de
manière à ce que l’environnement puisse désormais être analysé selon les
méthodes de l’évaluation monétaire.
Il s’agit d’estimer une valeur en fonction d ’ un prix révélé soit par le
comportement des usagers de l’environnement, soit par un consentement à
payer ou à recevoir, ce qui revient à créer artificiellement un marché qui
n’existe pas.
Deux types de valeur peuvent être attachés à un capital naturel comme les
récifs coralliens et aux services qu’il émet:
- Sa valeur de remplacement (dépense qu’il faudrait consentir pour le
remettre en état après une dégradation majeure ou le remplacer par un
construit assurant les mêmes services);
- Sa valeur de capitalisation qui, s’appliquant à tout bien générant un
revenu monétaire durant une période donnée, repose sur l’hypothèse selon
laquelle la valeur d’un bien est égale à la somme des revenus (générés par
les services émis) que l’on est en droit d’espérer de ce bien, ce qui
suppose:
a) que ce bien ait une durée de vie limitée,
b) que l’on connaisse cette dernière,
c) que l’on puisse estimer la variation du revenu annuel selon les années.
Connaissant le montant de ce revenu en début de période, noté (rt1), on
cherche à en estimer l’équivalent en fin de période, noté (rtx), en utilisant un
taux d’actualisation noté (i). C’est la raison pour laquelle, cette valeur de
capitalisation est également nommée valeur actualisée des revenus
attendus
Services écosystèmiques
Valeur d’assurance
Pêche commerciale
Valeur de legs
Pêche non
commerciale
Carbone bleu
Tourisme
Protection du littoral
En définitive, La valeur d’un milieu naturel repose
sur la valeur des services écosystémiques qu’il émet en direction des populations humaines environnantes
Donner une valeur monétaire à un service écosystémique
émis par un capital naturel revient à estimer le capital par les
revenus qu’il génère.
Comme si on estimait la valeur d’une maison selon le montant du loyer de l’année MAIS cela pose deux problèmes:
1. Objectivité/subjectivité : Ces loyers ne sont pas toujours connus et
sont souvent estimés à partir des perceptions des voisins (consentement à payer des bénéficiaires des services écosystémiques à recevoir
ces services )
2. Temporalité : Les loyers fluctuent chaque année selon une rationalité
pas toujours connue (ex: taux de recrutement d’un stock halieutique,
risque incendie sur une forêt). L ’ étendue des fluctuations est
difficilement prévisible, mais on évalue quand même le loyer à partir du
loyer de l’année T auquel on rajoute un taux d’actualisation.
Valeur service : fonction linéaire temps
Difficulté pour les bénéficiaires des services
écosystémiques de leur donner une valeur.
Deux types de bénéficiaires :
-Les bénéficiaires directs : la population riveraine (des usagers directs et
indirects de l’écosystème corallien)
-Les bénéficiaires indirects : institutions ayant en charge la gestion ou
l’aménagement de l’écosystème corallien et les pouvoirs publics ayant mandat
de gouvernance sur le territoire englobant l’écosystème corallien
Deux remarques à propos des bénéficiaires directs:
a) En Océanie, au minimum 90 % des bénéficiaires directs des services écosystémiques du récif ne se représentent pas ce qu’est un service écosystémique et ont
du mal à appréhender les concepts d’écosystème et de biodiversité qui sont
étrangers à leur manière « de voir » la nature et le monde qui les entoure.
b) Beaucoup d’entre eux vivent encore dans des économies peu monétarisées et
n’ont pas la même perception de la valeur monétaire que les initiateurs du concept
de « service écosystémique » et les experts chargés d’évaluer monétairement ces
services.
On est là face à un problème de valeur monétaire
- L’addition des remarques a et b conduit à ce que toute évaluation monétaire
des services à l’échelle des communautés locales soit peu robuste et
difficilement utilisable pour éclairer la gouvernance territoriale et la gestion
environnementale locales
La solution généralement appliquée consiste à plaquer sur une réalité locale
des valeurs de services estimées à une échelle plus globale : l’île, le pays, voir
la région.
On considère alors qu’un ha de récifs génère des services analogues quelle
que soit sa situation géographique. C’est ce qu’on appelle des transferts de
valeur.
L
Le gros avantage des transferts de valeur c’est qu’on s’affranchit de la
perception de la valeur inhérente aux communautés océaniennes.
La valeur des services écosystémiques qui est utilisée a été calculée
dans un cadre normé où les statistiques sur la fréquentation
touristique, le revenu des ménages, l’effort de pêche, etc… sont
abondantes.
(Car, pour les économistes, une évaluation robuste exige de mobiliser
de nombreuses données statistiques)
Le principal inconvénient des transferts de valeur c’est que les valeurs
qui sont attribuées aux services écosystémiques locaux sont trop
souvent décorrellées des réalités locales.
Elles ne reflètent alors ni l’état de santé de l’écosystème corallien local,
ni les usages détaillés qui en sont faits.
Au final, on a une valeur des services écosystémiques fournis par le
récif mais cette valeur est erronée et son utilisation pour la
gouvernance environnementale locale et l’aide à la décision opératoire
n’est pas effective.
Utilisations potentielles des SE:
Informer & convaincre
 Informer des bénéfices produits par la nature et rendre visible
ses services non-marchands
 Démontrer le role des investissements publics dans la
conservation (AMP, ICZM, etc.) comme outil de développement
économique.
 Convaincre pour augmenter l’appui en moyens financiers et
regulations
 Faciliter les arbitrages budgétaires
 Etudes d’impacts de projets
 Permettre la planification urbanistique et du littoral (POS, SAR,
PGEM,...)
Utilisations potentielles des SE:
Financement
 Mise en place de mesures compensatoires en habitat
 Calibrage d’instruments financiers ou fiscaux
 Prise en compte du capital naturel dans la
comptabilité nationale
 Optimisation des coûts
 Elaboration de stratégies de financement
Défis pour l’évaluation économique:
Refléter l’importance de la pêche comme moyen de
subsistence, de complément de revenus et de proteines
en milieu rural
Différencier les valeurs observées, potentielles et
minimales
Tenir compte de la distribution spatiale des processus et
des services
Evaluer les impacts de la gestion de l’environnement sur
les services
DANS CE CONTEXTE QUE FAIRE ?
- Prendre un certain recul avec la notion de service
écosystémique qui chez certains confine au fétichisme car cette
notion est difficilement mobilisable dans les problèmes de
gouvernance
environnementale
ou
territoriale
locale,
notamment en Océanie
- Puisque les services sont émis par le capital naturel que
représente le récif, mettre l’accent sur la nécessité de préserver
le bon état de santé de ce milieu naturel/capital naturel. Il est en
effet illusoire d’espérer des services écosystémiques de qualité
si le récif qui les émet est dégradé.
Diffuser l’idée que le récif corallien est un capital naturel
émetteur de services écosystémiques mais aussi de services
dont bénéficieront nos enfants et petits enfants. Le récif doit
alors être vu comme un capital naturel et un patrimoine naturel.
Merci de votre attention
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