A.III.1
Le triomphe de l’existentialisme sartrien
Pendant que Ricœur savoure le calme propice à l’élaboration de sa thèse
au Chambon-sur-Lignon, Jean-Paul Sartre devient l’étoile triomphante
de la philosophie : son influence dépasse de très loin le seul milieu des phi-
losophes professionnels. À la faveur de l’engouement dont il bénéficie, il
innove en faisant descendre la philosophie dans la rue, dans les cafés.
L’existentialisme devient l’expression d’une soif de vivre après les longues
années noires de la guerre. Comme l’écrit Simone de Beauvoir, l’existen-
tialisme est sur toutes les bouches en l’automne 1945. Sa simple évocation
attire les foules et les bousculades.
L’annonce de la conférence de Sartre « L’existentialisme est un huma-
nisme » le 29 octobre 1945, organisée par le club Maintenant, provoque
quasiment une émeute. Le guichet d’entrée est réduit à néant par une foule
compacte qui se bouscule pour prendre place. Sartre arrive seul par le
métro et croit à une manifestation d’hostilité des communistes, car le « parti
des 75 000 fusillés » n’apprécie guère ses orientations philosophiques qua-
lifiées de « bourgeoises ». Le début de sa conférence est d’ailleurs destiné
à leur répondre. Mais Sartre se trompe ; ce sont ses fans qui sont venus
fêter le nouveau maître des temps modernes, avides d’apprendre de la
bouche du maître ce qu’est l’existentialisme : un mode de vie ? une philo-
sophie ? la mode de Saint-Germain-des-Prés ?
La presse se fait l’écho amplifié de cet événement culturel sans précé-
dent qui voit un philosophe provoquer à Paris « quinze évanouisse-
ments », « trente sièges défoncés ». Une star est née : « La conférence du
club Maintenant devint rétrospectivement le must suprême de l’année
1945 1», immortalisé peu après par Boris Vian dans L’Écume des jours
1. Annie COHEN-SOLAL, Sartre, Gallimard, Paris, 1985, p. 331.
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