« traumatismes sociopolitiques » : guerre, terrorisme, torture, captivité, abus
sexuels, etc. Ces traumatismes renvoient à l’ensemble des dommages causés par
ce que l’auteure appelle « l’extrême violence relationnelle ». Sans qu’il y ait de
lésion cérébrale effective (ou tout au moins sans qu’il soit besoin de les attester
cliniquement), on peut repérer chez des individus qui ont été victimes
d’extrêmes violences des comportements identiques aux cérébro-lésés.
Catherine Malabou en conclut : « je m’autoriserai donc à considérer aussi
comme des « nouveaux blessés » tous ceux qui sont en état de choc et qui, sans
avoir subi au départ de lésions cérébrales, n’en voient pas moins leur
organisation neuronale et leur équilibre psychique altérés par le trauma. Eux
aussi souffrent en particulier d’un déficit émotionnel » (2007, 36-37). Sur la
base de cette analogie entre cérébro lésés et victime de violences
sociopolitiques, le traumatisme se définit ainsi comme l’indice d’un dommage
cérébral. Tout traumatisme aurait donc des conséquences sur l’organisation
neuronale, en particulier sur les sites inducteurs d’émotion. Dans le cas des
neuropathologies, les changements neuronaux sont la cause de la
désorganisation psychique alors qu’ils n’en sont que la conséquence dans le cas
des traumatismes sociopolitiques. « Dans toutes ces situations, écrit Malabou,
un même impact de l’événement est à l’œuvre, une même économie de
l’accident, un même rapport du psychisme avec la catastrophe » (ibid, p. 38-39).
Dès lors, la blessure devient la cause déterminante d’une transformation
psychique. Il y a donc bien au sens fort effraction de la violence dans l’identité
psychique de l’individu ; elle aurait un pouvoir plastique sur cette identité,
pouvoir de destruction et d’anéantissement, ce que Malabou appelle « la
création d’une identité post lésionnelle ». L’auteure la pense comme une forme
d’altérité à soi radicale qu’elle relie à des symptômes de dérèglements
émotionnels pouvant durablement grever l’existence quotidienne : « Je ne suis
plus le même qu’avant la torture » dit celui qu’on a torturé (Sironi, 1999, p. 11).
Si on se reporte à DSM-III5, c’est-à-dire la troisième révision de la
classification américaine des troubles mentaux faisant autorité dans le champ
psychiatrique, il est patent que le traumatisme n’est pas identifié à travers des
formes d’évènements mais par l’identification d’une série de symptômes : les
psychiatres qui ont établi la nosographie du PTSD (Post Traumatic Stress
Disorder) se sont appuyés sur des critères précis. Les symptômes sont de trois
ordres : 1/ souvenirs envahissants (rêves, cauchemars, flash back douloureux) ;
2/ un évitement des situations risquant d’évoquer la scène initiale, accompagnée
d’un émoussement affectif qui peut avoir d’importants effets sur la
socialisation. 3/ hypervigilance avec des réactions exagérées de sursaut. En
outre, ce tableau doit durer depuis plus de six mois pour rentrer dans la
catégorie nosographique. Ainsi l’usage psychiatrique de la catégorie de
traumatisme (qui correspond à celle, psychiatrique de PTSD) ne conduit pas à
une approche spécifique des violences dans leurs effets sur les subjectivités :
elles peuvent correspondre à des évènements traumatiques au même titre que
des catastrophes naturelles, aériennes, mais rien ne nous permet de statuer sur
l’idée que l’intentionnalité des violences (politiques, génocidaires, mafieuses
etc.) pourrait avoir des effets traumatiques spécifiques sur les modes de
subjectivation des victimes.
Pour autant, si toute violence produit des effets (si ténus et si invisibles
soient-ils), ils ne sont pas nécessairement à comprendre comme traumatiques.
La prise en compte de formes quotidiennes de violences peut même apparaître
comme antinomiques avec la définition neuro-cognitive du traumatisme comme
choc ou catastrophe. L’analyse qu’en propose les anthropologues Veena Das et
Arthur Kleinman tendrait à le montrer : dans leur introduction à Violence and
Subjectivity, les violences (guerre, tortures, mutilations, mais aussi violences
5 Le PTSD a été introduit dans la troisième révision de la classification américaine des
troubles mentaux (en 1980). Sa prise en compte est le résultat de longues années de
luttes au sein de l’association psychiatrique.
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