Les photons dans tous leurs états
Des hybrides organo-minéraux
pour l’optique
Des solides amorphes, denses et polissables sont élaborés par un procédé de type sol-gel,
à température ambiante. Le procédé permet, par inclusion de molécules organiques dans ces
matrices transparentes, de réaliser de nouveaux matériaux, en particulier pour des applications
en optique. La compréhension et la maîtrise des interactions entre le système moléculaire « invité »
et la matrice « hôte » permet de contrôler les propriétés de ces matériaux hybrides.
L
’accroissement du nombre de
dispositifs ayant recours à
l’optique engendre un déve-
loppement rapide et foisonnant
de « composants » nouveaux, dont
l’activité optique repose soit sur les
propriétés opto-électroniques d’archi-
tectures particulières de semi-conduc-
teurs, soit sur l’agencement des orbi-
tales électroniques de certaines
molécules organiques ou d’ions. Le
domaine des lasers en est une par-
faite illustration, des lasers à semi-
conducteurs aux lasers à colorants.
S’agissant des colorants, leur mise en
œuvre par dispersion dans un solvant
représente un frein majeur à la géné-
ralisation de l’emploi de systèmes
moléculaires dans les applications
pour l’optique. Pour y remédier, de
nombreuses équipes ont, avec plus
ou moins de bonheur, incorporé de
telles molécules dans des polymères
thermoplastiques, délaissant le maté-
riau à usage optique le plus couram-
ment rencontré dans notre quotidien :
le verre. Celui-ci présente en effet
une température de fusion bien trop
élevée pour permettre un dopage
organique.
Il existe toutefois un procédé
d’élaboration de verres à basse tem-
pérature : la synthèse par voie sol-gel,
qui permet l’obtention de matrices
vitreuses poreuses. Bien que dévelop-
pée depuis longtemps, son applica-
tion à la réalisation de matériaux
pour l’optique n’est explorée que
depuis une douzaine d’années. Outre
la compatibilité thermique, ce pro-
cédé permet un contrôle précis de la
topologie et de la physico-chimie de
surface des pores internes au maté-
riau, c’est-à-dire une maîtrise des
contraintes stériques et des interac-
tions subies par le système molécu-
laire incorporé. Cet article se propose
d’illustrer comment exploiter la va-
riété de paramètres offerte par la syn-
thèse sol-gel pour moduler les pro-
priétés optiques des matériaux et
réaliser de nouvelles fonctionnalités.
SYNTHÈSE SOL-GEL
La synthèse sol-gel s’effectue en
milieu liquide et repose sur des pro-
cessus de nucléation et de croissance.
Elle conduit, à partir de précurseurs
moléculaires dilués dans un solvant
(un sol), à la formation d’une struc-
ture solide et poreuse gonflée de
liquide : un gel. Du mode de séchage
de ce gel dépend la porosité du
matériau sec finalement obtenu. Ce
schéma général peut être détaillé
dans le cas de la silice qui est au
cœur des matériaux présentés.
Pour la silice, les précurseurs sont
des alkoxydes de formule générale
Si(OR)
4
où R est un groupement
organique alkyl C
n
H
2n +1
. Ce pré-
curseur de base peut présenter de
nombreuses variations. Les quatre
fonctions, non nécessairement identi-
ques, peuvent ainsi ne pas être
toutes réactives : (RO)
3
-Si-R' ou
(RO)
3
-Si-R'-Si-(OR)
3
. Dans ce cas,
l’obtention d’un réseau solide est
conditionnée par le nombre de fonc-
tions alkoxydes par monomère et par
les caractéristiques de la chaîne R’
(longueur, enchevêtrement, fonctions
internes). On peut également réaliser
des précurseurs mixtes à plusieurs
métaux (=Al-O-Si).
Toute la variété des systèmes
obtenus repose en fait sur deux réac-
tions chimiques :
Hydrolyse
Si-OR + H
2
O --->ROH + Si-OH,
Condensation
Si-OR + HO-Si--->ROH + Si-O-Si,
Si-OH + HO-Si--->H
2
O+ Si-O-Si.
Ces réactions assurent la crois-
sance d’architectures moléculaires
dont la brique de base est un tétra-
èdre au centre duquel se trouve un
atome de silicium, brique également
constitutive de la silice massive. La
compétition entre hydrolyse et
condensation conditionne l’équilibre
entre le grossissement de particules
*Laboratoire de physique de la matière
condensée, URA 1254 CNRS, Ecole Poly-
technique, 91128 Palaiseau Cedex.
+
Institut d’optique théorique et appli-
quée, groupe d’optique non linéaire, URA
14 CNRS, Bâtiment 503, BP 147, 91403
Orsay Cedex.
°Laboratoire Aimé Cotton, UPR 3321
CNRS, Bât. 505, Université Paris Sud,
91405 Orsay Cedex.
44
denses et leur collage ; elle détermine
ainsi, à l’échelle du nanomètre,la
géométrie des structures formées.
Cette compétition est contrôlable
chimiquement par le pH et la salinité
des solutions, lesquels modifient la
vitesse des réactions et la charge
superficielle des particules formées.
En milieu modérément acide
(pH >1), l’hydrolyse est rapide
devant la condensation. Il y alors for-
mation prompte de petites particules
nanométriques (0,5 - 2 nm) par cycli-
sation de chaînes. Ces particules
s’agrègent ensuite pour former des
amas polymériques ramifiés. A l’in-
verse, en milieu basique ou neutre,
l’hydrolyse est la réaction limitante et
les particules formées par condensa-
tion sont progressivement alimentées
en monomères. Ce mécanisme favo-
rise alors la croissance de particules
denses (10 - 100 nm).
La phase d’agrégation des particu-
les en amas est indispensable pour
obtenir la gélification. En effet,
les amas issus du collage entre parti-
cules sont poreux et la fraction volu-
mique qu’ils occupent croît avec leur
taille. Lorsque cette fraction avoisine
1, les amas atteignent leur taille
maximale et leur connexion engendre
un réseau tridimensionnel qui occupe
tout l’échantillon, lequel devient
macroscopiquement solide. C’est le
phénomène de gélification, qui
génère un réseau solide emprisonnant
des solvants : un gel. Ce réseau pré-
sente une porosité dont la distribution
s’échelonne de la taille des particu-
les à celle des amas. Cette porosité
est contrôlable par la taille et la
concentration des particules initiales
ainsi que par le mécanisme d’agré-
gation qui détermine le degré de
ramification.
Au-delà de la gélification, les réac-
tions chimiques se poursuivent et
modifient la distribution en taille des
pores du gel. Enfin, l’obtention d’un
matériau passe par une étape de
séchage qui consiste à évacuer le
solvant en dehors du réseau polymé-
rique. Cette opération s’effectue
généralement à température ambiante ;
elle conduit à un gel sec (ou xérogel)
transparent.
DES MATÉRIAUX DENSES
POUR L’OPTIQUE
Au début des années 80, une
équipe israélienne, animée par
D. Avnir, a eu l’idée d’incorporer
dans le solvant nécessaire à la prépa-
ration du gel des molécules organi-
ques pour lasers à colorant, les mê-
mes que celles généralement utilisées
en phase liquide. Après séchage, les
molécules organiques se retrouvent
emprisonnées dans la matrice inorga-
nique. Les basses températures de
préparation permettent d’introduire
des molécules organiques dans un ré-
seau minéral et, en conséquence, de
préparer une multitude de matériaux
par simple insertion de molécules
dans les xérogels transparents. De
nombreuses applications ont été alors
proposées pour ces solides, en parti-
culier dans le domaine de l’optique
(capteurs, lasers, mémoires optiques,
optique non linéaire...). Cependant,
dans les conditions d’élaboration que
nous venons d’évoquer, la structure
lacunaire des agrégats conduit à un
xérogel à porosité ouverte. La fragi-
lité et l’instabilité chimique de ces
matrices poreuses ne permettaient pas
d’envisager sérieusement leur utilisa-
tion en optique.
Les différentes méthodes dévelop-
pées dans notre laboratoire ont per-
mis d’améliorer le piégeage de la
molécule et la tenue mécanique du
gel. Ces méthodes utilisent des pré-
curseurs du type trialkoxysilane
R-Si-(OC
2
H
5
)
3
où R est un simple
groupe organique modificateur de ré-
seau (par exemple méthyl dans le
cas du methyltriéthoxysilane ou
MTEOS). Le caractère hydrophobe
de R favorise le séchage, la contrac-
tion du réseau et améliore les pro-
priétés mécaniques des matrices hy-
brides. Les solides denses obtenus
sont alors de véritables matériaux qui
se présentent comme du verre à vi-
tre coloré dans la masse (figure 1) et
dont la qualité optique peut être amé-
liorée par polissage mécanique (1 nm
de rugosité de surface). Dans le cas
d’un échantillon de 1 cm d’épaisseur
à faces planes et parallèles, nous
avons mesuré une transmission de
92 % pour un faisceau en incidence
normale dans le domaine visible.
Compte tenu des pertes par réflexion
(4 % sur chacune des faces), ces ma-
trices apparaissent comme des maté-
riaux de choix pour les applications
en optique. En outre, elles peuvent
être miniaturisées en films minces
d’épaisseur micrométrique, déposés
sur différents substrats par centrifu-
gation ou trempage en utilisant un sol
de viscosité contrôlée.
Le groupe R peut aussi porter un
groupe fonctionnel (par exemple
amine ou isocyanate) qui permet un
greffage à la matrice par liaison
covalente de molécules organiques
ou biologiques. Un des avantages
apportés par ce type de greffage est
d’éviter une séparation de phase en-
tre les composantes organique et
minérale, et par conséquent d’aug-
menter de plusieurs ordres de gran-
deur la concentration en espèces
moléculaires par rapport aux systè-
mes simplement dissous dans le gel.
Signalons aussi la possibilité d’utili-
ser un groupe R formateur de réseau,
c’est-à-dire porteur d’un groupe
organique polymérisable. La double
polymérisation permet alors d’opti-
miser la compatibilité des composan-
tes organique et minérale et d’obte-
nir des composites homogènes à
l’échelle nanométrique.
En fait, si la variété des précur-
seurs conduit à toute une gamme de
matériaux hybrides organiques-
inorganiques dans lesquels sont dis-
persées des espèces moléculaires, elle
permet aussi de modifier la nature et
l’intensité des interactions entre la
molécule invitée et le réseau hôte.
Nous allons montrer, à partir de
quelques exemples, que l’augmenta-
tion des interactions chimiques in-
fluence directement les propriétés
physiques et par conséquent le do-
maine d’applications de ces maté-
riaux.
Les photons dans tous leurs états
45
DES MATRICES HYBRIDES POUR
LASERS SOLIDES ACCORDABLES
Une première possibilité consiste
à conserver autant que possible les
propriétés du système moléculaire
dans le matériau composite en affai-
blissant au maximum le couplage
molécule-matrice. Dans ce but, l’uti-
lisation de précurseurs alkylalk-
oxydes R-Si(OR)
3
permet de tapis-
ser la surface des pores avec les
groupements organiques R, donc de
limiter les interactions chimiques à
des liaisons faibles de type Van der
Waals et de réduire le couplage
électron-phonon lors de la désexcita-
tion du système moléculaire. Un
exemple montrant l’intérêt de ces
précurseurs est l’utilisation de
matrices hybrides pour piéger des
molécules organiques de colorants,
afin de réaliser des systèmes lasers
impulsionnels et accordables en lon-
gueur d’onde. Dans les matrices hy-
brides, les molécules organiques su-
bissent un minimum d’interactions
entre elles et avec le milieu et la voie
de relaxation radiative (fluorescence)
devient largement prépondérante
lorsqu’elles sont excitées.
Les lasers à colorant permettent
actuellement de fournir une gamme
de longueur d’onde qui va de l’ultra-
violet au proche infrarouge. Cepen-
dant, du fait de leur complexité, ces
lasers accordables restent des outils
de laboratoire. Une infrastructure
encombrante est en effet nécessaire
pour assurer le renouvellement du
liquide ; elle est imposée par la dé-
gradation des molécules organiques
sous l’action prolongée du rayonne-
ment lumineux d’excitation. Le rem-
placement du liquide actif par un
composite verre/molécule élaboré par
méthode sol-gel permet de simplifier
et miniaturiser ces lasers accordables.
En quelques années, les perfor-
mances du rayonnement laser en
milieu sol-gel ont considérablement
augmenté. Les caractéristiques de
rendement, d’accordabilité en lon-
gueur d’onde et de largeur spectrale
d’émission sont maintenant à des
niveaux comparables à celles des la-
sers à colorant liquide. Les énergies
émises sont passées de 10 µJ à
10 mJ. Enfin, et surtout, la durée de
vie, c’est-à-dire le nombre de cycles
absorption-émission de photons que
la molécule peut effectuer avant de se
dégrader, a progressé considérable-
ment : de quelques impulsions micro-
joules à maintenant plus d’un million
d’impulsions millijoules. Ces amélio-
rations spectaculaires au niveau des
performances sont essentiellement
dues à l’utilisation de matrices hybri-
des qui ont permis d’augmenter le
rendement quantique de fluorescence
et la stabilité des molécules de colo-
rant.
Les performances atteintes à ce
jour avec les xérogels dopés permet-
tent d’envisager l’utilisation de lasers
à colorants solides, impulsionnels et
accordables. C’est du reste ce qui a
été initié, dès 1994, par les industriels
américains Coherent et Continuum,
qui utilisent, eux, des milieux à gain
à base de plastiques polymères dopés
dont les performances sont inférieu-
res à celles des xérogels. Nous avons
amorcé un transfert de technologie
auprès d’un industriel français et
pensons que de nouveaux lasers
accordables seront équipés de plu-
sieurs barrettes de xérogel, dopées
avec des colorants dont les domaines
spectraux d’accordabilité seront évi-
demment complémentaires. Le dépla-
cement continu de l’échantillon dans
la cavité lorsque le laser solide est en
fonctionnement peut être envisagé
pour atteindre des temps de vie d’uti-
lisation de plusieurs mois.
LES MATRICES INORGANIQUES :
PHOTOCHROMISME INVERSE ET
OPTIQUE GUIDÉE
Dans le cas d’une matrice gel
purement inorganique, préparée par
exemple à partir du tétraéthoxysilane
Si(OC
2
H
5
)
4
ou TEOS, la matrice est
polaire. Par l’intermédiaire des fonc-
tions silanols (Si-OH), la matrice
peut interagir avec le système molé-
culaire invité si celui-ci porte égale-
ment des groupes polaires pour for-
mer des liaisons de type hydrogène,
Figure 1 - Photographie d’échantillons. Des matériaux amorphes purement inorganiques ou hybrides
« organiques-inorganiques » sont élaborés à température ambiante. Par opposition aux gels classi-
ques, ces solides sont denses, inertes chimiquement, et leur qualité optique peut être améliorée par po-
lissage. En particulier, la transparence dans le domaine visible est voisine de celle des verres de si-
lice, élaborés à haute température. Le procédé d’élaboration de xérogels est compatible avec le domaine
de stabilité thermique des espèces moléculaires, ce qui permet de réaliser de nombreux matériaux, en
particulier pour des applications en optique, en dispersant des molécules organiques ou des
nanoparticules dans ces matrices transparentes.
46
dix fois plus énergétiques que les
liaisons de Van der Waals.
Une conséquence de l’utilisation
de matrices inorganiques est la stabi-
lisation de formes ioniques métasta-
bles, qui nous a permis de contrôler
les propriétés des gels photochromes.
Rappelons seulement que le photo-
chromisme est la transition photo-
induite entre deux composés chimi-
ques A et B dont les spectres
d’absorption ou d’émission diffèrent.
Pour un composé spirannique (fi-
gure 2), la forme incolore A est cons-
tituée de deux parties orthogonales
liées par un carbone sp3. La photo-
coloration se fait par absorption d’un
photon UV, conduisant à la formation
d’états excités puis à la rupture de la
liaison carbone-oxygène. La molé-
cule B obtenue est plane, absorbante
dans le visible, et ionique. La réac-
tion de retour vers A, avec décolora-
tion, se fait par absorption d’un pho-
ton dans le visible. Ce processus
photochimique est en général plus ra-
pide que la décoloration thermique
dont le temps caractéristique est de
quelques secondes.
Le photochromisme des composés
spiranniques est observé à l’état
liquide dans différents solvants et à
l’état solide lorsque les molécules
sont piégées dans des matrices poly-
mériques organiques. Les applica-
tions potentielles des photochromes
organiques sont importantes et
variées, en particulier dans les do-
maines des matériaux à transmission
optique variable (« verres organi-
ques » photochromiques) et celui du
stockage optique de l’information.
L’introduction des molécules dans
des matrices hybrides organiques-
inorganiques, en particulier celles
préparées à partir de précurseurs
alkoxydes modifiés, conduit à un
comportement photochromique com-
parable à celui observé dans les
polymères organiques classiques. Le
photochromisme est dit normal et les
échantillons incolores sont transfor-
més en gels colorés par irradiation
UV. La forme stable dans ces matri-
ces hybrides est donc la forme A.
Lorsque les molécules sont intro-
duites dans un gel purement inorga-
nique, la forme B ionique est stabili-
sée par liaison hydrogène avec les
groupes silanols de la matrice gel. Le
photochromisme est alors inverse :
les gels sont décolorés par action de
la lumière visible. Les modifications
au cours du processus photochimique
concernent également les indices de
réfraction. Lorsque la forme B d’un
système photochromique est stabili-
sée dans la matrice inorganique, une
modification importante de l’indice
de réfraction (Dn=0,1 a` 633 nm)
peut être associée à la transformation
irréversible A B. Elle nous a per-
mis d’inscrire différents motifs par
irradiation à travers des photo-
masques appropriés (réseaux de dif-
fraction, interféromètre...) dans les
films dopés, qui pourraient, à terme,
s’insérer dans des dispositifs d’opti-
que intégrée planaire.
GREFFAGE COVALENT : CREUSEMENT
DE TROUS SPECTRAUX ET EFFET
PHOTORÉFRACTIF
Un premier avantage de la réaction
de greffage est l’augmentation de la
concentration volumique en molécu-
les qui peut améliorer l’efficacité du
matériau. Il en existe en fait beaucoup
d’autres et de nombreuses applica-
tions peuvent être envisagées pour
ces matériaux composites qui font
actuellement l’objet d’études dans un
grand nombre de laboratoires.
Par exemple, depuis la découverte,
en 1974, du creusement de trous
spectraux permanents (« Persistent
Spectral Hole-Burning ») à très basse
température (4 K) et la possibilité de
l’utiliser pour le stockage optique à
très haute densité d’informations, de
nombreux travaux concernent l’inclu-
sion de colorants dans des matrices
amorphes. Les principes de base en
sont rappelés dans l’encadré 1. Nous
montrons qu’un autre intérêt du gref-
fage est lié à la réduction des degrés
de liberté de la molécule et à la
modification de ses contributions
vibratoires.
Le couplage entre les électrons
participant à l’excitation et les mou-
vements vibratoires de la cage enser-
rant la molécule (couplage électron-
Figure 2 - Effet des interactions molécule-matrice sur le photochromisme :
a) Photochromisme normal observé pour une matrice hybride de MTEOS dopée avec des molécules spi-
ranniques. La spiro-oxazine A incolore est isomérisée en mérocyanine B colorée par irradiation UV.
Dans le noir, le retour à la forme A stable s’effectue par un mécanisme thermique.
b) Photochromisme inverse observé pour une matrice inorganique polaire de TEOS dopée avec des
molécules spiranniques. La forme ionique de la mérocyanine B colorée est isomérisée en spiro-oxazine
A incolore par irradiation en lumière visible. Dans le noir, le retour à la forme B stabilisée par liaison
hydrogène s’effectue par un mécanisme thermique.
Les photons dans tous leurs états
47
vibration) conduit en effet à ce que
chaque raie fine (associée à une tran-
sition électronique) soit accompagnée
d’une bande latérale beaucoup plus
large (dite bande de phonons) et dont
l’importance croît selon l’importance
du couplage. Lorsque la température
augmente, les contributions dues au
couplage électron-vibration augmen-
tent et elles ont deux conséquences :
un élargissement de la raie électroni-
que fine d’une part, une perte d’in-
tensité de cette dernière au profit de
la bande latérale de phonons, d’autre
part. À des températures élevées, cela
conduit à la disparition de la raie fine
et donc à l’impossibilité de creuser
des trous spectraux fins.
En fait, les applications nécessitent
l’élaboration de matériaux pour les-
quels un creusement efficace de trous
spectraux permanents puisse être réa-
lisé à des températures aussi élevées
que possible, notamment supérieures
à celle de l’azote liquide. Pour com-
battre l’influence de la température,
on recherche des systèmes dans les-
quels les électrons participant à la
transition électronique sont suffisam-
ment découplés des mouvements
locaux de la cage dont les fréquen-
ces caractéristiques de vibration
seront aussi élevées que possible.
Nous avons adopté une approche
qui combine des systèmes organiques
et inorganiques. Des xérogels hybri-
des ont été utilisés pour diminuer les
interactions chimiques et le couplage
électron-vibration entre les molécu-
les actives de type porphyrine et la
matrice. En outre, chaque molécule a
été accrochée par liaison covalente à
la matrice par l’intermédiaire de deux
bras organiques, afin de rigidifier le
système et augmenter l’énergie des
modes de vibration locaux. Dans les
xérogels dopés, l’efficacité en « hole-
burning » est très importante à très
basse température (figure 3). Le creu-
sement d’un nouveau trou n’efface
pas les trous précédents, ce qui mon-
tre leur stabilité et la présence d’un
mécanisme purement photochimique.
À 5 K, les trous sont fins (<10
-3
nm)
et peuvent être très proches les uns
des autres, ce qui est un facteur favo-
rable pour le stockage de l’informa-
tion.
En fait, le creusement de trous
spectraux stables est encore possible
à 120 K avec une fluence modérée
(2 à 5 mW.cm
-2
pendant 5 min) et
l’effacement se produit seulement à
150 K. Aux températures facilement
accessibles (80-100 K), il est possi-
ble de creuser en quelques dizaines
Encadré 1
CREUSEMENT DE TROUS SPECTRAUX
Le spectre optique d’une molécule est très sensible à
l’agitation des noyaux et à l’environnement dans lequel elle
est plongée. L’agitation détermine l’élargissement des raies
associées aux transitions optiques alors que l’environnement
local donne la position moyenne de la fréquence d’absorption.
Un abaissement de la température réduit l’agitation thermique
mais modifie peu l’environnement. À très basse température
(4 K), le spectre de molécules individuelles en phase
condensée est fin, mais ces spectres pour chaque molécule
sont dispersés en fréquence selon l’environnement particulier
à chaque molécule, conséquence de l’inhomogénéité locale
(voir « Images de la Physique », 1991). À basse température,
il est donc possible d’exciter chaque classe de molécules
caractérisées par les mêmes fréquences de résonance à l’aide
d’un laser monochromatique. Si les molécules ainsi
sélectivement excitées subissent une modification, leurs
fréquences de résonance sont changées et des trous sont
laissés dans le profil global d’absorption. Selon le mécanisme
à l’origine du transfert de fréquence (photochimie,
redistribution de population entre plusieurs états, etc.), les
trous creusés persistent plus ou moins longtemps (de quelques
secondes à plusieurs années).
Cet effet de mémoire offre d’intéressantes perspectives pour
l’enregistrement de données. En effet, en combinant
l’enregistrement holographique à 3 dimensions dans un
matériau épais avec cet enregistrement par creusement de
trous dans l’espace des fréquences, on peut espérer accroître
considérablement le nombre de données mémorisées. Le prix à
payer est l’abaissement de la température pour bénéficier de
trous spectraux fins, mais le gain en capacité d’enregistrement
àT<4 K peut atteindre des facteurs élevés selon les
systèmes : de 10
3
à10
4
pour des molécules dans des milieux
amorphes, jusqu’à 10
7
à10
9
pour des ions de terres rares
dans des cristaux. Ces nombres représentent la quantité de
données (bits) pouvant être mémorisées en chaque position
spatiale du matériau.
La figure illustre cette situation dans le cas simple où la
transformation induite par l’excitation est photochimique
(par exemple un basculement des protons internes dans le cas
de la porphyrine montrée figure 3).
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