Des hybrides organo-minéraux pour l`optique L

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Les photons dans tous leurs états
Des hybrides organo-minéraux
pour l’optique
Des solides amorphes, denses et polissables sont élaborés par un procédé de type sol-gel,
à température ambiante. Le procédé permet, par inclusion de molécules organiques dans ces
matrices transparentes, de réaliser de nouveaux matériaux, en particulier pour des applications
en optique. La compréhension et la maîtrise des interactions entre le système moléculaire « invité »
et la matrice « hôte » permet de contrôler les propriétés de ces matériaux hybrides.
’accroissement du nombre de
dispositifs ayant recours à
l’optique engendre un développement rapide et foisonnant
de « composants » nouveaux, dont
l’activité optique repose soit sur les
propriétés opto-électroniques d’architectures particulières de semi-conducteurs, soit sur l’agencement des orbitales électroniques de certaines
molécules organiques ou d’ions. Le
domaine des lasers en est une parfaite illustration, des lasers à semiconducteurs aux lasers à colorants.
S’agissant des colorants, leur mise en
œuvre par dispersion dans un solvant
représente un frein majeur à la généralisation de l’emploi de systèmes
moléculaires dans les applications
pour l’optique. Pour y remédier, de
nombreuses équipes ont, avec plus
ou moins de bonheur, incorporé de
telles molécules dans des polymères
thermoplastiques, délaissant le matériau à usage optique le plus couramment rencontré dans notre quotidien :
le verre. Celui-ci présente en effet
L
une température de fusion bien trop
élevée pour permettre un dopage
organique.
Il existe toutefois un procédé
d’élaboration de verres à basse température : la synthèse par voie sol-gel,
qui permet l’obtention de matrices
vitreuses poreuses. Bien que développée depuis longtemps, son application à la réalisation de matériaux
pour l’optique n’est explorée que
depuis une douzaine d’années. Outre
la compatibilité thermique, ce procédé permet un contrôle précis de la
topologie et de la physico-chimie de
surface des pores internes au matériau, c’est-à-dire une maîtrise des
contraintes stériques et des interactions subies par le système moléculaire incorporé. Cet article se propose
d’illustrer comment exploiter la variété de paramètres offerte par la synthèse sol-gel pour moduler les propriétés optiques des matériaux et
réaliser de nouvelles fonctionnalités.
SYNTHÈSE SOL-GEL
– *Laboratoire de physique de la matière
condensée, URA 1254 CNRS, Ecole Polytechnique, 91128 Palaiseau Cedex.
– +Institut d’optique théorique et appliquée, groupe d’optique non linéaire, URA
14 CNRS, Bâtiment 503, BP 147, 91403
Orsay Cedex.
– °Laboratoire Aimé Cotton, UPR 3321
CNRS, Bât. 505, Université Paris Sud,
91405 Orsay Cedex.
44
La synthèse sol-gel s’effectue en
milieu liquide et repose sur des processus de nucléation et de croissance.
Elle conduit, à partir de précurseurs
moléculaires dilués dans un solvant
(un sol), à la formation d’une structure solide et poreuse gonflée de
liquide : un gel. Du mode de séchage
de ce gel dépend la porosité du
matériau sec finalement obtenu. Ce
schéma général peut être détaillé
dans le cas de la silice qui est au
cœur des matériaux présentés.
Pour la silice, les précurseurs sont
des alkoxydes de formule générale
Si(OR)4 où R est un groupement
organique alkyl Cn H2n + 1. Ce précurseur de base peut présenter de
nombreuses variations. Les quatre
fonctions, non nécessairement identiques, peuvent ainsi ne pas être
toutes réactives : (RO)3-Si-R' ou
(RO)3-Si-R'-Si-(OR)3. Dans ce cas,
l’obtention d’un réseau solide est
conditionnée par le nombre de fonctions alkoxydes par monomère et par
les caractéristiques de la chaîne R’
(longueur, enchevêtrement, fonctions
internes). On peut également réaliser
des précurseurs mixtes à plusieurs
métaux (=Al-O-Si≡).
Toute la variété des systèmes
obtenus repose en fait sur deux réactions chimiques :
Hydrolyse
≡Si-OR + H2O
---> ROH + ≡Si-OH,
Condensation
≡Si-OR + HO-Si≡ ---> ROH + ≡Si-O-Si≡,
≡Si-OH + HO-Si≡ ---> H2O + ≡Si-O-Si≡.
Ces réactions assurent la croissance d’architectures moléculaires
dont la brique de base est un tétraèdre au centre duquel se trouve un
atome de silicium, brique également
constitutive de la silice massive. La
compétition entre hydrolyse et
condensation conditionne l’équilibre
entre le grossissement de particules
Les photons dans tous leurs états
denses et leur collage ; elle détermine
ainsi, à l’échelle du nanomètre, la
géométrie des structures formées.
Cette compétition est contrôlable
chimiquement par le pH et la salinité
des solutions, lesquels modifient la
vitesse des réactions et la charge
superficielle des particules formées.
En milieu modérément acide
(pH > 1), l’hydrolyse est rapide
devant la condensation. Il y alors formation prompte de petites particules
nanométriques (0,5 - 2 nm) par cyclisation de chaînes. Ces particules
s’agrègent ensuite pour former des
amas polymériques ramifiés. A l’inverse, en milieu basique ou neutre,
l’hydrolyse est la réaction limitante et
les particules formées par condensation sont progressivement alimentées
en monomères. Ce mécanisme favorise alors la croissance de particules
denses (10 - 100 nm).
La phase d’agrégation des particules en amas est indispensable pour
obtenir la gélification. En effet,
les amas issus du collage entre particules sont poreux et la fraction volumique qu’ils occupent croît avec leur
taille. Lorsque cette fraction avoisine
1, les amas atteignent leur taille
maximale et leur connexion engendre
un réseau tridimensionnel qui occupe
tout l’échantillon, lequel devient
macroscopiquement solide. C’est le
phénomène de gélification, qui
génère un réseau solide emprisonnant
des solvants : un gel. Ce réseau présente une porosité dont la distribution
s’échelonne de la taille des particules à celle des amas. Cette porosité
est contrôlable par la taille et la
concentration des particules initiales
ainsi que par le mécanisme d’agrégation qui détermine le degré de
ramification.
Au-delà de la gélification, les réactions chimiques se poursuivent et
modifient la distribution en taille des
pores du gel. Enfin, l’obtention d’un
matériau passe par une étape de
séchage qui consiste à évacuer le
solvant en dehors du réseau polymérique. Cette opération s’effectue
généralement à température ambiante ;
elle conduit à un gel sec (ou xérogel)
transparent.
DES MATÉRIAUX DENSES
POUR L’OPTIQUE
Au début des années 80, une
équipe israélienne, animée par
D. Avnir, a eu l’idée d’incorporer
dans le solvant nécessaire à la préparation du gel des molécules organiques pour lasers à colorant, les mêmes que celles généralement utilisées
en phase liquide. Après séchage, les
molécules organiques se retrouvent
emprisonnées dans la matrice inorganique. Les basses températures de
préparation permettent d’introduire
des molécules organiques dans un réseau minéral et, en conséquence, de
préparer une multitude de matériaux
par simple insertion de molécules
dans les xérogels transparents. De
nombreuses applications ont été alors
proposées pour ces solides, en particulier dans le domaine de l’optique
(capteurs, lasers, mémoires optiques,
optique non linéaire...). Cependant,
dans les conditions d’élaboration que
nous venons d’évoquer, la structure
lacunaire des agrégats conduit à un
xérogel à porosité ouverte. La fragilité et l’instabilité chimique de ces
matrices poreuses ne permettaient pas
d’envisager sérieusement leur utilisation en optique.
Les différentes méthodes développées dans notre laboratoire ont permis d’améliorer le piégeage de la
molécule et la tenue mécanique du
gel. Ces méthodes utilisent des précurseurs du type trialkoxysilane
R-Si-(OC2H5)3 où R est un simple
groupe organique modificateur de réseau (par exemple méthyl dans le
cas du methyltriéthoxysilane ou
MTEOS). Le caractère hydrophobe
de R favorise le séchage, la contraction du réseau et améliore les propriétés mécaniques des matrices hybrides. Les solides denses obtenus
sont alors de véritables matériaux qui
se présentent comme du verre à vitre coloré dans la masse (figure 1) et
dont la qualité optique peut être amé-
liorée par polissage mécanique (1 nm
de rugosité de surface). Dans le cas
d’un échantillon de 1 cm d’épaisseur
à faces planes et parallèles, nous
avons mesuré une transmission de
92 % pour un faisceau en incidence
normale dans le domaine visible.
Compte tenu des pertes par réflexion
(4 % sur chacune des faces), ces matrices apparaissent comme des matériaux de choix pour les applications
en optique. En outre, elles peuvent
être miniaturisées en films minces
d’épaisseur micrométrique, déposés
sur différents substrats par centrifugation ou trempage en utilisant un sol
de viscosité contrôlée.
F
Le groupe R peut aussi porter un
groupe fonctionnel
(par exemple
amine ou isocyanate) qui permet un
greffage à la matrice par liaison
covalente de molécules organiques
ou biologiques. Un des avantages
apportés par ce type de greffage est
d’éviter une séparation de phase entre les composantes organique et
minérale, et par conséquent d’augmenter de plusieurs ordres de grandeur la concentration en espèces
moléculaires par rapport aux systèmes simplement dissous dans le gel.
Signalons aussi la possibilité d’utiliser un groupe R formateur de réseau,
c’est-à-dire porteur d’un groupe
organique polymérisable. La double
polymérisation permet alors d’optimiser la compatibilité des composantes organique et minérale et d’obtenir des composites homogènes à
l’échelle nanométrique.
En fait, si la variété des précurseurs conduit à toute une gamme de
matériaux hybrides organiquesinorganiques dans lesquels sont dispersées des espèces moléculaires, elle
permet aussi de modifier la nature et
l’intensité des interactions entre la
molécule invitée et le réseau hôte.
Nous allons montrer, à partir de
quelques exemples, que l’augmentation des interactions chimiques influence directement les propriétés
physiques et par conséquent le domaine d’applications de ces matériaux.
45
émises sont passées de 10 µJ à
10 mJ. Enfin, et surtout, la durée de
vie, c’est-à-dire le nombre de cycles
absorption-émission de photons que
la molécule peut effectuer avant de se
dégrader, a progressé considérablement : de quelques impulsions microjoules à maintenant plus d’un million
d’impulsions millijoules. Ces améliorations spectaculaires au niveau des
performances sont essentiellement
dues à l’utilisation de matrices hybrides qui ont permis d’augmenter le
rendement quantique de fluorescence
et la stabilité des molécules de colorant.
Figure 1 - Photographie d’échantillons. Des matériaux amorphes purement inorganiques ou hybrides
« organiques-inorganiques » sont élaborés à température ambiante. Par opposition aux gels classiques, ces solides sont denses, inertes chimiquement, et leur qualité optique peut être améliorée par polissage. En particulier, la transparence dans le domaine visible est voisine de celle des verres de silice, élaborés à haute température. Le procédé d’élaboration de xérogels est compatible avec le domaine
de stabilité thermique des espèces moléculaires, ce qui permet de réaliser de nombreux matériaux, en
particulier pour des applications en optique, en dispersant des molécules organiques ou des
nanoparticules dans ces matrices transparentes.
DES MATRICES HYBRIDES POUR
LASERS SOLIDES ACCORDABLES
Une première possibilité consiste
à conserver autant que possible les
propriétés du système moléculaire
dans le matériau composite en affaiblissant au maximum le couplage
molécule-matrice. Dans ce but, l’utilisation de précurseurs alkylalkoxydes R-Si(OR′)3 permet de tapisser la surface des pores avec les
groupements organiques R, donc de
limiter les interactions chimiques à
des liaisons faibles de type Van der
Waals et de réduire le couplage
électron-phonon lors de la désexcitation du système moléculaire. Un
exemple montrant l’intérêt de ces
précurseurs est l’utilisation de
matrices hybrides pour piéger des
molécules organiques de colorants,
afin de réaliser des systèmes lasers
impulsionnels et accordables en longueur d’onde. Dans les matrices hybrides, les molécules organiques subissent un minimum d’interactions
entre elles et avec le milieu et la voie
de relaxation radiative (fluorescence)
46
devient largement prépondérante
lorsqu’elles sont excitées.
Les lasers à colorant permettent
actuellement de fournir une gamme
de longueur d’onde qui va de l’ultraviolet au proche infrarouge. Cependant, du fait de leur complexité, ces
lasers accordables restent des outils
de laboratoire. Une infrastructure
encombrante est en effet nécessaire
pour assurer le renouvellement du
liquide ; elle est imposée par la dégradation des molécules organiques
sous l’action prolongée du rayonnement lumineux d’excitation. Le remplacement du liquide actif par un
composite verre/molécule élaboré par
méthode sol-gel permet de simplifier
et miniaturiser ces lasers accordables.
En quelques années, les performances du rayonnement laser en
milieu sol-gel ont considérablement
augmenté. Les caractéristiques de
rendement, d’accordabilité en longueur d’onde et de largeur spectrale
d’émission sont maintenant à des
niveaux comparables à celles des lasers à colorant liquide. Les énergies
Les performances atteintes à ce
jour avec les xérogels dopés permettent d’envisager l’utilisation de lasers
à colorants solides, impulsionnels et
accordables. C’est du reste ce qui a
été initié, dès 1994, par les industriels
américains Coherent et Continuum,
qui utilisent, eux, des milieux à gain
à base de plastiques polymères dopés
dont les performances sont inférieures à celles des xérogels. Nous avons
amorcé un transfert de technologie
auprès d’un industriel français et
pensons que de nouveaux lasers
accordables seront équipés de plusieurs barrettes de xérogel, dopées
avec des colorants dont les domaines
spectraux d’accordabilité seront évidemment complémentaires. Le déplacement continu de l’échantillon dans
la cavité lorsque le laser solide est en
fonctionnement peut être envisagé
pour atteindre des temps de vie d’utilisation de plusieurs mois.
LES MATRICES INORGANIQUES :
PHOTOCHROMISME INVERSE ET
OPTIQUE GUIDÉE
Dans le cas d’une matrice gel
purement inorganique, préparée par
exemple à partir du tétraéthoxysilane
Si(OC2H5)4 ou TEOS, la matrice est
polaire. Par l’intermédiaire des fonctions silanols (Si-OH), la matrice
peut interagir avec le système moléculaire invité si celui-ci porte également des groupes polaires pour former des liaisons de type hydrogène,
Les photons dans tous leurs états
dix fois plus énergétiques que les
liaisons de Van der Waals.
Une conséquence de l’utilisation
de matrices inorganiques est la stabilisation de formes ioniques métastables, qui nous a permis de contrôler
les propriétés des gels photochromes.
Rappelons seulement que le photochromisme est la transition photoinduite entre deux composés chimiques A et B dont les spectres
d’absorption ou d’émission diffèrent.
Pour un composé spirannique (figure 2), la forme incolore A est constituée de deux parties orthogonales
liées par un carbone sp3. La photocoloration se fait par absorption d’un
photon UV, conduisant à la formation
d’états excités puis à la rupture de la
liaison carbone-oxygène. La molécule B obtenue est plane, absorbante
dans le visible, et ionique. La réaction de retour vers A, avec décoloration, se fait par absorption d’un photon dans le visible. Ce processus
photochimique est en général plus rapide que la décoloration thermique
dont le temps caractéristique est de
quelques secondes.
Le photochromisme des composés
spiranniques est observé à l’état
liquide dans différents solvants et à
l’état solide lorsque les molécules
sont piégées dans des matrices polymériques organiques. Les applications potentielles des photochromes
organiques sont importantes et
variées, en particulier dans les domaines des matériaux à transmission
optique variable (« verres organiques » photochromiques) et celui du
stockage optique de l’information.
L’introduction des molécules dans
des matrices hybrides organiquesinorganiques, en particulier celles
préparées à partir de précurseurs
alkoxydes modifiés, conduit à un
comportement photochromique comparable à celui observé dans les
polymères organiques classiques. Le
photochromisme est dit normal et les
échantillons incolores sont transformés en gels colorés par irradiation
UV. La forme stable dans ces matrices hybrides est donc la forme A.
Lorsque les molécules sont introduites dans un gel purement inorganique, la forme B ionique est stabili-
Figure 2 - Effet des interactions molécule-matrice sur le photochromisme :
a) Photochromisme normal observé pour une matrice hybride de MTEOS dopée avec des molécules spiranniques. La spiro-oxazine A incolore est isomérisée en mérocyanine B colorée par irradiation UV.
Dans le noir, le retour à la forme A stable s’effectue par un mécanisme thermique.
b) Photochromisme inverse observé pour une matrice inorganique polaire de TEOS dopée avec des
molécules spiranniques. La forme ionique de la mérocyanine B colorée est isomérisée en spiro-oxazine
A incolore par irradiation en lumière visible. Dans le noir, le retour à la forme B stabilisée par liaison
hydrogène s’effectue par un mécanisme thermique.
sée par liaison hydrogène avec les
groupes silanols de la matrice gel. Le
photochromisme est alors inverse :
les gels sont décolorés par action de
la lumière visible. Les modifications
au cours du processus photochimique
concernent également les indices de
réfraction. Lorsque la forme B d’un
système photochromique est stabilisée dans la matrice inorganique, une
modification importante de l’indice
de réfraction (Dn = 0,1 à 633 nm)
peut être associée à la transformation
irréversible A → B. Elle nous a permis d’inscrire différents motifs par
irradiation à travers des photomasques appropriés (réseaux de diffraction, interféromètre...) dans les
films dopés, qui pourraient, à terme,
s’insérer dans des dispositifs d’optique intégrée planaire.
GREFFAGE COVALENT : CREUSEMENT
DE TROUS SPECTRAUX ET EFFET
PHOTORÉFRACTIF
Un premier avantage de la réaction
de greffage est l’augmentation de la
concentration volumique en molécules qui peut améliorer l’efficacité du
matériau. Il en existe en fait beaucoup
d’autres et de nombreuses applications peuvent être envisagées pour
ces matériaux composites qui font
actuellement l’objet d’études dans un
grand nombre de laboratoires.
Par exemple, depuis la découverte,
en 1974, du creusement de trous
spectraux permanents (« Persistent
Spectral Hole-Burning ») à très basse
température (4 K) et la possibilité de
l’utiliser pour le stockage optique à
très haute densité d’informations, de
nombreux travaux concernent l’inclusion de colorants dans des matrices
amorphes. Les principes de base en
sont rappelés dans l’encadré 1. Nous
montrons qu’un autre intérêt du greffage est lié à la réduction des degrés
de liberté de la molécule et à la
modification de ses contributions
vibratoires.
Le couplage entre les électrons
participant à l’excitation et les mouvements vibratoires de la cage enserrant la molécule (couplage électron47
Encadré 1
CREUSEMENT DE TROUS SPECTRAUX
Le spectre optique d’une molécule est très sensible à
l’agitation des noyaux et à l’environnement dans lequel elle
est plongée. L’agitation détermine l’élargissement des raies
associées aux transitions optiques alors que l’environnement
local donne la position moyenne de la fréquence d’absorption.
Un abaissement de la température réduit l’agitation thermique
mais modifie peu l’environnement. À très basse température
(4 K), le spectre de molécules individuelles en phase
condensée est fin, mais ces spectres pour chaque molécule
sont dispersés en fréquence selon l’environnement particulier
à chaque molécule, conséquence de l’inhomogénéité locale
(voir « Images de la Physique », 1991). À basse température,
il est donc possible d’exciter chaque classe de molécules
caractérisées par les mêmes fréquences de résonance à l’aide
d’un laser monochromatique. Si les molécules ainsi
sélectivement excitées subissent une modification, leurs
fréquences de résonance sont changées et des trous sont
laissés dans le profil global d’absorption. Selon le mécanisme
à l’origine du transfert de fréquence (photochimie,
redistribution de population entre plusieurs états, etc.), les
trous creusés persistent plus ou moins longtemps (de quelques
secondes à plusieurs années).
trous dans l’espace des fréquences, on peut espérer accroître
considérablement le nombre de données mémorisées. Le prix à
payer est l’abaissement de la température pour bénéficier de
trous spectraux fins, mais le gain en capacité d’enregistrement
à T < 4 K peut atteindre des facteurs élevés selon les
systèmes : de 103à 104 pour des molécules dans des milieux
amorphes, jusqu’à 107à 109 pour des ions de terres rares
dans des cristaux. Ces nombres représentent la quantité de
données (bits) pouvant être mémorisées en chaque position
spatiale du matériau.
La figure illustre cette situation dans le cas simple où la
transformation induite par l’excitation est photochimique
(par exemple un basculement des protons internes dans le cas
de la porphyrine montrée figure 3).
Cet effet de mémoire offre d’intéressantes perspectives pour
l’enregistrement de données. En effet, en combinant
l’enregistrement holographique à 3 dimensions dans un
matériau épais avec cet enregistrement par creusement de
vibration) conduit en effet à ce que
chaque raie fine (associée à une transition électronique) soit accompagnée
d’une bande latérale beaucoup plus
large (dite bande de phonons) et dont
l’importance croît selon l’importance
du couplage. Lorsque la température
augmente, les contributions dues au
couplage électron-vibration augmentent et elles ont deux conséquences :
un élargissement de la raie électronique fine d’une part, une perte d’intensité de cette dernière au profit de
la bande latérale de phonons, d’autre
part. À des températures élevées, cela
conduit à la disparition de la raie fine
et donc à l’impossibilité de creuser
des trous spectraux fins.
En fait, les applications nécessitent
l’élaboration de matériaux pour lesquels un creusement efficace de trous
spectraux permanents puisse être réa48
lisé à des températures aussi élevées
que possible, notamment supérieures
à celle de l’azote liquide. Pour combattre l’influence de la température,
on recherche des systèmes dans lesquels les électrons participant à la
transition électronique sont suffisamment découplés des mouvements
locaux de la cage dont les fréquences caractéristiques de vibration
seront aussi élevées que possible.
Nous avons adopté une approche
qui combine des systèmes organiques
et inorganiques. Des xérogels hybrides ont été utilisés pour diminuer les
interactions chimiques et le couplage
électron-vibration entre les molécules actives de type porphyrine et la
matrice. En outre, chaque molécule a
été accrochée par liaison covalente à
la matrice par l’intermédiaire de deux
bras organiques, afin de rigidifier le
système et augmenter l’énergie des
modes de vibration locaux. Dans les
xérogels dopés, l’efficacité en « holeburning » est très importante à très
basse température (figure 3). Le creusement d’un nouveau trou n’efface
pas les trous précédents, ce qui montre leur stabilité et la présence d’un
mécanisme purement photochimique.
À 5 K, les trous sont fins (< 10-3 nm)
et peuvent être très proches les uns
des autres, ce qui est un facteur favorable pour le stockage de l’information.
En fait, le creusement de trous
spectraux stables est encore possible
à 120 K avec une fluence modérée
(2 à 5 mW.cm-2 pendant 5 min) et
l’effacement se produit seulement à
150 K. Aux températures facilement
accessibles (80-100 K), il est possible de creuser en quelques dizaines
Les photons dans tous leurs états
les de DR1 est à l’origine d’un fort
champ statique (30 V/µm) intrinsèque au matériau qui permet une photoconduction (10−14 X−1 cm−1) en l’absence d’un champ électrique externe,
champ qui est indispensable pour
observer
la
photoconductivité dans le cas des polymères
organiques.
Figure 3 - Trous spectraux pour des xérogels
hybrides avec des molécules de porphyrine insérées dans le réseau siloxane. Des trous avec 5 %
de profondeur sont brûlés en 1 s à 5 K. Les largeurs des trous correspondent à la résolution du
laser. Pb est la puissance de brûlage.
de secondes des trous spectraux
d’une finesse raisonnable (environ
1 nm). Le greffage du chromophore
au réseau, qui rigidifie le système et
limite les vibrations, apparaît donc
comme un élément essentiel pour le
« hole-burning » à haute température.
Une autre conséquence du greffage
covalent de différentes molécules organiques sur un réseau sol-gel est la
réalisation de matériaux multifonctionnels. Un exemple est la réalisation très récente de gels photoréfractifs qui sont à la fois électro-optiques
et photoconducteurs (encadré 2).
L’intérêt de l’effet photoréfractif
réside dans la possibilité d’enregistrer, de stocker et d’effacer à souhait
une quantité importante d’informations dans un matériau photosensible.
L’approche développée dans les
gels a été voisine de celle utilisée
pour les polymères, la matrice sol-gel
étant fonctionnalisée par des groupements actifs en optique non linéaire
(disperse red 1 ou DR1) et photoconducteurs de type organique (carbazole) (figure 4a). Les silanes modifiés sont co-condensés avec le TEOS
et déposés en films minces par centrifugation sur des substrats d’oxydes
conducteurs. Les molécules de DR1
ont été orientées dans la matrice sous
un champ électrique statique important (100 V/µm). Après coupure du
champ, la relaxation des molécules
Figure 4 - Mise en évidence par une expérience
de couplage à deux ondes de la photoréfractivité dans un matériau où les composantes
électro-optique (DR1) et photoconductrice (carbazole) sont greffées à un réseau siloxane (a).
Les faisceaux 1 et 2 interfèrent dans le matériau
pour inscrire un réseau photoréfractif. La configuration penchée (b) est utilisée pour que l’axe
principal du coeffıcient électro-optique (normal à
l’échantillon) ait une projection non nulle sur la
direction perpendiculaire à la bissectrice des
deux faisceaux. L’angle entre les deux faisceaux
fixe le pas du réseau (0,81 µm). D1 et D2 sont
deux photodiodes qui enregistrent l’évolution de
l’intensité de chaque faisceau.
Les cinétiques d’inscription et d’effacement du
réseau photoréfractif sont révélées par le transfert d’énergie entre les faisceaux 1 et 2 (c). Ces
deux faisceaux, initialement de même intensité,
voient celle-ci augmenter (cas du faisceau 1) ou
diminuer (cas du faisceau 2) lors de l’inscription du réseau. Le mécanisme est inversé à partir de t = 300 s lorsque le réseau est effacé par
irradiation uniforme par l’un ou l’autre des deux
faisceaux. Il est à noter que le temps d’effacement est deux fois plus grand que le temps d’inscription parce que l’énergie lumineuse moyenne
d’inscription est deux fois plus importante que
celle de l’effacement.
est empêchée par le couplage mécanique fort entre matrice et molécule
et la stabilité de l’anisotropie d’orientation apparaît d’ores et déjà plus importante que pour la plupart des
matériaux à matrice organique. L’efficacité de l’orientation des molécu-
La photoréfractivité du matériau a
été mise en évidence par des expériences de couplage à deux ondes
(figure 4b) donnant lieu à l’inscription, dans un film, d’un réseau photoréfractif stable dans l’obscurité et
effaçable par illumination uniforme
(figure 4c). Des gains nets importants
(cf. encadré 2), comparables à ceux
observés dans les meilleurs systèmes
organiques, ont été obtenus sans
champ électrique externe. Il reste
cependant que, même si nous pouvons espérer améliorer la photoconduction des gels en l’absence de
champ, le temps de réponse de ces
systèmes (> 200 s dans ces premières
expériences) sera au mieux voisin de
celui observé pour les systèmes organiques (quelques ms), ce qui limite
les applications potentielles des gels
photoréfractifs au seul domaine du
stockage optique de l’information.
CONCLUSION
Depuis une vingtaine d’années, la
plupart des matériaux nouveaux du
domaine de l’optique et de l’optoélectronique sont obtenus par insertion ou greffage de molécules organiques optiquement actives dans des
polymères organiques. Leur utilisation est limitée par la photodégradation dont l’origine principale est l’interaction d’états excités avec
l’oxygène.
Notre activité consiste à introduire
progressivement des composantes
minérales ou des hybrides organominéraux dans la structure de ces
matériaux : par exemple, des nanoparticules minérales en substitution
de molécules organiques actives et
des matrices sol-gel en substitution
des polymères organiques. Dans ce
dernier cas, la diversité des précur49
Encadré 2
EFFET ÉLECTRO-OPTIQUE, PHOTOCONDUCTIVITÉ
ET PHOTORÉFRACTIVITÉ
Tout matériau photoréfractif possède généralement une réponse
électro-optique et des propriétés de photoconduction. L’effet
électro-optique, c’est-à-dire la possibilité de modifier l’indice
optique par application d’un champ électrique, s’apparente à
une non linéarité du second ordre qui nécessite de rendre le
matériau non centrosymétrique. On dissout des molécules
possédant une forte hyperpolarisabilité (par exemple le DRI
montré figure 4), c’est-à-dire un fort moment dipolaire induit,
dans une matrice thermoplastique amorphe, puis on chauffe le
mélange à la température de transition vitreuse du polymère.
Les molécules sont alors orientées sous champ électrique, enfin,
on refroidit le matériau en maintenant le champ. Pour limiter la
perte d’activité du matériau due à la relaxation des molécules et
à leur désorientation dans la matrice après coupure du champ,
il est préférable de lier la molécule à la matrice.
Pour rendre le matériau photoconducteur, on insère le plus
souvent des molécules de carbazole (cf. figure 4) dans une
matrice polymère. Cette molécule à caractère fortement
électrodonneur forme un complexe à transfert de charge (paire
d’ions-radicaux) avec une autre molécule qui possède un
caractère fortement électroaccepteur. Une illumination dans la
bande d’absoption du complexe provoque la génération de
paires électron-trou. L’électron reste piégé au niveau de
l’accepteur et le trou migre du fait de l’interaction entre les
nuages électroniques p des molécules de carbazole. En
pratique, dans les polymères, la barrière d’énergie qui
empêche la séparation des paires électron-trou est surmontée
par application d’un champ électrique externe qui augmente
le rendement de photogénération.
nécessaire de faire appel au mécanisme d’orientation
moléculaire qui se superpose à l’effet électro-optique. En effet,
lors de la formation du réseau de charges d’espace, les
chromophores non linéaires vont subir une action
orientationnelle sous l’action du champ de charges d’espace,
faisant apparaître une biréfringence, directement liée à
l’anisotropie moléculaire et proportionnelle au carré du champ.
Ainsi, la modulation de biréfringence va s’associer à l’effet
électro-optique pour contribuer plus effıcacement à la formation
du réseau d’indice et accentuer les propriétés de diffraction de
ce réseau.
Le déphasage entre les réseaux d’indice et d’illumination est à
l’origine du mécanisme de transfert d’énergie entre les deux
faisceaux d’interférence. Ce mécanisme se traduit par
l’augmentation de l’intensité de l’un des faisceaux transmis au
détriment de l’autre, ce qui s’explique par des interférences
constructives et destructives entre les faisceaux incidents et ceux
diffractés par le réseau d’indice. On peut alors simplement
définir le gain en intensité C d’un des faisceaux par la formule :
I = I0 exp~ ~ C − a !. l !,
a et l étant respectivement l’absorption et l’épaisseur du film.
On parle généralement de gain net lorsque la condition
C − a > 0 est satisfaite.
Lorsqu’on éclaire un matériau photoréfractif par une onde
lumineuse modulée en intensité (résultant de l’interférence de
deux faisceaux laser), les charges créées dans les zones
brillantes migrent par diffusion ou sous l’action d’un champ
électrique vers les zones sombres où elles peuvent êtres piégées,
donnant naissance à un réseau de charge d’espace et par
conséquent à un champ électrique interne modulé qui engendre,
via l’effet électro-optique, une modulation de l’indice de
réfraction du matériau. La particularité de ce réseau d’indice
photo-induit est son décalage vis-à-vis du réseau d’illumination,
décalage d’un quart de période introduit entre la modulation de
charge (q) et celle du champ électrique interne (E) qui se déduit
s s
de la première équation de Maxwell : ∇ . E = q/e.
Toutefois, la formation du réseau d’indice ne peut être
totalement décrite à partir des seules propriétés électro-optiques
pures du matériau. En effet, les performances atteintes
aujourd’hui au niveau des polymères photoréfractifs ne
correspondent pas aux valeurs calculées par la seule prise en
compte de l’effet électro-optique. Pour parvenir à une meilleure
compréhension du phénomène d’inscription du réseau, il est
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Figure - Effet photoréfractif lorsque les seules charges mobiles sont des
trous. Ceux-ci migrent par diffusion dans les zones sombres où ils sont
piégés, induisant un déphasage de p/2 entre le réseau d’illumination et
le réseau d’indice. Dans le cas où les trous migrent sous l’action d’un
champ électrique, le déphasage peut être inférieur à p/2.
Les photons dans tous leurs états
seurs moléculaires permet de modifier la nature et l’intensité des interactions entre un réseau hôte, amorphe
et dense, élaboré à température ambiante et un système optiquement actif. On peut ainsi espérer améliorer
l’efficacité (gain de transparence,
contrôle de l’indice...) et augmenter
la durée de vie (réduction de la porosité à l’oxygène, espèces actives plus
stables) de différents systèmes pour
l’émission de lumière et le stockage
de l’information.
POUR EN SAVOIR PLUS
Brincker (J.), Scherer (G.W.), « SolGel Science, The Physics and Chemistry of Sol-Gel Processing », Academic
Press, 1990.
Devreux (F.), Boilot (J-P.), Chaput
(F.), Lecomte (A.), « Sol-gel condensation of silicon alkoxides », Phys. Rev.,
41, 6901, 1990.
Klein (L.C.), « Sol-gel optics, processing and applications », Kluwer Academic Publishers, Boston, 1993.
Sanchez (C.), Ribot (F.), « Hybrid
Organic-Inorganic Materials, » New
Journal of Chemistry, 18, 1007,
1994.
Boilot (J-P.), Canva (M.), Sanchez
(C.), Lebeau (B.), Chaput (F.), Lévy
(Y.), Zyss (J.), « Applications des matériaux hybrides dans le domaine de
l’optique, Matériaux hybrides, série
Arago », Observatoire français des
techniques avancées (Masson), 17, 181,
1996.
Article proposé par : *Jean-Pierre Boilot, Tél. 01 69 33 46 51 - E-mail ; [email protected]. Frédéric Chaput, Tél. 01 69 33 46 69 - E-mail :
frédé[email protected]. Laurent Malier, Tél. 01 69 33 46 52 - E-mail :
[email protected].
+
Alain Brun, Tél. 01 69 35 87 59 - E-mail : [email protected]. Yves Lévy, Tél.
01 69 35 87 54 - E-mail : [email protected].
°Jean-Pierre Galaup, Tél. 01 69 35 20 68 - E-mail : [email protected].
Ont participé à ce travail : F. Bentivegna (mémoire optique), J. Biteau (photochromisme), M. Brunel et B. Campagne (limitation optique), M. Canva (mémoire, laser et
photoréfractifs), B. Darracq (photoréfractifs), F. Devreux (physique des gels),
M. Faloss et P. Georges (laser), T. Gacoin (chimie des gels), D. Riehl (photoréfractifs) et A.V. Veret-Lemarinier (hole-burning).
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