Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Anne Maureen Lovell Directrice de Recherche INSERM UMR 379, Marseille INSERM U379 – 23 juin 2005 1 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Résultats de l’enquête Évaluation des besoins des usagers de substances psycho actives en grande précarité • Dans le secteur toxicomanie: augmentation de troubles psychiatriques • Dans le secteur psychiatrique (CMP): • Problème émergeant lié à la consommation massive de cannabis chez les patients • Polyconsommation • Hypothèse de l’automédication INSERM U379 – 23 juin 2005 2 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Qu’est-ce que la santé mentale ? • Continuum d’états et de traits psychologiques, en allant des états pathologiques (dépression invalidante, psychose, etc.), aux états « positifs » de l’autre (comme le bien-être ou le bonheur) • Capacité de se servir des ressources psychologiques comme la résilience ou la capacité d’affronter les difficultés (coping abilities) • Etat de mauvaise santé mentale = la détresse psychologique, souffrance psychique, mal-être INSERM U379 – 23 juin 2005 3 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Qu’est-ce qu’un trouble mental ? Son existence dépend de 3 critères, en particulier: • La temporalité • Constellation de symptômes • Gravité ou retentissement dans la vie quotidienne e.g. dépressivité = état transitoire, problème de santé mentale (par ex CESD) Dépression majeur = trouble mental INSERM U379 – 23 juin 2005 4 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Que sont les troubles liés aux substances (psychoactives) ? • • • Usage Abus Dépendance Abus d’une substance ou d’une drogue : • • Consommation inadaptée avec des conséquences défavorables Usage continu « malgré les problèmes sociaux, psychologiques, physiques qui en résultent » Dépendance à une substance ou une drogue : • Consommation inadaptée, récurrente, dont le résultat est une élévation du seuil de tolérance physique, l’existence de crises de manque ou un usage compulsif… INSERM U379 – 23 juin 2005 5 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: épidémiologie La comorbidité: La cooccurrence chez la même personne d’un trouble dû à la consommation d’une substance psycho active et d’un autre trouble psychiatrique. Organisation Mondiale de la Santé (OMS) 1995 Quelques autres termes + ou - équivalents: • Double diagnostic (dual diagnosis) • Troubles concomitants INSERM U379 – 23 juin 2005 6 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: épidémiologie Épidémiologie de la comorbidité • Le taux de comorbidité est toujours plus élevé parmi les patients ou les clients des services de soins (« populations cliniques ») qu’en population générale • Il est préférable examiner les taux en population générale, car les populations « cliniques » n’incluent que ceux qui ont recours à un traitement / service INSERM U379 – 23 juin 2005 7 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: épidémiologie En Europe: grande hétérogénéité dans le types de trouble mental chez les patients comorbides : • Troubles de la personnalité: 14% - 96% • Dépressions: 5% - 72% • Troubles de l’angoisse: 4% - 32% « Ces écarts soulignent (…) le manque de données comparables entre les États membres de l’U.E. » « La comorbidité – Consommation de drogue et troubles psychiatriques ». Objectif Drogues n° 14, OEDT, 2004. INSERM U379 – 23 juin 2005 8 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: épidémiologie Les enquêtes en population générale • 51% des sujets ayant un trouble lié à la consommation de l’alcool ou de la drogue au cours de la vie ont aussi un trouble mental au cours de la vie • 51% des sujets ayant un trouble mental au cours de la vie se caractérise aussi par l’abus ou la dépendance à l’alcool ou à la drogue au cours de la vie. Kessler RC (2004) Biol. Psychiatry 56 :730-735. INSERM U379 – 23 juin 2005 9 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: épidémiologie Les troubles mentaux sont … • associés à une progression dans les troubles liés aux substances (consommation > abus > dépendance), mais le trouble mental apparaît-il avant le trouble lié aux substances psycho actives – ou est-ce le contraire? • plus souvent associés aux troubles d’usage de la drogue s’il s’agit de troubles mentaux « exteriorisants » (troubles du comportement, hyperactivité, trouble du Déficit de l'attention, etc.) au lieu des troubles mentaux « intériorisants » (anxiété, troubles de l’humeur) • Parmi les troubles de l’humeur, c’est le trouble bipolaire qui est le plus associé avec les troubles liés à la consommation de substances Kessler RC (2004) Biol. Psychiatry 56 :730-735. INSERM U379 – 23 juin 2005 10 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Enquêtes en population générale • Comorbidités sont plus chroniques que les troubles « purs » à cause de : • une plus grande difficulté à traiter la co-morbidité • une réponse moins bonne aux traitements • des conditions de vie plus difficiles • Les troubles comorbides sont plus sévères que les troubles « purs » • La comorbidité semble être associée avec le risque de suicide et mortalité précoce INSERM U379 – 23 juin 2005 11 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Enquêtes en population générale Successivité du trouble mental et de troubles liés à la consommation d’alcool/drogues chez des sujets comorbides • les troubles mentaux apparaissent plus tôt dans la vie que les troubles liés aux substances, en particulier… … chez les femmes … quand il s’agit des troubles du comportement ou de l’anxiété • La relation temporelle contraire s’avère pour les troubles de l’humeur (résultats équivoques) « La comorbidité – Consommation de drogue et troubles psychiatriques ». Objectif Drogues n° 14, OEDT, 2004. INSERM U379 – 23 juin 2005 12 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Enquêtes en population générale Les troubles mentaux sont-ils des facteurs de risque pour l’apparition des troubles liés aux substances psychoactives… Ou sont-ils des marqueurs pour un trouble « mentaux-substances psychoactives » particulier? INSERM U379 – 23 juin 2005 13 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Quelques hypothèses sur l’association T.M. / T.S.P. Comment peut s’expliquer l’association entre la comorbidité psychiatrique et consommation de substances psychoactives ? • troubles du comportement >>> plus d’exposition aux drogues • trouble d’impulsivité >>> plus de problèmes pour contrôler sa consommation INSERM U379 – 23 juin 2005 14 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Quelques hypothèses sur l’association T.M. / T.S.P. Comment peut s’expliquer l’association entre la comorbidité psychiatrique et consommation de substances psychoactives ? • Interaction entre mécanismes biologiques liés à la consommation massive de certaines substances et conditions environnementales … Par ex: consommation importante de cocaïne a un effet sur le cerveau (brain-kindling) >>> crises d’angoisse, comme réponse au stress lié à la précarité. INSERM U379 – 23 juin 2005 15 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Quelques hypothèses sur l’association T.M. / T.S.P. Hypothèse de l’automédication • Certaines maladies mentales prédisposeraient à la consommation de telle ou telle substance; l’utilisation serait fonction des effets spécifiques de la maladie (délires, symptômes négatifs, etc.) • Les substances sont utilisées pour contrebalancer les effets secondaires des neuroleptiques • Psychotropes ont un effet sur rapport aux drogues (antidépresseur réduit désir (craving) de cocaïne mais pas la consommation) INSERM U379 – 23 juin 2005 16 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Rapport entre comorbidité et précarité: que savons-nous? • Prévalence de troubles mentaux varie inversement à la position sociale • La prévalence et la durée des troubles liés à l’usage des substances psychoactives ne montrent aucune relation avec les groupes socialement désavantagés Breslau et al Psychol Med 35(3): 317-27 • Les variables sociales (position sociale, niveau diplôme) et contexte social ont un effet sur l’évolution des troubles liés aux substances psychoactives • Et la comorbidité ? INSERM U379 – 23 juin 2005 17 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Rapport entre comorbidité et précarité: que savons-nous? Peu d’études sur l’association précarité et comorbidité • Dans une enquête nationale sur la santé des américains, la prise en compte des variables comme le niveau de diplôme, les revenus, l’emploi, n’ont aucun effet sur les taux de co-morbidité D.B. Kandel et alii, Drug and Alcohol Dependence (2001): 233-241 • La plupart des études porte uniquement sur les populations en situation de précarité S. M. Barrow Usages de drogue et comorbidités psychiatriques. Synthèse des recherches américaines. Documents du GDR Psychotropes, Politique et Société n° 3, Oct-Déc 1999. il est donc impossible de faire des comparaisons avec des populations non précaires et de comprendre: • quels aspects des troubles viennent de ou sont aggravés par les conditions de vie ? • quels aspects surgissent de l’interaction entre les symptômes psychiatriques et les problèmes liés à la consommation de drogues ? INSERM U379 – 23 juin 2005 18 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Rapport entre comorbidité et précarité: que savons-nous? Les sans-abri sont particulièrement touchés par la co-morbidité • Les sans-abri ont des taux élevés de troubles psychiatriques et de problèmes d’abus de substance (dans des échantillons représentatifs des personnes à la rue, dans des foyers, dans des services psychiatriques, et dans des résidences spécialisées) • La plupart de ses études font apparaître un taux de comorbidité compris entre 10% et 20%. Barrow Usages de drogue et comorbidités psychiatriques. 1999. INSERM U379 – 23 juin 2005 19 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Rapport entre comorbidité et précarité : que savons-nous? • Les personnes (domiciliées) affectées par la comorbidité courent un risque accru de se trouver sans-abri • Parmi les ex-sans-abri atteints de maladies mentales graves, ceux qui ont aussi des problèmes d’usages de substance ont une forte probabilité de redevenir sansabri • Il est possible que la comorbidité est due à des situations de vie difficile (événements de vie, etc.) Barrow Usages de drogue et comorbidités psychiatriques. 1999. INSERM U379 – 23 juin 2005 20 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité Résultats de l’enquête Évaluation des besoins des usagers de substances psycho actives en grande précarité : • Difficulté de suivi par le secteur psychiatrique • Manque de places en hospitalisation • Refus par les patients potentiels de l’étiquette « malade mental » • Peur de la violence des usagers « co-morbides » • Évaluation positive de l’équipe de liaison psychiatrie-précarité INSERM U379 – 23 juin 2005 21 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité : les dispositifs Les dispositifs de soins (secteur psychiatrique, secteur spécialisé dans la toxicomanie) face à la comorbidité: • Les équipes et les centres ne parviennent souvent pas à identifier les patients ou leurs troubles • Divergence entre les deux cultures professionnelles concernées (secteur psychiatrique et secteur spécialisé en toxicomanie) • Problèmes de formation INSERM U379 – 23 juin 2005 22 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité : deux approches du traitement et de la prise en charge 1) Système parallèle : • Traitement de chaque problème par équipe ou centre différent • Manque de coordination entre les équipes/centres • Traitement par séquences successives (1er pb, 2ème pb…) • Il revient souvent à la personne atteinte de demander un traitement INSERM U379 – 23 juin 2005 23 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: deux approches du traitement et de la prise en charge 1) Système parallèle (suite): • Devant le manque de savoir-faire et de culture de la comorbidité: • Jeu du mistigri (personnes renvoyées d’un service à l’autre sans • Thérapie « ping pong » (thérapie dans un secteur diminue ou diagnostic ou traitement adéquat) complique l’effet de la thérapie dans le deuxième secteur) INSERM U379 – 23 juin 2005 24 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: deux approches du traitement et de la prise en charge 2) Système intégré: • Le traitement le plus efficace est celui qui dispense les 2 types de soin dans un même cadre clinique, par la même équipe voire la même personne • Techniques multiples (éducation, traitement par « paliers », travail de proximité (outreach), etc.) • Un traitement ambulatoire à long terme • Aucune approche psychosociale ne s’est avérée plus efficace qu’une autre pour traiter la toxicomanie INSERM U379 – 23 juin 2005 25 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: traitement et prise en charge Les problèmes posés par le traitement: 1) Définition du besoin 2) Besoins multiples: • problèmes somatiques, psychiques, liés aux substances • Réseaux sociaux, solitude, problèmes relationnels • Logement (hébergements structurés) • Comorbidité nécessite souvent un traitement de longue durée « Il est nécessaire d’avoir une compréhension pluridisciplinaire … à tous les niveaux du personnel soignant » (OEDT 2005) INSERM U379 – 23 juin 2005 26 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: définition du besoin Il est possible d’avoir un besoin d’aide ou de soins en santé mentale avec la présence seule d’un trouble mental ou d’un dysfonctionnement social ou d’une détresse psychologique … ou d’une combinaison des trois. Ciarlo et alii, Eval & Program Plan 1992; 15: 133-147. INSERM U379 – 23 juin 2005 27 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: définition du besoin • Besoin « normatif » (clinicien, étude) vs. besoin « auto-perçu » (usager, tiers) • Décalage entre besoin normatif et besoin autoperçu peut avoir un effet négatif sur l’utilisation des services de soins A.M. Lovell « Evaluation des interventions et estimation des besoins en santé mentale ». RESP 1993; 41: 284-291 • Principe de démocratie sanitaire + effet d’écart > connaître les besoins exprimés par les usagers INSERM U379 – 23 juin 2005 28 Substances psychoactives, troubles psychiatriques et grande précarité: traitement et prise en charge - Penser les méthodes et approches peu utilisées jusqu’alors… Équipes spécialisées de liaison Formations à la comorbidité et l’interdisciplinarité Travail en réseau Auto support Intégration des usagers dans les équipes INSERM U379 – 23 juin 2005 29