Bourdieu et la rencontre d`un itinéraire de recherche en - Hal-UPMC

Bourdieu et la rencontre d’un itin´eraire de recherche en
sociologie en Australie
Richard Teese, Martine Derivry-Plard
To cite this version:
Richard Teese, Martine Derivry-Plard. Bourdieu et la rencontre d’un itin´eraire de recherche en
sociologie en Australie. Version actualis´ee de l’article publi´e dans Revista Linhas, Br´esil. 2014.
<hal-01093044>
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Bourdieu et la rencontre d’un itinéraire de recherche en sociologie en Australie
Richard Teese, Martine Derivry-Plard
Résumé : Cet itinéraire de recherche en sociologie de l’éducation présente l’apport essentiel des
concepts de Bourdieu à l’étude du système universitaire australien et de son accès inégal en fonction
de l’origine sociale qu’accentue l’origine scolaire. En effet, la structure du système éducatif australien
s’organise selon une opposition forte entre les établissements privés des zones géographiques
privilégiées et les établissements publics des zones géographiques désavantagées avec une position
intermédiaire qu’occupent les établissements catholiques. À ce cadre structurel s’ajoute le contrôle du
curriculum par les universités et les réformes successives de ce dernier en ont complexifié l’entrée et
ses règles du jeu par l’augmentation du nombre des filières et par un basculement progressif des
filières sélectives traditionnelles que sont les Humanités classiques vers les filières sélectives
d’aujourd’hui que sont les mathématiques, la physique, la chimie et également l’économie. Dans un
contexte et selon une histoire fort différents, on peut toutefois affirmer qu’il a existé et existe encore
des Héritiers australiens.
Mots clés : système éducatif australien, curriculum, inégalités sociales, culturelles et scolaires
Abstract :
La sociologie est un sport de combat, disait Pierre Bourdieu et elle nécessite comme la boxe
qu’il appréciait, de remettre sur le ring toute la force des concepts qu’il forgeait peu à peu à la
lumière des faits et à l’épreuve du temps, de les rejouer pour s’assurer de leur force et de leur
pertinence. Après l’ouvrage dirigé par Philippe Coulangeon et Julien Duval « Trente ans
après la Distinction » (2013), les sociologues-traducteurs et médiateurs de la sociologie de
Bourdieu au Brésil nous invitent à ce déplacement réflexif dans le temps et dans l’espace
avec la parution de l’édition brésilienne des Héritiers, quarante ans après sa publication en
1964 en France. Si la sociologie de l’éducation doit beaucoup à la sociologie de Pierre
Bourdieu, elle correspond également à des moments historiques forts de « démocratisation »
de l’enseignement notamment dans les pays qui ont amorcé les premiers les révolutions
industrielles et post-industrielles. Bourdieu et Passeron avaient alors, en croisant études
statistiques et entretiens individuels auprès des étudiants, démontré l’importance du capital
culturel dans la reproduction des inégalités d’accès et de réussites scolaires, et remis en cause
l’idéologie de la méritocratie de l’école républicaine et plus encore l’idéologie du « don »
toutes deux dominantes à l’époque.
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La situation brésilienne est bien différente de la situation australienne mais toutes deux offrent
un ring spatio-temporel pour confronter les outils conceptuels de Bourdieu à leurs réalités
éducatives et sociales respectives. Si Ione Valle est une figure de la sociologie de l’éducation
au Brésil, Richard Teese l’est tout autant pour l’Australie. C’est le parcours de recherche de
ce dernier qui est présenté ici, comme médiation et appropriation de la sociologie de
Bourdieu, de sa boite à outils théoriques à l’épreuve des faits de la réalité australienne et des
questions éducatives qu’elle posait et pose encore. Au moment de la parution des Héritiers, la
sociologie de l’éducation en Grande-Bretagne (Forquin 1997) s’intéressait également aux
jeux et enjeux culturels de l’éducation notamment par le questionnement qu’elle portait sur le
curriculum. L’intégration de ces deux dimensions de la sociologie de l’éducation, celle du
curriculum (comme ordre symbolique et légitime des connaissances) et celle du système
scolaire (comme ordre institutionnel qui impose le curriculum à travers des écoles, collèges, et
lycées de qualités et de situations très variables) utilise les outils fabriqués par Bourdieu et les
adapte au contexte australien (Teese 2002, 2013). Comment le système éducatif australien
participe-t-il au système social australien, à la reproduction de hiérarchies sociales, au pouvoir
social conféré et légitimé par l’école ? Comment les différentes réformes recomposent les
hiérarchies selon l’attribution de financement public à tous les établissements ce qui accentue
et sécurise les établissements privés dans leur fonction de reproduction des élites ? Mais aussi
comment de façon plus subtile au moyen du curriculum, l’histoire des ajustements et des
réformes concernant les programmes nationaux, les contenus et les évaluations ont certes
permis un accroissement général des connaissances au sein de nouvelles générations depuis
les années 40, mais ont également, accusé les différences scolaires en termes de recrutement
sociogéographique et ethnique des établissements, et de résultats pour l’entrée à l’université.
Comment l’ensemble du cadre institutionnel australien, les rapports culturels à l’école et au
sein de chacune d’entre elles se sont-ils actualisés en termes de translation sur l’inégal accès
aux marchés de l’emploi et ont ainsi perpétué les inégalités sociales?
C’est ainsi qu’en 1981 : un jeune statisticien présente les résultats de sa recherche
concernant la sélection à l’entrée de l’université de Melbourne. Fondée en 1853, cette
université jouit du plus grand prestige dans l’état de Victoria et compte le plus faible taux
d’étudiants d’origine sociale défavorisée. Elle préserve la tradition des « public schools »,
importée de l’Angleterre en Australie. Si étroite est la relation entre ces établissements privés
et l’université de Melbourne qu’un autre arrangement semble à peine concevable. C’est dans
l’ordre des choses. Aussi une proportion relativement faible d’étudiants issus du système
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public, qui en scolarise pourtant beaucoup plus que le privé, est-elle admise à l’université de
Melbourne. Mais, lorsqu’ils le sont, ils réussissent mieux que leurs homologues du secteur
privé.
C’est ce que ce jeune statisticien, formé en Amérique, démontre devant un public
d’universitaires plus âgés, circonspects et peu enclins à la bienveillance. Leur identification à
l’ordre établi est pleine et entière : ils ne veulent donc pas voir que les méthodes de sélection
favorisent ceux qui sont déjà favorisés. Pour être sélectionnés, les étudiants sont classés selon
leur chance de réussite à l’université (Matriculation), jugée en fonction des notes obtenues
aux examens de fin de scolarité du secondaire (Higher School Certificate équivalent au
baccalauréat). Mais l’analyse par régressions démontre que l’indicateur du succès, à savoir les
résultats de l’examen, n’est pas fiable : quel que soit leur niveau de réussite à ces examens de
fin de scolarité du secondaire, les étudiants des lycées publics obtiennent de meilleures notes
que ceux des lycées privés à la fin de la première année d’université. Bien sûr ! Les étudiants
du privé peuvent se permettre de moins bien réussir alors que ceux du public se doivent, au
contraire, de mieux réussir. Ces résultats sont dénoncés pour leur « bizarrerie » : en réalité, si
les « nouveaux venus » des lycées publics réussissent mieux à l’université, c’est que les
étudiants du secteur privé font plus souvent la fête !1
L’observateur de cet échange peu ordinaire est un jeune sociologue tout autant fasciné
par les résultats de la recherche que par la réaction de mépris qu’ils suscitent. Ayant lu
« l’école conservatrice » de Bourdieu, il perçoit très bien que la meilleure réussite des
étudiants des lycées publics à l’université pouvait s’interpréter en termes de « sur-sélection »
de ces derniers. Tout comme le nombre réduit d’enfants d’origine ouvrière accédant à
l’enseignement supérieur en France dans les années 60, le nombre limité d’étudiants
provenant du secondaire public et accédant à l’université de Melbourne est le résultat d’un tri
parmi les meilleurs de leur classe2. Cependant, ce qui se révèle plus important que la
familiarité du modèle de présentation, c’est le processus explicatif qui le sous-tend : ce qui
fait toute la différence, c’est le comment du modèle interprétatif. C’est ce qu’a réussi
Bourdieu en exposant une des relations fondamentales dirigeant la sélection sociale au sein du
système d’éducation. En montrant cela, il a transformé radicalement la problématique du
questionnement. C’est par l’interaction entre les demandes culturelles implicites de la réussite
à l’école et l’éducation culturelle reçue à la maison par les meilleurs étudiants que l’avantage
social se reproduit. C’est ce qui enthousiasme le sociologue. Les résultats des régressions
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multiples le ramène vers une perspective théorique au sein de laquelle culture universitaire et
pouvoir institutionnel occupent une même place centrale3.
Le statisticien de son côté ne veut pas s’éloigner trop loin de ses données. Comment
expliquer que les étudiants les plus socialement favorisés réussissent mieux que les étudiants
d’origine populaire ou moyenne aux examens de fin de scolarité du secondaire (baccalauréat),
mais que dans le même temps, ils réussissent moins bien dès qu’ils sont à l’université ? Il
regarde les facteurs de réussite les plus immédiats ; les lycées privés forment leurs élèves aux
techniques de l’examen, ils les préparent aux procédures de ces derniers, la routine et la
répétition dominent tout le processus d’instruction, et il n’y a aucun apprentissage
approfondi, aucune formation à la réflexion personnelle, aucune pédagogie de la découverte et
de l’autonomie. Les élèves du secteur privé, nourris à la petite cuillère, accèdent plus souvent
aux meilleures universités, mais ils sont mal préparés au régime pédagogique moins strict
qu’ils vont y trouver. Les lycéens du public n’ont pas reçu le même enseignement. Moins
nombreux à survivre et d’origine plus modeste, ils sont par conséquent bien plus motivés et
bien plus indépendants ; gérant mieux l’environnement universitaire, ils obtiennent de
meilleures notes.
Aussi séduisante soit-elle, cette explication repose sur les différentes cultures
pédagogiques de l’École et plus particulièrement sur les examens comme enjeux de
manipulation stratégique. S’il s’agissait simplement d’une question de maîtrise des techniques
d’examens, les inégalités sociales de réussite pourraient être volontiers réduites alors qu’elles
sont en fait, beaucoup plus profondément enracinées et constantes. Cette explication faisait la
part belle aux examens en induisant que le curriculum à partir duquel se construisent les
examens– n’est pas un niveau d’analyse pertinent. Selon cette hypothèse, il n’y a aucun
intérêt à se demander quelles matières sont choisies matières « dures » ou « molles » - ni,
par conséquent, quelle relation avec la culture familiale proche ou éloignée est impliquée.
Cela, le sociologue ne peut l’accepter. Il veut la représentation plus large des imbrications
sociales de la connaissance, ce qu’un chercheur français a si habilement élaboré, et qui
maintenant l’incite à faire de même4.
La construction d’une théorie des inégalités structurelles du système d’éducation australien
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