Les hommes ne désirent-ils rien d`autre que ce dont ils ont besoin

Quelques problématiques :
Les hommes ne désirent-ils rien d’autre que ce dont ils ont besoin ?
Pensez-vous qu’il vaille mieux changer ses désirs que l’ordre du monde ?
Le désir est-il seulement créateur d’illusions ?
Pourquoi l’homme désire-t-il être reconnu par autrui ?
L'homme apparaît dans le passage du besoin au désir. En se posant comme Sujet, l'homme se pose
comme celui qui ne se résigne jamais à la satisfaction des besoins.
Il semble bien que le désir soit incompatible avec le bonheur. Celui qui amasse ne peut s'empêcher
d'être inquiet car il sent bien qu'il n'a rien de ce qu'il désire et que seul l'infini pourrait combler son désir.
Si le désir a une telle puissance, c'est que celui qui désire voit l'objet à travers un plaisir qu'il
éprouve déjà, rien qu'à le poursuivre. Et l'on comprend que si un objet absent peut déjà donner la réalité
d'un plaisir, celui qui désire se dise : qu'est-ce que cela sera quand je l'aurai !
Celui qui désire s'oriente vers ce qu'il n'a pas, vers ce qu'il n'est pas : ce qui l'amène à inventer de la
culture ; ce qui provoque au changement, à l'évolution grâce aux expériences nouvelles que la raison
métamorphose en culture. Cette culture, enseignée et transmise, sera un tremplin, dans le meilleur des cas.
C'est un moteur qui amène à produire, une puissance orientée vers l'invention, le travail, la transformation
du donné : en cultivant, on se cultive ; en choisissant on se choisit.
C'est le paradoxe du désir. C'est l'épreuve d'une pauvreté fondamentale que rien ne peut désaltérer
mais c'est aussi une grande richesse d'inventions, de moyens pour arriver à une fin, ce que Platon appelle
les expédients.
Réfléchir sur le désir, c'est réfléchir sur l'homme : le bonheur sera toujours un horizon du désir.
I - Définition
Un désir est une « tendance vers », ie une force orientée vers un objet précis. Autrement dit, un désir est
une tendance dont on a conscience et qui implique la représentation de son objet. (Spinoza) Nous ne
désirerions jamais rien s’il n’y avait pas en nous des tendances, mais la tendance ne deviendrait pas désir si
nous n’étions pas conscients.
A - Le désir est de nature contradictoire
Il est la recherche d'un objet que l'on imagine, ou que l'on sait être source de satisfaction. Il est donc
accompagné de souffrance, d'un sentiment de manque ou de privation. Et, pourtant, il semble refuser la
satisfaction, puisque, à peine assouvi, il s'empresse de renaître.
B - Le désir est aveugle
Platon oppose la cuisine à la médecine. Il veut ainsi donner à comprendre la différence entre le
désir (auquel répond la satisfaction subjective, le plaisir) et la raison (qui veille à la satisfaction objective,
qui discerne ce qui est désirable) : le désir est aveugle !
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Précisons l'opposition entre le désir et la raison. Nous éprouvons des désirs pour des objets
incapables de nous satisfaire. Cela tient à ce que, au fond, le désir est indifférent à l'objet vers lequel il nous
porte.
Aussi est-il moins recherche (positive) de quelque chose qu'expérience (négative) du manque. D'où son
symbole mythique : le tonneau des Danaïdes. Ignorant ce dont il manque, il est insatiable.
C - La tempérance
L'intempérance (laisser libre cours à tous ses désirs) et la privation (les refuser tous) sont également
critiquables : l'intempérance (ex. Calliclès ) est vouée à l'échec : il est en effet impossible de satisfaire le
désir ; le renoncement - l’ascétisme - (ex. jansénisme et bouddhisme) est refus de vivre et, ainsi, d'être
heureux.
Le désir a sa logique, qui justifie psychologiquement la tempérance : pour exister il a besoin
d'interdits. En effet, qui dit désir, dit insatisfaction. Aussi plus le désir est contrecarré, plus il est intense, et
donc plus vive pourra en être la satisfaction ! C’est ainsi que pour se faire désirer, il faut savoir se refuser.
Si l'homme est un être de désir, c'est parce qu’il est un être inachevé, à qui il manque toujours
quelque chose, sans qu'il sache au juste quoi ; il lui revient, pour une grande part, d'assumer son propre
inachèvement.
II - Le désir et le besoin
A – Le rapprochement des concepts
Le désir ne jouerait-il que sur les moyens de satisfaire le besoin ? Le désir semble être une prise de
conscience du besoin, une manifestation de la conscience d'un sujet qui exerce sa liberté en faisant varier
les moyens de satisfaire les besoins (boire, manger, dormir, se reproduire étant un besoin de l'espèce) ;
mais, si le désir n'était que la conscience d'un besoin, les hommes ne désireraient rien d'autre que ce dont ils
ont besoin ! Or ne l'homme ne vit pas que de pain.
Le désir comme besoin de désirer, comme essence de l'homme ? Le désir apparaît être la nécessité
pour l'homme de courir après une satisfaction qui s'éloigne toujours, comme si le désir devait mourir de la
proximité de l'objet car il ne se nourrit que d'insatisfaction...
Mais le besoin de désirer, n'est-ce pas tout autre chose que le besoin de manger par exemple ?
Le désir arracherait le plaisir, satisfaction du besoin, à sa finitude, à la satisfaction, en l'érigeant en
réalité absolue, comme si du fini pouvait jaillir l'infini. Le désir serait toujours déçu, toujours tourné vers
l'autrement.
B – L’éloignement des concepts
LE DESIR LE BESOIN
-Racines La conscience
L'existence
Le corps
Le manque (par ex: la soif)
-Orientation L'imaginaire L'objet réel
-Satisfaction Impossible Possible
-Objet
Fuyant
Indépendant comme autre désir
Dévalué si donné
Donné
Naturel
Suffisant
-Autrui Rival ou modèle Menace (rareté)
-Conséquences Production Reproduction
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Création Soumission
C – La détermination des rapports entre le besoin et le désir
Le besoin, chaque fois que le milieu peut le satisfaire, sombre dans l'inconscience, disparaît de la
conscience : ce n'est qu'une relation de l'être vivant à son milieu. Mais, quand l'objet du besoin vient à
manquer, le manque éprouvé se fait sir et, apparaît un sujet insatisfait qui s'élève au dessus de sa
situation concrète dans un milieu donné, au delà de la nécessité.
" Le désir n'est pas d'abord ni surtout une relation au monde. Le monde ne paraît ici que comme fond pour
des relations explicites avec l'Autre. Ordinairement c'est à l'occasion de la présence de l'Autre que le
monde se découvre comme monde du désir. " (Sartre, L'Etre et le Néant.)
Ce n'est pas que le besoin disparaisse, mais il a désormais un compagnon de route : le désir. Et,
comme ce qui est donné ne peut évidemment pas rivaliser avec ce qui est imaginé (c'est toujours bien
mieux chez les autres...) le sujet va nier le milieu, le transformer, le modifier dans l'espoir de le conformer à
son attente. Et l'homme par le désir devient nœud de relations, producteur, au point que son monde est
monde du désir.
III - Autrui et le désir
A – La métamorphose du besoin
Nous savons tous que si nous ne mangeons pas, nous allons mourir de faim, mais on peut, pour se
nourrir, se contenter de faire cuire des pommes de terre ou rechercher foie gras ou caviar. Dans la vie
quotidienne, le désir dépasse l'ordre du simple besoin. Cela peut donner une première définition du désir : il
est ce qui se sépare du besoin.
Ceci ne signifie pas qu'il soit complètement étranger au besoin. Des besoins, il en est de trois
sortes :
besoins naturels rattachés à la survie de l'individu (manger, boire, dormir),
besoins naturels rattachés à la survie de l'espèce (sexualité),
besoins artificiels produits par le système social dans lequel nous vivons (moyens de transport par
exemple).
Or, le désir investit cet ordre du besoin pour le métamorphoser. Comment s'opère cette
métamorphose?
Par la rencontre avec les autres. La conscience de soi ne peut apparaître dans la solitude. L’autre
m'apprend, par son regard, à prendre du recul par rapport à ce que j'éprouve, à juger ce que je fais. Cette
remarque vaut pour le désir ; c'est le regard de l'autre qui m'apprend, d'une certaine manière, ce qui est à
désirer.
Deux exemples peuvent éclairer cette remarque. Lorsque les parents veulent récompenser un enfant
ou simplement lui faire plaisir, ils lui disent : " Je vais te donner quelque chose de bon ". Ce quelque chose
varie suivant les cultures et les époques. Le " bon " est tellement variable que l'on peut se demander si le
"bon" n'est pas la valeur affective et sociale que l'on attache à n'importe quel objet.
Qu'aimons-nous, par exemple, dans le chocolat ? Le goût lui-même ou le fait que cet aliment est lié aux
goûters de l'enfance, aux fêtes de Noël, etc. Au fond, lorsqu'une réalité comestible est revêtue d’un sens :
fête, luxe, communion entre amis, elle devient désirable.
L’autre exemple recoupe le premier. Le XVII e siècle présente des femmes opulentes à la chair
rosée ou blanche ; notre époque tend à privilégier la minceur et le bronzage, ce qui signifie assez
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simplement que le sir sexuel peut connaître des variations en fonction des " canons " de beauté qu'une
époque détermine.
B - Le désir de reconnaissance
La présence de l'autre, des autres, dans le désir peut trouver une explication. Ce qui est
proprement humain, c'est la conscience de soi. Or, cette conscience de soi, qui ne peut s’éveiller que par la
relation à autrui, se caractérise, du fait même de son origine, par un désir prioritaire qui est celui d’être
reconnu par l'autre.
Dans l'exemple ci-dessus du chocolat, ce que l'enfant désire, ce n'est peut-être pas tant la friandise elle-
même, que le fait d'être reconnu et aimé par ses parents. Si la friandise est désirée, c'est parce qu'elle est
signe de cette reconnaissance et de cet amour.
Au fond, ce que nous désirons, ce sont les signes en provenance des autres qui soient
susceptibles de nous rassurer sur nous-mêmes. Ces signes font d'ailleurs plus que nous rassurer, ils nous
constituent dans notre réalité. On pourrait même aller jusqu'à dire, avec quelque exagération, que nous ne
désirons pas les choses, mais ce qu'elles signifient pour nous. Nous voici très loin du besoin. (voir ci-
dessous avec l’analyse de Hegel)
C – Le désir à l’origine de la civilisation
Dans le désir, toute l'humanité est en jeu, aussi bien les rapports des hommes entre eux
que les rapports de l'homme avec lui-même. C'est le désir aussi qui fait naître les conflits. Paradoxalement,
sans désir, il ne peut y avoir civilisation ; la suppression de tout ce qui est au-delà des besoins serait retour à
une forme d'animalité.
Mais toute civilisation contient une lutte constante entre les hommes pour obtenir les moyens de valoir aux
yeux des autres : dans notre société, par exemple, le pouvoir de l'argent.
Faire disparaître le désir reviendrait à détruire l'humanité. Sans désir, nous serions pierres parmi les
pierres. Tout le problème humain tient à l'orientation et à la régulation des désirs et c'est dans cette
perspective que se pose la question de la passion. On définit la passion aujourd'hui comme le désir
dominant… (Cf. Démarches de Charles Bourgeois).
IV – Le désir et la passion
A - « le désir d’éternité »
La passion naît à partir d’une tendance innée, autrement dit à partir d’une prédisposition
naturelle ; et la passion se forme d’autant plus facilement qu’elle répond à une prédisposition naturelle plus
forte. Par exemple, il existe chez tout homme un instinct de possession, de propriété qui pourra donner
naissance, en se développant, soit à l’avidité, soit à l’avarice. De toutes ces tendances, nous ne sommes en
rien responsables. Plongés dans l’existence sans l’avoir voulu, nous sommes ainsi faits.
Ces tendances peuvent être nouées plus ou moins en complexes dans notre inconscient : si Balzac a
aimé les femmes âgées, c’est sans doute, comme l’a montré Freud, pour compenser son besoin d’amour
maternel dont il a été frustré durant sa prime enfance.
Le « désir d’éternité », le « refus du temps » dont parle Alquié à propos des passions, c’est la
fixation du passionné à des circonstances de son passé dont il est d’autant plus esclave qu’il n’en a pas une
conscience claire. La théorie psychanalytique a montré le caractère inconscient du processus passionnel.
L’objet de la passion résulte d’un transfert, ou d’une compensation, ou d’une sublimation. Les vraies causes
de la passion sont en nous-mêmes et non réellement dans les objets qui paraissent les solliciter.
B – L’imagination et la passion
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C’est un fait que la passion éclate parfois brusquement, en un « coup de foudre ». Nos tendances
rencontrent brutalement un point de fixation : ce peut être une opinion politique ou religieuse offerte par le
milieu, un métier, une responsabilité. Ce peut être aussi le jeune homme ou la jeune fille qui « colle » avec
l’affectivité de base du sujet.
Mais le coup de foudre n’est, le plus souvent, que la prise de conscience subite d’une passion déjà
formée inconsciemment, déjà fixée sur un objet par un travail de l’imagination. Ainsi, le fils de Thésée fait
jaillir brutalement à la conscience de Phèdre son amour passionné :
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue,
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue,
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler,
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
Ce travail de l’imagination a été fort bien décrit par Stendhal, sous le nom de « cristallisation »
(maîtrisez et orthographez très correctement ce mot !). Une branche d’arbre effeuillée, dit-il, jetée dans les
profondeurs des salines de Salzbourg, est retirée deux ou trois mois après, toute recouverte de cristaux,
étincelante comme un bijou : on ne saurait reconnaître le rameau primitif.
C’est une image exacte de ce qui se passe dans l’état de passion. Une femme médiocre paraîtra
divine à celui qui en est passionnément amoureux, parce que tous ses rêves, tous ses souvenirs viennent se
« cristalliser » sur l’objet de sa passion.
C’est sans doute pour cela que les amours des autres nous sont généralement incompréhensibles.
L’objet de la passion apparaît les plus souvent dérisoire pour celui qui en juge de l’extérieur, objectivement.
C’est le passionné qui l’enrichit de tout ce qu’il projette sur lui. On a dit que l’amour était comme les
auberges espagnoles, qu’on « n’y trouve que ce qu’on y apporte ».
Molière, dans Le Misanthrope (Acte II), avait déjà raillé cette illusion des amants :
Et l’on voit les amants vanter toujours leur choix ;
Jamais leur passion n’y voit rien de blâmable,
Et dans l’objet aimé tout leur devient aimable :
Ils comptent les défauts comme des perfections,
Et savent y donner de favorables noms.
La pâle est aux jasmins en blancheur comparable ;
La noire à faire peur, une brune adorable ;
La maigre a de la taille et de la liberté ;
La grasse est dans son port pleine de majesté.
Mais, note Stendhal, ce n’est pas seulement dans l’amour qu’on retrouve la « cristallisation », c’est
dans toutes les passions. L’ambitieux échafaude des rêves de gloire et de puissance, le jaloux travestit en
mal les gestes les plus innocents.
L’exemple d’Othello défaut de l’opéra, voyez le film que Zéfirelli a réalisé sur cette œuvre de
Shakespeare ... et n’hésitez pas à utiliser cette référence) montre à merveille la construction imaginative
qui s’édifie dans l’esprit du jaloux : Othello aime Desdémone ; il est sauvage et naturellement porté à
l’inquiétude jalouse. Iago jette dans sa pensée un ferment de jalousie, un soupçon qui a quelque apparence
d’être fondé vis-à-vis de Cassion. L’inquiétude latente d’Othello s’en empare.
Autour de ce centre va se former rapidement et sûrement tout un système. Les moindres faits
deviennent des preuves : un mot que prononce innocemment Desdémone, un geste qu’elle fait sans y
prendre garde, une phrase dite à voix basse, un sourire imprévu dur ses lèvres, tout est prétexte pour le
malaise grandissant du Maure.
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