AEB 12 : Quelle vision de l’homme pour quel projet éducatif ? Le Projet Educatif est la colonne vertébrale d’un accueil de loisirs. Or, tout projet éducatif est porteur d’une vision de l’homme, même si cette vision n’est pas explicitement mentionnée. La table ronde, animée par Aymeric Pourbaix, directeur de la rédaction de Famille Chrétienne, le 10 février 2015, a réuni : • Michel Fromaget, anthropologue • Emmanuelle Riblier, psychologue • Pascal Mullard, coach et formateur • Le père Vincent de Mello, directeur du Bon Conseil Monseigneur Jérôme Beau, évêque auxiliaire et président du collège des Bernardins, a conclu la soirée. Père Vincent de Mello - Ce qui me paraît intéressant c'est justement que dans des associations qui sont liées à l'église catholique, il est évident que doit figurer de manière très explicite dans un projet éducatif quelle est notre anthropologie. Et il me semble que l'élément ternaire se présente comme une clef de voûte. Il pourrait se présenter (et c'est parfois le cas, c'est un travers que les catholiques portent), comme une sorte d'élément cloisonné : ça va être la part de l'aumônier, on a une religieuse qui traîne par-là, un consacré, un prêtre, finalement on rajoute une étagère à l'armoire et puis cet aspect de vie spirituelle, d'ouverture à un autre monde va être l'apanage de quelques spécialistes. Il me semble que c'est au contraire une clef de voûte et que c'est ce qui doit irradier, avec un autre travers possible, c'est à dire que ça irradie tellement, que c'est tellement diffus que ça devient absent et inodore et sans saveur et invisible. Alors qu'il me semble que tout l'intérêt d'un projet éducatif, c'est de sortir d'une sorte d'implicite vécu pour arriver à un explicite connu, formulé, verbalisé. Un projet éducatif, ce sont des convictions engageantes. Elles engagent les administrateurs y compris le trésorier. Le projet éducatif est une référence, un élément, un socle, des convictions partagées auxquelles nous adhérons. Il me semble que ces convictions qui sont fondées sur une anthropologie dont la clef de voûte, je le dis et je le répète, est cette conscience que l'homme a une âme (une âme au sens où moi je l'entends, c'est un esprit au sens paulinien du terme). Cette clef de voûte va pouvoir ensuite irradier : pédagogie d'accompagnement, attention à la personne, capacité à la regarder avec tous ses désirs et aussi avec tout ce projet qu'il faut avoir pour elle. C'est important d'avoir une projection sur les jeunes qui nous sont donnés. Je sais que je vais être totalement à rebrousse-poil de beaucoup de pédagogies mais nous nous devons projeter des choses sur les jeunes qui nous sont confiés. Pourquoi ? Parce que l'homme est un être de désir qui a un projet de vie à écrire et qu'il va pouvoir écrire ce projet de vie si nous le projetons dans la vie. Pas simplement si nous lui donnons une boite à outils pour gérer le présent, le quotidien mais si aussi nous lui traçons une vision, nous lui permettons d'avoir une vision. Cela suppose d'en avoir nous-même, pour notre vie, pour le temps, pour l'éternité. Et cela le jeune en sera nourri, il fera ses choix personnels, il se démarquera évidemment de la vision et du projet de vie que je porte, que ses parents portent mais il a besoin d'avoir des gens qui ont une vision, qui veulent faire quelque chose de leur vie, qui ont donné un sens à leur existence, qui ont une foi et une espérance qui les portent au-delà du visible et d'une réalisation d'un bonheur matériel, ou d'un accomplissement psychologique ou intellectuel. Il y a une vie surnaturelle qui nous habite et qui se présente comme une vision partageable, communicable. C'est intéressant parce que beaucoup en éducation ont pensé qu'il fallait juste procéder par le témoignage d'une vie honnête. Certains définiront cette vie honnête par un certain nombre de slogans qui peuvent être le civisme, la citoyenneté, l'écologisme, la tolérance, etc. Nous, nous disons que tout cela est contenu dans la vision que nous portons de l'homme mais que la vision que nous portons de l'homme ne peut pas se contenter de cela, qu'elle doit forcément conduire à mener l'homme à voir l'immense appel que Dieu lui adresse, et que sa vocation est bien plus belle et bien plus vaste. En fait, plus rien n'est profane et en tout cas la frontière qui sépare le profane du sacré peu à peu s'éteint, s’évanouit, elle se dissipe parce qu'il y a une âme évangélique, une âme de Dieu, qui a un cœur, qui a une vie surnaturelle qui sème la grâce dans tout ce qu'il fait. Et qui parfois a une parole explicite d'annonce de l'évangile. Il me semble que notre projet éducatif c'est la première formulation de ce monde que nous voulons créer et ensuite, ce monde qui se crée, que nous créons en collaboration avec la grâce de Dieu, se retraduit dans le caractère très concret de nos existences. Je plaide auprès de mes animateurs que c'est quelque chose d'important de notre projet éducatif, de notre vision de notre anthropologie, de cultiver l'ordre dans les chambres et la manière de bien se tenir à table. Que ça appartient à notre projet surnaturel. Parce que nous voulons créer un monde dans lequel il y ait de la beauté, qui ne soit pas livré à l'anarchie et à la loi du plus fort, où chacun s'installe et s’étale, sans tenir compte du bien de l'autre. Et précisément, plaider pour qu'un enfant se tienne bien à table, et qu'il y ait un bel ordre dans la chambre, c'est aussi participer à la création d'un monde beau. Et c'est là où un projet éducatif rentre dans le concret extrême du quotidien, et n'est pas une abstraction et un document qui s'empoussière dans les étagères des armoires métalliques de nos associations. Il y a un travail d'unification de ces projets qui est extrêmement important. Pascal Mullard - Or, il y a beaucoup d'animateurs qui ne connaissent pas le projet éducatif du lieu dans lequel ils travaillent. Et quand cette référence n'existe pas, c'est parfois bien compliqué de pratiquer son métier. Quand il n'y a pas cette référence, quand la vision de l'homme n'a pas été élaborée, discutée, partagée, chacun fait référence à sa propre vision. Il me semble que le projet éducatif c'est vraiment une référence organisatrice au quotidien, organisatrice dans le sens où elle permet d'orienter son énergie, de donner des repères comportementaux aux personnes qui travaillent. Elle a décidé de mettre au travail tout le conseil d'administration sur sa vision de l'homme, et donc sa vision de l'enfant, sur la vision particulière qu'avait cette association, de son rôle dans l'épanouissement des enfants, ce qui l'a conduit à pouvoir exprimer de manière claire pourquoi, au sein de ce centre de loisirs, il n'était pas question par exemple d'amener les enfants à se tirer dessus avec des rayons laser le mercredi après-midi. Et ce travail de fond a permis de faire émerger une réelle cohérence entre l'existence de ce centre de loisirs et son histoire, et le projet du conseil d’administration, ce qui a donné du sens. Du coup il y a eu aussi un impact sur le recrutement puisque du coup les personnes sont venues travailler au centre parce qu’il proposait une vision de l'enfant et de leur action qui correspondait à ce qu’ils pouvaient porter au fond d'eux. Et aujourd'hui, dans les réunions d'équipe, d'animateurs et dans les créations des projets pédagogiques, il n'y a plus de questions autour des activités de consommation parce qu’il n'y a plus de place pour ces activités-là, dans ce projet-là. J'avais envie de développer cet exemple pour dire comment à un moment donné, le fait de passer du temps à réfléchir sur quelle est la vision que nous avons de l'homme et donc de l'enfant, et donc de notre rôle, cela aide tous les niveaux de l'organisation à s'organiser et à communiquer entre eux. Le projet éducatif est de la responsabilité du conseil d'administration. A lui de dire « voilà ce que nous portons comme intention, et voilà un ensemble de moyens qui sont mis à disposition ». A partir de ce socle, les directeurs et les animateurs vont pouvoir imaginer le projet pédagogique, qui va lui se décliner en fonction des tranches d'âge, éventuellement des lieux, des moments de l'année, etc. Le projet éducatif n’est pas une contrainte, c'est une chance. Parce que c'est un espace où on peut dire en tant qu'administrateur « voilà ce vers quoi nous tendons, voilà ce à quoi nous rêvons ». Le projet éducatif est aussi à un moment donné une photographie dans un processus, une fois qu'il est écrit, il va servir de référence quelque temps. Mais si on est vraiment en lien à la fois avec l'environnement et la vie de l'organisation, on va se rendre compte que le projet qui a été écrit il y a deux ans, il y a trois ans, il faut le regarder à nouveau, y revenir, le repréciser ; il ne peut plus servir de référence parce qu'il n'est plus assez vivant, plus nourri par la réalité telle qu'on la perçoit à l'extérieur. Cela nous incite à faire vraiment de ce projet éducatif un processus par lequel l'ensemble de l'organisation travaille ensemble à sa rédaction. Ce n’est pas parce que c'est le conseil d'administration qui porte la responsabilité du projet éducatif qu'il ne peut pas impliquer dans sa rédaction l'ensemble des acteurs. Les animateurs, les parents, les familles ont aussi une vision de l'homme. On peut mettre tout le monde au travail autour de cette écriture et il me semble que, quand un projet est écrit en étant nourri comme ça par un processus vivant qui associe un maximum de monde, il est alors une référence indiscutable.