Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 341–348 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Communication Apport des thérapies comportementales et cognitives dans les troubles bipolaires The contribution of behaviourist and cognitive theories in bipolar troubles C. Mirabel-Sarron a,*, E. Siobud-Dorocant b, M. Cheour-Ellouz b, N. Kadri c, J.-D. Guelfi a a CMME, Université Paris-V–René-Descartes, Centre hospitalier Sainte-Anne, 100, rue de la Santé, 75014 Paris, France b Service des consultations externes et des urgences, EPS Razi, La Manouba, Tunis, Tunisie c Centre Psychiatrique universitaire Ibn-Rochd, Casablanca, Maroc Résumé Les thérapies comportementales et cognitives sont proposées aujourd’hui aux patients bipolaires sous forme de programmes thérapeutiques spécifiques dont les buts sont l’augmentation de l’observance médicamenteuse, la reconnaissance précoce des fluctuations de l’humeur et une meilleure gestion des stress personnels et environnementaux. Ces trois modalités doivent permettre de réduire l’intensité, voire la fréquence des phases dépressives ou maniaques. Les premières études contrôlées confirment ces résultats et constatent également une augmentation significative de l’estime de soi. Ces thérapies se pratiquent soit en individuel (Basco, Rush 1996 ; Newman 2000), soit en groupe (Bauer 1996 ; Lam 1999). Le programme de Lam est le plus évalué aujourd’hui et représente le modèle de référence ; c’est pourquoi nous avons reproduit cette prise en charge depuis deux ans au sein de la CMME de l’hôpital Sainte-Anne de Paris. Nos échanges réguliers avec l’hôpital Razi de Tunis (service du Professeur-Cheour-Ellouze) et avec le centre psychiatrique universitaire Ibn-Rochd de Casablanca (service du Professeur-Moussaoui) nous ont permis de former à Paris des thérapeutes qui ont acquis cette compétence. Désormais cette modalité thérapeutique est proposée également dans ces deux pays et une étude prospective est en cours. Nous proposons de décrire le modèle thérapeutique, les stratégies utilisées, le déroulement d’une thérapie de groupe, les constats faits dans les différents pays et les résultats des premières évaluations cliniques. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Nowadays specific cognitive and behaviourist therapies are proposed to patients with bipolar affective disorder. The purpose of those therapies is to improve pharmacological observance, to detect early prodromes and to better cope with stressors. Previous controlled studies confirmed these three improvements and furthermore showed an improvement in self-esteem. Cognitive and behaviour therapies may be performed in individual or in-group sessions. Most of the studies are based on the Lam treatment manual of therapy. We decided to choose a similar strategy these last two years in the Sainte-Anne Hospital of Paris, in the Razi Hospital of Tunis (Tunisia) and in the Rochd Hospital in Casablanca (Morocco). A clinical study in these three units was undertaken and we are now presenting the first results today. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Alliance thérapeutique ; Bipolarité ; Observance médicamenteuse ; Rechutes ; Thérapies comportementales et cognitives Keywords: Bipolar disorders; Cognitive behaviourist therapy; Compliance; Relapse; Therapeutic relationship * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Mirabel-Sarron). 0003-4487/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2006.03.008 342 C. Mirabel-Sarron et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 341–348 1. Introduction Les troubles bipolaires constituent un trouble de l’humeur très fréquent et invalidant au fort taux de mortalité. Ils représentent aujourd’hui un enjeu important de santé publique. Dans le but d’améliorer la qualité de vie de ces patients, de diminuer leur taux de rechute, d’augmenter leur observance médicamenteuse, une aide psychologique leur est proposée. La thérapie comportementale et cognitive (TCC) a déjà montré son efficacité dans plusieurs études anglo-saxonnes [10]. Nous avons souhaité reproduire ce modèle thérapeutique en France, mais aussi grâce à nos collaborations universitaires dans une consultation de l’hôpital Razi de Tunis, et dans une consultation du Centre Psychiatrique Universitaire Ibn-Rochd, de Casablanca [3,4]. L’accueil de nos collègues a permis une formation des thérapeutes par modeling en participant comme cothérapeutes au groupe de thérapie parisien. Nous proposons ici le déroulement pratique de cette aide psychologique, l’adaptation apportée dans chaque pays, et leurs premiers résultats. 2. Bipolarité et culture Les troubles bipolaires sont considérés parmi les troubles psychiatriques les plus fréquents. Selon l’étude épidémiologique ECA (Epidemiological Catchment Area) [12], les troubles thymiques se situent au quatrième rang derrière les troubles phobiques, l’abus de substances et l’alcoolisme. Il s’agit de la sixième cause de handicap mondial (WHO, 1996). Sa prévalence est estimée à 1,2 % de la population générale. Cette fréquence du trouble n’est pas modifiée par l’origine ethnoculturelle des patients [13]. Quel que soit le profil de la maladie, il existe une baisse de la qualité de vie, une altération des relations sociales, une augmentation du taux de mortalité qui est deux à trois fois plus élevé que celui de la population générale et le risque suicidaire est majeur. Ce trouble est très souvent associé, par ailleurs, à de nombreux autres troubles comme des abus de substances, des troubles anxieux, des troubles de la personnalité… qui concernent 50 à 70 % des sujets bipolaires traités. Le Tableau 1 rassemble ces comorbidités selon les différents pays. De nombreux auteurs estiment que les événements qui perturbent le Tableau 1 Troubles bipolaires et comorbidités Trouble panique Trouble anxieux généralisé Phobie Dysthymie Trouble obsessionnel compulsif Toxicomanie Alcoolisme Personnalité antisociale ECA 11,6 – 3,2 41 8,7 7,4 4,6 7,9 France 16a Maroc Tunisie 50 (cannabis) 66,7 11a 3a 80 3,3 3,3 a Henry et al. Anxiety disorders in 318 bipolar patients, J. Clin. Psychiatry, 2003. rythme social des patients (surmenage, manque de sommeil…), l’abus de substances (café, alcool…) peuvent déclencher une rechute ou précipiter une récidive. Ainsi, les intervalles dits « libres » entre les accès dépressifs ou maniaques ne sont pas indemnes de dysfonctionnements psychologiques, comme on a pu le croire pendant longtemps. Ces données cliniques sont largement admises. Cependant, des études menées en Tunisie et au Maroc tendent à montrer certaines variations culturelles. Ainsi, dans un travail tunisien [11] comparant 45 patients bipolaires tunisiens et français, on constate les éléments suivants : ● les patients français appartiennent à des classes sociales plus favorisées, comme en témoignent leur niveau d’instruction et leur statut professionnel ; leur début des troubles est plus tardif : 30,26 contre 24,5 ans ; ● l’abus de substance et l’abus d’alcool sont significativement plus fréquents (respectivement 80 et 66,7 % contre 3,3 et 3,3 % chez les patients tunisiens) ; ● l’analyse sémiologique des épisodes maniaques index montre que la durée moyenne des épisodes maniaques index est plus courte et que l’altération de l’humeur est dominée par l’irritabilité (54 % des cas) avec plus de perturbations cognitives ; en revanche, l’exaltation domine chez les patients tunisiens (90 % des cas) ; ● concernant les taux de récidives, il est plus important en France (0,94 contre 0,74 épisode par an). Ces récidives comprennent une fréquence nettement plus élevée d’épisodes dépressifs (0,27 contre 0,16 épisodes dépressifs par an), légèrement plus de manies que de dépressions (0,39 contre 0,27 épisodes par an), alors que les patients tunisiens présentent trois fois plus d’épisodes maniaques que d’épisodes dépressifs ; ● des facteurs climatiques pourraient influencer l’expression du trouble bipolaire, tels que le climat méditerranéen de la Tunisie qui est plus lumineux, plus sec et plus chaud que celui de la France. Il joue probablement un rôle dans la polarité des épisodes thymiques ; ● des facteurs culturels retardent la mise en route du traitement du fait de la stigmatisation sociale des troubles psychiatriques dans la culture tunisienne qui empêche et retarde la reconnaissance des troubles mentaux. Ainsi, l’arrêt du traitement par le patient est deux fois plus fréquent dans l’échantillon tunisien ; ● Chairat [1] a signalé que si la maladie débute avant 20 ans, la symptomatologie est souvent trompeuse, atypique et délirante, conduisant au diagnostic de schizophrénie, diagnostic redressé au cours de l’évolution ultérieure ; ● Cheour-Ellouze [2] a montré que les troubles de la personnalité, lorsqu’ils sont comorbides, donnent lieu à plus d’errance diagnostique et à un plus mauvais pronostic. Au Maroc, une enquête épidémiologique nationale a été réalisée. Elle porte sur un échantillon représentatif de la popula- C. Mirabel-Sarron et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 341–348 tion générale marocaine. Elle a concerné 5600 personnes âgées de 15 ans ou plus, tirées au sort dans les provinces et préfectures du Maroc, en milieu rural et en milieu urbain. L’instrument de travail utilisé a été le Mini International Neuropsychiatric Interview, validé en arabe dialecte marocain, la prévalence retrouvée est de 2,8 %. Ce taux très élevé n’a pas suscité d’explication totalement satisfaisante. Depuis ces 20 dernières années, le pourcentage de diagnostic de trouble bipolaire a augmenté aux dépens de celui de la schizophrénie, grâce à une meilleure analyse clinique et psychopathologique, en particulier avec l’utilisation de critères diagnostiques ainsi qu’à un meilleur suivi. Plusieurs auteurs stipulent que le cours de la maladie bipolaire peut être perturbé par les changements du rythme social qui surviennent, par exemple, pendant le ramadan (mois de jeûne). Ces rythmes sociaux sont les plus importants régulateurs du rythme circadien pour l’être humain. Ils incluent des composantes comme l’alternance de la lumière et de la nuit, les moments des repas, de sommeil et d’activités. Kadri et al. [5] ont étudié des patients bipolaires jeûneurs qui étaient euthymiques sous lithiothérapie pendant au moins trois mois avant le démarrage de l’étude, et avant l’inclusion. Vingt patients bipolaires ont été inclus durant le mois de ramadan de 1997. Les critères diagnostiques étaient ceux de la CIM-10. Les évaluations ont eu lieu une semaine avant le mois de ramadan, les deuxième et quatrième semaines du mois de jeûne et la première semaine après la fin du mois. La symptomatologie dépressive a été évaluée par l’échelle de Hamilton et celle de la manie par l’échelle de Bech-Rafaelsen. L’évaluation du taux plasmatique du lithium a suivi le même schéma. Le résultat le plus important était que 42 % des patients avaient rechuté, 70 % durant la deuxième semaine, et le reste à la fin du mois. Ces rechutes n’étaient pas corrélées aux variations des taux plasmatiques du lithium. La plupart des rechutes étaient de type maniaque (71,4 %). Ceux qui n’ont pas rechuté se sont plaints d’insomnie et d’anxiété durant la deuxième et troisième semaine du mois. Les effets secondaires du lithium avaient augmenté et ont été observés dans 48 % de l’échantillon. Ils étaient à type de sécheresse de la bouche, soif et tremblements. Les résultats de cette étude pilote indiquent que le mois de ramadan peut perturber l’état de l’humeur des patients bipolaires. Si l’ensemble des données cliniques sur la bipolarité est partagé, les études tunisiennes et marocaines nous indiquent certaines particularités importantes qui peuvent prendre source sous l’influence du climat, des rythmes sociaux, et des facteurs culturels. 3. La prise en charge thérapeutique Le traitement proposé aux patients bipolaires est mixte – pharmacologique et psychothérapique. Le traitement médicamenteux de choix est la prescription de thymorégulateurs qui ont considérablement amélioré le pronostic de ce trouble, en limitant le nombre de récidives. Cependant, une partie de ces 343 patients continuent à présenter des fluctuations de l’humeur. Les différentes raisons invoquées à cette non-réponse ou réponse partielle aux thymorégulateurs sont : la qualité de l’observance, la forme particulière, singulière, de la maladie ou encore l’existence de facteurs de précipitation des troubles. En conséquence, d’autres mesures thérapeutiques associées au traitement thymorégulateur ont été proposées afin d’augmenter l’effet du traitement pharmacologique et de réduire les facteurs de vulnérabilité aux rechutes. Différents traitements psychologiques ont alors été développés, dont les mesures psychoéducatives et les thérapies comportementales et cognitives (Tableau 2). Les TCC pour troubles bipolaires se sont développées depuis 1996, et cinq modalités sont aujourd’hui disponibles [9]. Tous les programmes sont très structurés et s’organisent en trois temps : ● une phase éducative ; ● une phase de techniques particulières comportementales et cognitives ; ● une phase de consolidation. Leur but est de diminuer les rechutes dépressives et maniaques au côté des traitements médicamenteux. Afin de parvenir à cet objectif, la thérapie se propose (Tableau 3) : ● d’augmenter l’observance médicamenteuse ; ● d’identifier de manière précoce les prodromes dépressifs ou maniaques ; ● d’apprendre au patient différents moyens comportementaux et cognitifs pour combattre les premiers symptômes ; ● de s’initier à la technique de résolution de problèmes pour réduire les conséquences psychosociales négatives ; ● de développer des moyens pour faire face aux problèmes affectifs et comportementaux ; ● d’identifier les facteurs de stress personnels qui augmentent la probabilité des rechutes ; ● d’aider à l’identification de l’humeur, des cognitions et des comportements par trois outils nouveaux : récapitulatif sur la vie entière du trouble bipolaire, feuille de route des principaux symptômes dépressifs et maniaques, graphe quotidien de l’humeur. En 1999, Lam [6] a proposé un programme qui sert aujourd’hui de référence. Il comprend une phase psychoéducative où les modalités d’entretien sont propres aux TCC. Ce sont des interventions par questionnement inductif, déductif, des reformulations…, qui permettent d’aborder de manière très interactive des thèmes comme le trouble bipolaire, les traitements pharmacologiques, puis les symptômes personnels idiosyncrasiques dépressifs et maniaques. L’histoire du trouble bipolaire est reconstruite sous forme d’un diagramme ou « life shart », qui est complété pendant 344 C. Mirabel-Sarron et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 341–348 Tableau 2 TCC et bipolarité Tableau comparatif des programmes de thérapies cognitivocomportementales dans les troubles bipolaires. Programme de Groupe–individuel Durée Indications Objectifs Psychoéducation sur la maladie Techniques de restructuration cognitive avec auto-observation ; identification et modifications des cognitions Technique comportementale : (résolution de problèmes, maîtrise et plaisir, assignation de tâches graduées, affirmation de soi) Techniques pour prévenir le risque de rechutes Identification et gestion des facteurs de stress spécifiques Stratégies de coping Identification et modification des schémas dysfonctionnels Participation de l'entourage BAUER et MC BRIDE Groupe 20 séances sur un an Bipolaire Meilleure gestion de la maladie et amélioration du fonctionnement social et professionnel BASCO et RUSH LAM NEWMAN BECK Individuel 20 séances sur un an Bipolaire Améliorer la compliance médicamenteuse. Information sur la maladie Prévention des rechutes Oui Oui Individuel Non codifié Bipolaire Améliorer la compliance médicamenteuse. Information sur la maladie Prévention des rechutes Oui Oui Individuel 15 à 20 séances Unipolaire Modifier le schéma cognitif dysfonctionnel pour supprimer les symptômes et éviter les rechutes Oui Non Individuel 20 séances sur un an Bipolaire Améliorer la compliance médicamenteuse Information sur la maladie Prévention des rechutes Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Non Non Oui Non Oui Non Oui Non Oui Oui Oui Oui Non Oui Non Non Oui Extrait de « Soigner les dépressions avec les thérapies cognitives », Ed. Dunod 2005. Tableau 3 Objectifs des thérapies comportementales et cognitives BUT PRINCIPAL Diminuer les rechutes dépressives et maniaques MOYENS Augmenter l'observance médicamenteuse Identifier de manière précoce des prodromes dépressifs ou maniaques Apprendre au patient différents moyens comportementaux et cognitifs pour combattre les premiers symptômes Apprendre par exemple la technique de résolution de problèmes pour réduire les conséquences psychosociales négatives Apprendre les stratégies pour faire face aux problèmes affectifs et comportementaux Identifier les facteurs de stress personnels qui augmentent la probabilité des rechutes ; Prescrire des tâches entre les séances, estimées à une vingtaine de minutes deux ou trois fois par semaine Aider à l'identification de l'humeur, des cognitions et des comportements par trois outils nouveaux : récapitulatif sur la vie entière du trouble bipolaire, feuille de route des principaux symptômes dépressifs et maniaques, graphe quotidien de l'humeur toute la durée de la prise en charge. Il est appelé aussi « history record », ou histoire de la maladie bipolaire. Il s’agit de la constitution rétrospective des différents épisodes dépressifs et maniaques de la maladie bipolaire, avec leur date d’apparition, leur durée, les hospitalisations. Ce travail s’enrichit pendant toute la thérapie. Quand, par exemple, les entretiens éducatifs abordent la discussion des traitements médicamenteux, le patient est invité à compléter son graphique avec les prises médicamenteuses, leur durée, leur posologie, les changements thérapeutiques intervenus. Il est alors amené à constater l’influence de ces traitements sur la stabilité ou non de son humeur. Il reconstitue ainsi l’histoire de son trouble bipolaire, l’action de ses prises médicamenteuses et différents facteurs psychologiques déstabilisants. Le patient constate que certains schémas cognitifs ou certains stress favorisent une période maniaque, tandis que d’autres vont constituer des vulnérabilités propres aux rechutes dépressives [10]. Une phase cognitive et comportementale permet au patient d’identifier ses fluctuations de l’humeur, d’en détecter les origines (environnement, personnalité…), de développer des actions pour faire face aux symptômes dépressifs ou maniaques, de repérer les signes précurseurs des rechutes et d’identifier les vulnérabilités psychologiques personnelles appelées schémas cognitifs favorisant la souffrance émotionnelle. Le Tableau 4 résume les différentes étapes. Ce programme, structuré en 20 séances pratiquées en groupe, a été évalué dans plusieurs études : ainsi, Lam [7] a étudié 25 patients bipolaires suivis en ambulatoire, dont la symptomatologie était équilibrée par un traitement thymorégulateur. Deux groupes ont été constitués par randomisation. Les premiers suivent une thérapie comportementale et cognitive en C. Mirabel-Sarron et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 341–348 Tableau 4 Programme de Lam et al. 1999 - 20 séances de groupe ÉTAPE 1 – Phase éducative : séances 1 à 5 Le trouble bipolaire et ses traitements Construction de l'alliance thérapeutique Rappels sur la démarche comportementale Identification des cognitions, émotions et comportements Structuration des entretiens, définition de l'agenda Définition des tâches à domicile Questionnaires d'autoévaluation Construction progressive de la life-shart Définition individuelle des problèmes et des objectifs ÉTAPE 2 - Techniques comportementales et cognitives : séances 6 à 16 Autoenregistrement de l'humeur et des activités quotidiennes Identification des fluctuations de l'humeur normale, des aspects de la personnalité, et de l'humeur pathologique Mise en relation de la modification de l'humeur avec les cognitions et avec le taux d'activité Apprentissage à la relaxation si activité augmentée Définition de tâches graduées si activité diminuée Contre-argumentation des cognitions : alternatives de pensées, examen de l'évidence Identification des schémas cognitifs Reformulation des schémas ÉTAPE 3 - Consolidation : séances 17 à 20 Vérification de l'utilisation de toutes les techniques comportementales et cognitives Régularité du style de vie Identification des stigmas et leurs conséquences personnelles Identification des facteurs précédant les rechutes sur la life-shart 20 séances, les autres bénéficient du suivi psychiatrique habituel. Les évaluations sont faites à 6 et 12 mois et indiquent, pour les sujets qui ont suivi le programme thérapeutique de Lam, une amélioration significative, avec moins d’épisodes récurrents, une meilleure compliance médicamenteuse ; ainsi dix patients sur 12 traités par TCC n’ont pas eu de rechute durant le suivi, contre seulement deux sur 11 dans le groupe témoin. Lam et al. [8] ont poursuivi leur étude sur un plus large échantillon de 123 patients qu’ils ont randomisés en deux groupes, l’un recevant une TCC d’une quinzaine de séances. Les patients du groupe ayant reçu la TCC avaient significativement moins de rechutes, les épisodes étaient moins longs (trois fois moins environ), moins d’hospitalisations (environ deux fois 345 moins), moins de symptômes subsyndromaux, ils géraient mieux les épisodes maniaques et avaient un meilleur fonctionnement social. Cependant, la prévention des épisodes dépressifs était meilleure que celle des épisodes maniaques. La proportion de patients ayant rechuté après un an était de 44 % dans le groupe TCC contre 71 % dans le groupe contrôle. Scott et al. ont comparé 42 patients bipolaires dont 21 ayant reçu un programme de six mois de thérapie cognitive et comportementale individuelle (de 22 séances environ). Les patients recevant la TCC ont présenté une amélioration significative des symptômes dépressifs (Beck Depression Inventory après six mois). La non-compliance médicamenteuse est tombée de 48 à 21 %. 4. Une étude multicentrique Devant la forte demande des patients bipolaires, et après une formation auprès du Dr Lam, début 2003 nous avons mis en place une thérapie de groupe à la CMME puis avons formé nos collègues de Tunisie, puis du Maroc. 4.1. La mise en place en France (2003–2005) Depuis leur mise en place, trois groupes de patients ont bénéficié de cette approche, le quatrième est en cours. Chaque groupe a inclus dix patients qui débutent et poursuivent toute la démarche ensemble. Chaque séance dure deux heures et est animée par deux thérapeutes (C. Mirabel-Sarron, E. Siobud-Dorocant). Les patients bipolaires inclus reçoivent depuis plusieurs mois un traitement thymorégulateur estimé d’efficacité insuffisante, quelles que soient leurs comorbidités. Sont exclus uniquement les patients dont une addiction est de premier plan et invalidante et qui sont orientés vers des unités spécialisées, et les malades dont l’état dépressif ou maniaque est jugé trop sévère pour débuter une thérapie de groupe. Une évaluation clinique et psychologique est pratiquée avant et après la thérapie et comporte une estimation de l’état thymique, de l’anxiété et de l’estime de soi. Le Tableau 3 rapporte le descriptif des groupes. Tableau 5 Description clinique des groupes Nombre de patients éligibles Nombre de patients inclus Sex-ratio Statut matrimonial France groupe 1 13 7 1H 6F M=2 C=5 Situation professionnelle actuelle A=4 In = 2 Type de bipolarité I=7 France groupe 2 11 7 1H 6F I=7 France groupe 3 14 10 2H 8F M=4 C=6 A=6 AM = 3 In = 1 I=9 II = 1 H = Hommes ; F = Femmes ; M = Marié ; C = Célibataire ; D = Divorcé ; A = En activité ; AM = En arrêt maladie ; In = Patient inactif. Tunisie groupe 1 Non connu 10 5H 5F M=5 C=4 D=1 A=7 AM = 1 In = 2 I 346 C. Mirabel-Sarron et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 341–348 Pour chacun des groupes, une quinzaine de patients sont évalués pour inclure dix patients. La compliance au groupe est forte, une interruption prématurée avec sortie de groupe a été constatée deux fois, chacune due à une altération de l’humeur dépressive ou maniaque avec arrêt de travail, voire hospitalisation. Au total, six à huit patients finissent le groupe (le Tableau 5 présente les groupes thérapeutiques). L’adhésion des patients à la démarche psychothérapique est forte et, à leur demande, nous avons dû créer un groupe de suivi qui se réunit toutes les six semaines, qui fonctionne de manière ouverte (thérapeutes : Drs Mirabel-Sarron et Sala). Notre recul clinique n’est pas suffisant, mais tous les patients gèrent mieux les fluctuations de l’humeur, étiquettent davantage leurs origines, utilisent les moyens comportementaux et cognitifs pour y faire face, évitant ainsi des accès plus aigus et réagissant dès les signes précurseurs. Ils témoignent tous au quotidien d’une meilleure qualité de vie. L’expérience de la pratique des autres groupes de TCC nous a permis de constater une grande interaction entre les patients à chaque séance, une forte solidarité envers ceux dont l’humeur se dégradait à certains moments, une grande tolérance et une implication personnelle forte. Pour le moment, nous nous sommes appliqués à bien nous familiariser avec la procédure thérapeutique à former nos confrères. Tableau 6 Organigramme des séances (Programme adapté en Tunisie) Phase 1 : Phase éducative Séance 1 : présentation des membres du groupe et objectifs, généralités sur les TCC Séance 2 : le trouble bipolaire Séance 3 : les symptômes de la manie et leurs conséquences Séance 4 : les symptômes de la dépression et leurs conséquences Séance 5 : méthode d'identification des symptômes Séance 6 : les traitements biologiques Phase 2 : L'observance thérapeutique Séance 7 : évolution de la maladie bipolaire (accès, rémissions et pour chacun l'histoire de sa maladie) Séance 8 : Suite de l'histoire de la maladie Demande de faire un graphe de l'humeur Interruption durant presque un mois et demi Reconvocation des patients et reprise des séances Séance 9 : mise au point sur la maladie bipolaire, les TCC, but de l'alliance thérapeutique Séance 10 : modifications (comportementales et cognitives) au cours de la manie Séance 11 : modifications (comportementales et cognitives) au cours de la dépression Séance 12 : technique des trois colonnes pour identifier les pensées automatiques et le lien entre pensée, émotion, situation Phase 3 Séance 13 : les problèmes psychosociaux conséquences de la maladie Séance 14 : liste des objectifs personnels Séance 15 : identification des stresseurs pour chacun Séance 16 : technique de résolution de problème (1) Phase 4 Séance 17 : technique de résolution de problème (2) Séance 18 : reprise des colonnes avec tâches à domicile, situation, pensée, émotion Séance 19 : stratégies à adopter début de dépression, début de manie Séance 20 : conclusion 4.2. L’expérience tunisienne (2004–2005) Elle est animée par le Pr Mejda Cheour. Mme Louati Afef, psychologue, assiste le Dr Khaloui Moufida. Le premier groupe de patients bipolaires a débuté en janvier–février 2005. Une interruption a eu lieu en mars–avril avec une reprise de mai à septembre 2005 (lors de la reprise, un patient a été perdu de vue ; il a fait un accès maniaque avec surtout des dépenses inconsidérées et des chèques sans provisions). Nous avons suivi les principales phases du programme avec de petites modifications et aménagements inhérents à notre contexte et « au mouvement » du groupe (Tableau 7). Trente patients ont été évalués, seuls dix débuteront ce groupe, et neuf le suivront jusqu’au bout (Tableau 6). Chaque patient était invité à dire ce qui a changé chez lui et dans ses croyances, ses pensées, son comportement et son entourage depuis le début du groupe. Les effets bénéfiques ont été notés surtout sur : ● l’acceptation de la maladie (et une réduction du sentiment de culpabilité engendré par les conséquences de la maladie) ; ● l’observance thérapeutique : ○ respect des rendez-vous ; ○ présence quasi totale aux séances du groupe (en moyenne un à deux absents par séance) ; ○ hygiène de vie (qualité du sommeil, consommation de tabac ou d’alcool…) ; ○ repérage des signes précurseurs de la dépression et des signes précurseurs de la manie ; ○ compréhension des liens entre facteurs de stress et rechute, et effort, soit pour éviter, soit pour mieux gérer les stress ; ○ utilisation des techniques de résolution de problème ; ○ effort d’intégration sociale et professionnelle. Enfin, on a constaté chez trois patients qui sortaient d’une dépression au début du groupe une rémission plus rapide des symptômes dépressifs et, quoique le recul soit insuffisant, une diminution du nombre des rechutes chez la plupart des patients a été notée. Des difficultés sont apparues dans le repérage avec les trois colonnes situation/pensée/émotion : ● lien entre pensée et émotion (humeur) ; ● oubli fréquent de l’enregistrement du graphe de l’humeur ; ● nous n’avons pas pu préciser les schémas cognitifs. 4.3. L’expérience marocaine (2005) Il est à noter qu’un enseignement universitaire de thérapie cognitivocomportementale a été initié depuis trois ans à la faculté de Médecine de Casablanca. Dans ce cadre, le premier groupe de prise en charge de patients bipolaires vient de débuter, dans le but d’améliorer la prise en charge du trouble. C. Mirabel-Sarron et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 341–348 347 Tableau 7 Population tunisienne : premier groupe Patients Caractéristiques socioéconomiques Profession Début de la maladie Nombres d'hospitalisations Caractéristiques cliniques SP 17 ans Cinq hospitalisations Accès maniaque très sévère Comptable 28 ans difficultés professionnelles Étudiant 20 ans Virage maniaque sous AD En arrêt de travail 35 ans conséquences psychosociales graves Agence location voiture 21 ans Situation matrimoniale Nombre d'enfants Mariée Deux L. M. S. S. Marié Célibataire Deux – S. J. Une fille H. B. En instance de divorce Célibataire I. M. Mariée Trois filles Professeur de sciences L.F. Mariée Deux enfants Secrétaire MSP W.B. J. Célibataire – Étudiant troisième cycle S. F. Célibataire – N. S. Mariée Deux enfants Étudiante cinquième année médecine Retraitée (carrière audiovisuelle) La thérapie se déroule au Centre psychiatrique universitaire Ibn-Rochd. Elle est animée par deux thérapeutes : le Dr Samchaoui et le Pr Kadri. Un aménagement partiel du déroulement des séances a été effectué, il est modéré. Le groupe est constitué de 15 sujets bipolaires ayant fait au moins deux rechutes dont une maniaque. Quatre-vingts pour cent du groupe sont de sexe féminin et la moyenne d’âge est de 30 ans. Le niveau scolaire est élevé. Les critères d’inclusion sont les suivants : bipolaires de type I, stabilisés avant l’entrée dans l’étude pendant au moins trois mois, disponibles pour venir une fois par semaine à l’hôpital et ce pendant une heure, ayant accepté de travailler en groupe, après leur avoir expliqué l’étude et ses modalités de déroulement. Pour cette première expérience et pour des contraintes de temps nous avons choisi de travailler avec la langue française et nous nous sommes donc limités aux patients qui maîtrisent cette langue. Cette première étape sera suivie par l’inclusion de patients arabophones après la traduction de tout le matériel utilisé. À l’inclusion dans l’étude ont été utilisées : l’échelle de Dépression MADRS, l’échelle de manie de Rafaelsen, et l’échelle de suicidalité. Au début du travail de groupe, nous donnons aux patients les brochures sur la maniacodépression et sur les médicaments qui ont été traduites et adaptées à cet effet. 5. Conclusion Le programme de thérapie TCC des troubles bipolaires s’est déroulé avec succès et a pu s’implanter en Tunisie ; il est en 32 ans Accès maniaque post-partum 33 ans virage maniaque après AD 18 ans Pas d'hospitalisation Refus de malade Deux hospitalisations Accès dépressifs ou maniaques sévères Plusieurs dépressions récurrentes TS Cliniques Traitement médicamenteux Dépakine chrono® = 3 Zyprexa® = 1 Largactil® 100 = 1 Zyprexa® Zyprexa® Tegretol® Zyprexa® Tégrétol LP® 200 Risperdal® = 3 mg. 4 cp Tégrétol® Dépamide® = 3 cp Lamictal® = 200 g/j Téralithe LP® 400 = 1600 mg/j Zyprexa® Lithium® Dépakine chrono® cours au Maroc, avec une bonne fidélité dans les objectifs à atteindre. Les expériences conjointes montrent une bonne adhésion des patients, une bonne satisfaction des acquis. Ces expériences méritent d’être poursuivies et évaluées précisément, à court mais aussi à long terme. La prise en charge très cadrée de ces patients, l’information sur la maladie, le fait de rencontrer pour certains d’autres bipolaires (en dehors des hospitalisations) et de les voir parler de leurs troubles ont délié les langues, et certains qui étaient dans le déni ont fini par admettre leur maladie. Références [1] Chairat R. Schizophrénie et psychose maniacodépressive : indépendance nosologique ou continuum psychotique. Étude comparative des formes d’entrée. Thèse de médecine. Faculté de médecine de Tunis, 1991. [2] Cheour M, Tabbene K, Khiari G, Douki S. Influence of personality disorder on the course of manic-depressive illness. Encephale 1999;25: 73–6. [3] Girault-Salomon N, Mirabel-Sarron C. Prise en charge comportementale et cognitive des troubles bipolaires. Journal de Thérapie comportementale et cognitive 1998;8 (no 2). [4] Kadri N, Agoub M, El Gnaoui S, Mchichi Alami K, Hergueta T, Moussaoui D. Moroccan Colloquial Arabic version of the Mini-International Neuropsychiatric Interview (MINI): Qualitative and quantitative validation. Eur Psychiatry 2005;20:193–5. [5] Kadri N, Mouchtaq N, Moussaoui D, Hakkou F. Relapses in bipolar patients: changes in social rythm. Int J Neuropsychopharmacol 2000;3:1. [6] Lam D, Jones S, Hayward P. Cognitive therapy for bipolar disorder: a therapist’s guide to concept, methods and practice. Ed. Wiley; 1999. [7] Lam DH, Bright J, Jones S, et al. Cognitive therapy for bipolar disorder. A pilot study of relapse prevention. Cognit Ther Res 2000;24:503–20. [8] Lam DH, Watkins ER, Hayward P, Bright J, Wright K, Kerr N, et al. A randomized controlled study of cognitive therapy for relapse prevention 348 C. Mirabel-Sarron et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 341–348 for bipolar affective disorder: outcome of the first year. Arch Gen Psychiatry 2003;60:145–52. [9] Mirabel-Sarron C. Approche comportementale et cognitive des troubles bipolaires. In: Leboyer M, editor. Les Troubles bipolaires. Paris: John Libbey; 2005. [10] Mirabel-Sarron C. Formes particulières de dépression, chapitre 10. In: Soigner les dépressions avec les thérapies cognitives. Paris: Dunod; 2005. [11] Nehdi MA. L’évolution du trouble bipolaire : une étude comparative entre deux populations de patients hospitalisés en Tunisie et en France. Thèse; Faculté de médecine de Tunis, 2001. [12] Regnier DA, et al. Comorbidity of mental disorders with alcohol and others drug abuse. Results from the epidemiologic catchments area (ECA) study. JAMA 1990;264:2511–8. [13] Rouillon F. Épidémiologie des troubles bipolaires. Données actuelles. L’Encéphale 1997;:7–11 (Sp I). Discussion Dr P. Estingoy – Le recrutement de l’étude révèle selon les tableaux un sex-ratio à très grande dominance féminine. Avezvous une explication : compliance meilleure chez ces femmes ? Plus grand intérêt pour cette technique ? Différence de résultats ? Dr G. Ardiet – Les études en cours et celles à venir ont-elles bien prévu un recrutement des patients évalués qui soit un bon reflet des différentes catégories socioprofessionnelles dans les populations générales ?