1. Introduction
Les troubles bipolaires constituent un trouble de l’humeur
très fréquent et invalidant au fort taux de mortalité. Ils repré-
sentent aujourd’hui un enjeu important de santé publique.
Dans le but d’améliorer la qualité de vie de ces patients, de
diminuer leur taux de rechute, d’augmenter leur observance
médicamenteuse, une aide psychologique leur est proposée.
La thérapie comportementale et cognitive (TCC) a déjà
montré son efficacité dans plusieurs études anglo-saxonnes
[10]. Nous avons souhaité reproduire ce modèle thérapeutique
en France, mais aussi grâce à nos collaborations universitaires
dans une consultation de l’hôpital Razi de Tunis, et dans une
consultation du Centre Psychiatrique Universitaire Ibn-Rochd,
de Casablanca [3,4].
L’accueil de nos collègues a permis une formation des thé-
rapeutes par modeling en participant comme cothérapeutes au
groupe de thérapie parisien. Nous proposons ici le déroulement
pratique de cette aide psychologique, l’adaptation apportée
dans chaque pays, et leurs premiers résultats.
2. Bipolarité et culture
Les troubles bipolaires sont considérés parmi les troubles
psychiatriques les plus fréquents. Selon l’étude épidémiolo-
gique ECA (Epidemiological Catchment Area) [12], les trou-
bles thymiques se situent au quatrième rang derrière les trou-
bles phobiques, l’abus de substances et l’alcoolisme. Il s’agit
de la sixième cause de handicap mondial (WHO, 1996). Sa
prévalence est estimée à 1,2 % de la population générale. Cette
fréquence du trouble n’est pas modifiée par l’origine ethnocul-
turelle des patients [13].
Quel que soit le profil de la maladie, il existe une baisse de
la qualité de vie, une altération des relations sociales, une aug-
mentation du taux de mortalité qui est deux à trois fois plus
élevé que celui de la population générale et le risque suicidaire
est majeur. Ce trouble est très souvent associé, par ailleurs, à
de nombreux autres troubles comme des abus de substances,
des troubles anxieux, des troubles de la personnalité…qui
concernent 50 à 70 % des sujets bipolaires traités. Le Tableau 1
rassemble ces comorbidités selon les différents pays. De nom-
breux auteurs estiment que les événements qui perturbent le
rythme social des patients (surmenage, manque de sommeil…),
l’abus de substances (café, alcool…) peuvent déclencher une
rechute ou précipiter une récidive. Ainsi, les intervalles dits
« libres » entre les accès dépressifs ou maniaques ne sont pas
indemnes de dysfonctionnements psychologiques, comme on a
pu le croire pendant longtemps. Ces données cliniques sont
largement admises.
Cependant, des études menées en Tunisie et au Maroc ten-
dent à montrer certaines variations culturelles. Ainsi, dans un
travail tunisien [11] comparant 45 patients bipolaires tunisiens
et français, on constate les éléments suivants :
●les patients français appartiennent à des classes sociales plus
favorisées, comme en témoignent leur niveau d’instruction
et leur statut professionnel ; leur début des troubles est plus
tardif : 30,26 contre 24,5 ans ;
●l’abus de substance et l’abus d’alcool sont significativement
plus fréquents (respectivement 80 et 66,7 % contre 3,3 et
3,3 % chez les patients tunisiens) ;
●l’analyse sémiologique des épisodes maniaques index mon-
tre que la durée moyenne des épisodes maniaques index est
plus courte et que l’altération de l’humeur est dominée par
l’irritabilité (54 % des cas) avec plus de perturbations cogni-
tives ; en revanche, l’exaltation domine chez les patients
tunisiens (90 % des cas) ;
●concernant les taux de récidives, il est plus important en
France (0,94 contre 0,74 épisode par an). Ces récidives
comprennent une fréquence nettement plus élevée d’épiso-
des dépressifs (0,27 contre 0,16 épisodes dépressifs par an),
légèrement plus de manies que de dépressions (0,39 contre
0,27 épisodes par an), alors que les patients tunisiens pré-
sentent trois fois plus d’épisodes maniaques que d’épisodes
dépressifs ;
●des facteurs climatiques pourraient influencer l’expression
du trouble bipolaire, tels que le climat méditerranéen de la
Tunisie qui est plus lumineux, plus sec et plus chaud que
celui de la France. Il joue probablement un rôle dans la
polarité des épisodes thymiques ;
●des facteurs culturels retardent la mise en route du traite-
ment du fait de la stigmatisation sociale des troubles psy-
chiatriques dans la culture tunisienne qui empêche et retarde
la reconnaissance des troubles mentaux. Ainsi, l’arrêt du
traitement par le patient est deux fois plus fréquent dans
l’échantillon tunisien ;
●Chairat [1] a signalé que si la maladie débute avant 20 ans,
la symptomatologie est souvent trompeuse, atypique et
délirante, conduisant au diagnostic de schizophrénie, diag-
nostic redressé au cours de l’évolution ultérieure ;
●Cheour-Ellouze [2] a montré que les troubles de la person-
nalité, lorsqu’ils sont comorbides, donnent lieu à plus d’er-
rance diagnostique et à un plus mauvais pronostic.
Au Maroc, une enquête épidémiologique nationale a été réa-
lisée. Elle porte sur un échantillon représentatif de la popula-
Tableau 1
Troubles bipolaires et comorbidités
ECA France Maroc Tunisie
Trouble panique 11,6 16
a
Trouble anxieux généralisé –
Phobie 3,2 11
a
Dysthymie 41
Trouble obsessionnel compulsif 8,7 3
a
Toxicomanie 7,4 80 50
(cannabis)
66,7
Alcoolisme 4,6 3,3 3,3
Personnalité antisociale 7,9
a
Henry et al. Anxiety disorders in 318 bipolar patients, J. Clin. Psychiatry,
2003.
C. Mirabel-Sarron et al. / Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 341–348342