L`Opéra de Quat`sous

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Collèges au théâtre
Saison 2008-2009
Fiche pédagogique n°2
L’Opéra de Quat’sous
Théâtre de Romette
Johanny Bert et son équipe du Théâtre de Romette sont en résidence à Dijon à partir du 13 octobre
2008. Voici un premier document qui vous permettra d’aborder l’œuvre de Brecht. Nous vous
ferons parvenir des éléments complémentaires concernant le travail de création qui est fait d’ici la
représentation du mois de janvier 2009.
Collèges au théâtre
Saison 20082008-2009
Fiche pédagogique n°2
Sommaire
1. L’Opéra de quat’sous : une
collaboration
3. Les personnages
1.1. Bertolt Brecht (1898-1956)
1.2. Kurt Weill (1900-1950)
3.1. Les personnages
principaux…
3.2. …et quelques unes de leurs
caractéristiques
2. L’origine et la proposition de L’Opéra
de quat’sous
4. L’univers brechtien
4.1. Le glossaire
2.1. Une découverte de
4.2. Le concept de la
Brecht : L’Opéra du gueux de John Gay
distanciation
(1685-1732)
2.2. Présentation de la pièce
5. Pistes pédagogiques
a. Résumé
b. De l’intérêt de la musique
6. Sources et éléments
bibliographiques
Annexes
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Fiche pédagogique n°2
1.
L’OPERA DE QUAT’SOUS : UNE COLLABORATION
1.1
Bertolt Brecht (1898 – 1956)
Berthold Brecht est né à Augsbourg en Bavière en 1898
dans une famille bourgeoise. Son père (prénommé
Berthold) est catholique et sa mère : protestante.
Il entreprend des études de médecine à l'université de
Munich.
1917-1918
1918-1922
1924
1928
1931
1932
C’est la Révolution d'octobre en Russie. Il est mobilisé
comme infirmier à Augsbourg. Au lendemain de la guerre, il
fait partie d'un conseil de soldats et d'ouvriers à
Augsbourg.
Dès 1918 : il rompt avec sa famille et décide de changer
son prénom Berthold en Bertolt. Il est affecté à un hôpital
militaire où il voit arriver de jeunes camarades défigurés
par la guerre : il se révolte contre une société qui sécrète
de telles horreurs.
Parallèlement, il chante dans des caves et des cabarets. Il
rencontre Karl Valentin, « le clown métaphysique »,
célèbre comique de brasserie.
Ces années sont marquées par des soulèvements
révolutionnaires dans les grandes villes d'Allemagne (fin
1918-début 1919).
Assassinat de R. Luxemburg et K. Liebnecht.
Bertolt Brecht fréquente les cercles littéraires et artistiques
munichois et écrit Baal, Tambours dans la nuit et Dans la
jungle des villes.
Il s’installe définitivement à Berlin et devient dramaturge
auprès du Deutsches Theater de Max Reinhardt.
Création de L'Opéra de quat'sous au Theater am
Schiffbauerdamm de Berlin, avec une musique de Kurt
Weill. C’est le premier grand succès de Brecht à la scène.
Il découvre l'œuvre de Marx et élabore progressivement la
théorie du théâtre épique.
Film L’Opéra de quat’sous de Pabst, en version allemande.
Il sera tourné aussi en version française.
Brecht finira par désavouer le film.
Il écrit La Mère d'après Gorki, Sainte Jeanne des abattoirs.
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1933
1938-1939
Fiche pédagogique n°2
Hitler devenu chancelier, Brecht s'exile.
Il est déchu de la nationalité allemande et
vivra
successivement à Prague, Zurich, Copenhague.
Ses œuvres sont interdites puis brûlées par les nazis.
Il écrit La Vie de Galilée, La Bonne Âme du Se-Tchouan,
première version de Mère courage et ses enfants.
1940-1945
Brecht quitte la Finlande et s'installe aux États-Unis. Il écrit
Maître Puntila et son valet Matti (1940), Le Cercle de craie
Augsbourgeois (1940), La Résistible Ascension d'Arturo Ui.
1947
Il rencontre de Charlie Chaplin, comparaît devant la
commission des activités anti-américaines.
Il quitte les États-Unis pour la Suisse.
1948
Brecht se rend à Berlin-Est.
1954
Inauguration du Berliner Ensemble au Theater am
Schiftbauerdamm avec Don Juan de Molière, adapté par
Brecht, Besson et Hauptmann, et mis en scène par Besson.
Le Berliner Ensemble se rend à Paris au Festival
International de Théâtre : Mère courage et La Cruche
cassée de Kleist.
1956
Brecht meurt d'un infarctus à son domicile berlinois.
1.2. Kurt Weill (1900 – 1950)
Kurt Weill est surtout connu en
Europe comme le compositeur de la
musique de L’Opéra de quat’sous
(1928) et de Grandeur et décadence
de la ville de Mahagonny (1927) de
Brecht.
Weill fut le musicien de théâtre
allemand le plus célèbre de la
République de Weimar.
Chassé d’Allemagne par le nationalsocialisme, les oeuvres qu’il composa
en Amérique influenceront tout le
style de Broadway.
Le succès de ses premières symphonies est à l’origine de sa collaboration avec
des auteurs de théâtre. En 1924, il fait la connaissance de l’actrice viennoise
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Lotte Lenya, qu’il épouse en 1926. Inoubliable interprète de Jenny dans L’Opéra
de quat’sous, elle contribuera largement à la popularité de ses chansons.
De sa rencontre avec Brecht naissent des oeuvres d’une rare audace artistique.
L’étrangeté de la musique de Weill, marquée à la fois par l’influence de Busoni,
du jazz et de Gershwin, complète admirablement l’ironie insolente des chansons
de Brecht et est à l’origine de leur succès. Avec le film de Pabst, dans sa double
version allemande et française, les airs de L’Opéra de quat’sous, et notamment
la « Ballade de Mackie Messer », font le tour du monde.
Ses oeuvres – en particulier Mahagonny – sont violemment attaquées par les
nazis qui qualifient Weill de « musicien judéo-négroïde ». Réfugié en Amérique, il
travaille avec le New Yorker Group Theatre, puis avec Fritz Lang.
Les liens qu’il noue avec Maxwell Anderson, Elia Kazan, Ira Gershwin… l’amènent
à collaborer avec les théâtres de Broadway. Les comédies musicales qu’il
compose sont devenues des classiques du théâtre américain.
Admirablement interprétées par Lotte Lenya, ses chansons comptent parmi les
plus belles compositions des années quarante.
2. L’ORIGINE ET LA PROPOSITION DE L’OPERA DE
QUAT’SOUS
2.1. Une découverte de Brecht : L’Opéra du gueux de John Gay
(1685-1732)
John Gay est un auteur anglais tout à fait oublié qui a eu son heure de gloire
avec L’Opéra du gueux, en 1728 (soit deux siècles exactement avant L’Opéra de
quat’sous) dont voici le résumé : Monsieur Peachum, receleur d’objets volés
exerce la profession d’indicateur de police. Au début de la pièce, il est furieux car
sa fille Polly vient d’épouser Macheath, chef des truands de Londres. Si ce
dernier dénonce ses beaux-parents, il héritera de leur fortune. Il faut donc que
Polly accepte de faire arrêter Macheath pour devenir veuve et riche.
Macheath et Peachum restent d’accord sur l’essentiel, les petites querelles
familiales ne doivent en rien troubler une collaboration florissante.
C’est une parodie de Pastoral Opéra truffée de chansons.
Brecht a calqué son opéra sur la pièce de Gay…
2.2 Présentation de la pièce
La première de L'Opéra de quat'sous a lieu à Berlin en 1928. La pièce connaît un
succès inespéré. Les « songs » deviennent des rengaines populaires.
Avec L'Opéra de quat'sous, Brecht voulait dévoiler les affinités du monde
bourgeois avec le banditisme. A l’époque victorienne, les bandits se conduisent
en bourgeois. L’inverse aussi est vrai : « Qu’est-ce que le cambriolage d’une
banque comparé à la fondation d’une banque ? » demande Bertolt Brecht en
1928.
« L'histoire littéraire se souviendra de moi, dit-il encore, pour avoir écrit « la
bouffe vient d'abord, ensuite la morale » …
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Brecht attend un énorme scandale, c’est un triomphe, la musique est trop belle.
a. Le résumé
Jonathan Jeremiah Peachum, directeur de la société « L'ami du mendiant », a
ouvert une officine « où les plus déshérités des déshérités prennent une
apparence capable de parler au cœur le plus racorni ». En plein cœur de Soho,
dans une écurie où l'on a rassemblé des meubles volés, Macheath, dit Mackie-leSurineur, célèbre son mariage avec Polly, fille unique de Peachum. Parmi les
invités, il y a le chef de la police, surnommé Tiger Brown. C'est un vieil ami de
Macheath depuis qu'ensemble ils ont combattu dans l'armée des Indes. Lorsqu'ils
apprennent ce mariage, Peachum et sa femme décident de faire arrêter
Macheath afin qu'il soit pendu. Macheath prend la fuite. Polly prend la direction
des affaires. On le retrouve dans une maison de passe à Turnbridge. Une des
prostituées, Jenny-des-Lupanars, le dénonce et le fait arrêter. On l'emprisonne à
Old Bailey. Polly vient rendre visite à son mari et découvre sa rivale, Lucy, fille
de Brown. Macheath réussit à s'enfuir. Peachum, furieux, annonce à Brown qu'il
troublera le cortège du Couronnement par une manifestation de masse des
miséreux. Macheath est arrêté une nouvelle fois, il va être pendu. Polly et Lucy,
réconciliées, accourent pour l'embrasser une dernière fois. Au moment où l'on
s'apprête à pendre Macheath, arrive un héraut du roi qui n'est autre que Brown.
Macheath est relâché. Élevé à la noblesse héréditaire, le château de Mollebrique
lui est accordé en fief personnel ainsi qu'une rente à vie.
Acte I
1. Dans son " vestiaire à mendiants ", Monsieur Peachum reçoit la visite de
Filch, un mendiant rossé la veille parce qu’il officiait sans l’accord de la société
Peachum. Filch est engagé par Peachum. Arrive Célia son épouse : Peachum
s’inquiète car sa fille Polly, amoureuse, pourrait échapper à l’emprise
paternelle. Il comprend que le prétendant de Polly est Mackie-le-Surineur.
Inquiétude : Polly n’est pas rentrée.
2. Dans une écurie, le mariage de Polly et Mackie est célébré, en présence de
la bande de Mackie. Cadeaux, chansons. Arrive le shérif Brown, ami de
Macheath ; celui-ci le présente à ses hommes.
3. Chez Peachum. Polly avise ses parents qu’elle est l’épouse de Macheath.
Peachum se désole de la perte de revenus qu’entraîne ce départ. Arrivent cinq
mendiants qui se plaignent : Peachum en renvoie deux. Dispute entre Polly et
ses parents : ceux-ci annoncent qu’ils vont dénoncer Macheath au shérif.
Acte II
1. Polly apprend à son mari que Brown et Peachum ont décidé de l’arrêter.
Macheath doit partir. Il met Polly au courant de ses affaires, l'informe de la
liquidation prochaine de sa société et de ses associés. Arrivée de la bande : ils
acceptent Polly comme chef. Départ de Macheath : séparation lyrique, il
promet de ne pas tromper son épouse. De son côté, Jenny-des-Lupanars
accepte de dénoncer Macheath, pour 10 shillings.
2. Arrivée impromptue de Macheath au bordel de Jenny. Première arrestation
de Macheath (par Jenny et le shérif Brown).
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3. En prison : Brown se désespère de devoir faire souffrir son ami. Mackie
tâche de corrompre son gardien. Lucy, fille de Brown, vient apprendre à
Mackie qu’elle est enceinte (de lui). Arrivée de Polly : les deux femmes se
disputent. Macheath prend le parti de Lucy et chasse Polly. Puis il s’échappe ;
Brown se réjouit de sa fuite. Arrive Peachum qui menace le shérif, et finit par
le contraindre à partir à la recherche de Mackie.
Acte III
1. Chez Peachum : Peachum prépare une manifestation des mendiants
pendant le couronnement de la reine. Les putains de Jenny viennent réclamer
leur dû pour la dénonciation de Macheath. Peachum refuse de les payer,
puisque Macheath s’est enfui. Dans la conversation, Jenny indique le lieu où
se trouve Mackie. Brown arrive, pour arrêter Peachum et les mendiants. Mais
Peachum parvient à intimider le commissaire, qui se résout à partir à la
recherche de Macheath.
2. Dans la chambre de Lucy, à la prison d'Old Bailey. Réconciliation avec
Polly. La grossesse de Lucy était simulée. Macheath est repris.
3. Vendredi, 5 heures du matin, à la prison. L’exécution doit avoir lieu avant 6
heures. Macheath a besoin d’argent. Visite de deux de ses hommes, Mathias
et Jacob, qui partent chercher la somme nécessaire pour le sauver. Visite de
Polly, de Brown. L’exécution est imminente. Mais Peachum annonce au public
un autre dénouement : arrivée du héraut du roi. Macheath sera relâché et
anobli, à l’occasion des fêtes du couronnement.
b. De l’intérêt de la musique à partir de la lettre de Kurt Weill,
Vienne, 1929 (c.f. découpage et présentation des songs en annexe 1, lettre
dans son entier en annexe 2) :
Extrait
« Aujourd'hui dans le monde, il n'existe plus de forme d'art au caractère mondain
si prononcé, et le théâtre, en particulier, s'est tourné avec détermination vers
une direction que l'on peut caractériser comme la promotion de l'esprit social. Si
donc l'opéra ne supporte pas un tel rapprochement avec le théâtre
contemporain, alors ce cadre doit exploser… Dans L'Opéra de quat'sous, la
reconstruction était devenue possible : on pouvait reprendre à zéro. Ce que nous
voulions retrouver était la forme originelle de l'opéra. À chaque fois que l'on écrit
une œuvre musicale dramatique, on retrouve la même question : comment la
musique et, surtout, le chant au théâtre sont-ils tout simplement possibles ?
Cette question a été résolue ici de la manière la plus primitive. J'avais une action
réaliste, la musique devait donc s'y opposer, puisque telle n'était pas sa nature.
Ainsi, l'action était interrompue pour laisser place à la musique, ou bien elle était
consciemment conduite vers un point où le chant devait simplement apparaître.
Cette pièce nous offrit en outre la possibilité d'installer le concept d'« opéra »
comme thème d'une soirée au théâtre. Au tout début de la pièce, le spectateur
est instruit : « Vous allez voir ce soir un opéra pour mendiants. » C'est parce que
cet opéra a été construit de manière si fastueuse que seuls des mendiants
puissent en rêver, et parce qu'il devait être si bon marché que des mendiants
puissent se le payer, qu'il s'appelle L'Opéra de quat'sous… Ce retour à une forme
primitive d'opéra impliquait une grande simplification du langage musical… C'est
la réalisation d'une mélodique compréhensible et évidente qui rendit possible ce
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qui est réussi dans L'Opéra de quat'sous : la création d'un nouveau genre de
théâtre musical. »
Parue dans Anbruch, Vienne, janvier 1929
3. LES PERSONNAGES
3.1. Les personnages principaux…
MACHEATH, dit MACKIE–LE-SURINEUR
JONATHAN JEREMIAH PEACHUM, directeur de la société « l’Ami du mendiant »
CELIA PEACHUM, sa femme
POLLY PEACHUM, sa fille
BROWN, chef suprême de la police de Londres
LUCY, sa fille
Et Jenny-des-Lupanars, Smith, le pasteur Kimball, Filch, un chanteur de complaintes, la
bande de Macheath, mendiants, putains, constables.
3.2. … et quelques unes de leurs caractéristiques
PEACHUM :
bourgeois malhonnête, enrichi du commerce de la pauvreté
et de la charité. Il ne s’attache qu’à l’aspect lucratif du monde. Protestant, il
justifie ainsi son appât du gain. Il s’inscrit délibérément dans un réel sans
esthétique et malhonnête, toujours en quête de la respectabilité.
Un passage qui illustre le personnage
Le comique du premier tableau provient de la manière méthodique dont
Monsieur Peachum gère sa société de mendiants. Et de son propos
« comique-sérieux » :
« Mon métier devient impossible ; il consiste à éveiller la pitié chez les gens.
Il existe bien quelques trop rares procédés capables d’émouvoir le coeur de
l’homme, mais le malheur est qu’ils cessent d’agir au bout de deux ou trois
fois. Car l’homme possède une redoutable aptitude à se rendre insensible
pour ainsi dire à volonté. » (p.9)
MACKIE : il nous présente une image du grand banditisme cherchant la
respectabilité par le biais d’une esthétique nostalgique. C’est le roi de ce
monde à l’envers qu’est l’univers de la pègre. Le moment principal de la
royauté de Mackie se situe lors de la scène du banquet de mariage avec Polly.
C’est un séducteur capable des pires mensonges, un homme en fuite comme
Don Juan qui pourtant, finira anobli…
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Un passage qui illustre le personnage : La complainte de Mackie
« Le requin, lui, il a des dents,
Mais Mackie a un couteau :
Le requin montre ses dents,
Mackie cache son couteau. (...)
Sur les bords de la Tamise
Des gens s’écroulent tout à coup.
Epidémie ? Qu’on se le dise :
C’est Mac qui a fait le coup. » (p.7)
POLLY : la fille de Jonathan Peachum est follement amoureuse de Mackie
et déchirée de devoir être séparée de lui aussi peu de temps après la
célébration de leur mariage. Trompée après cette séparation
pathétique, elle dispute Mackie à sa rivale Lucy.
Au moment de la séparation…
POLLY : « Ah, Mac. Ne m’arrache pas le coeur de la poitrine. Reste avec moi, et
soyons heureux ensemble.
MAC : Et moi, il faut bien que je m’arrache le coeur de la poitrine, puisque je
dois partir et que nul ne sait quand je reviendrai.
POLLY : Tout a été si bref, Mac. » (p.45)
TIGER BROWN
: le shérif Brown est un ancien et fidèle ami de Mackiele-Surineur. Il incarne l’amitié virile, essentiellement quand Mackie est
derrière les barreaux. Totalement sincère vis-à-vis de Mackie, il est même
présent le jour de son mariage alors que Macheath est recherché par la
police.
Lors de l’arrestation de Mackie :
Brown exprime son souci dans un monologue tendu. Il souffre face à Mac
capturé :
« Ah, Mac, ce n’est pas moi... j’ai fait tout ce que j’ai pu... ne me regarde pas
comme ça, Mac... je ne peux pas supporter ça... Ton silence est effrayant. (Il
engueule un constable) Ca suffit comme ça, ne te crois pas obligé de tirer sur
la corde, cochon !... Dis-moi quelque chose, Mac. Dis quelque chose à ton
pauvre Jackie... dis-moi un seul mot, pour me soutenir en ce sombre... (Il
appuie sa tête au mur et se met à pleurer.) Il ne m’a pas jugé digne d’une
seule parole. Il sort. » (p.52)
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4. L’UNIVERS BRECHTIEN
4.1. Le glossaire
CULINAIRE
Terme appliqué par Brecht à l’opéra traditionnel, à ses
yeux simple objet de consommation uniquement
dirigé vers la satisfaction d’un plaisir facile et
immédiat.
DISTANCIATION
(en allemand Verfremdungseffekt) - Effet qui vise à
montrer au spectateur ce que l’illusion théâtrale a de
factice et à le maintenir étranger à l’action pour
éveiller son regard critique. S’oppose aux processus
de fusion affective avec les personnages recherchés
par Stanislavski (c.f. 4.2.)
ÉPIQUE
Le théâtre épique de Brecht s’oppose au théâtre
dramatique, qui essaie de recréer un faux présent. Au
contraire, le théâtre épique est historique, il rappelle
constamment au public qu’il assiste à une
représentation d’événements passés destinés à lui
faire apparaître les lois qui régissent sa vie sociale et à
l’éveiller sur leur nécessaire transformation.
SONGS
Solution trouvée par Kurt Weill pour confier à la
musique les principales idées véhiculées par la pièce.
C’est une sorte de ballade moderne apparentée à la
chanson de cabaret et au jazz, martelée à la manière
des chants de propagande.
4.2. Le concept de la distanciation
Concept introduit par Brecht pour définir un des fondements de son projet
théâtral, la distanciation (Verfremdung) est une notion à la frontière de
l'esthétique et du politique.
Le principe des procédés de distanciation consiste à faire percevoir un
objet, un personnage, un processus, et en même temps à le rendre
insolite. Suite au traitement qui lui est appliqué, l'objet devient étrange, il
est "étrangéifié".
L'objectif recherché est d'inciter le spectateur à prendre ses distances par
rapport à la réalité qui lui est montrée, de solliciter son esprit critique. Le
but est d'aviver la conscience. Lorsqu'elle est efficace, la distanciation a un
effet politique de désaliénation (non pas dans la mesure où des réponses
seraient apportées, mais plutôt par le fait qu'elle met en évidence les
caractères essentiels des discours orchestrés par le spectacle).
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Fiche pédagogique n°2
En ce qui concerne la mise en œuvre, il s'agit de défaire l'illusion en
soulignant le caractère construit (non naturel) de la réalité représentée.
Les procédés sont nombreux et peuvent concerner des aspects variés du
texte et de la représentation.
-
Le texte souligne les contradictions du personnage.
-
Le personnage et le jeu de l'acteur : l'acteur souligne le caractère artificiel
de la diction ; il montre son personnage en même temps qu'il le joue ;
il parle de lui-même à la troisième personne ; un acteur incarne plusieurs
rôles, simultanément ou successivement ; etc.
-
L'utilisation du chant : l'intervention des "songs" différencie nettement
l'histoire et le commentaire de l'histoire.
-
L'énonciation : l'action est racontée, il peut donc y avoir présence d'un
narrateur ; chacun des personnages est susceptible de devenir narrateur,
et donc de s'adresser au public (utilisation de la double énonciation).
-
Autres aspects de la mise en scène : brusque éclairage de la salle,
utilisation de panneaux et cartons, volonté de souligner le caractère
artificiel du décor (ostentation de la machinerie), etc.
Dans L'opéra de quat'sous, Brecht utilise de nombreux procédés de
distanciation : les songs, les panneaux, la double énonciation (Peachum
s'adressant au public dans le final), mais aussi le montage critique des discours
stéréotypés et l'intervention sur la fable (double dénouement). Tout ce travail est
très conscient de la part de Brecht, et il l'évoquera à plusieurs reprises :
« Le théâtre dispose de différents moyens pour provoquer l’effet de distanciation
voulu au cours de la représentation publique. (…) A Berlin, lors de la
représentation de L'Opéra de quat'sous, les titres des songs furent projetés
pendant que les comédiens chantaient. » (Texte écrit en 1940, in Ecrits sur le théâtre, Paris,
Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2000, p. 906. )
5. LES PISTES PEDAGOGIQUES
En amont de la représentation :
1. Lecture silencieuse du texte donné en annexe 3 ( Premier acte – 1)
2. consignes : par groupes, élaborer la fable de cette scène (quels
sont les événements essentiels, les personnages, l’intrigue ?)
3. Mise en commun et nécessité pour l’enseignant d’élucider les
implicites du texte.
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Fiche pédagogique n°2
4. Mise en jeu du texte : chaque groupe (de 3 ou 4 élèves) réduit la
scène à 5 ou 6 répliques et présente sa petite forme devant les
autres.
5. On peut imaginer une écriture d’invention : Seul ou par deux, écrire
un dialogue dans lequel l’histoire sera située à notre époque. Choisir
un registre (sérieux, plaisant…) Intégrer une ou deux phrases du
texte de B. Brecht. Le texte ne comportera pas plus de 5
didascalies.
6. Pour appréhender de modeste façon, le principe de la distanciation,
prendre la première tirade que M. Peachum adresse au public.
Aligner les élèves : chaque élève à tour de rôle lance une phrase au
public et doit la dire de façon différente (sur un registre différent) :
en bégayant, en sur-articulant,
en adoptant un accent, en
accélérant… Cela permet de travailler l’adresse au public et de
donner une saveur différente à chaque phrase.
7. Demander au professeur d’Education musicale de faire écouter à la
classe l’interprétation d’Ella Fitzgerald : Mack the Knife.
6. SOURCES et ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
Les documents réunis dans ce dossier proviennent de :
-
Bertolt Brecht, L’Opéra de quat’sous, Paris, L’Arche, réed. 1974 (texte
français Jean-Claude Hémery).
Bertolt Brecht, Kurt Weill, articles de Wikipédia :
http://fr.wikipedia.org/wiki
L’opéra de quat’sous in http://www.bertbrecht.be
L’opéra de quat’sous, in Passion Théâtre sur Internet
http://www.cndp.fr/tice/teledoc/mire/teledoc_quatsous.pdf
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Fiche pédagogique n°2
ANNEXES
Annexe 1 - L'opéra de quat'sous : découpage et présentation des
songs
Où ? Qui ?
Quoi ?
Prologue
Soho
Chant : La complainte de Mackie l Surineur
(présentation de Mackie)
Premier
acte /1
Peachum
Chant : Choral de Peachum
parodie d’un chant chrétien).
Le
vestiaire
à
mendiants de JJ
Peachum ;
Peachum,
Celia,
Filch
(bref
choral,
1. Peachum se plaint de l’usure des discours.
2. Filch et Peachum : Filch admire Peachum et
celui-ci menace (concurrence). Filch est
engagé. Peachum demande à sa femme des
nouvelles de Polly et de son prétendant.
SONG 1
Le song d’ "au lieu Sur le romantisme des jeunes, à cause de la lune
de ; Peachum et et des grands discours. Au lieu d’être sérieux, on
Celia
fait des bêtises.
Premier
acte /2
En plein cœur de
Soho ; une écurie
vide ;
Matthias,
Mackie,
Polly,
Jacob, Robert-laScie,
WalterSaule-Pleureur,
Eddy ; le pasteur
SONG 2
Le song de Jenny- Un jour des navires canonneront le port, et tout
sera détruit, et Jenny les fera tous mettre à mort.
des-Corsaires :
Polly Peachum 27
Les mêmes + le
shérif Tiger-Brown
1. On prépare le mariage (meubles), on
apporte des cadeaux ; Polly est un peu
triste.
2. Chanson des 4 hommes de Mackie, tandis
qu’ils scient les pieds du clavecin.
3. On ne craint rien du côté du shérif à cause
du couronnement (qui a lieu vendredi).
4. Mariage parodique.
5. Arrivée du révérend. On chante un
cantique
(Epithalame des pauvres) : complainte
de Bill Lawgen et Mary Syer.
6. Polly va chanter la chanson de la fille de
cuisine (avec mise en scène : elle fait jouer
les amis de Mackie).
1. Mackie commente la chanson ; il se moque
du pasteur qui mange le poisson avec un
couteau.
2. Le shérif arrive, les bandits se cachent ;
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Fiche pédagogique n°2
Mackie les présente au shérif. Mackie et
Tiger-Brown chantent le chant des canons
(souvenir de leur passage dans l’armée).
SONG 3
Mackie
Brown
et
Tiger- Chant martial et sanguinaire : " Le chant des
canons "
Les mêmes
1. Mackie évoque son amitié avec Tiger-Brown.
Il demande sa protection contre Peachum.
2. Tiger-Brown parti, les compagnons de
Mackie lui offrent un lit en chantant le
chant de Bill Lawgen. Chant de Polly et
Mackie : ils chantent romantiquement
leur union.
Premier
acte /3
Le
vestiaire
à Madame Peachum
mendiants
de mariée ?
Peachum,
Polly,
Célia
SONG 4
Polly
interroge
sa
fille : est-elle
" Par une petite chanson, Polly fait comprendre à
ses parents qu’elle a épousé le bandit Mackie. "
1. Peachum se plaint que Polly soit devenue
" une fille à gangsters ". Perte de revenus.
2. Cinq mendiants arrivent et se plaignent.
Deux renvois immédiats.
3. Réprimandes des parents envers Polly.
4. Ils se décident à dénoncer Mackie (pour la
prime). Polly les a entendus. Elle les informe
des bonnes relations existant entre Mackie
et le shérif.
5. Peachum va dénoncer Mackie et Célia part à
Turnbridge (chez les putains, pour savoir où
est Mackie)
Premier
acte
Finale
Polly,
Peachum, " Sur l’instabilité des choses humaines " Le monde
Madame Peachum est mauvais, l’homme n’est pas bon.
Deuxième L’écurie.
acte /4
Mackie,
Robert,
Walter
Polly,
Mathias,
Jacob,
1. Polly annonce à Mackie que Brown et
Peachum ont décidé de l’arrêter. Mackie doit
partir. Il met Polly au courant de ses
affaires, annonce la liquidation prochaine de
sa société et de ses associés.
2. Arrivée de sa bande : ils acceptent Polly
comme chef.
3. Départ de Mackie : séparation lyrique, chant
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Collèges au théâtre
Saison 20082008-2009
Fiche pédagogique n°2
bref de Mackie (48), puis de Polly.
Intermède Madame Peachum Madame Peachum demande à Jenny-des-Lupanars
et
Jenny-des- de dénoncer Mackie (pour 10 shillings).
Lupanars
SONG 5
Madame Peachum La ballade de l’esclavage des sens (sur Mackie)
Deuxième Turnbridge,
un
acte /5
bordel. Jeudi soir.
1. Arrivée impromptue de Mackie. Jenny-desLupanars lui lit les lignes de la main. Jacob
lit l’avis de recherche. Mackie chante " La
Ballade du souteneur ", en l’honneur de
Jenny-des-Lupanars, qui arrive avec Brown
pour l’arrestation.
2. Arrestation burlesque. Jacob, plongé dans sa
lecture, n’a rien vu.
Deuxième Prison
à
Old
acte /6
Bailey ;
Brown,
Mackie, le gardien
1. Monologue de Brown (il souffre de devoir
faire du mal à un ami).
2. Arrivée de Mackie, départ de Brown,
commentaire de Mackie.
3. Corruption du gardien (menottes).
Ballade de bonne vie : éloge de la vie de petitbourgeois : " Il n’est trésor que de vivre à son
aise. "
SONG 6
Lucy, Polly, Mackie
SONG 7
Le
duo
de
jalousie (Lucy
Polly)
1. Arrivée de Lucy, fille de Brown, que Mackie
appelle sa femme. Dispute.
2. Arrivée de Polly, furieuse parce que Mackie
est allé chez les filles. Dispute à trois,
Mackie prend le parti de Lucy, qui est
enceinte.
la Chacune des deux femmes affirme être l’élue de
et Mackie.
Les
mêmes
+
Madame Peachum
1. Mackie et Lucy chassent Polly.
2. Arrive Madame Peachum, qui houspille sa
fille. Retour à la maison.
3. Réconciliation de Mackie et Lucy.
4. Brève lutte de Mackie et du constable Smith.
Première fuite de Mackie.
5. Arrivée de Brown, ravi de la fuite de Mackie,
puis de Peachum. Brown simule la rage,
Peachum le menace. Brown semble se lancer
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Saison 20082008-2009
Fiche pédagogique n°2
à la poursuite de Mackie.
Deuxième " Car de quoi vit Deux thèmes : l’homme vit de méfaits et de
acte
l’homme ? " (Mac péchés ; " la bouffe vient d’abord, ensuite la
/Finale
et Jenny)
morale ".
Song 8
1. Préparatifs
des
mendiants
pour
le
couronnement. Arrivent les putains. Jenny
agresse Peachum, qui ne veut pas la payer
pour la dénonciation de Mackie. Dans sa
conversation, elle dénonce une nouvelle fois
Mackie (il est chez Suky Tawdry).
2. Chant : 2 ème strophe de la " Ballade de
l’esclavage des sens ".
3. On envoie Filch prévenir Brown.
4. Celui-ci arrive pour arrêter Peachum et les
mendiants qui veulent manifester. Peachum
le menace, et réciproquement.
5. Discours de Peachum sur la misère et les
lois. Il entonne le song.
Troisième
acte /7
SONG 9
" Chant
de
la
vanité de l’effort
humain "
1. Peachum menace Brown d’une grande
manifestation de mendiants. Brown cède.
Peachum lui donne l’adresse de Mackie. Il
s’y rend, dépité.
2. Peachum entraîne son armée de mendiants
à Old Bailey.
Peachum chante la strophe 4 du song 9.
SONG 9
SONG 10
" Song
de Song carnavalesque, sur le thème du temps, avec
Salomon " (Jenny, mise en abyme (allusion à B B).
avec un orgue de
Barbarie).
Troisième Chambre de jeune
acte /8
fille à Old Bailey ;
Lucy, Polly, Mme
Peachum.
Discussion entre les deux jeunes filles, à propos
de Mackie. On apprend que la grossesse de Lucy
était simulée. Mme Peachum vient chercher sa fille
pour l’exécution.
Troisième Prison (la cellule
du
condamné).
acte /9
Constables
1. Les constables discutent de l’heure de
l’exécution (6 heures). Brown entre et sort.
Mackie corrompt Smith (1000 livres). Chant
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(+Smith), Mackie,
Brown, Matthias et
Jacob,
Polly,
Peachum et Mme
Peachum.
SONG 11
Fiche pédagogique n°2
de Mackie sur sa mort.
2. Matthias et Jacob arrivent. Le temps presse.
Discussion pour rassembler les fonds.
Alternance préparatifs de l’exécution/quête
de l’argent. Mackie chante.
3. Polly arrive, elle n’a pas d’argent. Brown
arrive, il a mal à l’âme. Un discours sur
l’amitié virile. Il fait les comptes avec
Mackie. Celui-ci lui reproche de ne pas
l’aider (récite un quatrain de Villon). Brown,
vexé, quitte la cellule et ordonne la mise à
mort.
4. Tout le monde entre joyeux dans la cellule
(seule Polly ne l’est pas). Discours de
Mackie.
Ballade de merci
(d’après Villon)
Mackie se dirige vers le gibet. Peachum s’adresse
au public, et annonce un autre dénouement.
Troisième Les
mêmes
+ Arrivée du héraut du roi. Discours évoquant la
acte
Brown (héraut du scène Jésus/Barrabas : Mackie sera relâché à
/Finale
roi).
l’occasion du couronnement, et recevra la
noblesse à titre héréditaire.
ANNEXE 2 – Correpondance : réponse de Kurt Weill (lettre janvier
1929)
Cher Monsieur Weill,
Le succès sensationnel de L’Opéra de quat’sous1, qui a vu subitement une oeuvre d’un
style totalement neuf, annonciatrice de l’avenir, connaître la fortune commerciale,
confirme avec bonheur les prédictions exprimées à plusieurs reprises dans ce journal. La
nouvelle opérette-opéra2 populaire, qui prend acte des données artistiques et sociales du
présent, a pu s’imposer de manière exemplaire. Pouvons-nous vous prier, vous qui avez
l’avantage sur nos déductions sociologiques et esthétiques de tirer une légitimité sans
équivoque de votre travail pratique et de votre succès confirmé, de vous exprimer dans
les colonnes de notre journal, d’un point de vue théorique, sur le chemin parcouru ?
Cher Anbruch,
Je vous remercie de votre lettre et vous réponds volontiers sur la direction dans laquelle
Brecht et moi nous nous sommes engagés avec cette oeuvre et que nous pensons
exploiter.
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Fiche pédagogique n°2
Dans votre lettre, vous renvoyez à la signification sociologique de L’Opéra de quat’sous.
Le succès de notre pièce démontre en effet que la création et la réalisation de ce
nouveau genre ne venaient pas seulement au bon moment par rapport à la situation de
l’art mais que le public aussi semblait attendre un renouvellement de son genre théâtral
préféré. J’ignore si notre genre va maintenant prendre la place de l’opérette. Après que
Goethe lui-même soit réapparu sur terre par le truchement d’un ténor d’opérette3,
pourquoi une autre série de personnalités historiques ou au moins princières ne
lancerait-elle pas non plus son hurlement tragique à la fin du second acte ? La réponse
vient d’elle-même et je ne crois sincèrement pas qu’il y ait là une perspective qui vaille la
peine d’être exploitée. Il est plus important pour nous tous d’avoir pour la première fois
réussi à ouvrir une brèche dans une industrie de consommation jusque-là réservée à un
tout autre type de musiciens et d’écrivains. Avec L’Opéra de quat’sous, nous touchons un
public qui ne nous connaissait pas du tout ou ne nous pensait pas capables de toucher un
cercle d’auditeurs dépassant de loin le cadre du public des concerts et de l’opéra.
Considéré sous cet angle, L’Opéra de quat’sous s’inscrit dans un mouvement qui
intéresse aujourd’hui presque tous les jeunes musiciens. Le renoncement à la position de
l’art pour l’art, l’abandon du principe artistique individualiste, l’idée du film musical, le
rattachement au mouvement musical pour la jeunesse, la simplification des moyens
d’expression musicaux liée à toutes les tendances nous font progresser dans la même
direction. Seul l’opéra demeure encore dans son « splendide isolement ». Son public se
compose toujours d’un groupe fermé de gens qui se place apparemment au-dessus du
grand public de théâtre. L’ « opéra » et le « théâtre » sont toujours traités comme deux
concepts totalement séparés. Le type de dramaturgie, la langue, les arguments traités
dans les nouveaux opéras ne seraient pas transposables dans le théâtre de notre époque.
Et l’on devrait s’entendre répéter : « Cela marche peut-être au théâtre mais pas à
l’opéra ! ». Ce dernier fut établi comme forme aristocratique, et tout ce que l’on nomme
tradition de l’opéra » n’est que rappel du caractère fondamentalement mondain du
genre. Mais aujourd’hui, dans le monde, il n’existe plus de forme d’art au caractère
mondain si prononcé, et le théâtre, en particulier, s’est tourné avec détermination vers
une direction que l’on peut caractériser comme la promotion de l’esprit social. Si donc
l’opéra ne supporte pas un tel rapprochement avec le théâtre contemporain, alors ce
cadre doit exploser. C’est seulement ainsi que l’on peut comprendre que la tendance
fondamentale de presque tous les essais d’opéras vraiment importants de ces dernières
années ait été purement destructrice.
Dans L’Opéra de quat’sous, la reconstruction était devenue possible : on pouvait
reprendre à zéro. Ce que nous voulions retrouver était la forme originelle de l’opéra4. À
chaque fois que l’on écrit une œuvre musicale dramatique, on retrouve la même
question : comment la musique et, surtout, le chant au théâtre sont-ils tout simplement
possibles ? Cette question a été résolue ici de la manière la plus primitive. J’avais une
action réaliste, la musique devait donc s’y opposer, puisque telle n’est pas sa nature.
Ainsi, l’action était interrompue pour laisser place à la musique, ou bien elle était
consciemment conduite vers un point où le chant devait simplement apparaître. Cette
pièce nous offrit en outre la possibilité d’installer le concept d’« opéra » comme thème
d’une soirée de théâtre. Au tout début de la pièce, le spectateur est instruit : «Vous allez
voir ce soir un opéra pour mendiants ». C’est parce que cet opéra a été conçu de
manière si fastueuse que seuls des mendiants puissent en rêver, et parce qu’il devait
être si bon marché que des mendiants puissent se le payer, qu’il s’appelle L’Opéra de
quat’sous. Pour cela aussi, le dernier « Finale de quat’sous » n’est en aucun cas une
parodie ; le concept d’« opéra » fut élevé ici directement au dénouement d’un conflit, en
tant qu’élément constitutif de l’action : il devait donc être formulé sous sa forme la plus
pure et la plus originelle. Ce retour à une forme primitive d’opéra impliquait une grande
simplification du langage musical. Il fallait écrire une musique susceptible d’être chantée
par des acteurs, donc des musiciens amateurs. Mais ce qui apparut d’abord comme une
limitation s’avéra, au cours du travail, un enrichissement considérable. C’est la réalisation
d’une mélodique compréhensible et évidente qui rendit possible ce qui est réussi dans
L’Opéra de quat’sous : la création d’un nouveau genre de théâtre musical.
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Fiche pédagogique n°2
Votre dévoué Kurt Weill
Paru dans Anbruch, Vienne, janvier 1929.
Titre original : Korrespondenz über Dreigroschenoper.
Kurt Weill, De Berlin à Broadway.
Traduction Pascal Huynh. © Éditions Plume, 1993 (d.r.)
Cette lettre de Weill constitue un de ses textes les plus importants sur l’esthétique du théâtre musical, avec
l’entretien avec Fischer sur Der Jasager et l’essai Sur le caractère gestuel de la musique, de 1929.
1. Un an après la première, quatre mille représentations avaient lieu dans cinquante théâtres et, en 1932, la
pièce était traduite dans dix-huit langues. Des débits de boisson et des marques de papiers peints
s’accaparèrent le succès en se baptisant du nom de la pièce.
2. Cette appellation témoigne des discussions contemporaines sur le nouveau genre et la forme mixte. La revue
Die Szene consacra, en février 1929, un numéro à l’opérette, de même qu’Anbruch, un mois plus tard. Les
partisans de l’opérette traditionnelle, comme Lehár, Reznicek et Benatzky, y témoignèrent de leur confiance
pour le genre, confortés par le succès populaire. Si L’Opéra de quat’sous est un succès en 1928, dans un
théâtre voisin, Friederike, de Lehár, triomphe.
3. Allusion à l’opéra de Lehár dans lequel Richard Tauber jouait le rôle de Goethe.
4. Celle de l’opéra avec dialogues dont les références sont, pour Weill, Mozart et Weber (La Flûte enchantée, Le
Freischütz). L’Opéra de quat’sous est la première oeuvre d’envergure où s’applique cette tendance.
Annexe 3 - L'opéra de quat'sous : premier acte, 1 (p.9 à 15)
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Fiche pédagogique n°2
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PREMIER ACTE
1
Pour faire face à l'endurcissement croissant de l'espèce
humaine, l'homme d'affaires J. Peachum avait ouvert une
officine où les plus déshérités des déshérités prenaient une
apparence capable de parler au cœur le plus racorni.
Le vestiaire à mendiants de Jonathan Jeremiah Peachum.
CHORAL MATINAL DE PEACHUM
Réveille-toi, mauvais chrétien!
Reprends ta vie de péché, chien!
Montre de quoi tu es capable,
Et que Dieu te soit secourable!
Vends ton frère, vends, salaud, Ta
femme, infâme maquereau! Et
Dieu le Père, c'est du vent?
Attends le jour du Jugement!
PEACHUM, au public : Il faut que cela change. Mon métier
devient impossible; il consiste à éveiller la pitié chez les gens. Il
existe bien quelques trop rares procédés capables d'émouvoir le
cœur de l'homme, mais le malheur est qu'ils cessent d'agir au
bout de deux ou trois fois. Car l'homme possède une redoutable
aptitude à se rendre insensible pour ainsi dire à volonté. C'est
ainsi, par exemple, qu'un homme qui en voit un autre tendre un
moignon au coin de la rue, sera prêt, dans son saisissement, à lui
donner dix pennies la première fois, mais la deuxième fois, plus
que cinq pennies, et, s'il le rencontre une troisième fois, il le
livrera froidement à la police. Il en va de même des armes
psychologiques. (Un grand panneau descend des cintres. On y
lit : « Le vrai bonheur consiste à donner ».) A quoi bon peindre
avec amour les devises les plus nobles et les plus convaincantes
sur les plus ravissants panonceaux? Elles perdent tout de suite
leur force de persuasion. Dans la Bible, il y a peut-être
L'Opéra de quat'sous
quatre ou cinq maximes qui parlent au cœur; quand on les a
épuisées, on se retrouve sans gagne-pain. Tenez, par exemple,
cet écriteau : « Donne et il te sera donné », depuis trois
malheureuses semaines qu'il pend ici, il ne fait plus aucun effet.
Le public veut toujours du nouveau. Evidemment, je vais encore
mettre la Bible à contribution, mais combien de temps cela
suffira-t-il ?
On frappe. Peachum va ouvrir. Entre un jeune homme du
nom de Filch.
FILCH : Peachum et Cie ?
PEACHUM : Peachum.
FILCH : C'est bien vous le directeur de la société « L'Ami du
mendiant» ? On m'a dit de m'adresser à vous. Ah, ça, au moins,
c'est des maximes! Un vrai capital! Vous en avez sans doute
toute une bibliothèque? Ça, au moins, c'est quelque chose. Nous
autres, où est-ce qu'on irait chercher des idées pareilles, et quand
on n'a pas d'instruction, comment voulez-vous que les affaires
prospèrent?
PEACHUM : Votre nom?
FILCH : Voyez-vous, monsieur Peachum, dès ma jeunesse,
j'ai joué de malchance. Ma mère buvait et mon père était joueur.
Livré à moi-même depuis toujours, sans la main aimante d'une
mère, je me suis enfoncé peu à peu dans le bourbier de la grande
ville. Je n'ai jamais connu l'affectueuse sollicitude d'un père ni
les bienfaits d'un foyer uni. Et c'est ainsi que vous me voyez ...
PEACHUM : C'est ainsi que je vous vois ...
FILCH, déconcerté : ... dénué de toutes ressources, jouet de
mes instincts.
PEACHUM : Comme une épave en haute mer et caetera.
Maintenant, dites-moi, espèce d'épave, dans quel secteur récitezvous cette émouvante bluette ?
FILCH : Pardon, monsieur Peachum?
PEACHUM : Ce récital, vous le donnez bien en public?
FILCH : C'est-à-dire, voyez-vous, monsieur Peachum, hier,
à Highland Street, il s'est produit un pénible incident. Je me
tiens là, tranquille et malheureux au coin de la rue, le chapeau à
la main, sans songer à mal. ..
PEACHUM feuillette un registre: Highland Street, oui, c'est
bien ça. C'est toi le salopard que Sam et Honey ont pincé hier.
Tu avais le culot d'importuner les passants dans le sec-
11
L'Opéra de quat'sous
teur nO 10. Nous avons réglé l'affaire par une volée de bois
vert, parce que nous nous sommes dit : « En voilà un qui n'a pas
su frapper à la bonne porte ». Mais si on t'y repince une seule
fois, alors, ce sera la scie! Compris?
FILCH : Je vous en prie, monsieur Peachum, je vous en prie.
Que dois-je faire, monsieur Peachum? Avant de me donner
votre carte, ces messieurs m'ont couvert de bleus. Tenez, si
j'enlevais ma veste, vous croiriez parler à une morue séchée.
PEACHUM : Cher ami, tant que tu n'es pas aplati comme une
raie, tu peux dire que mes hommes ont été bougrement mous!
Regardez-moi ce blanc-bec! Ça s'amène tranquillement,
persuadé qu'il lui suffira de faire le beau pour avoir son bifteck
assuré. Que dirais-tu, si on venait pêcher les meilleures truites
de ton étang?
FILCH : Eh bien, c'est-à-dire, monsieur Peachum ... je n'ai
pas d'étang.
PEACHUM : Bon. Les licences ne sont délivrées qu'à des
professionnels. (Très homme d'affaires, il montre un plan de la
ville.) Londres est divisé en quatorze secteurs. Quiconque se
propose d'exercer la profession de mendiant dans l'un de ces
secteurs a besoin d'une licence de Jonathan Jeremiah Peachum
et Cie. Autrement, n'importe qui pourrait s'amener, - jouet de
ses instincts.
FILCH : Monsieur Peachum, seuls quelques shillings me
séparent de la ruine complète. Pour deux shillings, il doit y avoir
moyen ...
PEACHUM : Vingt shillings.
FILCH : Monsieur Peachum! (Implorant, il montre un
panneau sur lequel on lit : « Ne ferme pas ton oreille à la
misère! » Peachum montre le rideau d'une vitrine, sur lequel on
lit : « Donne, et il te sera donné. ») Dix shillings.
PEACHUM : Et cinquante pour cent des recettes hebdomadaires. Avec fourniture de l'équipement, soixante-dix pour cent.
FILCH : Pardon, en quoi consiste l'équipement?
PEACHUM : C'est la société qui le décide.
FILCH : Dans quel secteur pourrais-je entrer en fonction?
PEACHUM : Baker Street, 2-104. C'est même meilleur
marché. Là, ça ne fera que cinquante pour cent avec l'équipement.
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Collèges au théâtre
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Fiche pédagogique n°2
L'Opéra de quat'sous
FILCH : Voici.
Il paie.
PEACHUM : Votre nom?
FILCH : Charles Filch.
PEACHUM : C'est bien ça. (Il crie :) Madame Peachum ! (Entre
madame Peachum.) Voici Filch, numéro trois cent quatorze. C'est
moi qui l'inscris. Naturellement vous voulez vous faire embaucher
juste avant les fêtes du couronnement, le seul moment dans toute une
vie d'homme où il y ait un petit quelque chose à glaner. Equipement
C.
Il soulève le rideau d'une vitrine où se trouvent cinq mannequins'
de cire.
FILCH : Qu'est-ce que c'est?
PEACHUM : Ce sont les cinq types fondamentaux de misère qui
sont capables d'émouvoir le cœur de l'homme. La vue de ces
différents types plonge l'homme dans cet état contrenature où il est
prêt à lâcher son argent. Equipement A : victime du progrès des
moyens de transport. L'alerte paralytique, toujours gai (il mime le
personnage), toujours insouciant, à peine assombri par un moignon.
Equipement B : victime de l'art de la guerre. L'insupportable
trembloteur, importune les passants. Travaille par le dégoût qu'il
inspire (il mime le personnage), dégoût que la vue de ses nombreuses décorations atténue à peine. Equipement C : victime de
l'essor industriel. Le pitoyable aveugle, ou la haute éçole de l'art
mendicitaire. (Il mime le personnage, en s'avançant à tâtons vers
Filch. Au moment. où il se heurte à Filch, celui-ci, effrayé, pousse un
cri. Peachum s'arrête aussitôt, le toise d'un air stupéfait, et se met à
hurler :) Il a pitié! Jamais, au grand jamais, vous ne ferez un bon
mendiant! Regardez-moi ça! C'est' à peine capable de faire un
passant! Bon, équipement D ! Celia, tu as encore bu 1 Et maintenant,
tu n'as pas les yeux en face des trous! Le numéro cent trentesix s'est
plaint de ses frusques. Combien de fois devrai-je te répéter qu'un
gentleman n'enfile jamais de vêtements crasseux. Le numéro cent
trente-six a payé pour un costume flambant neuf. Les taches, le seul
élément du costume qui doive inciter à la pitié, il fallait les faire à
l'aide de stéarine de bougie appliquée au fer chaud. Mais tu ne
penses à rien! Il faut que je fasse tout moi-même! (A Filch :)
Déshabilletoi et enfile-moi ça, mais entretiens-le bien!
L'Opéra de quat'sous
13
FILCH : Et que deviennent mes affaires?
PEACHUM : Propriété de la société. Equipement E, « Jeunehomme-qui-a-connu-des-jours-meilleurs », ou, éventuellement, «
qui a mangé son pain blanc en premier ».
FILCH : Ah, bon, vous les remettez en service? Et cette histoire
des jours meilleurs, pourquoi ne la donnerais-je pas moi-même .?
PEACHUM : Parce que personne ne croit aux misères véritables
de personne, mon fils. Si tu as mal au ventre et que tu le dises, ça ne
produit qu'une impression dégoûtante. D'ailleurs, tu n'as pas à poser
de questions, mais seulement à enfiler tes frusques.
FILCH : Est-ce qu'elles ne sont pas un peu sales? (Comme
Peachum lui ;ette un regard assassin :) Oh, excusez-moi, excusezmoi!
MADAME PEACHUM : Maintenant, grouille-toi un peu, petit,
je ne vais pas tenir ton pantalon jusqu'à la Saint-Glinglin.
FILCH, tout à coup véhément : Mais m~s bottes, je ne les
enlèverai pas, je ne les enlèverai à aucun prix! J'aimerais mieux
renoncer tout de suite! C'est le seul cadeau que m'ait jamais fait ma
pauvre mère, et jamais, au grand jamais, aussi bas que je sois tombé
...
MADAME PEACHUM : Ne dis donc pas de bêtises, je sais bien
que tu as les pieds sales.
FILCH : Et où donc est-ce que je pourrais me laver les pieds? En
plein hiver!
Madame Peachum le conduit derrière un paravent, puis elle
s'assoÎi à gauche et se met à repasser un costume à la stéarine.
PEACHUM : Où est ta fille?
MADAME PEACHUM : Polly? En haut!
PEACHUM : Est-ce que cet homme est revenu hier? Celui qui
vient toujours quand je ne suis pas là !
MADAME PEACHUM : Ne sois donc pas si méfiant, Jonathan,
il n'y a pas plus gentleman que lui. Monsieur le captain en pince pas
mal pour notre Polly.
PEACHUM : Ah?
MADAME PEACHUM : Et si j'ai pour quatre sous de jugeotte,
Polly le trouve aussi très bien.
PEACHUM : Celia, tu parades avec ta fille comme si j'étais
millionnaire! Tu veux sans doute la marier? Crois-tu donc
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Fiche pédagogique n°2
L'Opéra de quat'sous
que notre foutue boutique marcherait encore une semaine si notre
aimable clientèle n'avait que nos jambes à regarder? Un gendre! Il
nous tiendrait tout de suite dans ses griffes! Il nous aurait! Crois-tu
qu'au lit ta fille tienne sa langue mieux que toi ?
MADAME PEACHUM : Tu as vraiment une jolie opinion de ta
fille!
PEACHUM : La plus mauvaise. La plus détestable. C'est la
sensualité en personne!
MADAME PEACHUM : En tout cas, ce n'est pas de toi qu'elle
tient ça.
PEACHUM : Se marier! Ma fille doit être pour moi ce qu'est le
pain à l'affamé. (Il feuillette sa Bible ... ) C'est même dit quelque
part dans la Bible. D'ailleurs, le mariage, ce n'est jamais qu'une
cochonnerie. Je lui ôterai bien ses idées de mariage de la tête!
MADAME PEACHUM : Jonathan, tu manques tout simplement
d'éducation.
PEACHUM : D'éducation! Comment s'appelle-t-il donc, ce
monsieur?
MADAME PEACHUM : Je ne l'ai jamais entendu appeler autre- .
ment que « le cap tain ».
PEACHUM : Alors, vous ne lui avez même pas demandé son
nom? Intéressant!
MADAME PEACHUM : Nous n'allions tout de même pas être
assez rustres pour lui demander son extrait de naissance ! Un
monsieur si distingué, qui nous invite toutes les deux à l'Hôtel de la
Pieuvre, pour un petit pas de danse!
PEACHUM : Où ça?
MADAME PEACHUM : A l'Hôtel de la Pieuvre, pour un petit
pas de danse.
PEACHUM : Captain? Hôtel de la Pieuvre? Ah, ah ... MADAME
PEACHUM : Ce monsieur ne nous a jamais touchées, ma fille et
moi, qu'avec des gants de chevreau.
PEACHUM : Des gants de chevreau!
MADAME PEACHUM : D'ailleurs, il porte toujours des gants, et
même des gants blancs : des gants de chevreau glacé blancs.
PEACHUM : C'est bien ça : des gants blancs, et une canne à
pommeau d'ivoire, des guêtres, des souliers vernis, un air d'autorité
et une cicatrice ...
L'Opéra de quat'sous
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MADAME PEACHUM : Au cou. Mais comment le sais-tu?
Filch passe la tête hors du box.
FILCH : Monsieur Peachum, est-ce que vous ne pourriez pas me
donner encore quelques tuyaux? J'ai toujours été partisan d'avoir un
système et de ne pas me mettre à parler à tort et à travers.
MADAME PEACHUM : Allons bon! Voilà qu'il lui faut un
système, maintenant!
PEACHUM : II fera un excellent idiot. Reviens ce soir à six
heures, on t'indiquera l'essentiel. Allez, fiche-moi le camp!
FILCH : Merci beaucoup, monsieur Peachum, merci infiniment!
Il sort.
PEACHUM : Cinquante pour cent! - Et maintenant, je vais te
dire qui est ce monsieur aux gants blancs : c'est Mackie-le-Surineur
!
Il monte quatre à quatre l'escalier qui conduit à la chambre
de Polly.
MADAME PEACHUM : Mon Dieu Seigneur! Mackie-le-Surineur! Viens, Seigneur Jésus, viens parmi nous! - Polly? Que fait
Polly?
Peachum redescend lentement.
PEACHUM : Polly? Polly n'est pas rentrée à la maison.
Son lit n'est pas défait.
MADAME PEACHUM : C'est qu'elle aura soupé avec le courtier en textiles. C'est sûrement ça, Jonathan!
PEACHUM : Dieu fasse que ce soit avec le courtier en textiles!
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