NOTE D’INTENTION
L’art explose ses frontières, que ce soit par l’architecture, par le cinéma ou la peinture, dans un milieu
industriel orissant. C’est dans ce contexte que naît cette proposition désordonnée de mise en abyme
de l’opéra « bourgeois ». Mais une mise en abyme à l’image de la société des années 30, où de grandes
utopies se mettent en place, où la crise sépare encore plus les pauvres des dirigeants, où un monde sou-
terrain et interlope tente de survivre.
C’est dans le cabaret-cirque de Jenny des Lupanars, dans ce bouge proche de l’Ange bleu que se pré-
parent les provocations envers les bourgeois, les repus, les riches. C’est ainsi que trahisons, mensonges,
coups bas et couteaux dans le dos, ouvrent le bal. Il n’y a pourtant pas de sang dans le spectacle, pas de
chagrin, pas de morts : tout est faux, les billets, les baisers, les larmes et les moignons des mendiants.
On est au cirque ! Mr Peachum fait tourner les clowns autour de la piste au son des grincements de dents
! Il lancera ainsi vers la surface du monde une meute de clowns, de vieux cabotins, de saltimbanques,
d’artistes. Chaque numéro est bien rodé ; les pirouettes sont impressionnantes, les tours de passe-passe
réussis, l’illusion est parfaite. Le tigre lui-même est si bien dressé qu’il entre seul dans sa cage et se
met à pleurer ... Alors, on rit, on applaudit, on en redemande ! Tout le monde sait pourtant que sous
les maquillages, les faux crânes, les perruques des clowns, il y a la tristesse, l’amertume, le dérisoire
et l’absurde. On reste jusqu’au bout, an de voir tomber le funambule et se réjouir de n’être que les
spectateurs du cirque grotesque de notre vie !
Éric Perez et Olivier Desbordes
metteurs en scène
RÉSUMÉ
Acte I
Dans son « vestiaire à mendiants «, Monsieur
Peachum reçoit la visite de Filch, un mendiant
rossé la veille parce qu’il ofciait sans l’accord de
la société Peachum. Filch est engagé par Peachum.
Arrive Célia son épouse : Peachum s’inquiète car
sa lle Polly, amoureuse, pourrait échapper à son
emprise paternelle. Il comprend que le prétendant
de Polly est Mackie le Surineur. Inquiétude : Polly
n’est pas rentrée.
Dans une écurie, mariage de Polly et Mackie,
en présence de la bande de Mackie. Cadeaux,
chansons. Arrive le shérif Brown, ami de Macheath ;
celui-ci le présente à ses hommes.
Chez Peachum. Polly avise ses parents qu’elle est
l’épouse de Macheath. Peachum se désole de la
perte de revenus qu’entraîne ce départ. Arrivent
cinq mendiants qui se plaignent : Peachum en
renvoie deux. Dispute entre Polly et ses parents :
ceux-ci annoncent qu’ils vont dénoncer Macheath
au shérif.
Acte II
Polly apprend à son mari que Brown et Peachum
ont décidé de l’arrêter. Macheath doit partir.
Il met Polly au courant de ses affaires, l’informe
de la liquidation prochaine de sa société et de ses
associés. Arrivée de la bande : ils acceptent Polly
comme chef. Départ de Macheath : séparation
lyrique, il promet de ne pas tromper son épouse.
De son côté, Jenny des Lupanars accepte de
dénoncer Macheath, pour 10 shillings.
Arrivée impromptue de Macheath au bordel de
Jenny. Première arrestation de Macheath (par
Jenny et le shérif Brown).
En prison : Brown se désespère de devoir faire
souffrir son ami. Mackie tâche de corrompre son
HISTORIQUE DE l’OpeRA de QuAt’SOuS
Inspiré de L’Opéra des Gueux de John Gay (1728), l’Opéra de Quat’sous est créé en 1928 au Theater am
Schiffbauerdamm de Berlin et connaît un immense succès en Europe : en cinq ans, elle est jouée plus de
10 000 fois et est traduite en dix-huit langues. Fort de son succès à la scène, la pièce est portée à l’écran
par le cinéaste allemand Pabst en 1931. Depuis, la popularité de L’Opéra de Quat’sous ne s’est jamais
démentie et la partition de Kurt Weill n’a cessé d’inspirer les plus grands noms du théâtre européen. Avec
de forts aspects social et politique, voire une sorte de satire à charge contre le capitalisme, cette œuvre
suscite d’importantes polémiques en Allemagne et elle y est interdit par les nazis, comme les autres
œuvres de Kurt Weill d’ailleurs, dès 1933.
gardien. Lucy, lle de Brown, vient apprendre à
Mackie qu’elle est enceinte (de lui). Arrivée de
Polly : les deux femmes se disputent. Macheath
prend le parti de Lucy et chasse Polly. Puis il
s’échappe ; Brown se réjouit de sa fuite. Arrive
Peachum qui menace le shérif, et nit par le
contraindre à partir à la recherche de Mackie.
Acte III
Chez Peachum : Peachum prépare une
manifestation des mendiants pendant le
couronnement de la reine. Les putains de Jenny
viennent réclamer leur dû pour la dénonciation de
Macheath. Peachum refuse de les payer, puisque
Macheath s’est enfui. Dans la conversation, Jenny
indique le lieu où se trouve Mackie. Brown arrive,
pour arrêter Peachum et les mendiants. Mais
Peachum parvient à intimider le commissaire, qui
se résout à partir à la recherche de Macheath.
Dans la chambre de Lucy, à la prison d’Old Bailey.
Réconciliation avec Polly. La grossesse de Lucy
était simulée. Macheath est repris.
Vendredi, 5 heures du matin, à la prison.
L’exécution doit avoir lieu avant 6 heures.
Macheath a besoin d’argent. Visite de deux de ses
hommes, Mathias et Jacob, qui partent chercher la
somme nécessaire pour le sauver. Visite de Polly, de
Brown. L’exécution est imminente. Mais Peachum
annonce au public un autre dénouement : arrivée
du héraut du roi. Macheath sera relâché et anobli,
à l’occasion des fêtes du couronnement.
RAPIDE ANALYSE DE L’ŒUVRE
Brecht est un auteur qui appartient ou en tous
cas qui est très inuencé, par le mouvement
expressionniste. Cette pièce s’inscrit pleinement
dans une certaine optique, en ce sens que Brecht
a la volonté de se détacher de la réalité, pour la
critiquer, notamment grâce à des procédés tels
que la «distanciation brechtienne». Les adresses
au public y sont donc fréquentes, abrogeant ainsi
le 4ème mur traditionnel entre l’espace scénique
et l’assemblée des spectateurs, incluant ainsi
le public dans l’espace de jeu et favorisant la
réaction émotionnelle de celui-ci, si chère aux
expressionnistes.
Quant aux mises en abîme, c’est un procédé très
largement utilisé par Brecht dans cette œuvre,
car elles lui permettent une fois de plus de mettre
à distance la réalité en créant une deuxième
instance scénique à l’intérieur de la première. Les
personnages deviennent spectateurs d’une ction
interne à la ction première, et cette confusion
opérée entre personnage et spectateur pousse le
public à s’interroger sur la réalité : si spectateur
et personnage peuvent être si aisément confondus,
alors comment savoir si je ne suis pas qu’un
acteur/personnage de la grande mascarade qu’est
le monde qui m’entoure ?
Le style dée directement le public de l’époque en
OLIVIER DESBORDES – MISE EN SCÈNE
Licencié de littérature française et ayant suivi une formation d’art dramatique aux cours Simon, Olivier
Desbordes réalise un long métrage, Requiem à l’Aube, en 1976. Il travaille ensuite au Palace jusqu’en
1984 et collabore avec des grands noms : Tina Turner, Paco Rabanne, Lagerfeld... En 1981, il crée le
Festival de Saint-Céré dont il assure depuis la direction artistique. En 1985, il crée Opéra Éclaté, structure
de décentralisation lyrique. Il collabore avec l’Opéra de Québec, les Opéras de Nantes,Massy et Besançon
avec des mises en scène : Tosca, Le Roi Malgré lui avec Nathalie Dessay. Il compte plus d’une cinquantaine
de mises en scène, dont des spectacles créés pour la première fois en France (Es liegt in der Luft, Le
Brave Soldat Schweik, der Silbersee...). Depuis 2011, il a repris, avec Michel Fau, les destinées du Festival
de Théâtre de Figeac, où il a mis en scène en 2012 Lost in the Stars de Kurt Weill et Maxwell Anderson
(première en France) qui a tourné en France. En 2013, il a mis en scène Le Malentendu d’Albert Camus,
en 2014 Le Voyage dans la Lune d’Offenbach en coproduction avec l’Opéra de Fribourg et Lausanne ainsi
que Cabaret avec China Moses, Nicole Croisille, Samuel Theis et Éric Perez notamment et en coproduction
avec les Folies Lyriques de Montpellier. En 2015, il met en scène Par la Fenêtre de Feydeau couplé à
Délires à deux de Ionesco, Falstaff de Verdi et co-signe la mise en scène de La Périchole avec Benjamin
Moreau.
ouvrant une brèche dans le 4ème mur avec ce que
Brecht a appelé la « distanciation ». Par exemple,
des slogans sont projetés sur le mur du fond et
les acteurs portent parfois des pancartes, ou
sortent de la situation dramatique pour s’adresser
directement au public. L’interprétation dée les
notions conventionnelles de propriété aussi bien
que celles du théâtre. Il pose la question rhétorique
centrale : « Qui est le plus grand criminel : celui
qui vole une banque ou celui qui en fonde une ? »
LA MUSIQUE & LE STYLE MUSICAL
Kurt Weill emprunte à de nombreux genres ou
styles musicaux tels le choral luthérien, la musique
d’opéra, le jazz, la chanson populaire de cabaret.
Dans l’écriture musicale de son livret, il «retape»
littéralement le drame lyrique, détruit l’opéra
sérieux en y intégrant des éléments insolites :
des chansons de variété, du cabaret, du jazz…
En s’encanaillant, sa musique acquière ainsi une
fonction de distanciation et permet de mieux
s’ouvrir à l’esprit critique. Moins de sentiments,
moins de fusion émotionnelle pour plus de
réexion accessible à tous. Notons que la chanson
d’ouverture, La Complainte de Mackie est devenue
un standard de jazz grâce à sa reprise entre autres
par Louis Armstrong et par Ella Fitzgerald sous le
titre Mack the Knife.
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