Aspects culturels dans la dépression masquée par des symptômes psychotiques 507
anormales avec agitation et insomnie et des idées
délirantes de persécution centrées sur l’entourage fami-
lial, ce qui a motivé le recours aux antipsychotiques
(fluphénazine), puis, devant l’absence d’amélioration,
l’hospitalisation.
Lors de l’hospitalisation et pendant les deux ans qui
ont suivi, sonLors de l’hospitalisation et pendant les deux
ans qui ont suivi, son état ne s’est pas amélioré de fac¸on
significative malgré les changements d’antipsychotiques
(halopéridol, puis lévomépromazine), avec persistance des
hallucinations et apparition d’un syndrome parkinsonien
iatrogène marqué.
Sur le plan nosographique, le diagnostic retenu, serait
celui d’une dépression psychotique. Cela suppose déjà qu’on
admette la présence des symptômes dépressifs par rap-
port aux symptômes psychotiques, ce qui ne va pas de
soi.
En présence de manifestations évoquant des halluci-
nations auditives, verbomotrices et cénesthésiques sans
signes dissociatifs, le diagnostic de psychose hallucina-
toire chronique (PHC) pouvait aussi être légitimement
évoqué.
Cependant, il convient de signaler que classiquement, le
début de la PHC est plus tardif et le contenu des manifesta-
tions verbales est injurieux, contrairement au cas présent.
Plus que cela, la complaisance manifeste vis-à-vis
des symptômes, l’avidité affective, les traits d’oralité
(immaturité, intolérance aux frustrations, recherche de
satisfactions immédiates), le contenu érotique des sensa-
tions «anormales »et la recherche de bénéfices secondaires
orienteraient vers le diagnostic d’une psychose hysté-
rique.
C’est dire que la signification du tableau présenté était
plus importante à considérer que sa situation nosogra-
phique. Dans ce sens, si on devait retenir le diagnostic
d’une PHC, il s’agissait alors d’une forme manifestement
réactionnelle et compensatoire à visée réparatrice et anti-
dépressive.
Commentaires
Ces trois observations nous paraissent illustrer l’idée
avancée par certains auteurs [2—5,9,12,17] qu’une symp-
tomatologie hallucinatoire et délirante essentiellement de
persécution peut être un mode d’expression d’un vécu
dépressif.
Dans les deux premières observations, le dommage ou
le préjudice était causé par un groupe qu’il était difficile
et apparemment inutile de circonscrire : la persécution
importait plus que les persécuteurs. Dans la première
observation, la connotation dépressive du délire n’était
pas évidente ; cependant l’analyse du contenu montrait
des idées d’autodévalorisation implicites : «les traqueurs
du malade l’utilisaient pour apprendre à moucharder »;
autrement dit, ils l’utilisaient comme «un cobaye »mis à
la disposition de débutants pour s’entraîner.
Dans la deuxième observation, la connotation dépressive
du délire pouvait être appréhendée à travers l’idée impli-
cite de jalousie : «ses voisines médisaient d’elle et son mari
allait l’abandonner ». Les idées indirectes de jalousie sem-
blaient être sous-tendues par des idées d’autodépréciation
et de culpabilité dont le départ du mari constituerait le
châtiment ultime.
Dans la troisième observation, les manifestations hallu-
cinatoires étaient venues combler une atteinte majeure de
l’estime de soi et une blessure narcissique.
En effet, la déception amoureuse qui a affecté la
patiente représentait pour elle une perte d’objet irré-
parable et une frustration insurmontable, d’autant plus
que sa personnalité était marquée par les traits de
l’oralité et qu’elle n’avait pas la possibilité de subli-
mer (niveau d’instruction limité, inactivité sur le plan
professionnel). Les manifestations hallucinatoires, de par
leur fonction apparemment compensatoire, permettaient à
l’intéressée, par le biais de la projection, de faire face,
du moins en partie, au sentiment dépressif et d’éviter
l’autodévalorisation qui ne pouvait pas être assumée par
elle.
D’ailleurs, l’amélioration, obtenue à un moment lors de
la prise en charge, n’était vraisemblablement pas tellement
liée à l’action de l’antidépresseur ou de l’antipsychotique,
mais plutôt à la relation thérapeutique qui avait permis une
restauration, du moins partielle, en tout cas suffisante, de
l’estime de soi. Cependant, le succès aurait été un peu trop
rapidement obtenu, sans établir préalablement les limites
de cette relation thérapeutique et finalement a été éphé-
mère.
Dans ses antécédents, et le long de son suivi, la patiente
a présenté une intolérance à plusieurs neuroleptiques.
Cela pourrait constituer un autre argument en faveur d’un
trouble de l’humeur notamment une dépression.
La prise en considération du contexte culturel nous
permet ici de comprendre la signification dépressive de
la symptomatologie délirante. Dans les sociétés tradition-
nelles, à haut contexte culturel ou communautaire, le
surmoi collectif est beaucoup plus important que le surmoi
individuel [16]. Le vécu dépressif s’exprime souvent par la
crainte d’être puni ou renié par le groupe avec un sentiment
de trahison envers la communauté. La punition peut être
directe ou indirecte, faite par des êtres imaginaires dont
l’existence est admise par la majorité, en l’occurrence «le
djinn »dans notre contexte culturel, ou par une atteinte
maladive [1,14].
Freud [6], dans Essais de psychanalyse, analysait notre
relation à la mort à travers l’attitude de l’homme des
origines qui, après avoir tué ses ennemis, va craindre la
vengeance des esprits de ses victimes. Ainsi, à l’aube de
l’humanité, «la mauvaise conscience », le sentiment de
culpabilité s’exprimaient par la peur de la vengeance de
l’esprit du mort, qui va alors persécuter le coupable. Cette
persécution, qui a ainsi une valeur de punition, repose sur
le mécanisme de la projection.
Dans le même sens, Freud [7], dans Totem et Tabou, ana-
lysait le tableau des morts que l’on retrouve chez les peuples
primitifs. Pour ceux-ci, la mort ne peut être que le résul-
tat d’une agression perpétrée par un homme. La mort par
maladie est donc la vengeance de l’esprit d’un mort sur le
vivant.
Dans toutes les religions, les impulsions, les pensées
reprouvées par l’individu, sont attribuées à Satan qui signifie
étymologiquement l’ennemi ou l’adversaire. Celui-ci joue
un rôle important pour soulager certaines angoisses, le sen-
timent de culpabilité et les pensées réprouvées.