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civile qui témoignent de la volonté des citoyens de prendre en main leurs propres affaires. Pour autant qu’on leur
en donne les moyens, les ONG spécialisées sont capables, à l’occasion d’une élection importante, de déployer un
vaste dispositif, avec des observateurs dans tout le pays, un système d’alerte en temps réel des incidents survenus,
une autorité collégiale et indépendante chargée d’en apprécier la gravité et de se prononcer sur l’utilité ou non
d’alerter les grands médias. Ces ONG font école et ont su rédiger des vade mecum et des listes de bonnes pratiques
expliquant à leurs homologues les procédures à mettre en œuvre et les précautions à prendre en matière de
vérification de la bonne conduite des élections. Le fait que les comptes rendus émanant de toutes ces structures
fassent l’objet d’une large diffusion au lendemain de chaque scrutin et, avec des nuances subtiles dans la
distribution des compliments et des réserves, soient un peu traités comme l’indiscutable jugement de l’opinion
publique mondiale sur la légitimité de tel ou tel élu, pose problème par rapport à l’autorité des instances nationales
en charge de se prononcer sur ces questions. A noter que la pluralité de ces dernières et des instances chargées de
proclamer les résultats (Commission nationale, Cour constitutionnelle…) peut compromettre leur autorité et
parfois même déboucher sur des décisions contradictoires.
Le juriste ne peut évidemment se désintéresser de questions dont certains considèrent qu’elles relèvent du
détail ou de la pure technique mais qui ont leur importance concrète. Il en va ainsi des systèmes électoraux. Il
serait sans doute un peu vain de reprendre des controverses éculées et européano-centrées portant d’une part sur
le système majoritaire censé favoriser le bipartisme et proposer un choix clair aux électeurs, d’autre part sur la
proportionnelle considérée comme permettant une représentation plus fidèlement plurale de la diversité des
opinions de la population. Il sera en revanche intéressant de s’interroger sur l’adéquation de ces systèmes au
contexte africain, avec leurs multiples variantes dans les modes de calcul, par exemple sur la réponse que peut
fournir le vote majoritaire à la tendance des populations à personnaliser leurs choix, ou à l’inverse sur la solution
que peut apporter la proportionnelle à la tentation de privilégier des candidats et des programme localistes, en
proposant au contraire des listes nationales. De ce dernier point de vue, celui du danger des votes au service d’un
territoire et de ses intérêts étroitement entendus, les Constitutions sont péremptoires, interdisant les partis
régionalistes ou ethniques. L’on est tout à fait dans la tendance perceptible dès les premiers jours de
l’indépendance, au service de la construction de l’Etat nation, malgré les absurdités du découpage colonial qui
trancha arbitrairement pour rattacher une même ethnie à deux ou trois pays différents. Les Constitutions prohibent
également les partis religieux et l’on n’a aucune peine à comprendre les causes d’une telle interdiction, liée à
l’intégrisme musulman, mais difficile à appliquer dans la mesure où il faut respecter le principe de la liberté
religieuse et puisqu’une fois un parti contrôlé et autorisé, il est facile de faire émerger la promotion du Coran ou
de tout autre valeur religieuse présentés comme idéal suprême…
Les politologues doivent également se voir reconnaître une place de choix parmi les participants à ce colloque,
comme il se doit dans une Faculté des sciences juridiques et politiques et comme y incite un thème centré sur les
élections. Aucun des problèmes déjà évoqués, portant sur l’histoire compliquée des élections à l’époque coloniale,
aux lendemains des indépendances ou lors des dictatures prétoriennes, pas plus que les questions liées à la
transition démocratique des années 1990, mêlant multipartisme et affirmation de la liberté des votes, ne sauraient
échapper à la science politique. Il en va de même des procédures de vérification du bon déroulement des élections,
qu’elles soient nationales ou internationales, publiques ou privées. A côté de ces domaines en quelque sorte de
compétence partagée, il est évidement des recherches qui appartiennent de façon prioritaire, sinon exclusive, aux
politologues et d’abord concernant la conduite des élections, l’émergence des candidatures et leur signification,
le déroulement des campagnes électorales avec l’organisations de vastes débats et un patient travail de terrain,
avec des questions de financement rarement mises à jour, avec des mouvements de l’opinion que les sondages
tentent de suivre avec peine, avec un déroulement des votes marquées par des irrégularités symétriques, avec une
proclamation des résultats et des contestations dont le bien-fondé est difficile à vérifier.
Au-delà des événements parfois surprenants qui marquent les élections en Afrique subsaharienne et que la
presse rapporte sans trop de souci de la réalité, est surtout difficile de se faire une idée exacte de ces procédures
destinées à permettre l’expression de la volonté nationale. Les journalistes nationaux et étrangers s’emploient à
expliquer des résultats qu’ils n’ont pas toujours su prévoir. L’interprétation n’est pas aisée d’autant que l’on sait
bien qu’aux motivations idéologiques, aux solidarités ethniques aux calculs d’intérêt, aux jugements sur celui qui
paraît le mieux à même de conduire la nation s’ajoutent des procédures qui, dans certaines zones rurales, sont
davantage destinées à exprimer le consensus sous l’autorité des chefs traditionnels plus qu’à encourager la
diversité des points de vue. Il n’est pas toujours facile d’expliquer la victoire de l’un sur l’autre, bien davantage
de la prévoir. Du moins, lorsque les résultats sont acceptés, lorsque la défaite du candidat sortant ne fait pas l’objet
de contestation, ces alternances politiques réussies, comme le Sénégal en a connu plusieurs, constituent des
témoignages de l’installation d’une démocratie apaisée, ce dont il faut se réjouir.
A noter enfin que, dans la ligne des colloques précédents, celui-ci est naturellement ouvert à la
pluridisciplinarité : historiens, sociologues, philosophes y demeurent les bienvenus et ils disposent avec un sujet
comme celui des rapports compliqués entre les élections et la légitimité, d’un thème qui devrait les séduire. On ne
connaît, dans l’histoire, aucune base plus indiscutable du pouvoir politique que la volonté populaire. Reste à
déterminer, du point de vue des grands principes comme des réalités du terrain, les modalités les plus à même de