MÉMOIRE
Article écrit par Serge BRION, Jean-Claude DUPONT, Alain LIEURY
Prise de vue
La mémoire est la propriété de conserver et de restituer des informations. Cette propriété n'est pas exclusivement
propre à l'homme. Celui-ci la partage avec les organismes vivants et certaines machines, de sorte qu'il est nécessaire de
préciser de quel type de mémoire on parle. L'hérédité elle-même, en tant que conservation et transmission des informations
nécessaires à la vie, peut être considérée comme une mémoire. La mémoire humaine est complexe dans la mesure où elle
est le produit d'une triple évolution sur trois échelles de temps : phylogénétique (car l'espèce humaine est issue d'une longue
évolution au cours des temps géologiques), historique (selon le temps générationnel) et génétique (relative au temps
individuel). L'organisme humain dispose de plusieurs niveaux de mémoire plus ou moins complexes. Au niveau biologique,
les cellules et les tissus sont capables de mémoire, d'une mémoire élémentaire, certes, mais réelle, en ce qu'elle comporte
des phénomènes aussi variés que l'immunisation ou l'accoutumance aux drogues. Le deuxième niveau correspond à la
mémoire du système nerveux, qui est essentiellement de type associatif et qui permet des acquisitions dont la complexité
correspond à celle des structures nerveuses intéressées, en même temps qu'elle dépend des conditionnements et des
apprentissages sensorimoteurs ; c'est à ce niveau que se rattachent la plupart de nos habitudes consistant, par exemple, à
marcher, manger, à conduire un véhicule. Le troisième niveau est celui de la mémoire représentative (correspondant au
sens courant du mot « mémoire ») ; il est extrêmement complexe, car il nécessite des opérations mentales qui permettent
de se représenter les objets ou événements en leur absence et dont les principaux modes sont le langage et l'image
mentale visuelle. Néanmoins, le langage n'est pas un mode inné de représentation, et c'est la raison pour laquelle la
mémoire de l'homme actuel est aussi le résultat d'une évolution historique. De l'histoire de l'homme est né le langage, ainsi
que son intelligence et des « produits » culturels qui permettent notamment la faculté d'évaluer le temps ; sans celle-ci, notre
mémoire serait incomplète ; les systèmes chronologiques, le calendrier, le découpage horaire, par exemple, rendent
possible la référence au passé dans nos souvenirs. Enfin, la mémoire adulte est le résultat d'une évolution génétique, qui a
suivi, à partir de l'enfance, les étapes de la maturation, de l'acquisition du langage et du développement des structures
logiques.
L'étude de la mémoire, qui n'est parvenue à son âge scientifique qu'avec l'école behavioriste et, surtout, depuis la
révolution informatique, semble remonter à l'Antiquité. Selon une tablette datant d'environ 264 avant J.-C., Simonide de
Céos, poète grec du VIe siècle avant J.-C., aurait découvert la méthode des lieux, qui consiste à transformer en images
mentales ce qu'on doit apprendre et à situer ces images par rapport à un itinéraire connu (telle rue, par exemple ; tel ou tel
emplacement à l'intérieur d'une maison, etc.). Cette conception d'une mémoire envisagée comme réserve d'images sera très
répandue et s'imposera pratiquement jusqu'à Descartes. Quelques auteurs cependant n'y souscriront pas ; c'est notamment
le cas d'Aristote, pour qui la mémoire se caractérise par une sorte de recherche apparentée au syllogisme (préfiguration de
l'opération logique) et par une référence au passé. À partir de Descartes et des philosophes anglais du XVIIIe siècle, le
langage reprend ses droits et les images ne sont plus considérées comme le mode de représentation dominant de la
mémoire ; Hume et James Mill notamment voient en celle-ci un réseau associatif de souvenirs. La période scientifique
commence avec le psychologue allemand Hermann Ebbinghaus (1850-1909), qui publie en 1885 la première étude
expérimentale de la mémoire et qui établit la première courbe de l'oubli. Après lui, Alfred Binet étudie la mémoire des textes,
Bartlett la déformation des souvenirs, Pierre Janet l'évolution de la mémoire, Théodule Ribot l'estimation temporelle des
souvenirs... Mais la méthode expérimentale demeure alors fondée plutôt sur des observations que sur des données
quantifiées. La rigueur scientifique en la matière est venue principalement de John Watson et de ses successeurs, qui,
guidés par les principes du behaviorisme, ne prennent en considération que les faits observables, c'est-à-dire les
stimulations que reçoit l'organisme et les réponses qu'il fournit. Pendant cette période et jusqu'aux années 1950, l'étude de
la mémoire, tout en gagnant en rigueur, y perdra néanmoins du point de vue de la richesse et de la pertinence des théories,
le mécanisme de base retenu étant alors l'association, ainsi que le conditionnement, et toute hypothèse sur des
mécanismes mentaux, tels que les images et les opérations logiques, se trouvant ainsi bannie. L'essor de l'informatique,
issu de l'effort de guerre, entraîna, à partir de 1950 environ, une révolution technique et théorique qui amena à concevoir la
mémoire humaine non plus comme un « filet » dont les mailles sont les souvenirs, mais comme un ordinateur.
C'est essentiellement cette conception qui sous-tend les grandes théories actuelles, en se modulant en fonction des
principales voies d'approche du problème. L'approche psychologique regroupe toutes les méthodes d'étude qui supposent
l'intégrité des mécanismes ; elle cherche à identifier les principales structures et les principaux codes de la mémoire, les
mécanismes d'enregistrement, de stockage et de récupération de l'information... L'approche neurophysiologique ou
pathologique s'intéresse aux structures nerveuses qui jouent un rôle dans la mémoire ; elle s'occupe par exemple d'évaluer,
d'après leur activité électrique ou chimique, l'importance de ces dernières et, par là, de déterminer leur rôle spécifique. Chez
l'animal, des lésions provoquées ou des stimulations émises au moyen d'électrodes implantées de façon permanente
permettent d'entrevoir le rôle de telle ou telle structure. À cette méthode d'investigation correspondent, chez l'homme, les
lésions naturelles ou certaines stimulations électriques effectuées pendant une opération sur le cerveau. Les progrès
considérables de la biochimie de la mémoire ont, pour leur part, ouvert un champ d'étude très important. Toutes ces voies
d'approche – psychologique, neurophysiologique, biochimique – convergent parfois, mais leurs résultats ne permettent pas
d'élaborer une théorie générale.
I-L'approche psychologique
L'analogie entre l'homme et l'ordinateur a été fructueuse dans plusieurs directions, notamment dans l'étude des codes,
des structures, des mécanismes de stockage et de récupération. Néanmoins, sa valeur reste limitée car la mémoire
humaine a ses caractéristiques propres, qui se manifestent dans ses aspects affectifs et sociaux.
Les structures et les codes de la mémoire
Mémoire à court terme et mémoire à long terme
Plusieurs résultats expérimentaux indiquent que la mémoire n'est pas homogène mais qu'elle regroupe deux grandes
catégories de mécanismes. La première est caractérisée par une capacité limitée et par un oubli très rapide ; pour cette
dernière raison, on parle à ce sujet de mémoire à court terme. La seconde catégorie de mécanismes est caractérisée par
une grande capacité et par un oubli progressif, qui peut s'étendre sur des années ; c'est la mémoire à long terme. Étant
donné la relative stabilité des informations dans le cas de cette mémoire à long terme, le problème essentiel est, comme on
le verra, celui de l'organisation de ces informations.
Un des phénomènes les plus étranges de la mémoire à court terme est sa capacité limitée (en rappel immédiat). Si l'on
présente à un sujet une séquence d'éléments à mémoriser et qu'on lui demande un rappel immédiat, on observe qu'un
nombre moyen d'environ sept éléments pourront être rappelés. Le plus curieux est que le nombre des éléments rappelés est
à peu près constant, que ces derniers soient des chiffres, des mots, des phrases significatives, ou toutes autres unités
familières à la mémoire. L'analogie entre celle-ci et l'ordinateur suggère l'hypothèse que la mémoire à court terme fonctionne
ici comme une mémoire fichier qui stocke non pas des quantités d'informations mais des « étiquettes » de programmes,
chaque programme concernant des unités familières à la mémoire – chiffres, mots ou phrases.
Mais ces éléments ne sont conservés que pendant quelques secondes ; au bout de ce délai, l'oubli est important,
comme la technique Brown-Peterson le montre de façon spectaculaire. On présente une séquence de trois consonnes (par
exemple, H, B, X) à la vitesse d'une consonne toutes les demi-secondes, puis le sujet doit compter à rebours de trois en
trois à partir d'un nombre donné et pendant un délai imposé qui dure de 0 à 20 secondes. Le rappel moyen des séquences
diminue alors très rapidement pour devenir nul au bout des 20 secondes. De nombreuses autres techniques indiquent des
vitesses d'oubli comparables. Dans la vie quotidienne, ce type d'oubli passe inaperçu, mais il est pourtant très fréquent :
c'est le numéro de téléphone que l'on oublie juste après l'avoir lu sur l'annuaire, parce qu'on est interpellé par quelqu'un ;
c'est l'incapacité de se rappeler de ce que vient de dire à la télévision un journaliste qui parle trop rapidement, etc. Pendant
un certain temps, les chercheurs crurent que la mémoire à court terme était une structure simple, mais ils découvrirent, dans
les années 1960, qu'elle recouvrait des mécanismes caractérisés par des codes variés.
Les codes de la mémoire humaine
Le développement au xxe siècle des techniques d'enregistrement puis la révolution numérique nous ont familiarisés
avec le fait que des informations peuvent être conservées sur des supports très variés : par exemple, une chanson peut être
transformée en signaux électriques puis mécaniques, pour être gravée sur un disque ou encore, sous forme d'un nuage de
particules métalliques, sur une bande magnétique. Il est donc aisé d'imaginer que la mémoire contient des informations sous
la forme de codes spécifiques. Ces codes sont, en fait, nombreux et peuvent être classés en trois catégories : les codes
sensoriels, les codes moteurs et les codes symboliques. En principe, la mémoire utiliserait autant de codes sensoriels qu'il y
a de modalités sensorielles. On peut, en effet, mettre en évidence l'existence d'une mémoire pour des informations qui
seraient, par exemple, tactiles, visuelles, auditives ou olfactives ; mais tous ces codes n'ont pas la même importance. Les
codes visuels et auditifs sont considérés comme étant les plus importants, car ils constituent les premiers modes d'existence
du langage dans la mémoire. L'existence d'un stockage sensoriel visuel de très courte durée a été démontrée au cours
d'expériences sur la vision tachystoscopique, c'est-à-dire à l'aide d'un appareil qui permet des présentations très brèves, de
l'ordre de quelques millièmes de secondes. Sperling (1960) a montré, avec cette technique, que des sujets ne se rappelaient
qu'environ 4 ou 5 lettres d'une planche contenant jusqu'à 12 lettres ; comme ses sujets prétendaient voir plus de lettres
pendant un instant très court, il eut l'idée d'effectuer un sondage au hasard en ne faisant rappeler qu'une rangée de 4 lettres
parmi trois rangées, selon un signal déterminé. Les sujets se rappellent alors environ 3 lettres sur 4, soit, si l'on généralise à
la totalité de la planche, environ 9 lettres sur 12. Mais ce supplément de stockage est très fragile dans le temps et il disparaît
si le signal d'échantillonnage est seulement différé d'une demi-seconde au plus. Le fait que ce supplément de stockage soit
aussi très sensible à des interférences visuelles (flash lumineux, figures visuelles) montre qu'un tel stockage est sensoriel et
visuel ; pour le différencier de l'image mentale visuelle, plus résistante dans le temps, certains spécialistes parlent de code
iconique. Le code auditif porte sur des temps un peu plus longs (de 2 à 3 secondes). C'est ainsi que des séquences de
lettres présentées auditivement sont mieux retenues en rappel immédiat que des séquences identiques présentées
visuellement. D'autres codes sensoriels sont plus délicats à étudier ; c'est notamment le cas du code olfactif. Des
comparaisons entre la discrimination de certaines odeurs et celle de certaines figures visuelles abstraites montrent que les
odeurs sont difficiles à discriminer et qu'elles sont aussi moins bien retenues que des figures visuelles pourtant complexes.
Les codes moteurs ont été peu étudiés, mis à part le code vocal dont l'observation est possible par l'articulation à voix haute
ou par l'articulation à voix basse (subvocalisation) ; la vocalisation est spécialement importante (par exemple, par rapport au
code graphique), car elle intervient automatiquement pour recoder implicitement toute information linguistique présentée
visuellement. Cette activité de subvocalisation est d'autant plus importante que l'information présentée – par exemple, la
lecture d'un texte – est difficile à comprendre ; aussi suppose-t-on que le recodage du code visuel en code auditif-vocal est
utile pour préserver l'ordre des mots dans les phrases, ordre qui n'est qu'imparfaitement conservé avec le code visuel, du
fait peut-être que la lecture se fait par saccades et non de façon continue. Tous ces codes sont transitoires et l'information
ainsi véhiculée semble finalement être codée sous la forme de l'un des deux codes symboliques que sont le code
linguistique et le code imagé, que l'on retrouvera plus loin car ils correspondent aux principaux modes de représentation à
long terme de l'information.
Le stockage et l'organisation des informations
Les mécanismes de stockage
D'après les recherches récentes, la mémoire à court terme ne paraît pas spécialement liée à des codes déterminés
mais plutôt à un état d'activation temporaire de n'importe quel type de code. Pour qu'une séquence d'informations puisse
dépasser cet état d'activation à court terme pour engendrer un état stable de stockage à long terme (la mémoire à long
terme), deux catégories de mécanismes doivent entrer en jeu : des mécanismes physiologiques, qui dépendent du temps de
présentation ou du nombre de répétitions, et des mécanismes psychologiques d'organisation des informations.
Quelles que soient les activités mentales qui accompagnent la mémorisation, le nombre de répétitions et le temps de
présentation de ce qui est à apprendre améliorent la rétention à long terme ; c'est ce qu'on appelle l'apprentissage par cœur.
D'autres variables paraissent jouer un rôle facilitateur, telles la motivation et la tonalité affective : ainsi, les souvenirs qui
peuvent être rappelés au bout de plusieurs années portent sur des événements qui sont soit très agréables, soit très
désagréables.
Les mécanismes d'organisation sont moins automatiques et dépendent d'activités mentales variées. Comme l'a montré
George Miller (1956), en s'appuyant sur l'expérience de Sidney Smith, ils consistent à grouper des « morceaux »
d'informations de façon à diminuer la charge de la mémoire à court terme. Smith apprend, dans une première phase, la
correspondance entre le code binaire et le code décimal (01=1, 10=2, 11=3, 100=4, 101=5, 110=6, 111=7, 1000=8, etc.).
Lorsqu'on lui lit une séquence de chiffres binaires (par exemple, 10110001010111...), il est capable d'en rappeler douze
(performance supérieure à la capacité moyenne de 7). Dans une seconde phase, il effectue mentalement des groupements
de 2 chiffres binaires quand on lui lit une nouvelle séquence ; et il code mentalement chaque groupe par le symbole décimal
qui lui correspond : par exemple, 10 devient 2, 11 devient 3, etc. Étant donné que la capacité de mémorisation du sujet est
constante (12), il est capable de retenir 12 symboles décimaux, ce qui permet, au rappel, de décoder ces 12 symboles
décimaux en 24 chiffres binaires. Puis, dans d'autres phases, il forme des groupes de 3 ou 4 chiffres binaires et les code, de
façon économique, en un symbole décimal, ce qui lui permet de tripler sa capacité ; la limite est atteinte pour des groupes
de 4, car un groupe ne peut plus alors être codé par un seul symbole décimal. Pour Miller, ce codage d'intégration est le
prototype de ce qui se passe dans la mémorisation, avec des variantes dues à la nature de l'information : par exemple, le
langage offre une hiérarchie de codes d'intégration et des symboles regroupant des informations plus nombreuses ; les sons
sont groupés en lettres, les lettres en syllabes puis en mots, les mots en phrases. Les images et les idées correspondent
aussi à des symboles d'ordre supérieur qui permettent le groupement de nombreux mots.
L'organisation des informations dans la mémoire
La variété des mécanismes de stockage a pour conséquence une grande diversité en ce qui concerne l'organisation
stable des informations dans la mémoire. Les associations verbales paraissent constituer un premier mode élémentaire
d'organisation pour l'information linguistique. Certains mots évoquent de façon relativement stable d'autres mots : par
exemple, « abeille » évoque plus fréquemment « miel » et « ruche » que d'autres mots. Au début des recherches sur cette
question, on pensait que les associations reflétaient le rôle de l'apprentissage par cœur, les mots appris ensemble (tels que
« abeille » et « miel ») restant associés dans la mémoire. Cette hypothèse est sans doute en partie vraie, mais elle est
incomplète, car les associations des adultes ne sont pas les mêmes que celles des enfants. Ainsi, les adultes font souvent
des associations par opposition (chaud-froid, homme-femme), tandis que les enfants font des associations par contiguïté
(homme-travail, etc.), de sorte qu'il faut voir, dans la formation des associations verbales, le résultat d'opérations logiques,
catégorielles ou d'opposition. Le rôle important de la catégorisation a été retrouvé au cours de nombreuses recherches : il
est, par exemple, très facile de mémoriser des listes de mots qui peuvent être groupés dans des catégories naturelles
(animaux, plantes, etc.). La catégorisation apparaît comme un cas particulier fort important d'un processus général,
l'abstraction. Lorsque les mots permettent une catégorisation, cette dernière est souvent hiérarchique : par exemple, les
noms de chiens se regroupent dans la catégorie des chiens, mais celle-ci peut elle-même être associée avec d'autres
catégories (« chats », « oiseaux ») dans celle des animaux ; et l'on peut ainsi constituer des arbres hiérarchiques plus ou
moins compliqués reflétant une abstraction plus poussée. L'abstraction exerce encore son rôle, même quand les catégories
naturelles n'apparaissent pas. Ainsi, a-t-on pu montrer que, dans la rétention à long terme de textes, l'information retenue
devient de plus en plus abstraite à mesure que le temps s'écoule, de sorte qu'on en vient à ne plus se souvenir, au bout de
plusieurs mois, que des thèmes généraux.
Le langage constitue donc l'un des deux grands modes de représentation de l'information dans la mémoire, englobant à
lui seul un grand nombre de codes spécialisés (graphique, phonétique, sémantique...). Le second de ces modes est l'image
visuelle. Si le premier mode de représentation aboutit à une sorte de mémoire conceptuelle, le second aboutit à une
mémoire analogique de type visuel-spatial, dont on a un bon exemple dans l'expérience qui consiste à demander à
quelqu'un ce qu'est un escalier hélicoïdal : la plupart du temps, le sujet répond par un geste qui reproduit dans l'espace la
forme en question. Il est aussi très vraisemblable que l'on recourt à des représentations imagées ou analogiques pour
répondre à certaines questions telles que « combien de fenêtres avez-vous dans votre maison ? » ou bien « est-ce qu'un
canari est bleu ? ». De nombreuses recherches ont établi que la présentation de dessins est plus efficace pour la
mémorisation que la présentation des mêmes objets sous forme de mots, et que le recodage mental des mots en images
mentales facilite la mémorisation. Des expériences minutieuses ont montré que cette efficacité était due, en fait, à un double
codage : lorsqu'un dessin est présenté, il est automatiquement dénommé, de sorte que l'information est enregistrée sous la
forme de deux codes, le code imagé et le code verbal. Ces deux codes apparaissent finalement comme très
complémentaires l'un de l'autre, le code imagé étant pertinent pour l'information spatiale globale, mais déficient pour le code
de l'ordre séquentiel, alors que le code verbal est approprié pour le codage de l'ordre des informations, pour l'analytique.
L'alliance des codes imagé et verbal est donc d'une très puissante efficacité, ce qui explique le succès des moyens de
communication qui sont fondés sur la complémentarité des deux codes et qu'on qualifie d'audio-visuels (improprement,
d'ailleurs, puisque dans les bandes dessinées, le langage est présenté graphiquement, c'est-à-dire visuellement, et non
auditivement).
Le langage et l'image sont plus ou moins dépendants des structures et fonctions opératoires telles que la classification,
la sériation, la double classification, la réversibilité, etc. J. Piaget et B. Inhelder (1968) ont montré que des configurations
spatiales sont correctement rappelées après de longs délais à condition qu'elles correspondent à des structures logiques. À
l'inverse, si ces configurations sont en contradiction avec une structure logique sous-jacente, se produisent à long terme des
déformations des souvenirs que l'on appelle des schématisations. Par exemple, si l'on présente à des enfants des jetons
noirs ou blancs et grands ou petits disposés spatialement pour former deux cercles en intersection, la figure perceptive
dominante est celle d'une ellipse au milieu de deux cercles incomplets, soit trois figures ; comme la structure sous-jacente
est une double classification, une représentation spatiale correcte nécessite quatre parties (par exemple, un tableau avec
quatre cases) ; aussi les enfants reproduisent-ils souvent comme souvenir un petit cercle à l'intérieur d'un grand cercle,
chaque cercle étant coupé en deux, ce qui correspond à un compromis entre le souvenir de cercles comme formes
perceptives et le souvenir des quatre parties de la structure logique sous-jacente.
Les processus de récupération et l'oubli
Les processus de récupération
En prenant l'ordinateur pour modèle de la mémoire, on a fait l'hypothèse que, pour retrouver des informations, il faut
disposer de l'« adresse » de l'emplacement où est stockée une information spécifique. Certains chercheurs, dont Endel
Tulving (Tulving et Pearlstone, 1966), ont alors émis l'idée que certains indices jouent, pour la mémoire, ce rôle d'adresse en
mémoire et facilitent le rappel. Effectivement, quand des noms de catégories sont donnés, lors de l'expérience de rappel des
sujets, ceux-ci parviennent à un rappel meilleur que des sujets contrôles, qui ne bénéficient pas de cette aide. On a montré,
par ailleurs, que pouvaient servir d'indices de récupération d'autres mots, ainsi que des parties de mots telles l'initiale, la
première syllabe ou la rime. Telle photographie de l'album de famille ou certains lieux de notre enfance jouent également le
rôle d'indices de récupération pour des souvenirs.
Le mécanisme de rappel avec indices apparaît comme général au point que le rappel libre lui-même peut être interprété
comme un rappel de cette sorte, les indices étant, en l'occurrence, les informations contenues dans la mémoire à court
terme au moment du rappel. La conséquence théorique de cette hypothèse est que l'on peut imaginer l'existence d'une
organisation entre les indices contenus dans la mémoire à court terme, organisation qui aboutirait à diminuer la surcharge
de celle-ci. On a pu constituer une telle organisation en construisant des listes dont les mots sont regroupés en catégories,
puis en super-catégories d'ordre plus élevé. Certains procédés mnémotechniques, qu'on appelle des plans de récupération,
correspondent à des organisations de ce type : par exemple, la phrase : « Cambronne, s'il eût été dévot, n'eût pas carbonisé
son père » est un plan de récupération qui unit, au moyen d'une phrase les premières syllabes des mots désignant des
périodes géologiques de l'ère primaire (Paléozoïque) : cambrien, silurien, dévonien, carbonifère, permien.
La reconnaissance d'une information spécifique parmi d'autres se présente aussi comme un cas particulier, très
efficace, de rappel avec indices, les indices étant alors fournis par une copie très semblable à l'information originale : par
exemple, quand on mélange des mots d'une liste avec des mots pièges. La modification du contexte de récupération de
l'information cible par rapport à son contexte d'enregistrement diminue la reconnaissance, ce qui montre que cette dernière
est un rappel qui dépend aussi de la richesse des indices : par exemple, la reconnaissance d'un visage sur une
photographie diminue environ de moitié si le chapeau est changé dans l'épreuve de reconnaissance (Brutsche et
Tiberghien, 1981).
Les mécanismes de l'oubli
Si l'on met à part l'oubli de la mémoire à court terme, vraisemblablement dû au caractère transitoire de l'activité
bio-électrique des circuits de neurones, et l'oubli consécutif à des lésions neurologiques, l'oubli semble, en général,
provoqué par des interférences. De nombreuses expériences ont permis d'établir qu'il dépend principalement de la quantité
d'informations apprises avant une liste test (interférence proactive) ou après (interférence rétroactive) : plus on apprend et
plus on oublie (Underwood, 1957).
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