Chirurgie pédiatrique: La chirurgie fœtale en cas de spina bifida

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Chirurgie pédiatrique:
La chirurgie fœtale en cas de spina bifida
Martin Meulia,c, Roland Zimmermannb,c, Nicole Ochsenbeinb,c, Ueli Möhrlena,c
Universitäts-Kinderspital Zürich, Chirurgische Klinik, Steinwiesstrasse 75, 8032 Zürich, Schweiz; b Klinik für Geburtshilfe, Universitätsspital Zürich,
Frauenklinikstrasse 10, 8091 Zürich, Schweiz; c Zentrum für Fetale Diagnostik und Therapie, Frauenklinikstrasse 10, 8091 Zürich, Schweiz
a
Introduction
Les auteurs ne
déclarent aucun
conflit d’intérêt
financier ou
personnel en
rapport avec
cet article.
A
Le myéloméningocèle (MMC) est une malformation sévère et complexe relevant de la spina bifida. Les patients
souffrant de cette anomalie du tube neural présentent
une hydrocéphalie nécessitant un shunt et une paraparésie sévère ou, dans les cas les plus graves, une paraplégie à partir de la hauteur de la lésion. La plupart du
temps, la lésion se situe dans la région lombo-sacrée
de la moelle épinière. Ce niveau de paralysie entraîne
dans la plupart des cas l’obligation d’utiliser un fauteuil
roulant. Presque tous les patients souffrent également
d’une sévère incontinence urinaire de type neurogène,
de troubles d’évacuation des selles, ainsi que de dysfonction sexuelle.
Dans les pays développés, des soins médicaux adaptés
permettent à la majorité des patients atteints de MMC
de survivre et d’avoir une espérance de vie proche de la
normale. En raison du polyhandicap irréversible qui
nécessite bien souvent plusieurs interventions neurochirurgicales, orthopédiques et urologiques, souvent accompagnées de mesures de rééducation quotidiennes,
la qualité de vie se trouve durablement limitée. En résumé, on peut dire que le MMC est une des malformations non mortelles les plus graves et que tous les efforts
postnataux n’ont qu’un caractère rééducatif, palliatif et
soignant. Il n’existe en effet encore aucun traitement curatif pour les lésions neurologiques irréversibles dès la
naissance.
Depuis les débuts de la prise en charge fœtale d’un fœtus
présentant un MMC, la situation mentionnée plus haut
s’est néanmoins significativement améliorée. Les lignes
B
suivantes présenteront la thérapie fœtale en cas de
MMC.
Une nouvelle compréhension
de la pathogenèse à l’origine de la chirurgie
intra-utérine
Jusqu’à il y a peu, on considérait que l’anomalie bloquante de la moelle épinière elle-même – c’est-à-dire la
neurulation incomplète au niveau de la lésion du MMC –
et d’autres lésions traumatiques dues à un accouchement
par voie vaginale étaient exclusivement responsables des
dysfonctionnements neurologiques sévères.
Dans les années 1990, une série d’études fœtales expérimentales menées chez l’animal et chez le fœtus humain
atteint de MMC ont permis de décrire pour la première
fois en détail la configuration fœtale anatomique de la
lésion du MMC chez l’homme [1]. Elles ont entre autres
montré que, sur le plan pathogénique, la nouvelle «twohit pathogenesis» est tout à fait valable [2]. Selon celleci, le premier «hit» trouve son origine dans la neurulation déficiente. Celle-ci n’est cependant pas
obligatoirement associée à des dysfonctionnements
neurologiques pertinents. Le second «hit» trouve son
origine dans une lésion secondaire – c’est-à-dire acquise au cours de la grossesse – de la moelle épinière
exposée à l’environnement (liquide amniotique) et donc
non protégée. Des facteurs toxiques, inflammatoires et
mécaniques, qui se manifestent principalement au
cours du dernier trimestre de la grossesse, sont à l’origine de cette lésion secondaire [1, 2].
C
Figure 1
A Image intraopératoire de la spina bifida: le sac kystique avec la moelle épinière se trouvant dessus, ouverte mais macroscopiquement intacte, est bien visible.
B Dos du fœtus après suture de la peau.
C Dos du fœtus présentant une peau parfaitement guérie lors du premier jour de vie. Le matériel de suture est encore partiellement présent. On observera
la configuration normale de l’anus.
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Pour de nombreux essais de chirurgie fœtale chez l’animal, il a pu être démontré que la couverture intra-utérine
des lésions MMC expérimentales (c.-à-d. chirurgicales)
empêchait efficacement l’apparition des lésions spinales
«classiques» ainsi que l’apparition de l’hydrocéphalie,
dont la survenue est également typique [2]. Sur la base de
ces résultats expérimentaux, une prise en charge chirurgicale ouverte du MMC humain a été menée avec succès
en 1998 pour la première fois [3].
Les premières publications qui en ont découlé, portant
sur le traitement intra-utérin du MMC, ont pour l’essentiel montré que la hernie des amygdales cérébelleuses
est réversible, et que la circulation du liquide cérébrospinal s’améliore et engendre une réduction très significative (environ 50%) de la nécessité de pose d’un shunt.
En outre, différentes études ont mis en évidence des améliorations du système nerveux périphérique. C’est essentiellement sur la base de ces résultats positifs que la première grande étude prospective et randomisée, l’étude
MOMS [4], a été conçue, élaborée et menée avec succès
entre 2003 et 2010.
Etude MOMS: «Management Of
Myelomeningocele Study» (Etude de prise
en charge du myéloméningocèle)
Plan de l’étude
Le plan de l’étude a été conçue de manière à ce que des
200 patientes enceintes d’un enfant présentant un MMC
et toutes qualifiées pour une chirurgie fœtale, 100 ont
été randomisées dans le groupe de chirurgie fœtale et
100 dans le groupe de prise en charge postnatale. Les
principaux critères d’inclusion et d’exclusion (qui ont
toujours leur validité de principe) sont regroupés dans
le tableau 1 . Après l’inclusion de 183 patientes, l’étude
a cependant été interrompue prématurément car les
résultats dans le groupe de chirurgie fœtale étaient largement meilleurs et qu’une autre randomisation n’était
dès lors plus justifiée sur le plan éthique.
Résultats
Chez les patientes opérées en prénatal, le nombre d’enfants présentant une hernie du rhombencéphale (malformation Chiari type 2) a fortement diminué, passant de
36% chez les patients opérés en postnatal à 4%
(p <0,001) chez celles opérées en prénatal. De la même
manière, le taux de poses de shunt dues à une hydrocéphalie est passé de 82% en cas d’opération postnatale
à 40% pour les opérations prénatales (p <0,001). La
capacité à se déplacer seul était également bien meilleure chez les patients ayant subi une opération intrautérine (prénatal/postnatal: 42%/21%; p<0,01). Différents tests menés chez les enfants âgés de 2,5 ans et
ayant subi une opération fœtale ont montré des résultats
meilleurs ou similaires à ceux des enfants opérés après
la naissance, mais jamais des résultats moins bons. Il
n’y avait pas de mortalité maternelle dans les deux
groupes. Dans le groupe fœtal, les complications suivantes étaient significativement plus fréquentes: rupture
prématurée des membranes (prénatal/postnatal
46%/8%), oligohydramnios (21%/4%), contractions
prématurées (38%/14%) et prématurité (79%/15%; âge
gestationnel moyen: 34 (+1) semaines / 37 (+3) semaines). Dans le groupe prénatal, un amincissement de
la paroi utérine se manifestait au niveau de l’ancienne
hystérotomie (25%) ainsi qu’une déhiscence (10%),
mais aucune rupture.
Conclusions des résultats de l’étude
L’étude MOMS est de loin la plus vaste étude prospective
randomisée jamais réalisée sur une problématique de
chirurgie fœtale. Elle a donné une évidence claire du fait
que globalement, et en tenant compte de toutes les variables fœtales et maternelles pertinentes, le traitement
prénatal du MMC est largement supérieur au traitement
postnatal. Il est donc aujourd’hui juste, d’un point de vue
médical comme éthique, de déclarer la chirurgie fœtale
ouverte comme nouveau standard thérapeutique du
MMC pour les fœtus et les futures mères répondant aux
critères. Il doit cependant être précisé que même cette
nouvelle option thérapeutique n’offre pas une guérison
complète mais seulement, dans le meilleur des cas, un
pronostic significativement amélioré sur différents plans
cliniques essentiels. La sécurité de la mère est également
assurée lors de cette intervention.
Tableau 1
Critères d’inclusion
Myéloméningocèle (ou myéloschisis) entre les segments T1 et
S1 avec herniation du rhombencéphale (confirmé par échographie
et IRM)
Mère âgée de plus de 18 ans
Age gestationnel pour l’opération:
entre les 19e et 25e semaines de grossesse
Caryotype fœtal normal
Critères d’exclusion
Grossesse gémellaire
Diabète gestationnel insulinodépendant
Autres anomalies fœtales que le MMC
Cyphose fœtale >30 degrés
Cerclage ou anamnèse d’incompétence du col utérin
Placenta praevia ou décollement du placenta
Col de l’utérus court (<20 mm)
Surpoids (IMC >35)
Problèmes antérieurs de prématurité
Iso-immunisation Rhésus materno-fœtale, sensibilisation Kelly
ou anamnèse d’une thrombopénie néonatale allo-immune
Statut sérologique maternel au VIH ou au VHB positif
Statut sérologique au VHC positif
Anomalies utérines (grand fibrome ou fibromes multiples)
Autres contre-indications maternelles à une intervention élective
Anomalies psycho-sociales de la mère
Hypertension de la mère avec risque élevé de pré-éclampsie et/ou
de naissance prématurée
Traduit de Adzick, et al., A randomized trial of prenatal
versus postnatal repair of myelomeningocele. N. Engl. J. Med.
2011;364:993–1004.
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La chirurgie fœtale en Suisse
Après la publication de l’étude MOMS, la première opération fœtale de chirurgie ouverte en Europe a été menée
avec succès à Zurich, dans le scrupuleux respect des
recommandations de l’étude MOMS [5]. Depuis 2010,
15 cas ont été opérés à Zurich.
Les opérations ont eu lieu entre les semaines de grossesse 22 (+3) et 26 (+1). Elles se sont toutes déroulées
sans complication. Lors du contrôle IRM réalisé 4 semaines après l’opération, tous les fœtus ont présenté
une disparition totale de la hernie du rhombencéphale.
Tous les enfants sont venus au monde par césarienne
entre les semaines 33 (+6) et 37 (+3). Un des bébés est
décédé après la naissance en raison d’une insuffisance
respiratoire. En comparaison au pronostic en cas de
traitement postnatal, dix enfants (77%) ont montré une
fonction motrice des membres inférieurs significativement améliorée, alors qu’elle était identique chez trois
enfants (23%). Le taux de pose de shunt est aujourd’hui
de 50%. En l’absence d’opération, des problèmes ou
complications plus sévères sont survenus chez les
mères.
Ces résultats sont semblables à ceux de l’étude MOMS.
montre une documentation photograLa figure 1
phique illustrative d’un de nos patients.
Conclusions
Les données actuelles montrent sans aucun doute que la
chirurgie fœtale en cas de MMC se présente comme un
nouveau standard thérapeutique, pour autant que les
prérequis médicaux, personnels et infrastructurels sont
respectés. Bien que l’opération intra-utérine ne permette
ni une guérison totale, ni l’absence de complications
ou de risques, elle se présente aujourd’hui clairement
comme la meilleure option pour donner au fœtus une
vie accompagnée de significativement moins de handicaps.
Les femmes qui attendent un enfant atteint de MMC
doivent donc être informées suffisamment tôt de la possibilité d’un traitement prénatal.
Correspondance:
Prof. Martin Meuli
Universitäts-Kinderspital Zürich
Chirurgische Klinik
Steinwiesstrasse 75
CH-8032 Zürich
martin.meuli[at]kispi.uzh.ch
Références
1 Hutchins GM, Meuli M, Meuli-Simmen C, Jordan MA, Heffez DS, Blakemore KJ. Acquired spinal cord injury in human fetuses with myelomeningocele. Pediatr. Pathol. Lab Med. 1996;16:701–12.
2 Meuli M, Meuli-Simmen C, Hutchins GM, et al. In utero surgery rescues neurological function at birth in sheep with spina bifida. Nat.
Med. 1995;1:342–7.
3 Adzick NS, Sutton LN, Crombleholme TM, Flake AW. Successful fetal
surgery for spina bifida. Lancet 1998;352:1675–6.
4 Adzick NS, Thom EA, Spong CY, et al. A randomized trial of prenatal
versus postnatal repair of myelomeningocele. N. Engl. J. Med. 2011;
364:993–1004.
5 Meuli M, Moehrlen U, Flake A, et al. Fetal Surgery in Zurich: Key Features of Our First Open in Utero Repair of Myelomeningocele. Eur. J.
Pediatr. Surg. 2012.
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