le rôle de la notation dans le théâtre musical de

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Remerciements à
Francis Courtot pour m’avoir dirigé dans mes recherches.
Georges Aperghis, Eléna Andreyev, Marie Delcambre, Donatienne Michel-Dansac, Sylvie
Levesque, Emily Loizeaux et Françoise Rivalland, pour avoir bien voulu répondre à mes
questions et me consacrer un peu de leur temps.
L’ensemble SIC.
Le Personnel du Cdmc, de L’ircam et de T&M et Antoine Gindt pour leur accueil et leur
gentillesse.
Aurélie Celdran, Gabriel Lenoir et Anouchka Oudart pour m’avoir relu.
1
« Il faut être plusieurs pour imaginer le rapport d’un son avec un geste :
devant le groupe, le compositeur n’est plus le même que devant sa feuille de papier. »
(Georges Aperghis, Revue de l’A. T. E. M. p. 3. )
2
Introduction
Quand on parle de théâtre musical, on évoque souvent les problèmes de catégorisation
que cette forme d’œuvres engendre : est-il un genre réellement musical ou une nouvelle forme
de spectacle ? Par ailleurs, les problèmes qu’il soulève en tant que genre pluridisciplinaire
sont nombreux, comme les questions de réunion ou de synthèse des arts ainsi que le type
d’interactions qui se produisent entre ces différentes disciplines. Georges Aperghis est un
compositeur estimé pour le travail d’expérimentation qu’il a effectué autour de ces questions.
L’intérêt de son théâtre musical est fréquemment étudié à travers sa musique et ses
conséquences esthétiques. La spécificité de mon travail réside dans l’étude des problèmes de
notations qu’engendre un certain théâtre musical, en particulier celui de Georges Aperghis. Il
s’agit donc pour nous d’aborder les enjeux de la partition dans ces œuvres.
Le théâtre musical pose de nouveaux problèmes de transmission par sa forme
originale. En effet, il est difficile de communiquer par le même vecteur les différentes
disciplines qu’il englobe, que ce soit la mise en scène, le jeu théâtral, la poésie, la musique, la
danse ou encore la scénographie. Dans ce contexte, la notation musicale semble être mal
adaptée pour remplir ce rôle de façon adéquate. Cependant, c’est le vecteur le plus
couramment employé par les créateurs de théâtre musical. Il semble que la notation ait un
intérêt propre dans l’existence du théâtre musical et qu’en plus d’être un moyen de
transmission, elle soit un moyen de composition musicale. Quoiqu’il en soit, la notation de ce
genre présente des imprécisions notables. Le but de ce mémoire est de quantifier cette marge
d’imprécision dans les partitions de théâtre musical de Georges Aperghis et d’étudier le rôle
que joue cette imprécision dans la transmission de l’œuvre. Car les partitions en question
posent le problème suivant : une pièce de théâtre musical peut-elle être considérée comme une
œuvre finie au vu des problèmes de transmission qu’elle pose?
Ce problème rejoint celui de l’interprétation. Avec ce genre de partitions, on peut se
demander jusqu'à quel point l’exécutant ou l’équipe d’exécutants peuvent être considérés
comme créateurs de cette œuvre dans la mesure où ils doivent fournir un travail de
reconstitution très important. Dans ce cadre, la notation représente la seule limite qui permette
de définir les fonctions de chacun : le compositeur d’un côté et l’interprète de l’autre. Ce
phénomène est propre à la musique savante occidentale :
3
« Et l’ethnomusicologie en témoigne à satiété ; partout ailleurs, le pouvoir créateur de
l’interprète est sauvegardé et choyé ; chez nous, dans nos musiques savantes, ou chez ceux
qui dépendent de nous et de ces musiques, la notation a brisé “l’unité de la création et de
l’exécution”. » 1
En précisant cela, Daniel Charles indique que le métier de compositeur existe
essentiellement par le biais de la notation. 2 On peut donc considérer qu’étant noté, le théâtre
musical se positionne dans le cadre de la musique savante occidentale.
Ce courant musical, qui date des années 1960, est né de l’envie des compositeurs de
trouver une nouvelle forme de réunion des arts. Mauricio Kagel est considéré comme l’un de
ses principaux représentants. Le théâtre musical connaît un grand développement en France
dans les années 1970, notamment grâce à Georges Aperghis. En 1976, celui-ci fonde l’Atelier
Théâtre Et Musique (A. T. E. M.) où seront produits beaucoup de spectacles, fruit d’un certain
travail collectif. Mais les compositions de Georges Aperghis ne se limitent pas au théâtre
musical. Il partage aussi son écriture entre la musique de chambre et l’opéra. Georges
Aperghis est un compositeur très proche de ses interprètes. Il écrit le plus souvent en fonction
d’eux et se constitue d’ailleurs ce qu’il appelle sa “galerie de portraits” : un certain nombre
d’œuvres dédiées à chacun d’eux, comme par exemple les Quatorze récitations (1978) pour
voix seule écrites pour Martine Viard qui ont obtenu un grand succès bien qu’elle n’aient pas
été composées en tant qu’œuvre de théâtre musical3 .
Il nous a paru intéressant de travailler sur Georges Aperghis dans le cadre du
questionnement sur la notation dans le théâtre musical car il propose différentes solutions et
sa façon de travailler avec ses interprètes pose de manière évidente les problèmes de
transmission de l’œuvre à l’aide de la partition.
Pour réaliser cette étude, outre le travail de recherche en bibliothèque, il a fallu
consulter un maximum de partitions de théâtre musical à l’Institut de Recherche Coordination
Acoustique / Musique (I. R. C. A. M.), au Centre de Documentation de la Musique
Contemporaine (C. D. M. C.) ainsi qu’au bureau de Théâtre & Musique (T&M anciennement
A. T. E. M.). Mais sur tout, nous avons été amenés à connaître de manière vivante le travail de
1
CHARLES Daniel, « La musique et l’écriture », in Musique en Jeu n°13, Paris, Seuil, Novembre 1973, p.3.
Pour un compositeur, la notation est surtout un support fixe et résistant à l’épreuve du temps qui donne son sens
à la composition. L’apparition de l’enregistrement au début du XXème siècle bouleverse complètement les
données du problème et remet en cause l’importance de la notation qui était jusqu’alors le seul moyen de fixer
une idée musicale.
2
4
Georges Aperghis notamment en assistant à ses spectacles, à une répétition et surtout en
rencontrant les acteurs de cette musique, à savoir les interprètes (Eléna Andreyev, Sylvie
Levesque, Donatienne Michel- Dansac et Françoise Rivalland) et le compositeur lui- même.
Nous nous sommes aussi entretenus avec Emily Loizeaux qui a travaillé en tant qu’assistante
de Georges Aperghis pour le spectacle Machinations (2000), et Marie Delcambre qui a rédigé
deux thèses respectivement sur le théâtre musical et le théâtre instrumental. Les entretiens
réalisés ont été utilisés dans le corps du mémoire et réunis en annexes.
Cependant, l’ensemble des partitions de théâtre musical de Georges Aperghis n’a pas
pu être consulté car certaines étaient difficilement accessibles. Toutefois, il nous semble en
avoir eu un aperçu suffisamment large pour pouvoir poser de manière cohérente le problème
de la notation dans cette tendance musicale. Par ailleurs, à notre connaissance, aucune étude
n’a été effectuée dans ce sens précis de la notation, ce qui pourrait donner naissance à un
travail de plus grande envergure.
En ce qui concerne Georges Aperghis, nous ne traiterons pas de l’opéra au sein de son
œuvre car cela ne peut être assimilé au théâtre musical. Ces formes ne se confondent pas et ne
suscitent pas les mêmes problématiques. Enfin, les questions de son esthétique et de son
écriture ne seront pas non plus abordées car cela nous éloignerait trop de nos préoccupations.
Bien sûr, la notation n’est pas entièrement séparable de ce travail de composition, mais il nous
a semblé important de dissocier, autant que faire se peut, le problème spécifique de la notation
de ses liens avec les procédures, les techniques proprement dites, de composition.
Dans un premier temps, après avoir cerné de manière succincte les nombreux
problèmes que posent la notation musicale et la définition du théâtre musical, nous étudierons
quels sont les enjeux de la notation au sein de ce courant. Puis, dans un deuxième temps, il
s’agira d’étudier quels sont les moyens qu’utilise Georges Aperghis pour écrire ses œuvres de
théâtre musical. Enfin, nous verrons dans le troisième chapitre quel est le rôle de la partition
dans la transmission de ces œuvres.
3
C’est la raison pour laquelle nous nous n’en parlerons pas dans ce travail.
5
Chapitre I
La notation dans le
théâtre musical.
6
A-Questions sur la notation
Le problème de la notation est très vaste. Il engendre un certain nombre de questions sur
l’histoire de l’homme et l’évolution des différentes cultures. En premier lieu, il s’agira ici de
définir dans les grandes lignes les conséquences d’une certaine conception de l’écriture sur la
création musicale et quel est le rôle de l’objet-partition dans ce système.
1- La création musicale et l’écrit
Conséquence de l’écrit sur la création humaine
Le problème de l’écrit engendre des problématiques qui ne peuvent se résumer à une
description simpliste des fonctions de l’écriture. Ces dernières s’imbriquent dans un schéma
relationnel très complexe dont nous allons essayer de tracer les grandes lignes. On peut dire
premièrement qu’il sert d’aide- mémoire. La prise en note d’une idée est une manière de se
libérer l’esprit afin de mieux réfléchir. De plus, le fait d’écrire revient à transformer des idées
en une trace visible sur un support plus ou moins perdurable, c’est à dire qu’en devenant objet
visible, elles deviennent communicables à travers l’espace (par exemple l’envoi d’une lettre)
et le temps : l’écrit engendre une pérennité des idées et par conséquent d’une certaine culture.
C’est un outil concret.
D’une autre manière, l’écrit peut servir de manière abstraite. Il est une aide à la
formulation d’une idée. Par exemple le langage écrit forme un code structuré qui permet, par
sa rigidité, de clarifier l’idée. Quand j’écris, je suis obligé de m’adapter au code de la langue
française. Inversement, ce code forme un moule qui me dicte comment je peux mettre en
forme mon idée. Ce mouvement de va-et-vient est la caractéristique essentielle du processus
de création artistique par l’écrit. Dans le cas de la musique, Jean-Jacques Nattiez précise qu’
« en retour, une fois établie, la notation devient une contrainte pour la création
musicale qui, à l’image de la langue sous l’influence de la parole, ne cesse de faire
évoluer le système de référence. »4
4
NATTIEZ Jean-Jacques, « Sémiologie et sémiographie musicales », in Musique en Jeu n°13, Paris, Seuil,
Novembre 1973, p.82.
7
L’écrit est donc bien un outil fondamental pour la réalisation d’un projet artistique. De
plus, il peut servir de catalyseur de cette création par son apport visuel. On peut penser aux
formes poétiques (le sonnet par exemple) qui sont discernables visuellement ou à l’art des
« grands rhétoriqueurs » du XIVème siècle. Sans cet apport visuel, le carré magique ne pourrait
pas exister :
SATOR
AREPO
TENET
OPERA
ROTAS
L’écrit permet au créateur d’avoir du recul sur son œuvre car elle lui en donne une
vision différente.
« L’écriture ne représente pas au sens strict du terme. Elle catégorise, elle
scinde, elle constitue des doubles fonctions ; elle ouvre au combinatoire ; elle permet
le calcul et la formalisation. »5
D’une manière générale, l’écriture a une influence sur la culture. En effet, nous avons
vu que l’écrit possède une fonction de communication entre les hommes dans le temps (la
pérennité) et dans l’espace (l’information). Ce qui a pour conséquence de garantir
l’épanouissement d’idées, de façons de penser, en somme, d’une culture précise. Si l’on prend
le cas du Christianisme, on peut dire que l’existence de la Bible lui a permis de se développer.
L’Ecriture Sainte a toujours été une référence culturelle en occident grâce à sa large diffusion.
Aujourd’hui c’est le livre le plus traduit au monde. Grâce à l’écriture, une culture peut être
conservée, voire même s’imposer.
Autre domaine d’influence important de l’écrit : la création artistique. En effet, comme
nous l’avo ns vu, celui-ci a une fonction d’aide-mémoire. Il permet à l’artiste de se libérer
l’esprit pour gérer d’une manière plus efficace le processus de création. Mais ce qui est le plus
important dans ce phénomène, c’est que l’écrit permet à l’artiste de clarifier ses intentions sur
5
NICOLAS François, « Huit thèses sur l’écriture musicale », in Analyse musicale n°24, Paris, Juin 1991, p.48.
8
ce qu’il veut produire. Par exemple, en musique, un compositeur imagine une construction
temporelle qui ne peut que rester abstraite si elle n’est pas exécutée. La notation de cette
construction va obliger le compositeur à transposer un déroulement temporel en une
représentation spatiale, par conséquent à se limiter à l’espace de la feuille de papier et à un
certain nombre de codes définis. Il existera alors un nombre fini de possibilités qui
correspondront à ce que cherche le compositeur. Celui-ci n’a plus qu’à faire des choix parmi
les possibilités qui s’offrent à lui pour faire émerger une construction temporelle. C’est ce qui
fait dire à François Nicolas qu’
« Il n’y a de pensée musicale que dans le rapport assumé d’une écriture à la sensation
sonore, sensation généralement catégorisée comme perception. Il n’y a de pensée musicale
que par un détour d’écriture, par un écart creusé d’avec la sensation immédiate ; il n’y a de
pensée musicale que celle qui opère, par le jeu d’une interprétation, dans le face à face
organisé d’une partition et d’une audition. » 6
La notation est alors le support essentiel pour une création musicale de plus en plus
complexe. Le passage par l’écriture permet une structuration plus forte des idées musicales
dans la construction d’une œuvre. La mise en forme de l’idée musicale par l’écriture renvoie
au compositeur une représentation plus nette qu’il pourra modifier facilement afin de préciser
son intention7 .
Conséquence de la notation sur la conception musicale
Il s’agit désormais de comprendre quels sont les rapports qu’entretiennent l’évolution
de la musique et l’évolution de la notation musicale. Nous définirons la notion de notation
musicale comme la transcription d’un phénomène sonore en un code de représentation
graphique et non pas comme une simple représentation picturale. La notation se rapproche
plus de l’écriture que du dessin 8 .
Il faut aussi préciser que noter correctement la musique est un exercice utopique. Car il
s’agit de faire concorder une donnée « en temps » en une donnée « hors-temps »9 . Dans le
6
NICOLAS François, op. cit., p. 47.
Il faut toutefois nuancer cette idée car il y a d’autres écoles de pensée – comme l’école spectrale – pour
lesquelles la notion d’écriture n’est pas aussi centrale.
8
Idem, p.48.
9
Nous faisons référence à la terminologie de Iannis Xénakis qui rapproche les conceptions d’espace aux
conceptions temporelles.
7
9
monde occidental, tout est conditionné par une disposition spatiale arbitraire 10 qui engendre
une pensée particulière de la musique.
« Cette rationalisation de la notation a partir du XIIIème siècle correspond à une
attitude théorique toute occidentale qui consiste à soumettre l’oreille à l’emprise du regard
(Tappolet, 1947) et à fixer (par une certaine violence de la graphie sur le musical) un ordre,
une pensée visuelle (Arnheim, 1976) même là où ce n’était pas nécessaire, ou bien là où la
réalité musicale n’en proposait pas toujours. » 11
La notation constituerait alors une autre réalité musicale ou peut-être fait-elle croire à
une autre réalité.
« Dans tout les cas, il faut admettre que la musique peut comporter deux faces ; l’une
d’origine orale, la plus spontanée et la plus aisément accessible ; l’autre d’origine écrite, plus
intellectuelle et dont l’accès met en jeu des phénomènes cognitifs moins intuitifs. » 12
Sans nous attarder sur toute l’évolution musicale, nous prendrons quelques exemples
significatifs : l’apparition du punctum, le développement de la pensée polyphonique et les
problèmes de notation engendrés par la musique de la deuxième partie du XXème siècle.
Vers le Xème siècle, la no tation musicale était principalement sous la forme de neumes.
Les neumes étaient de petits tracés (similaires aux accents que l’on utilise dans l’écriture de la
langue) situés au-dessus des mots pour rappeler de façon succincte l’inflexion vocale qu’il
fallait prendre quand on disait ce mot ou la phrase.
« Ainsi l’accent aigu devint le signal du mouvement ascendant, l’accent grave signifia
mouvement descendant, et le circonflexe, juxtaposition de l’un et l’autre… » 13
Puis progressivement les neumes s’estompèrent au profit d’une succession de punctum
(points).
« Les accents et leurs dérivés indiquaient une direction, mais le point ou « Punctum »
matérialisait un son en lui-même, privé de direction.»14
10
A savoir, des points de repères par rapport à une abscisse et une ordonnée, dans le cas de la première un sens
de lecture de gauche à droite qui représente le déroulement du temps, dans le cas de la deuxième un rapport de
hauteurs de sons avec des correspondances : bas-grave, haut-aigu.
11
LE VOT Gérard, « Histoire de la notation en occident », in ORLAREY Yann (Textes réunis par ), Musiques et
notations, Coll. Musiques et sciences, Lyon, Gram-Aléas, 1999, pp.18-19.
12
M EEUS Nicolas, « Une apologie de la partition », in Analyse musicale n°24, Paris, Juin 1991, p.21.
13
CHAILLEY Jacques, La musique et le signe, collec. Les introuvables, Paris, Aujourd’hui,1985, p.28.
14
Idem, p.29.
10
On se mit à utiliser une succession de punctum pour représenter un tracé mélodique.
C’est à dire que la notation impliqua une conception hachée de la mélodie : une suite de sons
fixes. Avec cette conception, le son devient une entité en lui- même qui est atemporelle. Il
représente une constante avec laquelle les artistes peuvent composer. Ainsi la notation
musicale a pu être à l’origine de l’art du compositeur.
11
Exemple d’écriture neumatique : Graduel de Nevers 15
15
Graduel de Nevers (Vers 1060), Bibliothèque nationale, Paris.
12
C’est aussi cette constante qui permet la conception, en occident, d’une polyphonie
très élaborée. En effet, avec la conception spatiale de la feuille de papier, on a pu représenter
la superposition d’une note sur une autre. Et comme les punctum étaient la représentation
d’une valeur fixe, il était facile de comprendre le résultat donné de leur superposition. Une
construction faite de plusieurs superpositions de punctum devint alors plus facilement gérable.
Ce fut la naissance du contra punctum (contrepoint). Celui-ci connut un grand développement
dans la musique occidentale, permis une fois de plus par la notation. Par ailleurs, l’idée
musicale de l’imitation (qui est une des idées les plus répandues dans l’art du contrepoint)
provient elle aussi de la représentation spatiale de la musique. La reproduction d’une mélodie
à l’identique sur une autre voix de la polyphonie est une opération facile à exécuter sur le
papier : il suffit de la recopier. Cette opération peut être à l’origine d’une grande complexité
musicale et cette dernière est difficile à obtenir par le simple jeu de l’esprit. Ainsi on peut
affirmer que la notation influence l’apparition d’idées musicales.
Plus proche de nous, dans la deuxième partie du XXème siècle, la notation a subi une
évolution disparate. Cette évolution est due à un éclatement de la pensée musicale occidentale
après 1945. Selon les différents courants esthétiques, il a fallu trouver des notations
appropriées.
« Ainsi, les compositeurs de la deuxième moitié du XXème siècle, s’écartant
radicalement de l’univers sonore sous-entendu par la notation classique, sont amenés à
reconsidérer le système de signes dont ils disposent et à élaborer de nouveaux codes de
communication
musicale
susceptibles
de
correspondre
à
leur
préoccupations
et
recherches. » 16
Des partitions de tous types sont apparues. On peut, dans les grandes lignes, les
catégoriser de la manière suivante :
- L’apparition de nouveaux codes.
Dans ces partitions, la notation diffère très peu de la notation traditionnelle 17 . De
nouveaux signes sont ajoutés à ceux existants dans le but de préciser un type d’exécution
16
RADOSVESTA KOUZAMANOVA Bruzaud, Aspects de la notation verbale ( Essai de taxinomie des propositions
verbales des années soixante et soixante-dix), Mémoire de DEA dirigé par J.Y. Bosseur, université de Paris IV
1998, p.16.
17
Nous nommerons “notation traditionnelle” la notation qui s’est institutionnalisée au fil des siècles dans la
musique occidentale.
13
instrumentale encore inusité. Généralement, ces partitions sont précédées d’une nomenclature
explicative.
- Les partitions graphiques
Elles sont apparues avec l’avènement de la musique électronique dans les années
cinquante. Elles essayent de représenter le rendu acoustique d’une œuvre.
Exemple de partition graphique : Articulation de György Ligeti 18
Ainsi, avec ce type de notation, le compositeur spatialise d’une manière plus précise
son idée musicale. Ces représentations, par le renvoi d’une image, fo urnissent donc une plus
grande liberté d’imagination pour la conception de mouvements musicaux. Elles sont
l’antithèse de la fixité du punctum cité précédemment. Cependant, elles posent le problème de
leur lecture, puisqu’en se rapprochant d’une représentation picturale, on perd la notion de
18
LIGETI György, Articulation, Editions B.Schott’s Söhne, Mayenne, 1970.
14
code, essentielle à la notion de notation et donc essentielle à la fonction de communication de
l’écriture.
- Les partitions proposant un parcours indéterminé
Elles proviennent d’un corpus d’œuvres que l’on nomme "ouvertes", qui proposent
plusieurs déroulements temporels à la fois. L’interprète a le choix d’exécuter l’un de ces
déroulements proposés. Dans ce type de partitions, la notation peut exister sous toutes les
formes possibles. L’originalité de ces partitions réside dans le fait que l’œuvre existe plus
dans sa totalité en étant notée qu’en étant jouée, donc plus grâce à la partition que grâce à son
exécution. Les possibilités de la notation permettent donc au compositeur de produire ce
genre d’œuvres.
- Les partitions contenant des propositions verbales 19
Elles se présentent sous la forme d’un texte d’instructions qu’il faut réaliser pour
l’exécution de l’œuvre. Ce procédé est généralement utilisé pour le théâtre musical. Des
instructions plus ou moins précises gèrent différents éléments temporels (des gestes, des
sons). Parfois, des schémas peuvent être adjoints au texte. Mais ils ne font pas partie d’un
système de notation défini puisqu’ils sont là pour éclairer le propos.
Ces partitions posent un problème d’identification de la notation. En effet, si elles
communiquent l’exécution, elles ne décrivent pas pour autant le rendu sonore. Ce type de
notation engendre une certaine conception de l’action instrumentale. Il s’agit pour le
compositeur de décrire le geste, pas le résultat. Pour cela, il cherche le meilleur moyen de se
faire comprendre.
On pourrait dire que ces divers types de notations posent un problème de
communication. D’une part, il s’agit pour le compositeur d’être le plus clair possible dans ses
intentions et donc d’avoir recours à ces nouveaux codes pour que l’interprète puisse exécuter
précisément l’œuvre ; les musiciens, qui ont appris à décrypter le code musical traditionnel,
sont capables de s’y adapter. D’autre part, la standardisation de la notation peut faciliter la
compréhension, dans la mesure où elle est un code fixe auquel l’interprète peut se référer.
Pour résoudre ce problème le compositeur doit d’abord définir quel sera le rôle exact de la
partition dans son œuvre.
15
L’apparition de ces diverses notations dans la deuxième partie du XXème siècle montre
bien l’importance du problème aux yeux des compositeurs.
« Pour eux, le choix d’une notation, qu’elle soit traditionnelle ou inventée pour un
projet particulier, ne représente pas l’objet de spéculations intellectuelles, mais s’inscrit dans
leur réalité et conditionne leur communication avec les interprètes et le public.
»20
La représentation d’une œuvre musicale est donc un facteur déterminant dans
l’élaboration d’une esthétique musicale dans la musique savante occidentale d’aujourd’hui.
Chercher une notation universelle c’est-à-dire standardiser une notation, reviendrait à
canaliser la musique savante vers une seule esthétique 21 .
2- Rôle de la partition musicale
« Jusqu'à Lully, qui exigea une réforme, la partie écrite n’était, là encore, qu’un aidemémoire traité sans le moindre respect, ni quant au contenu, ni quant au support. » 22
Jacques Chailley nous précise que le rôle de la partition a souvent changé selon les
époques et les différentes cultures. En fait, il faut parler de plusieurs rôles plutôt que d’un.
Dans la musique savante occidentale, ces rôles se catégorisent de la manière suivante : la
transmission et la diffusion23 d’une part et d’autre part la partition en tant qu’objet attestant de
l’existence de l’œuvre.
Moyen de transmission et de diffusion
Nous avons dit plus haut qu’une partition, pour établir son rôle de communication,
devait être la plus claire possible. Or pour cela, il faut savoir si la notation de celle-ci doit
indiquer comment l’on doit exécuter l’œuvre musicale ou représenter l’objectif sonore à
atteindre. Autrement dit, il s’agit de faire la différence, selon l’expression de Charles Seeger,
entre les notations prescriptives et les notations descriptives.
19
Selon la terminologie de Bruzaud Radosvesta Kouzamanova
RADOSVESTA KOUZAMANOVA Bruzaud, op. cit., p.5.
21
« La volonté de standardiser l’écriture aujourd’hui correspond à un attachement presque maladif aux modes de
production du passé. » FRANÇOIS Jean-Charles, « Percussion et notation », in Percussion et musique
contemporaine, Collec. esthétique, Paris, Klincksiek, 1991, p.229.
22
CHAILLEY Jacques, op. cit., p.129.
20
16
« Notre manière de noter donne lieu à trois type d’approximations : en premier lieu
nous acceptons l’hypothèse qu’il est possible de représenter l’ensemble du paramètre auditif
de la musique à l’aide d’un paramètre visuel partiel, c’est-à-dire limité à deux dimensions,
comme une surface plate ; ensuite nous ne tenons pas compte du fait que la notation de
musique ayant été plus tardive que celle de la parole il devient traditionnel pour l’art de la
parole de s’interposer lorsqu’on faisait correspondre les signes auditifs avec les signes visuels
dans la transcription musicale. Enfin nous ne savons pas faire la différence entre une notation
prescriptive et une notation descriptive de la musique, c’est-à-dire entre une épure où serait
indiqué comment une musique devrait être jouée, et un compte rendu de la manière dont elle
à été effectivement jouée lors d’une exécution particulière. » 24
De plus, comme le dit un fois de plus Seeger, la notation de la musique ne peut être
qu’approximative et donc ne peut transmettre à l’interprète qu’un nombre limité
d’informations quant à la précision du rendu musical. Ceci rend la partition prescriptive
inappropriée pour la communication complète de l’œuvre à l’interprète. Pour s’en convaincre,
il suffit de prendre pour exemple les tablatures pour instruments à cordes qui sont
« les véritables premières notations prescriptives, indiquant ce qu’il faut faire pour
réaliser la prestation instrumentale. » 25
Ces partitions se présentent de la manière suivante : sur la feuille, sont tracées un
certain nombre de lignes représentant le nombre de cordes de l’instrument. Sur ces lignes sont
écrits des numéros représentant les doigts à poser ou la localisation des frettes (quand il y en
a). Le rythme est écrit à la verticale des chiffres auque l il correspond.
Ce genre de partitions propose une visualisation du manche de l’instrument. Par
conséquent, il est difficile pour l’instrumentiste de comprendre les phrasés musicaux, les
nuances et autres subtilités musicales à la lecture, c’est-à-dire d’une manière directe. La
description du rendu sonore est donc essentielle pour guider l’interprète dans une exécution
musicale. Jean-Charles François résout le problème de la manière suivante :
« La notation régit des relations entre le compositeur et l’interprète. La notation
comme “indice” dans le contrat fondamental de la séparation des rôles de production, laisse à
l’interprète le soin de produire le timbre, et la transcendance de l’œuvre dans un “simulacre
d’improvisation”. Elle reste exactement entre le concept de représentation acoustique et
23
Nous ferons cette distinction pour parler de la communication entre compositeur et interprète. La première
avec la présence du compositeur lors de l’apprentissage de l’œuvre par l’interprète, la deuxième sans.
24
SEEGER Charles, « Notation prescriptive et notation descriptive », in Analyse Musicale n°24, Juin 1991, p.6.
25
LE VOT Gérard, op. cit., p.27.
17
d’instruction à faire pour une action instrumentale, un geste produisant un son particulier.
Cette double fonction est une invention admirable justement parce qu’elle ne fait ni l’un ni
l’autre, mais suggère l’un et l’autre. […] C’est ce qui permet cette distanciation entre le
compositeur et la réalisation sonore de son œuvre, et la liberté d’élaboration d’une pensée
musicale. » 26
Exemple de tablature : air ; Ton beau temps ma jeune fille27
Avec cette dernière idée, nous touchons à un autre intérêt qu’offre l’utilisation d’une
partition : la distanciation entre ce que propose le compositeur et ce que propose l’interprète.
La partition permet de donner un rôle de créateur à l’interprète dans la production musicale.
En effet, nous le disions plus haut, la partition ne peut pas être une représentation fidèle du
rendu sonore 28 . En même temps, elle n’indique pas non plus la meilleure technique
d’exécution. C’est là qu’entre en jeu tout l’art de lecture, de compréhension et d’exécution de
26
FRANCOIS Jean-Charles, op. cit., p.186.
Le cahiers d’airs à danser des frères Pineau de La Chassagne Blanzay, Vienne.
28
J.Y. Bosseur précise que « Conscient des chances et des limites de la notation, Stravinski admet toutefois volontiers que
27
« certains éléments doivent toujours être transmis par l’exécutant, qu’il en soit remercié ». Ce qui veut clairement dire que la
notation ne saurait prétendre assumer tous les rôles et assurer un contrôle absolu de son œuvre. » in ORLAREY Yann
(Textes réunis par ), Musiques et notations, Coll. Musiques et sciences, Lyon, Gram-Aléas, 1999.
18
l’interprète. La partition, par son imprécision, assure alors une musicalité plus importante à
l’œuvre.
« Ainsi, le compositeur s’efforce-t-il d’assouplir sa notation par le recours à des
symboles plus approximatifs, moins contraignants parce que plus fonctionnels qui, en
échange, enrichissent sa conception en incluant la sensibilité de l’interprète comme facteur
susceptible d’influencer le déroulement de l’œuvre. » 29
Il faut rajouter à cela qu’un compositeur travaille, le plus souvent, en vue d’une
exécution particulière et qu’il accompagne les premières interprétations de son œuvre. C’est
dans ce cas précis que la partition ne sert qu’à la transmission du contenu musical. C’est-àdire qu’elle est le moyen de communiquer une information plus ou moins complexe à
l’interprète. Cependant, le compositeur, par sa présence, peut combler le manque
d’informations partielles de la partition.
Mais que se passe-t- il lorsque le compositeur est absent ? La partition devient alors un
moyen de diffusion de l’œuvre musicale. C’est-à-dire qu’à la différence de la transmission,
elle est la seule informatrice de l’interprète sur le contenu de l’œuvre. La partition devient
alors un objet attestant de l’existence de l’œuvre musicale.
Objet attestant de l’existence de l’œuvre
Dans le cas de la musique occidentale, la partition est devenue essentielle. Son
développement, son histoire sont liés à elle. En effet, étant un objet, la partition assure la
pérennité de la culture qu’elle représente et par conséquent la postérité du musicien qui l’écrit.
Cependant, cette pérennité est relative dans la mesure où une partition musicale est forcément
incomplète et sujette à interprétation. On peut observer ce problème particulièrement dans le
cas des transcriptions de musique médiévale qui posent d’énormes difficultés de décryptage
pour les musicologues. L’interprète désireux d’exécuter de manière authentique 30 ce genre de
partitions se retrouve à faire un vrai travail “d’archéologue” pour obtenir un résultat
convaincant. Il s’agit donc pour lui de comprendre le contexte dans lequel cette musique
existait et de comparer sa partition avec d’autres afin d’avoir le plus d’éléments possibles. La
sauvegarde d’un patrimoine musical, dans le cas de la musique occidentale, ne passe pas
uniquement par la partition mais aussi par la culture qui l’entoure et une somme
d’informations conséquentes. Les partitions actuelles, par leur degré de complexité ou leur
variété, assureront peut-être mieux la pérennité de leurs créateurs. Toutefois, cela
29
30
RADOSVESTA KOUZAMANOVA Bruzaud, op. cit., p.46.
Ce terme est relatif dans la mesure où il est impossible de retrouver l’interprétation exacte de l’époque.
19
n’empêchera pas que la partition, en étant une représentation incomplète, continuera de
définir et de justifier le rôle de l’interprète.
Enfin, il reste un dernier rôle à préciser pour la partition : son utilisation scientifique et
notamment un support pour l’analyse musicale. La notation est d’abord une source de savoir.
Jacques Chailley précise à propos des notations antiques :
« Aussi l’écriture ne s’adresse-t-elle pas en premier lieu au praticien. Si l’on cherche à
représenter des sons, ce n’est ni pour composer, ni pour lire à l’exécution, mais dans un but
théorique ou pédagogique, ou encore pour rendre hommage à un texte vénéré et jugé digne
d’être transmis à la postérité. » 31
La partition peut être la représentation d’une œuvre aboutie. C’est cet objet qu’étudient
les analystes et, selon Nicolas Meeus, c’est ainsi qu’ils le perçoivent 32 . Il résume les rôles de
la partition de la manière suivante :
« Ou bien [la
partition] forme une suite d’instructions pour l’interprète, dont la tâche
sera d’actualiser l’œuvre et de réaliser ainsi la sémiosis ; ou bien elle est une transcription de
la matérialité acoustique de l’œuvre, un compte rendu de la sémiosis. Dans les deux cas, son
rôle n’est qu’ancillaire. » 33
31
CHAILLEY Jacques, op. cit., p.12.
M EEUS Nicolas, « Une apologie de la partition », in Analyse musicale n°24, Paris, Juin 1991, p.22.
33
Idem, p.20.
32
20
B- Définition du théâtre musical
1- Nommer le théâtre musical
Le théâtre musical est un terme qui recouvre une grande diversité de manifestations
alliant théâtre et musique. Même si le terme ne se mélange pas avec le genre qu’est l’opéra, il
est cependant souvent utilisé à tort et à travers pour désigner notamment une comédie
musicale, un conte pour enfants ou encore le spectacle d’un metteur en scène qui s’intéresse à
la musique. Dans les années cinquante, Luigi Nono essayait de le définir de la manière
suivante :
« Une rencontre donc, où musique, peinture, poésie et dynamisme scénique
contribuent, dans leurs dimensions actuelles, non à une synthèse des arts qui, caractérisée
par une simple somme, établirait des correspondances simples entre son, couleur et
mouvement,
mais
une
nouvelle
liberté
de
la
fantaisie
créatrice.
L’interdépendance
continuellement redéfinie des divers éléments constitutifs de théâtre même, finit par briser le
despotisme univoque d’une composante sur l’autre : la musique sur le texte et la scène.
»34
Ce propos n’est toutefois pas suffisant pour désigner clairement ce qu’est le théâtre
musical. Il s’agira donc de définir précisément pour notre étude ce que nous entendons par
cette expression.
Le genre qui nous intéresse ici est essentiellement musical. Il existe sous l’impulsion
des compositeurs et est défini par un répertoire d’œuvres mettant en jeu des éléments
scéniques au sein de l’écriture musicale. Marie Monpoël Delcambre 35 précise à ce sujet :
« Il n’est pas dans [l’]intention [des
compositeurs] que la somme des gestes égale
la somme de musique, que l’un soit aussi spectaculaire que l’autre, mais que gestes et
musiques soient interdépendants et nécessaires. » 36
Maurico Kagel est un des premiers compositeurs à travailler dans ce sens avec la pièce
Sur scène (1959). Dans cette pièce, il met en place une action scénique complètement réglée
par une pensée musicale et la possibilité que le concert puisse être visuel. Trois exécutants (un
34
NONO Luigi, « Possibilité et nécessité d’un nouveau théâtre musical », in Contrechamps n°4, Lausanne, L’âge
d’homme, Avril 1985, p.55.
35
Son travail sur le théâtre musical est essentiel dans notre étude, il sera une référence tout le long de cette
partie.
36
M ONTPOËL -DELCAMBRE Marie, Le théâtre musical contemporain : domaine européen. - problématique et
tendances, sous la direction de Michel Gu iomar et Serge Gut, Université de Paris IV, 1985, p.23.
21
instrumentiste (3 claviers), un chanteur Basse et un mime acteur) réagissent au débit de parole
d’un acteur/narrateur. Au cours de l’œuvre les rôles sont inversés : le chanteur devient
spectateur, le mime musicien et l’instrumentiste devient récitant. Cette situation d’échange
des rôles musicaux et scéniques se traduira par un certain nombre d’effets visuels qui
transforment une pièce qui semblait être au premier abord de concert (la disposition scénique
est celle d’un concert traditionnel) en une représentation scénique.
Définir le théâtre musical n’est pas chose aisée. C’est une conception plutôt qu’un
genre. Antoine Gindt rappelle que :
« Maurice Fleuret, défenseur critique du genre, aimait dire avec lucidité, que le
théâtre musical se définit davantage par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est. » 37
En effet, la nouveauté de ces manifestations artistiques implique une absence de codes
déterminés en vue de l’établissement d’un genre. Par exemple l’opéra, un genre bien défini,
possède un certain nombre de codes : une dramaturgie mise en musique, la présence en
continu de la musique (tous les protagonistes sont des chanteurs, l’orchestre joue toujours
dans la fosse) etc. Or, dans le théâtre musical rien de tout cela n’existe d’une façon aussi
définie : il peut exister toutes les configurations scéniques et musicales possibles, pourvu que
tout soit géré par un temps musical. En bref, pour les compositeurs, le théâtre musical
représente une certaine forme de liberté créatrice. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit très
prisé chez les compositeurs contemporains quand il s’agit de créer une œuvre regroupant
différents arts du temps.
Mais tout cela ne répond pas à la question de l’existence du théâtre musical en temps
que genre. Pour ce faire, il faut avant tout faire une remarque concernant les deux appellations
utilisées pour ce genre de répertoire : théâtre musical et théâtre instrumental. Faire
l’amalgame serait mal considérer les centres d’intérêts de l’un et de l’autre. En effet, le théâtre
instrumental, comme son nom l’indique, représente un type de pièce axé sur la possibilité
scénique de l’instrumentiste. C’est Kagel qui, une fois de plus, inaugure le genre avec Sonant
(1960/…). Pièces où les instrumentistes doivent se dévoiler devant le public de différentes
manières (visuellement, dans le choix de morceaux et dans la parole). La concentration du
spectateur est essentiellement fixée sur l’instrumentiste et sur le geste instrumental (au sens
large du terme).
37
GINDT Antoine, « Sur les chemins d’Aperghis et de Kagel : introduction à l’analyse du théâtre musical », in
Analyse Musicale n°27, Avril 1992, p.60.
22
A ce propos, Marie Monpoël Delcambre propose des critères de définition pour le
théâtre instrumental qui sont aussi applicables pour le théâtre musical :
« Pour exister en tant que genre, il [le
théâtre instrumental] lui faut posséder des
caractéristiques nettes, un répertoire suffisant, et des possibilités d’expression dignes de
tenter les plus grands compositeurs. » 38
Nous venons de répondre au dernier critère en disant qu’il représentait une certaine
forme de liberté créatrice. En ce qui concerne le répertoire, nous allons voir qu’il s’est
développé de manière continue depuis 1960. Quant au premier critère, nous allons le détailler
dans la partie suivante. Nous pourrons donc, malgré la différence nette entre ces deux
appellations, considérer que le théâtre instrumental est une branche du théâtre musical : les
caractéristiques applicables à l’un le sont à l’autre.
2- Caractéristiques du théâtre musical
Le théâtre musical peut passer pour une forme de spectacle hybride né de l’envie des
compositeurs de créer une espèce “d’œuvre d’art totale”39 . Mais il s’avère qu’en l’étudiant de
près, on s’aperçoit qu’on ne peut pas le considérer comme une simple somme de différents
arts. Il procède d’une évolution plus complexe. Marie Monpoël-Delcambre pense que le
théâtre musical est :
« le point de rencontre de deux mouvements de recherche, d’une part la
modernisation de l’opéra, d’autre part la théâtralisation du phénomène “concert” ». 40
Il provient d’un certain nombre d’enjeux artistiques et de préoccupations esthétiques
précises des compositeurs de la deuxième partie du XXème siècle. Il faut déterminer les
caractéristiques du théâtre musical selon un certain nombre de constantes parmi des exemples
choisis. C’est ce qu’a fait Marie Monpoël- Delcambre 41 . Elle en déduit les caractéristiques
suivantes :
38
M ONTPOËL-DELCAMBRE Marie, Le théâtre instrumental contemporain (Nécessité-Qualité-Figures), sous la
direction de Michel Guiomar, Université de Paris IV, 1991, p.1.
39
Le terme “totale” ne fait pas référence à Wagner, mais bien aux préoccupations des compositeurs du XXème
siècle par rapport à la réunion des arts.
40
Idem, p.94.
41
M ONTPOËL-DELCAMBRE Marie, op. cit., 1985, p.2.
23
- « L’utilisation du quotidien sous toutes ses formes. »
Dans de nombreuses pièces de théâtre musical on remarque l’utilisation d’objets
courants, de gestes quotidiens ou encore de situations sociales détournées dans un but
musical. Par exemple, dans sa pièce Repertoire (1970), une des parties de sa grande œuvre de
théâtre musical : Staatstheater (1970), Mauricio Kagel veut remettre en cause toutes les
notions et les codes véhiculés par l’opéra. Elle se présente comme une réflexion sur le
quotidien de ce genre. Elle consiste en :
« une suite d’actions sans rapport avec les autres, extrêmement courtes et dont
l’ordre n’est pas imposé. Elle correspond à la somme des gestes en eux-mêmes stupides et
absurdes de l’opéra lorsqu’ils sont sortis de leur contexte. Ils ne sont pas ridiculisés, mais
simplement remaniés et passés à grande vitesse. » 42
Mauricio Kagel utilise souvent le quotidien de la vie d’un musicien, mais le plus
souvent ce sont les gestes domestiques qui sont utilisés. Se verser une tasse de café 43 ou
éplucher des légumes 44 deviennent alors des éléments susceptibles d’avoir un déve loppement
musical. Mauricio Kagel et Georges Aperghis sont les compositeurs les plus représentatifs de
cette attitude. Antoine Gindt parle d’une « promptitude à saisir le quotidien comme matériau
possible et irremplaçable. » 45
C’est-à-dire qu’ils utilisent le geste quotidien comme catalyseur de la création
musicale. Il est un des intérêts principaux de la composition. C’est aussi le cas de Herbstmusik
(1974) de Karlheinz Stockhausen. L’œuvre se décompose en quatre mouvements tirés du
quotidien de la campagne en automne : construire une cabane, briser du bois, battre la paille et
marcher dans les feuilles mortes. Le résultat sonore de chaque action est amplifié par des
microphones de sorte que l’on se rende compte de leur potentiel acoustique. Toutefois, on ne
peut pas considérer que c’est le résultat acoustique qui est uniquement recherché, mais plutôt
le décalage qui existe entre l’action anodine et le résultat esthétique. Le fait de montrer la
construction d’une cabane sur une scène met en relief les possibilités esthétiques de cet acte et
le spectateur remarque alors que l’action de planter des clous peut être génératrice d’un
déroulement musical très intéressant. Pour obtenir ce résultat, Stockhausen était obligé de
montrer visuellement ces actions. C’est ce qui fait l’un des points d’attirance du théâtre
musical pour les compositeurs : le pouvoir de “dé-banaliser” le quotidien afin d’en faire un
objet esthétique.
42
Idem, p.99.
GEOBBELS Heiner Max black (1998).
44
A PERGHIS Georges, Quai n°1, (1978).
43
24
- « Le dégagement d’un climat, d’une atmosphère d’ensemble plus que d’une suite
logique d’événements. »
C’est une des caractéristiques qui différencie le plus le théâtre musical de l’opéra. En
effet, on peut noter dans la plupart des œuvres de théâtre musical une absence totale de
narration. Ce sont des œuvres qui n’en ont pas besoin. Elles représentent à elles seules
l’intérêt du spectacle. Heiner Goebbels travaille sur ce paramètre dans beaucoup de ses
spectacles. Par exemple, dans Hashirigaki (2000), le compositeur propose une suite de
tableaux scéniques qui créent un climat différent à partir de l’association auditive et visuelle.
De temps à autre, c’est de la musique traditionnelle chinoise qui est associée à un décor calme
(cf. photos ci-dessous), mais ce peut être également de la musique électronique liée à une
atmosphère plus sombre, ou encore la musique de Pet sounds des Beach Boys associée à une
danse burlesque des actrices. Malgré toutes ces associations et ces enchaînements hétéroclites,
le spectacle garde son unité, ce qui rejoint les propos de Kagel :
« L’inestimable, dans le théâtre musical, c’est qu’on n’a pas besoin d’une action
continue pour réaliser une représentation scénique convaincante, parce qu’une bribe d’action
suffit pour obtenir une complétude musicale.
»46
C’est grâce au déroulement musical que le compositeur assure une cohésion et une
continuité au spectacle qu’il propose.
45
46
Gindt Antoine, op.cit., 1992, p.61.
KAGEL Mauricio, Tam-Tam, Collec. Musique/Passé/Présent, Paris, Bourgois,1983, p.190.
25
Hashirigaki de Heiner Goebbels 47
- « Le goût de la provocation au moyen d’éléments choquants, d’une image de la folie, de la
destruction des valeurs existantes. »
C’est Mauricio Kagel qui pratique le plus souvent cet aspect du théâtre musical dans
toutes ses possibilités. Par exemple dans Staatstheater (1970), il détruit les valeurs existantes
de l’opéra et vise directement un public particulièrement susceptible. Dans Tremens (1965),
c’est le sujet de l’œuvre qui peut être pris comme choquant. En effet, Kagel y traite les
réactions auditives d’un homme sous l’emprise de la drogue. Mais, d’une manière générale,
ce qui est le plus provocateur chez ce compositeur, c’est son attitude sadique envers ses
interprètes. Son théâtre instrumental reflète le plus souvent une gêne de l’instrumentiste due à
une partition très contraignante. Dans la plupart de ses pièces, il se crée
« une situation douloureuse, une tension très forte à plusieurs niveaux :
-
entre l’instrumentiste et cette foule d’indications, de prescriptions qui ne laisse aucun
répit ;
-
entre l’instrumentiste et l’auditeur qui devient vite conscient de cette lutte et souffre
pour lui.
Chaque pièce de Kagel pour un instrumentiste soliste est un acte d’émancipation, à la
fois pour l’instrument et pour l’instrumentiste, mais cet accouchement ne se fait jamais sans
douleur.
»48
Cette attitude est le résultat de deux problèmes qui se sont posés dans la deuxième
partie du XXème siècle. En premier lieu, il s’agit de “décoincer un peu” une avant-garde un peu
trop rigide et de donner un nouveau souffle à la notion de concert. En effet, la musique
47
48
Photos : DEL CURTO Mario et GUENBERG Karl on <http://heinergeobbels.com/index2.htm>.
BOSSEUR Jean-Yves, « Dossier Kagel », Musique en jeu n°7, Paris, Mai 1972, Seuil, p.92.
26
savante s’est enfermée dans des institutions sérieuses qui régissent sa diffusion.
Historiquement, la fausse démocratisation du concert au XXème siècle a engendré un public
“petit-bourgeois” qui finalement n’était pas vraiment à l’écoute de ce qu’on lui proposait. Il
s’est créé autour de cela un consensus, symbole de non-évolution pour certains compositeurs.
Des réactions du public comme le rire, par exemple, sont pratiquement bannies de ce genre de
manifestation sociale que sont les concerts. Il est alors primordial pour les compositeurs de
réagir. Quand Bernard Cavanna compose Cache-sax (1984), c’est la même envie qui l’anime.
Le simple fait de troquer une partition contre un magazine type “Playboy” relativise le côté
institutionnel de l’interprète caché derrière son pupitre. Il devient un personnage remarquable,
il fait du théâtre musical.
La seconde raison de cette envie de provocation est liée à la première. C’est le besoin
de faire réagir le public. Car c’est de cette manière qu’il prend conscience de son existence
dans le cadre du concert et de son rôle à y jouer : l’éveil de ses sens. D’une certaine manière,
on peut rapprocher ce résultat de celui recherché par l’école américaine dans les années
soixante. Les happenings ou les œuvres ouvertes comme 4’33’’ (1952) de John Cage
proviennent de la même envie. D’un certain point de vue, c’est aussi du théâtre musical.
- « Une mise en valeur des richesses vocales (encore que cela soit plus évident chez d’autres
compositeurs), mais en tout cas un éclatement total de la parole comme unité significative
linguistique. »
Au XXème siècle, les compositeurs se sont intéressés à la voix pour les possibilités
sonores qu’elle représentait. Dans le cas du théâtre musical, l’attrait a été d’autant plus grand
que la voix possède une présence théâtrale évidente. Pour s’en convaincre, il suffit d’assister à
des œuvres vocales très recherchées comme par exemple la Sequenza III (1966) de Luciano
Berio ou les Récitations (1978) de Georges Aperghis. Ces œuvres ne représentent pas le
courant du théâtre musical. Toutefois, lors de leur représentation, les chanteuses qui les
interprètent se sentent obligées d’accentuer le coté théâtral pour enrichir leur interprétation.
Ces œuvres, bien que n’étant pas du théâtre musical, ont un potentiel théâtral.
La richesse vocale intéresse aussi les compositeurs de théâtre musical dans le but
d’ « humaniser » la musique. Nombre sont ceux qui utilisent les possibilités vocales des
instrumentistes. Par exemple, dans Mirum (1965) pour tuba solo, Mauricio Kagel fait parler
de plus en plus le tubiste au fur et à mesure que l’œuvre se déroule. Il s’agit de faire prendre
conscience que derrière le timbre et l’instrument qu’est le tuba se cache un homme. De même,
27
Georges Aperghis fait parler la violoncelliste en même temps qu’elle joue dans Sextuor
(1992). L’association du langage parlé et du jeu instrumental par un même interprète
musicalise la parole, de sorte que l’on prend l’interprète comme un « personnage musical » à
part entière.
La parole en elle-même est souvent traitée musicalement dans les œuvres de théâtre
musical. Georges Aperghis l’utilise beaucoup en temps que matériau musical dans ses
spectacles. Elle permet de garder l’impression qu’un spectacle doit faire passer un message
parlé en même temps qu’elle est base de composition musicale. On rejoint ici l’intérêt des
compositeurs pour la “dé-banalisation” du quotidien. La langage en tant qu’élément sonore
permanent dans la culture de l’homme représente aussi une sorte de quotidien. Enfin, on
pourra remarquer une fois de plus que la parole ou la présence de la voix est un événement
sonore qui, en humanisant l’interprète, permet un rapprochement du public vers l’œuvre.
- « Et enfin une importance étonnante donnée à l’individu sur scène, qui engage son corps
avec parfois autant de générosité qu’un danseur. »
C’est pour cela que Kagel parle de théâtre instrumental. C’est à dire que pour lui, le
principe est de faire remarquer la présence physique du musicien sur scène. Ainsi les gestes
du musicien ne seront plus synonymes de parasites mais seront, au contraire, pris en compte
dans la composition musicale. L’auditeur/spectateur ne peut pas évincer le côté visuel de
l’œuvre musicale. Cet aspect du théâtre musical nous rapproche encore de la mise en relief du
quotidien. Mais cette fois-ci, c’est le quotidien du musicien qui est passé en revue.
Ce genre d’œuvres propose donc une implication plus forte de l’interprète puisqu’il
met aussi en jeu son image. Il doit s’engager un peu plus physiquement qu’à son habitude
pour réaliser pleinement l’œuvre. Par exemple, Duel (1970) d’Alain Louvier propose une
course-poursuite pour deux percussionnistes à travers une scène jalonnée de percussions en
tous genres. Le théâtre musical demande aussi au musicien une attitude de réception plus forte
de l’œuvre. Cette attitude est semblable à celle que l’on rencontre dans les formations de
chambre. C’est à dire que c’est une attitude très différente du musicien d’orchestre qui se
contente de jouer au mieux sa partie.
« De tels musiciens ne peuvent s’exprimer théâtralement. Ils sont trop préoccupés par
l’instrument pour s’exprimer eux-mêmes. » 49
49
KAGEL Mauricio, op. cit., p.131.
28
Par exemple, pour réaliser Repertoire (1970) de Mauricio Kagel, Olivier Bernager et
ses musiciens ont dû se poser des questions quant à la manière d’utiliser de façon sonore des
objets du quotidien. De plus, ils ont dû s’investir pour les trouver ou les construire 50 .
Enfin, l’implication du musicien de théâtre musical est plus fort que celui d’un
musicien “traditionnel” 51 pour la simple raison que le théâtre musical fait appel à plusieurs
techniques artistiques. Par exemple, dans Harlekin (1978), Stockhausen demande à une
clarinettiste de jouer, danser et mimer. Il s’agit alors de savoir quelles sont les limites
disciplinaires qu’un compositeur de théâtre musical peut demander à ses interprètes.
Inversement, il s’agit de savoir si le théâtre musical peut former des interprètes vers une
pratique interdisciplinaire.
3-La réunion des arts ?
Harlekin de Stockhausen est une œuvre significative. Elle requiert d’une personne des
qualités dans plusieurs disciplines artistiques. C’est-à-dire qu’une forme de synthèse des arts
s’opère dans cette œuvre. Toutefois, la question est de savoir si l’on peut l’intégrer dans le
théâtre musical d’après tous les critères que nous avons définis auparavant. En fait, elle serait
plus proche du théâtre instrumental que du théâtre musical dans la mesure ou elle met en
évidence la présence de l’interprète sur scène. Tout cela signifie que l’on ne peut pas classer
une œuvre dans la catégorie théâtre musical à partir d’un critère de réunion des arts.
Cependant, la réunion des arts et plus spécialement des arts du temps (la poésie, la danse, la
musique, le mime ou le théâtre etc.) est la réalité la plus visible quand on assiste à une œuvre
de ce type. Pourquoi ?
Il semblerait que les compositeurs qui ont voulu s’investir dans le théâtre musical aient
répondu partiellement à la question de la réunion des arts sans vraiment le vouloir. Comme
nous venons de le voir, le théâtre musical correspond pour eux à des problématiques
esthétiques et musicales précises. Ils n’ont pas pour objectif de réunir un maximum d’arts
dans une même œuvre. Pris dans ce sens, le théâtre musical ne semble pas être la solution
idéale tant recherchée pour la réunion des arts. L’opéra est plus efficace pour obtenir ce
résultat. Toutefois, Mauricio Kagel ne cache pas son envie de réaliser des œuvres qui
s’adressent « à l’intelligence, à l’oreille et à l’œil. » 52
50
BERNAGER Olivier, « Notes sur une pratique du théâtre musical (à partir de Répertoire et de pas de cinq de
Mauricio Kagel) », in Musique en jeu n°27, Paris, 1977, Seuil, p.22.
51
Dans le sens d’une pratique plus commune.
52
Kagel Mauricio, op. cit., p182.
29
Effectivement, on pourrait considérer le théâtre musical comme une tentative de
réunion des arts dans la mesure où il satisfait les différents sens du spectateur. Mais la
démarche diffère. Le théâtre musical est essentiellement une pensée musicale appliquée à
d’autres disciplines. Mauricio Kagel précise, par exemple, qu’il « peut composer avec
tout »53 . Les situations théâtrales, le déroulement des événements, qu’ils soient sonores ou
pas.
« Et il se trouve, comme par un hasard miraculeux, que le théâtre musical résout
alors toutes ses contradictions, et celle si périlleuse de l’alliage du geste et du son. Pour avoir
été prises à la base, nourries de la même substance, animées du même élan, les composantes
du spectacle ne se disputent plus le haut du pavé. Elles s’épanouissent ensemble comme dans
une sorte d’idéogramme audiovisuel. » 54
Le théâtre musical réalise donc une sorte de synthèse des arts 55 dans le sens ou ce n’est
pas un agencement de différentes disciplines pour obtenir une œuvre, mais, en partant d’une
même pensée, c’est une utilisation de tous les moyens artistiques nécessaires pour obtenir un
tout unifié. Cependant, même si le résultat semble égalitaire, on peut toujours objecter que
c’est un type de spectacle qui provient d’un pensée musicale. A l’instar de l’opéra, c’est la
musique qui domine la conception du spectacle. En ce sens, le théâtre musical peut quand
même être considéré comme une forme d’art musicale 56 .
Ainsi le théâtre musical est une forme de spectacle ambiguë qu’il est difficile de
classer facilement. Nous ne pouvons pas dire clairement s’il est un genre, qui plus est un
genre musical. Nous ne pouvons pas dire non plus s’il appartient réellement plus à la musique
qu’à d’autres disciplines artistiques, et s’il équilibre le rapport entre les différents arts qui sont
utilisés. Quoiqu’il en soit, le théâtre musical aura le mérite de poser une fois de plus la
question de la synthèse des arts et d’essayer d’y proposer une réponse.
53
Idem, p.125.
M AURICE Fleuret in GINDT Antoine (Ouvrage conçu et réalisé par), Georges Aperghis (le corps musical),
Arles, Acte Sud, 1990, p174.
55
Qui est fondamentalement différente de la réunion des arts.
56
D’ailleurs, cette idée relativise les questions de réunion et synthèse des arts que nous nous posons.
54
30
C- Une marge d’imprécision
Désormais, il s’agit de déterminer quels sont les problèmes de notation que pose le
théâtre musical. Nous avons vu que c’est un type de spectacle difficile à définir. Les
problèmes qu’il pose quant à sa réalisation sont nombreux et les compositeurs trouvent
chacun leur propre manière de les résoudre. D’une certaine manière, on peut dire qu’il y a
autant de solutions que d’œuvres 57 et cette profusion conduit inévitablement à des notations
très diverses58 . Dans un article sur Aperghis et Kagel, Antoine Gindt précise :
« Ce cas de figure
[le théâtre musical] montre l’imbrication entre les divers
éléments : jeu théâtral, interprétation, instrument, mouvement, décor, lumière, situations des
comédiens les uns vis à vis des autres et vis-à-vis du public, sont entièrement codifiés et
gérés par une logique interne à laquelle rien ne soustrait : l’organisation musicale […]»59
Ceci nous précise que le compositeur qui travaille sur ce genre d’œuvre doit noter une
multitude de paramètres dus à la réunion de différentes disciplines. Ce travail est d’autant plus
difficile que les arts qui sont réunis proposent des système s de codifications différents : la
musique possède une notation héritée d’une longue histoire, la poésie se base sur l’écriture de
la langue, et, quant à la danse, l’histoire de sa notation (plus récente que les deux autres) ne
propose pas encore de solution réellement satisfaisante 60 . Le théâtre musical, réunissant
plusieurs arts, pose donc un problème de notation. De plus, au vu des problèmes auxquels
sont confrontés les compositeurs qui essayent de noter des organisations temporelles sur un
support à deux dimensions, on peut imaginer que noter, non plus une unique organisation
temporelle mais une organisation spatio-temporelle est une chose sujette à encore plus
d’imprécision. Il s’agit alors pour les compositeurs de trouver des systèmes de notation plus
adéquats avec ce type d’organisation. Cette précision de la notation est même nécessaire :
« Je reconnais être réaliste dans l’estimation des moyens dont je dispose et de la précision avec laquelle
je m’en sers. Je fais du théâtre parce que je veux atteindre sur scène une précision que la musique seule
permet rarement. Cette précision dans la présentation n’est, à son tour, qu’un moyen d’accéder à une
57
«J’avancerais une hypothèse : toute composition dramaturgique se référant au théâtre musical reste une entreprise
expérimentale qui invente ses propres solutions. » in Les Cahiers du CREM n° 4-5, juin -septembre 1987, p.5.
58
Nous avons déjà montré que la genèse d’une œuvre et sa notation étaient interdépendantes.
GINDT Antoine, op. cit., Avril 1992, p.62.
60
M ARION Bastien et JORGE Gayon in Orlaney Yann, op. cit., p. 158.
59
31
plus grande musicalité, et ainsi le cercle se referme. Sans la plus grande précision, il est impossible de
réunir musique et théâtre en une troisième dimension où l’un ne peut plus être séparé de l’autre. » 61
Pour Mauricio Kagel comme pour les autres compositeurs, la question sera de savoir
comment transmettre le plus clairement leur envie afin de constituer une œuvre aboutie. Avec
un certain nombre d’exemples du genre et les solutions proposées par les compositeurs, nous
pouvons définir les problèmes de notation qui se posent ainsi qu’une marge d’imprécision leur
correspondant.
1- Écrire l’action
Dans Tam-tam, Mauricio Kagel précise qu’un compositeur peut imaginer des
situations visuelles entre musiciens sans penser au résultat sonore 62 . C’est-à-dire que le visuel
a une importance primordiale pour le sens de la composition musicale. Il s’agit alors pour le
compositeur de choisir de noter les éléments visuels essentiels à la transmission de l’œuvre.
Cependant, il doit s’adapter aux limites que la notation engendre.
Dans le cas de la composition d’un tableau scénique, la notation ne pose pas trop de
problème. En effet, les éléments d’une configuration scénique (décors, costumes, ustensiles)
sont des données visuelles fixes et préciser ces données en trois dimensions sur une feuille de
papier en deux dimensions est une opération facile.
Par contre, il en est tout autrement de l’action. La notation d’un geste, à cause de la
complexité des paramètres qui le composent, reste une opération très approximative. On peut
le remarquer dans l’histoire de la notation de la danse. En effet, cette dernière a évolué
tardivement et les solutions qui ont été proposées, faute d’être complètement satisfaisantes,
n’ont jamais été vraiment suivies. C’est ce qui fait dire à Bastien Marion et Gayon Jorge :
61
62
KAGEL Mauricio, op. cit., p.184.
Idem, pp. 124 -125.
32
« Il est primordial de rappeler le problème crucial de la mémoire pour les arts du mouvement. De nos
jours, ils sont les seuls à ne pas faire l’objet d’une utilisation généralisée d’une écriture propre qui
permette la sauvegarde de leurs traditions. L’histoire de la danse, ou celle du mime, est une histoire qui
s’appuie sur un certain nombre d’éléments liés à ces œuvres, à l’exception des œuvres elles-mêmes. Un
texte a propos de l’œuvre, une image d’un interprète, du décor, une musique, un programme, etc. c’est
sur ces éléments que nous parlons actuellement d’un créateur, de son influence, et plus généralement de
l’histoire des arts du mouvement. Mais peut-on parler d’un créateur sans avoir aucun accès à ses
créations ?
La production de textes permettrait réellement de préserver un corpus d’œuvres donc
créer une littérature. Éphémères par nature, les arts du mouvement ne sont peut-être pas
condamnés à l’amnésie. » 63
Certes, il y a aujourd’hui, des solutions très complexes, comme la cinétographie de
Laban (1879-1958) qui propose une notation très codifiée permettant une certaine précision,
mais ces solutions servent le plus souvent au chorégraphe à produire des transcriptions.
L’utilisation de telles notations de manière prescriptive est encore quasiment nulle et « les
possibilités qu’offre l’écrit pour la création restent réellement à explorer.
»64
Si le geste est si difficile à noter, c’est qu’il se présente sous des formes très diverses.
On peut le définir comme un mouvement du corps. C’est-à-dire qu’il possède une infinité de
configurations selon la partie du corps utilisée et la physionomie de chacun. Ainsi le geste
peut être un déplacement (geste de tout le corps), une grimace (geste du visage) ou un
mouvement beaucoup plus complexe. À cette diversité de possibilités s’ajoute la complexité
de la concordance espace-temps. La notation d’un geste est donc une opération très aléatoire.
Ce qui à pour effet de laisser un certain nombre d’imprécisions dans les partitions de théâtre
musical. Par exemple on trouve, dans les premières pages de la partition de Cache sax de
Bernard Cavanna, les annotations suivantes :
63
64
M ARION Bastien et JORGE Gayon in Orlaney Yann, op. cit., p. 168.
Idem, p.169.
33
Extrait de Cache sax (1985)65
D’une manière générale, on peut remarquer une imprécision dans la durée de cette
séquence. En effet, quand Cavanna précise « Arrive le Saxophoniste », nous pouvons
imaginer toutes sortes de mises en scène : premièrement, des provenances diverses. Doit- il
traverser la scène ou non ? Il pourrait venir du public comme du fond de la salle.
Deuxièmement, nous ne pouvons pas connaître la vitesse de son déplacement et ce n’est pas
la précision de la « démarche assez gauche » qui nous permet de le savoir. De plus, il y a des
imprécisions sur la définition des gestes car il existe beaucoup de façons d’avoir une
« démarche assez gauche » et de tourner « parfois énergiquement, parfois lentement, quelques
pages. » Une telle notation propose donc une certaine marge d’interprétation due à son
imprécision.
Écrire l’action, c’est aussi noter plusieurs gestes et plus généralement plusieurs
événements exécutés en même temps. La notation du théâtre musical demande souvent une
certaine précision dans la simultanéité des événements. C’est ce qui fait son sens et une de ses
difficultés. C’est aussi cette simultanéité qui permet au compositeur de définir sa pensée. À ce
sujet, Marie Monpoël-Delcambre précise :
« C’est seulement par la suite, au moment de la coordination de l’auditif et du visuel,
que le compositeur bien souvent adopte une construction qui lui est familière, c’est-à-dire
régie par des lois musicales. » 66
65
66
CAVANNA Bernard, Cache-sax, Paris, Cotage E. A. S. 18222, 1985.
M ONPOËL -DELCAMBRE Marie, op. cit., 1985, p.345.
34
La notation musicale sera donc une aide pour la gestion de la simultanéité des
événements67 . Cependant, cette gestion ne peut se faire sans quelques imprécisions du fait de
la diversité de ces événements ainsi que de leur complexité. Pour nous en convaincre,
étudions deux types de solutions trouvées à ce problème. La notation d’événements
simultanés peut se construire soit autour d’une valeur fixe du déroulement du temps (par
exemple, par un minutage précis du déroulement sonore, comme c’est le cas dans Tremens68
de Mauricio Kagel (cf. pp. 39-40), soit par une globalité musicale (dans ce cas, c’est la vue de
l’ensemble du déroulement musical qui permet de cerner la simultanéité, comme dans le cas
de Casta Diva69 d’Alain Louvier. (cf. p. 42) Si l’on examine de plus près ces deux exemples,
on peut remarquer qu’ils ont chacun leur imprécision dans la notation.
67
Rappelons que c’est en raison de l’aspect polyphonique de la notation occidentale qu’une telle simultanéité est
possible. cf. I-A, p. 17.
68
KAGEL Mauricio, Tremens, Londres, éditions musicales Universal Edition, 1973.
69
LOUVIER Alain, Casta Diva, Paris, [s.l.], [s.d.].
35
36
37
Dans le cas de Tremens, la partition se présente en deux parties (une partition
conducteur et une conduite) qui sont reliées l’une à l’autre par un minutage très précis. Malgré
l’extrême rigueur de notation de Kagel, on peut remarquer que la première indication
concernant la lumière est imprécise. Certes, son départ est fixé mais le temps d’évolution de
l’intensité est flou (Langsam) et nous ne savons pas s’il doit correspondre au temps des
actions qui se passent simultanément jusqu’au mot « Entschuldigung » ou s’il correspond à un
temps plus court.
Dans le cas de Casta Diva, la partition se présente sous forme d’un conducteur
musical où, en plus de la musique, les actions et le texte sont précisés. On peut remarquer,
cette fois-ci, qu’il y a une imprécision en ce qui concerne le placement des mots et sur le
placement des gestes sur la musique. Dans le cas du texte «on dirait qu’elle danse », il est
difficile de prévoir si la diction va correspondre exactement avec la musique ci-dessous car le
tempo de diction et celui de la musique peuvent varier. Nous ne pouvons que prévoir une
certaine globalité. De même pour « (il danse un peu sur la fin de la musique) », il est
impossible de savoir exactement quand le compositeur entend qu’il commence à danser. De
plus, la danse sera plus ou moins longue selon le tempo musical adopté. Inversement, on peut
remarquer sur le système suivant que l’imprécision des déplacements du percussionniste
conduit à une imprécision de la musique. En effet, le percussionniste doit accomplir un certain
trajet sur la scène pour rejoindre ses instruments. Il y a donc une imprécision dans le temps du
déplacement selon le placement des instruments et la taille de la scène. Le compositeur a donc
été obligé de laisser une indétermination dans le temps musical (cf. etc.). De plus, cette nonfixité du temps musical conduit à l’imprécision des déplacements des autres exécutants sur
scène puisque « tous se figent à chaque arrêt du percussionniste… ». Toutefois, grâce à ces
points fixes et une vue d’ensemble (permise par le conducteur musical) de ces événements,
nous avons une compréhension globale de la simultanéité des événements.
38
39
2- Marge d’imprécision
Il existe donc une marge d’imprécision. Mais celle-ci n’est pas propre au théâtre
musical. Dans un certain sens, les problèmes que nous venons d’aborder existent dans la
notation musicale traditionnelle. Toutefois, la singularité du théâtre musical fait qu’ils se
posent de manière plus évidente. (Cf. plus haut) De plus, nous avons vu que le problème de
l’imprécision n’empêchait pas la compréhension globale de la partition. En fait, un
compositeur de théâtre musical sait très bien qu’à l’instar du son, noter un geste reste une
utopie. Mais comme pour la musique, c’est cette impossibilité qui rend la notation
intéressante. En effet, la marge d’imprécision présente dans le théâtre musical permet à
l’œuvre d’exister de la même manière qu’un texte de théâtre fait vivre la pièce par le nombre
infini d’interprétations qu’il propose. C’est ce qu’explique Sylvie Levesque :
« Ce qui est intéressant au théâtre, c’est ce qui se passe entre les répliques. L’intérêt
du théâtre est que l’on peut réaliser les pièces d’une façon infinie. Il y a une multitude de sens
à adopter. L’essentiel est de savoir ce qui se passe entre « to be or not to be » et « that is the
question » 70.
Pour Shakespeare, l’essentiel aura été de ne pas rajouter de didascalie ou d’intention
de jeu entre ces deux répliques. De cette manière, il laisse une marge d’imprécision qui
permet aux deux phrases de prendre un sens.
Nous pouvons faire les mêmes remarques avec un exemple de théâtre musical : Pas de
cinq 71 (1965) de Mauricio Kagel (exemple ci-contre). La partition de cette œuvre est
extrêmement rigoureuse. Le compositeur y précise qu’il faut construire un pentagone avec ses
diagonales sur la scène. Ce pentagone doit être formé de différentes matières plus ou moins
sonores. Les exécutants devront suivre les chemins que crée ce pentagone en marchant d’une
manière rythmique à l’aide d’une canne 72 . Les déplacements sont figurés de manière
schématique et correspondent à des séquences musicales fixes. Jean-Yves Bosseur précise que
« chaque mouvement est précisé dans le temps et noté rythmiquement à l’aide des
symboles musicaux traditionnels. » 73
70
Sylie Levesque, Communication personnelle, le 26 Juillet et 29 Août 2002, à Cachan.
KAGEL Mauricio, Pas de cinq, Wandelszene, Londres, éditions musicales Universal Edition, 1967.
72
A propos de cette pièce de Kagel, il s’agit de faire un rapprochement avec deux pièces de Beckett : Pas, qui
utilise cette idée de marche avec une rythmique précise (même si chez Beckett, ce « rythme » n’est pas noté
musicalement), et Quad, qui utilise presque le même dispositif, mais sur un carré (Éditions de Minuit). Ces
pièces de Beckett correspondent à une réduction drastique de la marge d’imprécision de l’écriture théâtrale : il y
a très peu de liberté dans ces pièces, et le rôle du metteur en scène doit se borner à respecter les indications de
l’auteur. Il y a ici un paradoxe de la rencontre des arts qui induit une divergence fondamentale quant à la liberté
qui résulte de ce rapprochement par rapport à celle que l’on pourrait trouver dans Pas de cinq.
73
BOSSEUR Jean-Yves, op. cit., Mai 1972, p.102.
71
40
41
En fait, si l’on regarde la partition, on s’aperçoit que Kagel n’a noté que les
déplacements et le rythme des pieds et de la canne. Donc, d’une certaine manière, il laisse le
champ libre aux interprètes pour qu’ ils choisissent des attitudes et le jeu de scène. Même s’il
en précise quelques unes de manière générale comme « l’emploi ignoble de la canne », le fait
que le détail des gestes (mouvements du bras ou mimiques) ne soit pas noté donne aux
interprètes la possibilité de choisir le sens qu’ils donnent à l’œuvre de la même manière que
des acteurs dans Hamlet.
La marge d’imprécision est celle voulue par le compositeur et l’on peut dire que dans
une partition de théâtre musical, suffisamment de données sont notées pour que l’œuvre soit
transmissible. D’ailleurs, il est nécessaire de rajouter qu’il y a, non seulement assez, mais
encore tout dans une partition de théâtre musical pour remonter le spectacle. En effet, on peut
remarquer que malgré la difficulté de noter le geste ou la simultanéité des événements, les
compositeurs décrivent certaines actions avec beaucoup de soin alors qu’ils laissent une
grande marge d’imprécision pour d’autres paramètres. Par exemple, dans le cas de Camera
Obscura (1965), Mauricio Kagel précise
«la notation des rythmes pour les projections, de l’intensité des points lumineux qui
varient selon les structures temporelles minutieusement déterminées (tremoli d’intensité de la
lumière, de grosseur des points lumineux) ; trois paramètres de la lumière entrent en jeu :
intensité, grosseur, couleur.»74
Tout cela montre donc que la notation des compositeurs de théâtre musical, même si
elle est parfois imprécise, est très précisément pensée (que ce soit consciemment ou pas et
avec une marge d’erreur possible). En d’autres termes, la marge d’imprécision est
précisément celle requise par l’œuvre elle-même. Un compositeur de théâtre musical se
focalise, le plus souvent, sur une donnée ou une idée qu’il veut mettre en exergue pour écrire
sa partition. De la même manière que pour une simple œuvre musicale, c’est cette focalisation
qui va lui permettre de préciser sa pensée et a fortiori de construire son œuvre. Désormais, il
s’agit d’étudier, spécifiquement dans la notation de Georges Aperghis, quels sont les points de
focalisation qu’il se donne afin de construire ses œuvres de théâtre musical.
74
BOSSEUR Jean-Yves, op. cit., Mai 1972, p.103.
42
Chapitre II
La notation dans le
théâtre musical
de Georges Aperghis.
43
A- La recherche d’une lisibilité immédiate
D’une manière générale, les partitions de Georges Aperghis combinent plusieurs types
de notations sans toutefois arborer de grandes nouveautés graphiques. Elles se présentent
d’une manière traditionnelle et les notations que le compositeur utilise sont, le plus souvent,
des codes de notation musicale pré-existants 75 bien que l’on trouve aussi d’autres procédés
(propositions verbales, format de la partition, texte, etc.) Ces derniers permettent d’ouvrir les
interprètes à d’autres pratiques et les premiers permettent de rendre compte de la musique
d’une manière relativement immédiate pour celui qui sait les déchiffrer. Cet aspect permettant
une lisibilité immédiate est important pour le compositeur. Dans un article sur la notation de
la percussion, Jean-Charles François précise :
«La présence d’un simple système de croyance commun entre
musiciens est bien plus importante pour le fonctionnement satisfaisant de la
notation, que son rôle de représentation acoustique.» 76
C’est ce qui se passe pour les partitions d’Aperghis : le compositeur cherche moins à
reproduire le rendu sonore ou visuel de manière stricte qu’à offrir au musicien occidental qui
va la lire la partition la plus claire possible. Ce qui est frappant au premier abord de ces
partitions, c’est que grâce à l’utilisation maximale de ces codes, le déroulement général du
spectacle est relativement compréhensible.
D’autre part, c’est aussi le côté graphique qui permet au compositeur d’obtenir des
partitions lisibles musicalement :
« Le côté graphique est quand même important. Par exemple, quand on regarde la
présentation de ses pages dans sa musique de chambre, tout est prévu pour que l’on sente le
côté musical. En même temps, il possède une graphie assez austère qui ne rend pas compte
de l’expressivité de sa musique.
»77
75
« Comment trouvez-vous le meilleur type de notation à adopter ? Je ne trouve pas. Je cherche ce qu’il y a de plus évident.
Trouver le meilleur code commun entre moi et les exécutants. Vraiment, c’est une chose que je trouve extrêmement difficile. »
Georges Aperghis, communication personnelle, le 22 Mars 2002, à Paris.
76
FRANÇOIS Jean-Charles, op. cit.,p. 186.
77
Éléna Andreyev, communication personelle, le 29 Mars 2002, à Paris.
44
Extrait de Les jeteurs de sort de Georges Aperghis 78
78
A PERGHIS Georges, Les jeteurs de sorts, Paris, éditions musicales Salabert, 1980.
45
Cette graphie “austère” facilite cependant la lecture musicale. Il en va de même pour la
disposition spatiale de ses pages. On peut l’observer de manière flagrante dans Les jeteurs de
sorts (1980). Cette partition présente sur certaines pages un agencement “pyramidal” des
systèmes de portée. (cf. page précédente) C’est-à-dire que l’on peut lire la partition de
manière horizontale ou verticale, comme l’indique la double flèche en haut à droite de la
page. Dans les deux cas, le déroulement musical sera un processus d’agrandissement
progressif d’une phrase musicale. Le choix d’une disposition pyramidale de la notation
permet d’afficher de manière évidente ce processus, ce qui n’aurait pas été le cas si le
déroulement sonore avait été noté d’une manière traditionnelle, c’est-à-dire de manière
continue.
Georges Aperghis cherche donc une certaine efficacité dans sa notation, afin que ses
intentions soient comprises directement. Il s’agit dorénavant d’étudier de manière précise, à
travers trois catégories de notation – à savoir la notation musicale, le verbe et le schéma – ses
réponses aux problématiques de la transmission par la partition.
1- La notation traditionnelle
Comme nous l’avons dit à l’instant, les partitions d’Aperghis sont constituées en
grande majorité de codes déjà existants et donc de la notation musicale “traditionnelle”.
Cependant, cette utilisation de la notation ne se fait pas sans quelques adaptations
personnelles. Par exemple, dans le cas de la notation instrumentale, on trouve souvent un jeu
associé à la parole. De manière générale, ce cas de figure ne pose pas de problème de notation
car il suffit d’écrire les mots à côté des notes, mais dans le cas des instruments à vent, il n’en
va pas de même. L’action vocale est liée au même souffle que celui du jeu instrumental. Dans
ces cas précis, Georges Aperghis demande à ses instrumentistes de parler dans l’instrument en
notant une certaine hauteur à l’aide d’une croix sur la portée et en dessous la syllabe
correspondante. C’est ce qui est noté, par exemple, dans Sports et rebondissements (1974)
pour le tuba et les trombones :
46
Extrait de Sports et Rebondissements de Georges Aperghis 79
Une croix signifie alors que la hauteur demandée n’est pas une hauteur fixe mais une
approximation. En précisant quand même une hauteur, Georges Aperghis propose aux
instrumentistes la manière la plus simple de produire le son voulu. De plus, on pourra
remarquer dans cet exemple qu’il ne précise pas de parler dans l’instrument. Pourtant, nous
avons compris de manière directe qu’il s’agissait de ce genre d’action. L’indication rédigée
n’est pas nécessaire pour faire comprendre le phénomène au musicien. Cette omission permet
d’alléger le nombre d’informations transmises à l’instrumentiste et permet finalement une
compréhension plus immédiate de la partition. Nous pouvons citer le même effet, mais sous
une autre forme, dans la partition de De la nature de la gravité (1980) :
Extrait de De la nature de l’eau de Georges Aperghis 80
79
80
A PERGHIS Georges, Sports et rebondissements, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
A PERGHIS Georges, De la nature de l’eau, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
47
Dans ce cas, Georges Aperghis n’a pas précisé ce qu’il faut murmurer (que se soient
des paroles ou des phonèmes) parce que détailler le murmure alourdirait considérablement la
notation et donc la rendrait moins claire. Finalement, ce n’est pas le phonème choisi qui sera
important mais plutôt l’obtention d’un résultat qui ressemblera au gribouillis noté après la
note. Là encore, en voyant cette notation, nous comprenons d’une manière directe le
phénomène sonore à produire.
Autre cas d’adaptation personnelle : la notation de la percussion. Cette dernière est un
cas particulier dans la notation instrumentale parce qu’elle pose beaucoup de problèmes. À ce
sujet, Jean-Charles François écrit :
« De fait, c’est la percussion qui donne le ton dans le processus d’éclatement du
système de notation. En articulant un espace qui s’oppose à l’instrument de la tradition
occidentale, en proposant l’univers concret du timbre, distinct de l’attraction des hauteurs, en
promulguant l’anarchie non-linéaire des gammes tempérées, la percussion vient directement
menacer l’édifice soigneusement élaboré de la notation. » 81
En effet, au XXème siècle, la percussion prend une place importante dans l’écriture instrumentale. Les
compositeurs qui veulent écrire pour percussion doivent alors inventer un certain nombre de notations nouvelles
qui ont des intérêts différents :
« Lorsqu’il s’agit de noter l’espace différent qu’est la percussion, le compositeur doit
se forcer à prendre conscience de la nature profonde de la notation en tant que
représentation. Le nouvel espace, les nouveaux modes de production, demandent des signes
nouveaux s’inscrivant dans un agencement qui ne s’adapte pas facilement aux nécessités de
la notation traditionnelle. Dans l’invention de ses nouveaux espaces de représentation, le
compositeur devient un créateur de graphismes et découvre soudainement quelles étaient les
fonctions du système. Il suffirait de montrer le catalogue des notations de percussion comme
mode de production pour se persuader que cette influence est manifestement très
importante. » 82
Dans ce contexte, Georges Aperghis fait, une fois de plus, figure d’exception puisque,
non seulement, il ne cherche pas à créer une nouvelle notation pour la percussion, mais en
plus, il écarte d’une certaine manière le problème en simplifiant la notation83 .
81
FRANÇOIS Jean-Charles, op. cit., p. 182.
FRANÇOIS Jean-Charles, op. cit., p. 182.
83
Cette remarque n’est pas généralisable à l’ensemble de l’œuvre de Georges Aperghis. Nous n’avons pas étudié
des partitions comme Kryptogamma (1970) ou Triangle carré (1989). Toutefois, il faut souligner le fait que cette
simplification est très présente dans son théâtre musical dans la mesure où l’utilisation des percussions est
relativement simple.
82
48
Prenons comme exemple le cas de Corps à corps (1978). C’est une partition prévue
pour un percussionniste et son Zarb. Cet instrument originaire de Turquie est une sorte de
petit tambour qui possède une variété énorme de frappes et donc un jeu d’une grande subtilité.
Or, sur la partition, il n’y a aucun type de jeu particulier indiqué. Seuls sont précisés les
hauteurs et les rythmes :
Extrait de Le Corps à corps de Georges Aperghis 84
De cette manière, Aperghis laisse le percussionniste libre de trouver le type de jeu le
mieux adapté pour exécuter la pièce. Encore une fois, en simplifiant la notation, il évite de
surcharger la partition de toutes les indications qu’il faudrait pour maîtriser le timbre de
l’instrument, au profit d’une accessibilité de lecture. D’ailleurs, cette précision du timbre est
de moindre importance puisque l’écriture des hauteurs réduit d’une certaine manière les
possibilités timbriques.
De plus, on peut remarquer que l’extrait ci-dessus présente une partie vocale qui
s’ajoute à la partie du Zarb. Dans cette partition, le percussionniste doit chanter, parler ou
déclamer en même temps qu’il joue. La présence vocale des instrumentistes est une pratique
très courante dans l’œuvre d’Aperghis car la voix, avec toutes les richesses sonores qu’elle
apporte, est un des matériaux les plus prisés par le compositeur. De fait, sa notation est, dans
ses partitions de théâtre musical, d’une très grande variété. Nous pouvons toutefois
catégoriser toutes ces notations de la manière suivante :
-
Des notations que l’on peut rassembler autour d’une constante précisée : le rythme.
Ces notations sont dérivées des notations traditionnelles et se présentent sous
différentes formes selon que le compositeur veut mettre en avant la hauteur du son
ou le phonème.
49
Type1 :notation vocale traditionnelle85
Type 2 :notation vocale avec hauteurs précises mais sans mot/phonème 86
Type 3 : notation vocale avec suggestion de timbre 87
Type 4 : notation vocale avec hauteurs relatives avec mot/phonème 88
84
A PERGHIS Georges, Le corps à corps, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
A PERGHIS Georges, De la nature de la gravité, Paris, éditions musicales Salabert, 1980.
86
A PERGHIS Georges, Quai n°1, Paris, éditions musicales Salabert, 1978.
87
A PERGHIS Georges, De la nature de la gravité, Paris, éditions musicales Salabert, 1980.
88
A PERGHIS Georges, Sept crimes de l’amour, Paris, éditions musicales Salabert, 1979.
85
50
Type 5 : notation vocale avec hauteurs relatives sans mot/phonème 89
Type 6 : notation vocale avec hauteurs très relatives sans mot/phonème 90
Les divers degrés de précision que dévoilent ces différentes notations
montrent que Georges Aperghis cherche un effet vocal précis sans l’expliquer
d’une manière complexe, mais plutôt en le suggérant grâce à la combinaison de la
culture solfègique et de l’imagination du lecteur. Quand, par exemple, le mot ou le
phonème à prononcer n’est pas précisé, cela montre d’une manière directe que
l’effet recherché est une utilisation quasi- instrumentale de la voix. Car quoi que
89
90
A PERGHIS Georges, Quai n°1, Paris, éditions musicales Salabert, 1978.
A PERGHIS Georges, Sports et rebondissements, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
51
l’on choisisse sous la note précisée, le résultat musical d’ensemble sera
sensiblement le même.
-
Des notations de type graphique.
Type graphique 1 91
Type graphique 2 92
Ces notations fonctionnent de la même manière que les précédentes à la
différence près qu’elles ont l’avantage de renvoyer à une référence solfègique
beaucoup plus réduite. Par conséquent, elle font appel à l’imaginaire du lecteur
d’une manière encore plus immédiate. Cependant, ces notations graphiques qui
débouchent sur un phénomène d’indétermination du phénomène sonore sont très
rares dans l’œuvre de Georges Aperghis. Il semblerait que le compositeur soit peu
intéressé par ce genre d’ouverture musicale.
91
92
A PERGHIS Georges, Sports et rebondissements, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
Idem.
52
-
Des notations d’exclamations. Celles-ci se présentent comme des didascalies qui
une fois de plus suggèrent le type d’exclamation à produire. Elles sont utilisées de
manière très ponctuelle.
Exemple de notation d’exclamation 93
-
Enfin, l’utilisation du mot écrit. Nous verrons plus tard comment, en plus de la
parole, Aperghis s’en sert comme un type de notation complètement musical.
Cette profusion de types de notation relativement simples d’accès pour des
événements vocaux montre que le compositeur a le souci de clarifier sa partition. En effet, en
proposant des codes de notation personnels qui se rapprochent des références solfégiques ou
culturelles de la musique occidentale, Georges Aperghis donne des clés de lecture au
musicien, rendant la compréhension d’événements vocaux complexes relativement évidente.
À un certain code précis correspond une certaine action vocale. Bien sûr, cette simplification
de la notation entraîne une restriction des possibilités vocales. Mais nous avons vu dans le
chapitre précédent qu’il en va de même pour la notation des hauteurs et du rythme de manière
générale et que cette restriction est nécessaire à la mise en place d’une notation musicale.
Plus généralement, la notation traditionnelle est donc, chez Aperghis, un support
commode à partir duquel le compositeur peut proposer des notations plus personnelles qui
restent néanmoins très évidentes. Il faut toutefois souligner que les notations dont nous
venons de parler ne sont pas propres au théâtre musical chez Aperghis. Ce dernier les utilise
dans la plupart de ses œuvres car elles ne concernent que les phénomènes purement sonores et
non théâtraux. Cela ne l’empêche pas d’y ajouter un certain nombre d’indications scéniques.
Là encore, il fait preuve de simplicité pour une compréhension immédiate en utilisant un code
très commun : le verbe.
93
A PERGHIS Georges, Fidélité, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
53
2- La notation scénique
Quand Georges Aperghis a besoin de préciser un événement extérieur au domaine
sonore, il le précise, de manière générale, simplement avec des didascalies. Il peut le faire en
en-tête de la partition comme, par exemple, pour Fidélité (1982):
Explication en en-tête de Fidélité94
94
A PERGHIS Georges, Fidélité, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
54
L’action générale de la pièce est précisée avant la lecture de la partition. Ce placement
est justifié par le moment des actions principales demandées. Ces dernières font office de
prélude et de postlude musicaux. Ainsi, par cet en-tête, nous pouvons comprendre la globalité
scénique de la pièce. Aperghis va même jusqu'à réécrire ce postlude à la fin de la partition
d’une manière légèrement différente pour garder une lecture directe du déroulement de
l’action :
Fin de la partition de Fidélité95
S’il décrit l’action simplement, c’est aussi parce que cette dernière est, le plus souvent,
très simple. Dans le cas de Fidélité, il s’agit de présenter une manière d’entrer et sortir de la
scène. En plus d’être simples, les actions qu’il demande ne sont pas nombreuses. Georges
Aperghis écrit volontairement ses partitions de théâtre musical avec un nombre d’actions
limitées pour que celles-ci prennent plus d’ampleur dans l’œuvre. Le corps à corps représente
un cas extrême puisqu’une seule et unique action y est indiquée :
95
A PERGHIS Georges, Fidélité, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
55
Action indiquée dans Le corps à corps96
On pourra remarquer que cette action est doublement indiquée par les mots et par des
signes : la flèche signifiant de manière claire le moment et la rapidité de l’action de tourner la
tête et la liaison symbolisent la suspension de cette action, l’air surpris. Avec cette double
notation, Georges Aperghis propose une compréhension encore plus claire et plus directe que
s’il avait simplement décrit l’action. De plus, cette notation redondante possède une autre
fonction. En effet, si l’on regarde plus lo in dans la partition, on s’aperçoit que l’action est
répétée d’une manière plus ou moins identique et que Georges Aperghis ne prend plus la
peine d’écrire la didascalie après quatre répétitions. Seuls restent les symboles adoptés pour
signifier l’action. En fait, le compositeur sait qu’après les avoir signifiés plusieurs fois, le
lecteur va associer de manière évidente les symboles à l’action. Ce faisant, Georges Aperghis
a inventé un code scénique spécifique à cette pièce.
Nous disions plus haut que les didascalies scéniques étaient rares dans les œuvres de
théâtre musical de Georges Aperghis. C’est qu’une fois de plus, le compositeur évite de
surcharger la partition pour la rendre plus évidente. Il précise celles qui sont essentielles au
bon déroulement de l’œuvre. Par exemple, il est encore plus rare de trouver des indications de
configurations scéniques (lumières, décor) dans ses partitions. Quand elles sont présentes,
c’est pour des raisons pratiques. Le compositeur les précise toujours d’une manière simple
comme par exemple cette indication pour l’éclairage dans Sports et rebondissements (1974) :
« En plus de la poursuite, lumière en douche sur le groupe de musiciens
(assez forte pour qu’ils puissent lire leur partition) »97 .
96
97
A PERGHIS Georges, Le corps à corps, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
A PERGHIS Georges, Sports et rebondissements, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
56
Il peut aussi arriver que l’indication verbale ne suffise plus ou devienne trop lourde à
utiliser pour préciser la configuration scénique. Dans ce cas, Georges Aperghis propose des
schémas basiques pour représenter soit le placement des exécutants comme dans De la nature
de l’eau (1974) (cf. page suivante), soit la position du corps des exécutants comme dans Les
sept crimes de l’amour (1979) (cf. ci-dessous).
Pour De la nature de l’eau, le schéma est là pour préciser que le suicide de l’acteur se
fera hors du cercle des exécutants. Il s’agit pour le compositeur de mettre en relief le moment
du suicide. D’autre part, ce placement, en indiquant ceux du chef et des exécutants, sert de
base d’interprétation pour des possibilités d’échanges visuels et sonores entre les différents
protagonistes.
En ce qui concerne Les sept crimes de l’amour, la partition se présente comme une
succession de petites séquences scéniques. Or, on pourra remarquer que seulement quelques
séquences sont précédées d’un schéma explicatif et que les autres séquences sont
accompagnées de didascalies assez denses. En fait, dans le cas de ces séquences, les schémas
ont pour rôle de renforcer les didascalies et donc de clarifier la configuration scénique de
manière simple. De cette manière, il assure une compréhension directe du phénomène
scénique à la lecture de la partition.
Positionnement des exécutants dans Les sept crimes de l’amour 98
Il faut toutefois rappeler que l’utilisation de schémas dans la notation de Georges
Aperghis reste un phénomène extrêmement rare. D’ailleurs, on peut même généraliser en
disant que la notation de la gestion de l’espace dans ses partitions de théâtre musical est
quasiment absente. À cela une bonne raison : Georges Aperghis est un compositeur qui se
focalise plus sur le temps que sur l’espace pour écrire ses partitions de théâtre musical :
« Il n’y a pas de limite entre les arts du temps. La musique est à la base de tout. Elle
possède une capacité de vie multiple. Elle s’empare des autres arts. Les différents arts du
temps sont des lignes que la musique fait vivre. On peut écrire un duo entre un film et une
clarinette de la même manière qu’un duo de tuba et clarinette.» 99
98
99
A PERGHIS Georges, Sept crimes de l’amour, Paris, éditions musicales Salabert, 1979.
Georges Aperghis, communication personnelle, le 22 Mars 2002, à Paris.
57
Placement des exécutants dans De la nature de l’eau100
100
A PERGHIS Georges, De la nature de l’eau, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
58
Il s’agira donc d’étudier, dans la partie suivante, quels sont les aspects de sa notation
qui reflètent chez lui cette focalisation sur le déroulement du temps.
59
B- Focalisation sur les données temporelles
1- Configuration de la partition
À la différence des partitions de Kagel qui, par exemple, proposent très souvent une
dispersion des différentes informations à assimiler pour la compréhension de l’œuvre sur des
feuillets mobiles, les partitions de Georges Aperghis se présentent le plus souvent comme des
conducteurs musicaux qui rassemblent les informations sur une même feuille. C’est-à-dire
que le lecteur assimile les informations au moment où il les lit et les situe immédiatement
dans le continuum temporel que représente le sens de lecture. C’est une façon pour Aperghis
de rechercher la clarté de lecture mais aussi de présenter le déroulement musical dans sa
globalité.
Pour illustrer ce phénomène, on peut observer qu’un certain type d’œuvres présente
une forme de partition commune : à savoir un format oblong avec un seul système musical par
page. (cf. exemple page suivante) Il s’agit de De la nature de l’eau (1974), Sports et
rebondissements (1974), Quai n°1 (1978) et De la nature de la gravité (1979)101 . Le système
musical unique présente l’avantage de diriger la lecture dans un seul sens : celui du temps. De
plus, le choix d’un format oblong permet au lecteur de couvrir d’un seul regard une grande
partie du déroulement musical de l’œuvre. Ce type de configuration de partition montre que
Georges Aperghis cherche à visualiser clairement la globalité du déroulement temporel de son
spectacle.
Et ce, d’autant plus que cette visualisation de la globalité temporelle permet de donner
des points de repères pour la simultanéité des événements 102 . C’est-à-dire que c’est cette
vision globalisante qui va permettre à la fois d’assurer Aperghis dans la construction de son
passage musical et d’assurer le lecteur dans la compréhension de la durée et de la
synchronisation des événements. Pourtant, il arrive que le compositeur précise une durée
globale à certains moments de la partition. Cela montre, une fois de plus, que la précision du
temps du déroulement du spectacle peut être importante.
101
N’ayant pas pu consulter les œuvres : La tragique histoire du nécromancien Hiéronimo et de son miroir
(1971) et Oraison funèbre (1971), nous ne savons pas si ces partitions appartiennent au groupe que nous venons
d’établir. Toutefois, nous supposons que ce type d’œuvres appartient à une période du compositeur que nous
pourrions appeler pré-A.T.E.M. Par conséquent, nous supposerons que ces partitions pourraient se présenter de
manière similaire aux œuvres citées précédemment.
102
cf. chapitre I-C- pp. 38-39.
60
61
Exemple d’une configuration de la partition mettant l’accent sur le déroulement temporelle du
spectacle103
Cependant, ce phénomène est assez rare pour que nous puissions dire que cette
estimation approximative de la durée est plus une assurance, un point de repère pour la lecture
qu’une réelle indication à respecter. La partition, telle qu’il l’a écrite, n’en a pas besoin car le
temps musical s’impose de lui- même avec le déroulement de l’œuvre.
Toutefois, il se peut que certains événements ou une combinaison d’événements
génèrent des imprécisions temporelles. Dans ce cas, soit Georges Aperghis précise la durée du
passage en question, comme c’est le cas dans la première séquence des Sept crimes de
l’amour, soit il prévoit une simple répétition musicale qui s’adaptera au temps de l’action
comme dans Sports et rebondissements.
Précision de durée sur une combinaison d’événements 104
Dans cet exemple, la durée est précisée car les événements proposés n’imposent pas de
durée évidente. De plus, ces événements ne sont pas quantifiables par rapport à d’autres types
103
104
A PERGHIS Georges, De la nature de la gravité, Paris, éditions musicales Salabert, 1980.
A PERGHIS Georges, Sept crimes de l’amour, Paris, éditions musicales Salabert, 1979.
62
d’événements (comme des événements musicaux). Il est donc impossible de connaître leur
durée sans cette indication.
Cette dernière montre que le compositeur se soucie réellement de la durée car il aurait
pu laisser le choix de la durée à la sensibilité de l’interprète.
Par contre, dans l’exemple de Sports et rebondissements ci-dessous, le choix de la
durée est laissé aux interprètes car l’action de courir est difficilement estimable selon la
vitesse des coureurs et la distance qu’ils doivent traverser. L’intérêt du moment se situe plus
dans la coordination des interprètes (le percussionniste et les deux coureurs) que dans sa
durée.
Répétition précisée dans le cas d’une action à la durée indéterminée 105
La coordination des actions permet donc aux interprètes de choisir la durée d’un
moment. Pour arriver à ce résultat clair, Georges Aperghis précise très nettement la
simultanéité des événements. Il s’agit dorénavant d’étudier quelle est sa façon de noter cette
simultanéité.
2- Précision de la temporalité des actions
Nous avons vu précédemment que Georges Aperghis notait les actions des exécutants
avec des didascalies. Toutefois, cela ne l’empêche pas d’être précis sur le moment où l’on doit
réaliser cette action. Pour ce faire, il utilise des signes très visibles comme, par exemple, une
grande flèche vers le bas dans Le corps à corps ou encore des points de repères simples et
ponctuels en reliant deux événements simultanés à l’aide d’un trait vertical ou en utilisant les
barres de mesure comme porte-à- faux. Les deux pages suivantes présentent le début de la
partition de Sports et rebondissements. Nous pourrons remarquer dans la première le repérage
à l’aide de traits verticaux et dans la deuxième le repérage permis par les barres de mesures
qui constituent un quadrillage dans le déroulement de la page.
105
A PERGHIS Georges, Sports et rebondissements, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
63
Exemple de la précision du repérage par traits verticaux106
106
A PERGHIS Georges, Sports et rebondissements, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
64
Exemple de la précision du repérage à l’aide des mesures107
107
A PERGHIS Georges, Sports et rebondissements, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
65
En ce qui concerne la précision de la durée de l’action, Georges Aperghis adopte
plusieurs techniques selon les besoins de la temporalité musicale de l’œuvre. C’est-à-dire que
le choix de la durée peut être soit laissée à la sensibilité de l’interprète (dans ce cas, le
compositeur joue sur des durées relatives proportionnelles à un signe donné), soit avoir un
rapport de durée avec la phrase musicale qui lui est superposée ou encore précisée par un
certain nombre de mesures.
Le corps à corps est un bon exemple de la première solution. Dans cette partition, le
signe et la didascalie qui signifient l’action sont précisés à l’intérieur d’une mesure complète.
Quand cette action se répète, le compositeur en varie la durée. Pour indiquer la durée de
chaque variation, Georges Aperghis va utiliser la mesure et le signe comme référence
temporelle :
Exemple de quantification de la durée d’une action 108
108
A PERGHIS Georges, Le corps à corps, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
66
L’interprète qui aura décidé au préalable de la durée approximative de l’action pourra
déduire la durée des suivantes à partir du nombre de mesures vides indiquées.
Dans Les sept crimes de l’amour, c’est aussi une durée mus icale qui déterminera la
durée de l’action. Mais cette fois-ci, le compositeur l’imbrique dans un contrepoint musical.
(cf. page suivante) La longueur de la durée est indiquée par un trait vertical dans la portée.
C’est le temps musical de la phrase de l’un des exécutants qui impose le temps d’action de
l’autre. La durée des trois actions uniques pour chaque interprète sera donc fonction de leur
interprétation globale.
Autre exemple de la notation de la durée d’une action en fonction du temps musical,
mais cette fois plus stricte : la notation à la mesure. C’est ce qu’il y a de plus fréquent dans la
notation d’Aperghis quand il s’agit de préciser la longueur d’une action. Comme
précédemment, le compositeur la note à l’aide d’un trait vertical au milieu de la portée mais à
la différence près que ce trait est délimité par un nombre fixe de mesures. La durée est
quantifiable grâce au nombre de temps par mesure. Dans Quai n°1, Georges Aperghis
demande au percussionniste de jeter des bouts de bois :
Exemple de la précision de la durée à l’aide du nombre de mesure109
Nous ne savons ni s’il doit jeter beaucoup ou peu de bouts de bois, ni s’il doit les jeter
loin ou près. Là encore, l’essentiel se trouve plus dans la durée de l’action, qui est déterminée
par la notation. Ainsi, Aperghis précise, grâce à cette simple notation, le départ et la durée de
l’action. De cette manière, il s’assure une vision simple et précise de la succession des
différentes actions et peut donc construire un discours musical fait de différentes actions. Les
départs en imitation d’actions sportives dans Sports et rebondissements en sont un bon
exemple. (cf. page 73) Finalement, Georges Aperghis n’a pas besoin de cerner l’action dans
l’espace car sa délimitation dans le temps lui suffit pour composer un passage musical.
109
A PERGHIS Georges, Quai n°1, Paris, éditions musicales Salabert, 1978.
67
Exemple de la précision d’une durée d’action à l’aide de la durée musicale110
110
A PERGHIS Georges, Sept crimes de l’amour, Paris, éditions musicales Salabert, 1979.
68
Exemple d’une construction musicale à l’aide de la précision de la temporalité de l’action 111
111
A PERGHIS Georges, Sports et rebondissements, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
69
3- Notation de l’essentiel : la musique
Il reste enfin à préciser un dernier point qui confirme l’attachement de Georges
Aperghis à noter principalement le déroulement temporel de son œuvre de théâtre musical. En
fait, la plupart de ses spectacles musicaux ne figurent pas sous la forme d’une partition qui
rend compte de l’intégralité du spectacle. Seuls la musique (instrumentale et vocale) et le
texte y sont notés de manière traditionnelle. C’est le cas pour la plupart des spectacles créés à
l’A. T. E. M. Pour ce type d’œuvre, Georges Aperghis précise qu’il travaille de la manière
suivante :
« Je construis mes spectacles en écrivant une centaine de séquences très courtes
avant les répétitions, les interprètes les travaillent, puis lors de répétitions en commun je les
assemble selon l’ordre qui me convient le mieux. Une fois que la partition entière est écrite, je
sais que c’est cela que je voulais. À ce moment-là, elle est définitive. » 112
Ceci a pour effet d’engendrer une partition “en kit” formée d’une succession de petites
pièces musicales. Dans ces partitions, pas d’action, ni de situation visuelle, seul reste
l’essentiel du spectacle selon le compositeur : la musique, le déroulement d’une partie du
temps. Mais ces partitions posent donc un problème d’exécution flagrante. En effet, avec ce
type de partition, nous ne savons pas comment se déroule le spectacle. Y a-t-il des pauses
entre les pièces ? Que doit-on y faire scéniquement ? Puisque le spectacle n’est pas noté de
façon complète, l’œuvre transmise peut-elle être complète? En fait, avec ce genre de partition,
Georges Aperghis propose une marge d’imprécision conséquente pour l’interprétation de son
œuvre. Il s’agit dorénavant de cerner comment se reflète cette marge d’imprécision dans la
notation.
112
Georges Aperghis, communication personnelle, le 22 Mars 2002, à Paris.
70
C-La recherche d’une marge d’imprécision
Quand on étudie le catalogue des œuvres de théâtre musical de Georges Aperghis, on
remarque que les spectacles de l’A.T.E.M. (ou du type A.T.E.M.) 113 occupent la plus grande
place. De plus, il semblerait qu’au fur et à mesure de sa carrière, le compositeur se soit tourné
de plus en plus vers ce genre de spectacle. Cet intérêt grandissant pour ce type de travaux et
donc pour la production de partitions incomplètes dans le sens où elles ne précisent pas le côté
visuel du spectacle, montre que Georges Aperghis cherche à créer un manque dans la
notation. Dans le cas de Machinations (2000) par exemple, Emily Loizaux qui est à l’origine
de l’établissement d’une conduite générale pour le spectacle, précise que Georges Aperghis
n’a pas voulu que l’on indique les éléments scéniques quand cette conduite est devenue la
partition éditée 114 . C’est-à-dire que la marge d’imprécision voulue se situe surtout au niveau
de la mise en scène. À propos de Commentaires (1996), Evan Rothstein pose le problème de
l’édition de ce genre de partition de la manière suivante :
« Depuis la soutenance de ce mémoire, j’ai appris que les éditions Durand préparaient
la publication de la partition de Commentaires. Mais la partition qu’ils éditeront ne sera pas la
partition du spectacle, mais le réseau de partitions (plus les textes) duquel les pièces du
spectacle ont été extraites, plus un certain nombre de pages ajoutées à la fin qui ne faisaient
pas partie de ce réseau à l’origine (dont au moins une qui était utilisée dans le spectacle “Cri
saisi ”). C’est un peu comme mettre à disposition des éléments d’un plat sans en donner la
recette ! » 115
C’est justement dans cette insuffisance d’informations que réside l’intérêt de ce genre
de partition. L’unique notation du texte et de la musique transforme alors les éléments du
spectacle de théâtre musical en une œuvre en devenir :
« Même si une partition existe pour Commentaires, nous verrons au cours de mon
étude que la partition n’est pas le “calque” du spectacle (et vice versa), elle n’est qu’une série
de propos ou un point de départ.»116
113
Bien, qu’ils n’aient pas été produits avec l’A.T.E.M., ils proviennent du même type de démarche de la part du
compositeur.
114
Emily Loizeaux, communication personnelle, le 22 Juillet 2002 à Paris.
115
ROTHSTEIN Evan, Glose sur commentaires (1996) (Rhizomes, Don Juan, et le Théâtre Musical de Georges
Aperghis), mémoire de DEA dirigé par J.P.Olive, Université de Paris VIII, 1997, p. VI.
116
Ibid.
71
Dans ce type d’œuvre, le visuel est compris comme un élément faisant partie de
l’interprétation. En proposant cette marge d’imprécision, Aperghis ne cherche pas à lier le
sonore et le visuel de manière directe. Il laisse la partition en avoir le potentiel. Nous allons
maintenant étudier comment il crée ce potentiel grâce au verbe.
1- Ecriture des textes
Certaines partitions de Georges Aperghis, comme Solo (1983), Conversations (1985),
Enumérations (1987) ou Machinations (2000), ne sont constituées principalement que de
textes au sens large du terme. C’est-à-dire qu’ils se présentent comme une succession de
mots, de phonèmes formant un langage compréhensible ou non. Ces textes sont écrits avec un
sens musical. Le compositeur les conçoit pratiquement de la même manière qu’un
agencement de hauteurs et de rythmes :
« En fait, il applique au langage parlé les lois mêmes de la composition musicale, ce qui ne
manque pas de donner des résultats surprenants. » 117
C’est ainsi que l’on pourra retrouver une pièce complètement musicale écrite pour un
acteur/actrice avec Solo (1983) :
«3
(Ah !)
éamée quel our sex à œil seuil âme
melle our’erme qu’or seuil
très our el œil
t’or aime ? Est-ce l’or qui me lors m’our
éamé, éa ce trait, éa queill’or éa gué,
éa quel œil ! éa mour.
(Ah !)
éaéme réel et aor, hors elle or
m’quel qu’mais éaor à strême orquille
quel or, quel est’ce m’our, m’qu’œil
m’queiller trême,
œil à remour quel rême r’mour,
(Ah !)
quel l’amour tor’âme ! »118
117
DURNEY Daniel, « La règle du jeu », in GINDT Antoine, op. cit., 1991, p. 219.
72
Bien que la présentation de ce texte soit simple, toute la musique y est précisée. La
structure du texte et l’enchaînement des phonèmes impliquent un déroulement sonore
relativement clair. D’autre part, cette présentation permet de communiquer un déroulement
musical à une personne ne possédant pas de culture solfégique, un acteur dans le cas présent.
C’est la marge d’imprécision laissée par l’écriture d’un simple texte qui rend la musique
accessible pour des exécutants qui ne sont pas forcément musiciens. En cela, l’écriture des
textes prend, chez Aperghis, une réelle dimension de notation musicale :
« Le texte n’est pas réfléchi en dehors de la musique : chaque phonème est dès
sa naissance affublé d’une action sonore. »119
Cette conception est assez facilement remarquable avec un exemple tiré de
Conversations :
Extrait de Conversations120
On peut remarquer que le texte est disposé de façon pyramidale de la même manière
que ce que nous avons pu observer dans la partition des Jeteurs de sort 121 . Comme pour un
118
A PERGHIS Georges, « solo », in GINDT Antoine, op. cit., 1991, p. 92.
GINDT Antoine, op. cit., 1991, p. 89.
120
A PERGHIS Georges, Conversations, Paris, éditions musicales Salabert, 1985.
121
Cf p 49.
119
73
agencement musical, Georges Aperghis dispose le texte de sorte que l’on puisse comprendre
le processus musical qui le gère. En cela, ce texte représente bien une notation musicale.
Mais le type de disposition choisie sur la feuille de papier n’est pas la seule forme qui
démontre que Georges Aperghis conçoit l’écriture d’un texte comme une notation musicale.
L’écriture de textes constitués de phonèmes, comme c’est le cas dans Machinations, le prouve
d’une manière significative. En effet, puisqu’un phonème constitue un son, alors leur
agencement pourra être porteur d’un discours musical de la même manière qu’une succession
de note ou de rythme :*
Deux exemples de notations musicale par l’écriture de phonème 122
À ce propos, la réaction de Sylvie Levesque par rapport à la première approche de ces
textes est assez significative :
74
« Quand Georges Aperghis nous a donné ses textes à déchiffrer pour la première fois,
j’ai eu beaucoup de mal à les lire correctement et à les lire tout court ! Et j’ai été très surprise
de voir que mes trois camarades y arrivaient très facilement. Pourquoi ? Parce que je pense
qu’un musicien, par l’apprentissage du solfège, a l’habitude de changer de code facilement. En
tous cas plus facilement qu’un acteur. Pour ma part je lisais une suite de mots qui me
semblait mal agencée tandis que les autres lisaient une suite de sons, de phonèmes. J’ai mis
du temps à comprendre que c’était un “code faussement littéraire”. J’ai réalisé que c’était
vraiment de la musique.
- Je pense que Georges Aperghis le voit aussi comme ça, c’est un type de notation qui
lui permet d’arriver à quelque chose de véritablement original.
- Oui, c’est cela. La succession de ces mots est un code musical évident que les autres
ont réussi à déchiffrer sans trop de problèmes. » 123
Cependant, ce code musical implique un certain nombre d’imprécisions. Le tempo, les
hauteurs et les nuances peuvent être très variables d’une interprétation à l’autre. De cette
manière, il laisse la porte ouverte à un certain nombre d’interprétations qui pour autant ne
changeront pas la nature profonde du texte : c’est l’enchaînement des phonèmes qui compte et
non pas la manière de les enchaîner. Toutefois, quand cela devient nécessaire, il arrive au
compositeur de rajouter un certain nombre de codes musicaux au texte ou une précision du
type de diction qu’il convient d’adopter. Nous pouvons retrouver ce genre de notation dans
plusieurs pièces issues de la partition de Conversations.
Dans l’exemple suivant, l’utilisation de codes de notation musicale présentés à la
manière des neumes (au-dessus ou au-dessous des syllabes) vient compléter une nomenclature
de prononciation des syllabes. Dans ce cas là, ce n’est pas uniquement le texte qui est porteur
du discours musical. Le besoin de préciser une certaine nomenclature montre que le
compositeur veut mettre en avant des syllabes particulières du texte. De plus, en rajoutant les
“neumes”, il crée tout un discours musical basé sur la prononciation des syllabes. Georges
Aperghis n’avait pas d’autre choix que de noter la prononciation pour le sens musical de la
pièce.
122
Extrait de Machinations de Georges Aperghis in SZENDY Peter (Texte réunis par), Machinations de Georges
Aperghis, Coll. Compositeur d’aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, Ircam-Centre Pompidou, 2001, p. 74.
123
Sylvie Levesque, communication personnelle, les 26 Juillet et 29 Août 2002 à Cachan.
75
Conversation VIII 124
Pour l’exemple qui suit, ce n’est plus le timbre qui est considéré comme essentiel à la
pièce mais une certaine gestion du temps. En effet, les crescendo impliquent une certaine
longueur de prononciation de la voyelle. Cette longueur sera sensiblement la même à chaque
fois qu’elle apparaîtra. Le compositeur a même précisé une indication de tempo (presto) pour
la fin de la pièce qui contraste avec la longueur des crescendo. Cet effet accentue une
impression temporelle qui est essentielle dans cette pièce.
124
A PERGHIS Georges, Conversations, Paris, éditions musicales Salabert, 1985.
76
Conversation XV125
Dans ces deux cas, Georges Aperghis utilise la symbolique musicale pour venir
compléter la notation des mots. L’un des deux codes se fond dans l’autre et nous avons
l’impression en lisant ces pages d’avoir une notation homogène. Chaque notation utilisée
accentue la caractéristique musicale voulue. Mais il arrive que celle-ci ne soit pas propre au
texte écrit. Dans ce cas, Aperghis accentue le coté musical de la prononciation de ce texte par
une remarque d’ordre général. L’exemple suivant montre qu’un simple texte peut devenir un
objet musical grâce à une remarque qui conditionne le timbre et le déroulement temporel de la
prononciation.
125
Idem.
77
Conversation I126
Ces exemples montrent que Georges Aperghis laisse une marge d’imprécision dans
ses textes là où il le veut bien. Ces remarques concernent le côté musical de la partition que
forment ces textes. Car, comme tous les autres spectacles du type “A.T. E. M.”, la partition de
Conversations se présente comme une succession de plusieurs pièces sans précisions du
déroulement continu du spectacle et pratiquement aucune indication de jeu scénique. Ce
dernier est pourtant précisé quand le sens musical de la pièce le demande. Mais cette notation
ne s’effectue pas sans une certaine imprécision.
2- La notation du jeu scénique
126
A PERGHIS Georges, Conversations, Paris, éditions musicales Salabert, 1985.
78
D’une manière générale, nous avons vu que la notation de l’action chez Georges
Aperghis était relativement ponctuelle. Il la précise quand l’action demandée possède un sens
dans le discours musical, quand elle devient un matériau qu’il aura travaillé. C’est le cas dans
beaucoup d’œuvres antérieures au milieu des années quatre- vingt 127 et surtout d’une série
d’œuvres à petit effectif que nous nommerons “de chambre”. Mais même dans ces œuvres la
notation du jeu scénique peut rester, d’une certaine manière, imprécise. Certes, quand le
compositeur précise une action, elle est le plus souvent très simple. Cependant, il
l’accompagne généralement d’une suggestion d’ordre psychologique. Il précise l’attitude à
adopter pour réaliser l’action. C’est là que peut se situer une certaine imprécision. En effet, il
est très difficile de définir une attitude car un certain comportement ne renvoie pas au même
imaginaire pour tout le monde. Georges Aperghis propose donc une parade à ce problème en
suggérant un comportement plutôt qu’en l’expliquant. C’est ce qu’il fait en utilisant
continuellement des comparaisons dans ses indications d’action. Par exemple, dans Le corps à
corps le geste demandé est indiqué de la façon suivante : « Tournez la tête à droite,
comme si vous étiez surpris par quelque chose. »128 De cette manière, Georges Aperghis
donne au lecteur une piste qui va le diriger vers une certaine interprétation du geste. En
utilisant une comparaison, le compositeur propose son propre imaginaire comme une
suggestion de réalisation. Cette technique n’est pas sans rapport avec une certaine culture de
théâtre, familière au compositeur selon Sylvie Levesque :
« Utiliser des comparaisons, cela fait partie du travail théâtral. C’est de la direction
d’acteur. Les “comme si” sont des mots du vocabulaire théâtral. C’est comme cela que l’on
dirige un acteur. Les “comme si” sont des suggestions qui permettent de travailler sur le sens.
C’est de cette manière que l’on travaille un état. On représente un autre chose. C’est ce que je
vous disais tout à l’heure à propos de la recherche de l’écho du réel. Georges Aperghis fait
une suggestion du réel pour obtenir ce qu’il veut. » 129
Il peut aussi utiliser cette suggestion du réel, pour indiquer une action à la fois
scénique et sonore. C’est le cas, par exemple, d’un passage de Fidélité particulièrement
démonstratif :
127
À ce propos, il convient de rappeler que depuis cette date Georges Aperghis ne note pratiquement plus
d’éléments visuels.
128
A PERGHIS Georges, Le corps à corps, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
129
Sylvie Levesque, communication personnelle, Les 26 Juillet et 29 Août 2002 à Cachan.
79
Exemple de didascalie de comportement à la fois sonore et visuel130
Dans cet exemple, une surabondance d’information côtoie une notation assez
imprécise. Georges Aperghis indique deux comparaisons pour la même production sonore, à
savoir, la manière d’exécuter le passage (« Jouer avec frénésie, comme un enfant qui
s’attaque à un jouet trop résistant ») et le résultat sonore que l’on doit obtenir (« en
produisant des sons comme si la harpe allait éclater »). Il y rajoute une notation
graphique rappelant certains codes de notation musicale traditionnelle mais qui présente des
gestes musicaux aux rythmes et hauteurs non déterminés. Tout en proposant un passage
musical construit, cette notation musicale et les indications de comparaisons laissent une
marge d’imprécision. De cette façon, la lecture du passage musical ne s’effectue plus dans le
détail mais d’une manière globale. C’est cette vue d’ensemble qui va permettre au lecteur de
savoir comment associer l’action sonore à l’action visuelle.
De plus, nous pouvons nous demander si ce passage demande une certaine apparence
psychologique de la part de la harpiste. L’exclamation indiquée au départ de ce passage
(« Joie sauvage ») ainsi que l’agitation du trait musico-scénique à exécuter pourrait signifier
qu’il faut jouer une espèce de personnage hystérique. En fait, ce n’est pas vraiment le cas car
ce que suggère Aperghis avec le terme « Joie sauvage », par exemple, n’est pas de la
psychologie, mais plutôt un état. C’est-à-dire que l’exécutant présente un affect sans pour
autant l’associer à une situation. Ce procédé est du même type que l’utilisation des
comparaisons que nous avons étudiées plus haut. À ce sujet, Sylvie Levesque ajoute :
130
A PERGHIS Georges, Fidélité, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
80
« En associant « joie » et « sauvage », Georges Aperghis nous invite à chercher du
sens et pas de la psychologie. Finalement, c’est presque de la poésie. C’est là que se
rencontre le fond et la forme. C’est de la poésie destinée à être représentée. » 131
Finalement, l’indication de l’exclamation «Joie sauvage » est, une fois de plus, une
suggestion provenant de l’imaginaire du compositeur. Son imprécision permet d’éveiller
l’esprit de l’interprète qui va trouver sa propre solution. C’est une manière de ne pas imposer
une façon de voir dans laquelle l’exécutant ne se reconnaîtrait pas. Par ailleurs en indiquant
un état, Georges Aperghis propose un jeu scénique qui est du même ordre que celui d’une
action musicale : un événement visuel sans signification mais qui a sa place dans la
composition musicale.
Georges Aperghis, en proposant des états, cherche l’abstraction du jeu théâtral. En
cela, il s’éloigne de la création d’une situation scénique. Il faut cependant signaler une
exception : la partition de Rire physiologique (1983). Cette œuvre raconte l’histoire d’un
pianiste qui accompagne un baryton. Le pianiste souffre de problèmes d’incontinence à
chaque fois qu’il rit. Le baryton qu’il accompagne essaye, en expliquant le fonctionnement
mécanique du rire, de le ridiculiser par un rire communicatif (exemple ci-contre). Pour cet
exemple, les didascalies sont assez claires car la situation est assez explicite. Un sentiment
comme la colère, par exemple, apparaît alors à la lecture de la partition. Mais cette œuvre fait
office d’exception car elle se base sur un texte de Raymond Devos qui propose une situation
comique claire et affichée. De manière générale, Georges Aperghis préfère rechercher une
imprécision à l’aide de la suggestion dans le but d’éveiller l’imagination de l’interprète. Cette
attitude peut se rapprocher de celle des compositeurs du mouvement américain des années
soixante, Fluxus, qui écrive nt des propositions verbales pour une action instrumentale :
« Comme l’œuvre, devenue une substance mouvante qui refuse d’être fixée dans le
temps et dans l’espace, la notation de leurs [Fluxus] propositions musicales ne décrit pas un
état statique du matériau, mais propose des données initiales permettant de multiples actions
et interprétations. La notation n’est donc pas la phase terminale d’un processus compositionel,
mais plutôt la phase intermédiaire entre la suggestion du créateur et l’action de l’interprète
qui, par ses choix multiples, la projette dans une performance, elle aussi de nature mouvante,
achevant ainsi l’acte créatif. » 132
131
132
Sylvie Levesque, communication personnelle, les 26 Juillet et 29 Août 2002 à Cachan.
RADOSVESTA KOUZAMANOVA Bruzaud, op.cit., p. 58.
81
Exemple de notation d’une situation scénique 133
133
A PERGHIS Georges, Le Rire physiologique, Paris, éditions musicales Salabert, 1983.
82
Dans sa recherche de l’imprécision, Georges Aperghis montre qu’il ne s’intéresse pas
vraiment à une dramaturgie théâtrale, mais plutôt à une poésie des gestes et des sons. C’est ce
que précise Éléna Andreyev :
« A la différence de Kagel, il n’attaque pas le côté théâtral de façon frontale. Aperghis
est avant tout un musicien, un poète. Il ne s’appuie jamais sur la dramaturgie théâtrale, mais
plutôt sur la poésie. C’est la recherche d’instants qui le conduit vers la scène.»134
Sa notation montre que c’est un musicien avant tout. A la différence de Kagel, il n’imagine
pas des situations entre musiciens avant de construire son œuvre. Il laisse apparaître les
moments musico-scéniques au fur et à mesure qu’il écrit. C’est ce que montre son
attachement à faire apparaître lisiblement le moment et le déroulement musical global dans
ses partitions. En cela, nous pouvons dire qu’il a besoin de la partition pour composer :
« C’est la partition musicale qui doit faire naître les images, les situations, le jeu des
acteurs. (…) Ce qui m’intéresse, c’est de voir jusqu’où la musique peut organiser un ensemble
d’éléments divers. » 135
De plus, il a besoin de la partition pour doser le nombre d’informations qu’il donne au
lecteur, pour la compréhension et l’interprétation de son œuvre. Georges Aperghis précise
juste ce qu’il faut pour que son œuvre puisse être transmise de la manière la plus efficace. En
même temps, cette justesse d’information amène une certaine marge d’imprécision qui aura
pour but de stimuler l’interprète dans son exécution.
« Je ne note jamais tous les détails gestuels ou visuels. L’imprécision existe dans une
certaine mesure où des interprètes ou metteurs en scène peuvent reprendre le texte pour en
obtenir un autre résultat que le mien. Les pièces seront remontées avec l’imaginaire des
autres. Dès que quelque chose semble être de trop dans la partition, il est enlevé. En cela, la
partition reste un moyen de communication. Elle ne reflète pas concrètement une image de la
musique. » 136
De cette manière, la partition est alors assimilable au texte d’une pièce de théâtre qui
garde la même valeur malgré les diverses mises en scène qu’il propose. Désormais, il s’agira
d’étudier, à travers le rôle de la partition, en quoi Georges Aperghis trouve cette marge
d’imprécision intéressante dans son théâtre musical.
134
Éléna Andreyev, communication personnelle, le 29 Mars 2002 au Prés Saint-Gervais.
A PERGHIS Georges in A LBERA Philippe, Entretien avec Georges Aperghis, in Contrechamps (Musique en
création-festival d’automne à Paris), Paris, 1989, p. 98.
136
A PERGHIS Georges, communication personnelle, le 22 Mars, à Paris.
135
83
Chapitre III
Le rôle de la partition
dans
le théâtre musical
de Georges Aperghis.
84
A- L’implication de l’interprète
Dans cette partie, il s’agit de montrer que les partitions de Georges Aperghis, d’une
manière générale, demandent à l’interprète une implication très forte pour leur exécution et
que c’est en laissant une marge d’imprécision dans la notation que le compositeur fait en
sorte que la partition agisse sur l’interprète. À ce propos, Françoise Rivalland, qui travaille
avec Georges Aperghis depuis plus de quinze ans, précise que :
« Les partitions de Georges Aperghis donnent les bases de l’œuvre. Elles donnent
l’essentiel. Il note uniquement ce qui est nécessaire. Le reste c’est le boulot de l’interprète.
Aperghis est un compositeur qui sait très bien faire la part des choses en ce qui concerne
toutes ces notions. » 137
Le problème pourrait être similaire à celui de l’interprétation de toute musique écrite.
Cependant, à la pratique, ces partitions posent des problèmes d’interprétations très spécifiques
car elles demandent le plus souvent à un exécutant (qu’il soit musicien ou acteur) des
pratiques instrumentales, vocales et corporelles qui ne lui sont pas habituelles. En même
temps, elles posent le problème des limites de l’exécutant dans la discipline qu’il pratique.
1- Demandes inhabituelles
Les partitions de théâtre musical de Georges Aperghis ne sont pas les seules à
proposer dans leur contenu des demandes inhabituelles pour la pratique d’un musicien. Ce
genre de demandes existe de manière générale dans la plupart des partitions de théâtre
musical car des pratiques inhabituelles de musiciens comme, par exemple, les gestes et les
déplacements, l’utilisation des possibilités vocales de l’instrumentiste, sont une des
caractéristiques même du théâtre musical. Le musicien qui exécute ce genre de pièce doit
prendre conscience de sa présence visuelle sur la scène. Par là-même, il doit gérer à la fois
des paramètres sonores et visuels, voire même délaisser la recherche de la beauté du timbre
de son instrument pour obtenir un résultat satisfaisant. Or, ce n’est pas une chose évidente
pour beaucoup de musiciens. Par exemple, Mauricio Kagel précise à propos des musiciens
d’orchestre :
137
Françoise Rivalland, communication personnelle, le 26 Mars 2002 à Lille.
85
« De tels musiciens ne peuvent s’exprimer théâtralement. Ils sont trop préoccupés par
l’instrument pour s’exprimer eux-mêmes. » 138
La pratique du théâtre musical représente donc une remise en cause pour ces musiciens
qui doivent oublier une certaine “culture conservatoire” liée justement à un besoin de se
cacher derrière une partition.
Ce genre de partitions remet en cause la place sur scène du musicien parce qu’il sait
qu’il est regardé. Par conséquent, elles demandent à l’interprète de se mettre fortement en jeu
de plusieurs manières :
- D’abord par un engagement du corps. Le musicien doit s’investir
physiquement pour pouvoir réaliser correctement les gestes demandés. Par exemple,
dans Le corps à corps, l’interprète doit trouver une manière de tourner la tête qui doit
convaincre le spectateur de l’intensité musicale et émotive de cette action. De plus, les
répétitions fréquentes du geste accumulées avec le jeu instrumental rend
l’interprétation de la pièce très physique. Maurice Julliard précise que cet
investissement est présent dans la plupart des pièces pour percussions de Georges
Aperghis :
« Ces pièces pour percussions ont encore en commun l’importance étonnante
donnée à l’individu sur scène qui engage son corps avec générosité. » 139
- À cause de la difficulté de faire des choses inhabituelles pour un musicien et de
combiner des actions instrumentales avec la parole ou les gestes. Par exemple, Éléna
Andreyev, violoncelliste, précise que les partitions de Georges Aperghis demandent
réellement un investissement différent par rapport à une partition “traditionnelle” :
« Un investissement différent dans la mesure où il faut l’apprendre par cœur.
Un investissement parce qu’il y a un travail physique et vocal que je n’avais pas
l’habitude de faire. Il y a une remise en cause de soi qui est difficile à faire. J’ai eu
beaucoup de difficultés la première fois que Georges Aperghis m’a demandé de
chanter en jouant dans Sextuor. Mais heureusement, il est là pour faire prendre
confiance à l’interprète. Avec lui, on apprend à se dépasser et on découvre des choses
que l’on se croyait incapable de faire. » 140
138
KAGEL Mauricio, op.cit., p. 131.
JUILLARD Maurice, De Kriptogrammia aux guetteurs de sons. Georges Aperghis, une histoire de percussions,
Sous la direction de Josiane Mas, Université de Montpellier III, 1992. p. 117.
140
Éléna Andreyev, communication personnelle, le 29 Mars 2002 au Prés Saint-Gervais.
139
86
Il s’agit donc pour l’interprète de s’investir, non pas, plus, mais de façon différente par
rapport à un travail musical pur grâce à une perpétuelle remise en cause de ce qu’il est et de
ses capacités.
Plus précisément dans les partitions de Georges Aperghis, c’est la présence
d’indications de jeu sous forme de didascalies ou de comparaisons (qu’elles soient pour le jeu
musical ou scénique) qui est inhabituelle pour un musicien. Nous avons vu que ces indications
sont là pour suggérer plutôt que dicter un comportement à l’interprète. Celui- ci est ainsi invité
à faire appel à son imagination pour exécuter l’œuvre. À ce propos, Marie Delcambre pense
contrairement à Sylvie Levesque, que les expressions qu’il utilise dans ses partitions ne sont
pas dues à une pratique théâtrale. Elle suppose que dans la mesure où les indications
musicales devraient représenter un vécu humain, ces indications d’Aperghis sont une sorte
d’aboutissement de l’évolution de la notation d’indication musicale 141 . Elles seraient plus
suggestives qu’une simple indication de tempo comme presto ou celle, encore plus technique,
d’un jeu instrumental comme le pizzicato dans le cas du violon par exemple. Ces demandes
présentes dans les partitions de Georges Aperghis sont en quelques sortes plus humaines.
Elles font appel aux impressions directes du musicien qui doit se demander à quoi correspond
pour lui cette métaphore. Quand le compositeur précise dans Fidélité : « Jouer avec
frénésie »142 , la harpiste s’impliquera plus (et différemment) dans sa manière d’exécuter ce
trait que s’il y avait simplement précisé prestissimo.
Mais les partitions d’Aperghis ne demandent pas un investissement différent qu’aux
seuls musiciens. Les acteurs aussi doivent faire face à des demandes inhabituelles quand ils
interprètent du théâtre musical. En effet, ce genre d’œuvres, provenant essentiellement d’une
pensée musicale, demandent certaines compétences que n’ont pas toujours les acteurs. Par
exemple, le simple fait de maîtriser la précision temporelle que demande la lecture d’une
partition. D’autre part, le travail d’un comédien demande une rigueur différente de celle d’un
musicien et l’adaptation de leurs capacités en est d’autant plus difficile dans le travail de ce
type de partitions. C’est ce qu’explique Sylvie Levesque lorsqu’elle a interprété
Machinations :
141
142
Marie Delcambre, communication personnelle,le 11 Septembe 2002 à Lille.
A PERGHIS Georges, Fidélité, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
87
« Nous, comédiens, n’avons pas de référence à une technique extérieure à nous.
Comme les chanteurs notre instrument c’est nous sauf qu’il n’y a pas de référence comme le
diapason et le métronome. Nous sommes éloignés des traditions, il faut toujours réinventer.
Nous subjectivons tout. En musique par contre, on est plus objectif : le la est à 440 Hz, le
tempo est déterminé etc. Pour nous, celui qui objective c’est le metteur en scène, nous
sommes réunis par lui. » 143
Que ce soit pour les comédiens ou les musiciens, les partitions de Georges Aperghis
entraînent donc une implication plus forte des exécutants pour l’œuvre de théâtre musical
parce qu’elles demandent des compétences artistiques variées. Mais cette demande pose
des problèmes de réalisation pour les interprètes car ces derniers ont besoin de se
spécialiser pour être convaincants dans leur domaine. De fait, maîtriser plusieurs
disciplines artistiques est une chose extrêmement difficile :
« le pluralisme des tâches suppose le pluralisme des aptitudes et la complétude d’une
éducation. » 144
Mais sans cette éducation complète, les demandes inhabituelles qui sont présentes
dans les partitions de Georges Aperghis agissent sur les limites de la discipline de chaque
interprète.
2- Les limites de chaque discipline
Il faut d’abord préciser que le compositeur sait que ses partitions peuvent avoir une action
sur la limite de la pratique de l’interprète. C’est pourquoi la demande qui sera formulée à
l’exécutant sera un minimum en fonction de ses capacités. C’est ce qu’explique Françoise
Rivalland :
« Par exemple, pour Conversations la notation se présente comme une succession de
textes. Il y a 15 textes écris pour 2 comédiens et un musicien. Parmi ces 15 textes, on peut
différencier ceux qui ont été prévus pour des comédiens et ceux pour des musiciens. De
même, dans les autres spectacles, quand G. Aperghis me demande quelque chose de
scénique, ce sera quelque chose que je ferai musicalement. Il le sait. C’est pourquoi il me
demandera davantage d’exécuter une action musicale. De même, il ne demandera pas
quelque chose de trop difficile musicalement pour des acteurs. Il y a, en fait, une limite quant
à la réalisation de plusieurs arts par une seule personne. C’est impossible. Nous avons tous à
143
144
Sylvie Levesque, communication personnelle, les 26 Juillet et 29 Août 2002 à Cachan.
BIGET Michelle, Les Cahiers du CREM n° 4-5, juin-septembre 1987, p.6.
88
apprendre les uns des autres sur les différentes disciplines que nous pratiquons mais en
aucun cas nous ne pouvons nous, musiciens, nous mettre à la place des acteurs. » 145
Cependant, cela n’empêche pas de poser des problèmes pratiques quand il s’agit de
réunir des exécutants qui n’ont pas les mêmes habitudes de travail. Par exemple, Sylvie
Levesque raconte comment ces différentes habitudes lui ont posé des problèmes pour
l’exécution du spectacle Machinations.
« D’abord, l’apprentissage. Je n’ai pas réussi à apprendre le texte de Machinations par
cœur. Non pas que je ne pouvais pas (tout ce que je fais au théâtre est toujours par cœur
évidemment), mais plutôt parce que je n’en ai pas eu le temps. J’espérais être en place avec
l’habitude des répétitions. Un acteur possède une façon d’apprendre très longue, étalée sur
une grande séries de répétitions avec beaucoup d’italiennes. Pour Machinations, il n’y a rien
de tout cela. Le spectacle à été monté en deux mois et il n’y a pas eu possibilité de faire une
seule italienne. Résultat : quelques jours avant la première, je n’étais pas prête. Je me suis
donc fabriqué un tablette derrière ma table pour poser un résumé de mes fiches. » 146
Il s’agit donc pour chaque interprète, de trouver une façon de travailler adaptée à sa
pratique artistique. Pour cela, il doit s’investir dans l’étude de la partition pour se rendre
compte du type de travail à fournir dans sa discipline. Au final, quoiqu’il fasse sur scène,
l’interprète reste bien dans sa discipline car il adaptera ce que lui demandera la partition avec
ce qu’il sait vraiment faire pour assurer un résultat satisfaisant :
« Le théâtre musical est une pensée musicale constante où l’on prend
conscience de la scène. Le jeu est toujours trouvé à partir du caractère musical. Je le
ressens très fort quand je joue dans un spectacle d’Aperghis. D’ailleurs, dans ce
travail, j’ai toujours considéré mes actions comme de la musique. Je ne me suis jamais
prise pour une comédienne. Il faudrait demander aux acteurs s’ils pensent de la même
manière. »147
En tout cas, même s’il reste dans son domaine, l’interprète est quand même sollicité
par la partition au niveau maximal de ses possibilités. De cette manière, il doit alors
s’investir dans l’œuvre pour atténuer ses faiblesses. Encore une fois, la partition de théâtre
musical demande donc à l’interprète un investissement différent par rapport à ses
habitudes. Elle propose une ouverture sur les pratiques artistiques de chacun. C’est dans ce
contexte pluridisciplinaire que se situe la difficulté de l’interprétation de ces partitions et
145
Françoise Rivalland, communication personnelle, le 26 Mars 2002 à Lille.
Sylvie Levesque, communication personnelle, les 26 Juillet et 29 Août 2002 à Cachan.
147
Éléna Andreyev, communication personnelle, le 29 Mars 2002 au Prés Saint-Gervais.
146
89
c’est en s’investissant de manière très forte dans l’œuvre que l’interprète va proposer des
solutions.
3- Les interprètes proposent des solutions
Désormais, il s’agit de voir comment les interprètes, parce qu’ils sont sollicités
différemment, proposent des solutions. Pour cela, nous prendrons l’exemple de la partition de
Corps à corps car nous en connaissons plusieurs interprétations différentes.
Dans cette partition, l’indication scénique précisée est très simple : « Tourner la tête à
droite comme si vous étiez surpris par quelque chose »148 . Cependant, il n’est pas très évident
de trouver le geste juste pour un musicien. Comme nous l’avons dit plus haut, ce dernier a
beaucoup moins l’habitude de ce genre de chose qu’un acteur. L’interprète va alors s’investir
en proposant une solution qui pourra l’aider à réaliser correctement ce geste.
Une première solution consiste à respecter complètement la partition. C’est ce que fait
Françoise Rivalland quand elle interprète cette œuvre. Fixer son regard au loin sur les
coulisses de la scène lui suffit pour trouver son point de chute. Par contre, lors de la création
de l’œuvre, Jean-Pierre Drouet posa un verre de vin à côté de lui pour fixer son regard dessus.
(cf. photo ci-contre)
De cette manière, il a pu préciser son geste en lui donnant à la fois un point de chute et
un sens. En cherchant comment interpréter correctement la précision d’un geste dans une
partition musicale, Jean-Pierre Drouet à été amené à introduire un objet complètement
étranger au déroulement de la pièce mais utile et peut-être indispensable pour sa propre
interprétation. Cette utilisation du verre de vin prend d’ailleurs tellement d’importance dans la
réalisation scénique qu’elle a pu donner l’impression de faire partie de l’œuvre elle-même.
C’est-à-dire que l’investissement que demande ce genre de partition peut amener l’interprète à
ajouter des éléments à l’œuvre déjà existante.
De la même manière, Françoise Rivalland pense proposer une nouvelle interprétation
en posant un miroir à sa droite 149 . La surprise prendrait alors un sens dans la découverte du
double de l’interprète par lui- même. Cependant, même si ce genre de décision concerne
uniqueme nt l’interprète, Françoise Rivalland a soumis cette idée à Georges Aperghis pour
avoir son avis sur la question. La possibilité de ce dialogue est liée au fait que le compositeur
entretient des relations très fortes avec ses interprètes.
148
149
A PERGHIS Georges, Le corps à corps, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
Conversation informelle, 17 Mai 2002 à Paris.
90
150
Jean-Pierre Drouet dans Le corps à corps
Même s’il donne l’impression que l’œuvre qu’il propose à un interprète ne lui
appartient plus, on pourra remarquer qu’il reste attaché à la réalisation commune de ses
œuvres (le choix du verre de vin vient, lui aussi, d’un accord entre Jean-Pierre Drouet et le
compositeur 151 ) et des échanges humains que cela peut lui apporter. Voyons à quel point sa
présence est importante pour la réalisation de ces partitions et comment ces dernières agissent
dans ce contexte de création collective.
150
151
Photo de Myr in GINDT Antoine, op. cit., p.74.
GINDT Antoine, op. cit., p.76.
91
B- Vers une création collective
Dans cette partie, nous verrons que le rôle de la partition est de sauvegarder une
certaine cohérence de composition dans une création collective. Il s’agit de questionner
principalement le rôle de transmission de la partition car dans ce cadre, cette dernière est là
pour permettre une compréhension claire et efficace entre le compositeur et ses interprètes.
Elle est l’outil principal dans la réalisation des pièces de théâtre musical du compositeur ;
principal, mais pas exclusif car Georges Aperghis est un compositeur qui travaille
énormément en équipe au moment de la réalisation de ses pièces avec ses interprètes. Nous
étudierons dans le détail comment s’effectue ce travail et quel est l’intérêt qu’y trouve le
compositeur. Mais avant toute chose, une présentation de L’A.T.E.M. s’impose pour mieux
comprendre ce phénomène.
1- La création de l’A.T.E.M.
L’Atelier Théâtre Et Musique a été créé en 1976 à l’initiative de Georges Aperghis.
C’est une association de la loi 1901 qui s’inscrivait dans un cadre de restructuration sociale au
sein de la commune de Bagnolet. À l’origine de cet atelier, un groupe de travail et
d’expérimentation autour du théâtre musical. C’est une pratique courante dans le théâtre
musical :
« Une des caractéristiques du théâtre musical est le travail en équipe autour de
l’œuvre : le dramaturge, le compositeur et le metteur en scène imaginent ensemble la forme
prévisible de l’œuvre à partir d’une idée initiale et l’affinent au fur et à mesure de la
création. » 152
Dans le cas de Georges Aperghis, il semble que ce soit la mise en place de rapports
sociaux dans le cadre du travail de création qui ait intéressée le compositeur :
« Il y avait longtemps que je caressais l’idée de travailler avec un groupe, c’est-à-dire
de réunir des gens que j’aime bien et essayer de voir avec eux comment on pourrait dégager
ensemble des règles pour ce qu’on appelle le “théâtre musical”. » 153
152
BILLET -RIEB Nathalie, Le théâtre musical en France : quelle identité ?, mémoire de DESS sous la direction
de James Giroudon, ARSEC université de Lumière Lyon 2, 1996/ 97, p. 23.
153
APERGHIS Georges in ROSTAIN Michel, Entretien avec Georges Aperghis « Georges Aperghis et L’ATEM
(Atelier théâtre et musique) » in Musique en jeu n°30, Mars 1978, p. 87.
92
Le premier spectacle qui résulta de cette entreprise fut La Bouteille à la mer (1976).
Pendant vingt ans, Georges Aperghis travailla dans un cadre d’atelier, d’expérimentation
autour du théâtre musical pour créer régulièrement un certain nombre de spectacles. De
Bagnolet, l’A.T.E.M. s’installa à Nanterre au théâtre des Amandiers jusqu’au départ de
Georges Aperghis en 1996. Progressivement, l’A.T.E.M. est devenu un centre de production
de théâtre musical et changea de nom pour s’appeler Théâtre et Musique (T&M) dirigé
aujourd’hui par Antoine Gindt.
La création de l’A.T.E.M. montre l’envie de Georges Aperghis de travailler en
collectif. Il cherche une étroite collaboration entre lui et l’interprète, qui est le moteur
essentiel de la réalisation finale de l’œuvre. Avec l’A.T.E.M., le compositeur a été amené à
faire des recherches pour trouver de nouvelles façons de travailler et de noter ses œuvres de
théâtre musical :
« On ne savait pas bien comment la musique et les gestes pourraient s’agencer en
dehors du codage traditionnel des partitions. »154
D’ailleurs, même s’il a quitté l’A.T.E.M., Aperghis continue de travailler de cette
manière empirique dans ses derniers spectacles (Machinations (2000), Entre chien et loup
(2002), Le petit chaperon rouge (2002), Paysage sous surveillance (2002). Voyons dans le
détail le déroulement de ce genre de travail et le rôle qu’y prend la partition.
2- Le travail collectif
D’une manière générale, on peut remarquer que Georges Aperghis travaille de manière
théâtrale pour réaliser un spectacle. Dans un certain sens, on peut dire qu’il effectue un travail
de mise en scène de ses propres spectacles. Mais le contenu sera toujours musical, qu’il
collabore avec des acteurs qu’avec des musiciens :
« Je travaille comme au théâtre avec mes acteurs, sauf qu’ils ont des choses
musicales à dire. » 155
Voici le déroulement de ce travail dans les grandes lignes. En premier lieu, Georges
Aperghis réunit les interprètes autour d’un projet relativement défini. À ce moment, la
musique peut être complètement écrite ou non. Il présente ses envies et les motivations du
154
A PERGHIS Georges in ROSTAIN Michel, idem.
APERGHIS Georges in M ATHIEU Jean-Baptiste, Sans commentaires, Schiltighem, 1998, Les Films de
l’Observatoire, 20’.
155
93
spectacle aux interprètes. Par exemple, pour Machinations, Sylvie Levesque explique
comment se sont passées les premières réunions :
« Au premier rendez-vous, il me raconte l’histoire qu’il a en tête : quatre femmes qui
se confrontent à une machine indéniablement bien plus performante qu’elles puisqu’elle peut
- par exemple – tenir un son à l’infini… elle ! Un combat « tendre et cruel » où l’on se
demande qui domine l’autre et d’où l’homme doit sortir vainqueur. (Plaisir évident de
Monsieur Aperghis à raconter cette histoire- là dans l’antre des machines à musique.)
Pas de préparation particulière en vue du match.
Première séance de travail à l’Ircam –autour d’une table- distribution des listes de
phonèmes : un carré d’une suite de lettres.
Un discours : se mettre à la marge de la puissance, appauvrir les pauvres.
Une recherche : trouver un grotesque jubilatoire.
Une attitude : se mettre à la place de ceux qui n’ont pas le langage, et donc le
pouvoir qu’il représente.
Je note : Van Gogh –l’oreille coupée-, Pasolini, Beckett, Kafka, Goya, « des gens pas à
leur place », « passer de l’autre côté de la raison », « partir de soi ». Je pense à Munch,
Breughel, Frida Kahlo. On parle de l’Albanie, de Bali, des Papous au festival d’automne.
Echantillonnage des voix et basta. » 156
Ces réunions sont importantes car elles permettent de mettre en condition les
interprètes qui se sentent particulièrement concernés en comprenant le sens qu’il vont pouvoir
donner à l’œuvre. Au fur et à mesure, Georges Aperghis termine d’écrire la musique qui va
servir de matériau de base pour le spectacle. Les interprètes travaillent alors uniquement
musicalement ces partitions afin d’être libre par la suite lors des répétitions scéniques 157 . Avec
celles-ci commence le véritable travail d’atelier. Les interprètes expérimentent avec Georges
Aperghis des solutions scéniques. Le spectacle avance à tâtons avec les propositions des
interprètes. Au fur et à mesure, l’équipe de travail met au jour une solution qui est propre à
chaque spectacle. Georges Aperghis résume sa façon de travailler avec les interprètes de la
manière suivante :
156
LEVESQUE Sylvie in SZENDY Peter (Texte réunis par), Machinations de Georges Aperghis, Coll. Compositeur
d’aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, Ircam-Centre Pompidou, 2001, pp. 89-90.
157
L’ordre de ce déroulement est à nuancer car il arrive que le matériau musical subisse des modifications lors
du travail scénique. Il arrive même à Georges Aperghis d’écrire encore des parties musicales pour les ajouter au
spectacle alors que les répétitions scéniques sont déjà entamées.
94
« Je crois que ce que je fais c’est que je leur raconte des histoires. Je raconte un peu
ce que je voudrais dans l’absolu et puis eux ils se mettent à fonctionner là-dedans et ils
proposent des choses. » 158
Par exemple, on peut voir dans le documentaire vidéo de Jean-Baptiste Matthieu sur le
spectacle Commentaires des acteurs choisir des gestes très visuels comme lever les mains159 .
Une fois qu’ils se sont mis d’accord avec Georges Aperghis sur le geste, tout le monde essaye
de l’adapter sur une partition rythmique. On obtient alors une polyrythmie de levée de mains.
Ces expériences sont autant d’exercices qui sont plus ou moins retenus dans le spectacle final
selon la qualité de leur résultat. Il est intéressant de remarquer que c’est la partition qui donne
le cadre temporel. Elle est une base qui permet de transformer un simple geste en un élément
ayant une valeur artistique, une valeur musicale.
« Ce que je cherche, ce sont des gestes qui ont un sens et qui vont devenir abstraits
parce qu’ils vont être dans une partition. » 160
Ce que propose Georges Aperghis, c’est que la partition contienne tous les éléments
pour diriger musicalement les interprètes vers une structure fixe mais permette aussi un
résultat scénique formé par la personnalité des interprètes qui auront choisi l’apparence
poétique de cette structure. La partition est alors en quelque sorte «le moteur »161 pour le
choix du déroulement scénique du spectacle. Elle conserve ce qui est important : la forme.
Mais le sens, la poésie du geste sont créés en commun.
« Dans notre groupe, il y a une sorte de va-e t-vient entre moi et ce que je peux
raconter, et les copains. » 162
Avec ce va-et-vient, Georges Aperghis a donc une fonction de centralisateur des
énergies créatrices de chacun. La partition l’assiste dans l’accomplissement de cette fonction.
D’une certaine manière, on peut dire qu’il effectue le même travail qu’un metteur en scène.
Antoine Vitez, avec qui Georges Aperghis a trava illé pendant longtemps, propose justement
la définition suivante :
158
A PERGHIS Georges in M ATHIEU Jean Baptiste, idem, 20’.
M ATHIEU Jean Baptiste, idem.
160
A PERGHIS Georges in M ATHIEU Jean Baptiste, idem.
161
ROTHSTEIN Evan, Glose sur commentaires (1996) (Rhizomes, Don Juan, et le Théâtre Musical de Georges
Aperghis), mémoire de DEA dirigé par J.P.Olive, Université de Paris VIII, 1997, p. 33.
162
A PERGHIS Georges in ROSTAIN Michel, idem, p. 88.
159
95
« La mise en scène est l’art de l’interprétation, comme on le dit pour le devin, le
médium, l’augure ou l’aruspice. Le metteur en scène interprète les signes laissés sur le papier
par les gens des siècles passés (cela s’appelle le texte) ; et aussi, ou surtout, il interprète les
mouvements et les accents des acteurs qui sont devant lui sur la scène ; il découvre ce qu’ils
cachent en eux, ce qu’ils ont envie de dire. Il leur renvoie leur image, et non point pour ce
qu’ils ont cru faire, mais pour ce qu’ils ont fait en vérité. » 163
Georges Aperghis, metteur en scène de ses propres œuvres, se détache donc de son
métier de compositeur pour devenir un interprète parmi ses interprètes. Mais la situation n’est
pas si simple. Car comme l’idée du spectacle et l’essentiel du matériel musical viennent de
lui, il devient alors difficile de séparer le metteur en scène du compositeur. Maurice Fleuret
conçoit le problème de la manière suivante :
«Aperghis s’est mis à l’écoute de la communauté au milieu de laquelle il passe le plus
clair de son temps. Sa partition comme le texte d’Hervé Royer, il ne l’écrit qu’à partir des
improvisations du groupe et après les critiques de tous ceux, curieux ou participants, qui
suivent l’expérience. Il n’y a même pas de mise en scène proprement dite : elle se confond
avec la mise en œuvre. » 164
Georges Aperghis effectue cette mise en œuvre une fois de plus à l’aide de la partition
qui lui sert de fil conducteur pour le spectacle. Selon Marie Delcambre, Aperghis se sert en
fait de son expérience de compositeur pour arriver à des fins théâtrales 165 . C’est ce qui fait
toute l’originalité de sa démarche. Car en partant des possibilités de la partition et l’aide d’un
travail collectif, il arrive à obtenir une façon de travailler une œuvre musicale de façon
théâtrale. C’est Sylvie Levesque qui nous a soufflé cette idée de la manière suivante :
« Antoine Vitez disait que l’on pouvait faire théâtre de tout 166. Si on le prend au mot,
on peut dire que l’œuvre de Georges Aperghis est du théâtre. Comme Beckett, il traite le sens
sans le concept de situation. Avec Beckett, on est très éloigné de la question de la
vraisemblance, du réel. Avec Aperghis, on inclut l’imaginaire au réel. Dit d’une autre manière,
il s’agit d’un réel élargi à l’imaginaire. Je suis sûre que si l’on regarde dans le Petit Robert, on
trouve une définition de théâtre qui colle à Georges Aperghis : lecture du Petit Robert : « 1Art visant à représenter devant un public, selon des conventions qui ont varié avec
les époques et les civilisations, une suite d’événements où sont engagés des êtres
163
VITEZ Antoine, Le théâtre des idées (Anthologie proposée par Danièle Sallenave et Georges Banu), Coll.
Nrf, Paris, Gallimard, 1991, p. 146.
164
FLEURET Maurice in GINDT Antoine, op. cit., 1990, p. 172.
165
Marie Delcambre, communication personnelle, le 11 Septembre 2002 à Lille.
166
« Au passage Georges Aperghis dit aussi que l’on peut faire musique de tout. »
96
humains agissant et parlant. 3-Genre littéraire ; ensemble des textes destinés à être
représentés en action devant un public cherchant à être mis en action. »167
Finalement, en étant très moderne, il revient à l’origine de la poésie. C’est-à-dire qu’il
revient à une espèce de conception de l’antiquité comme quoi les arts du temps n’étaient
qu’un seul. Il est proche de l’unité des trois muses de l’art. En étant proche de Beckett, il est
loin du théâtre de situation. En comprenant le théâtre d’aujourd’hui, on comprend mieux le
travail de Georges Aperghis et on s’aperçoit qu’il n’en est pas trop éloigné. » 168
C’est la combinaison des différentes fonctions de compositeur et de metteur en scène
qui permet à Georges Aperghis de relier la musique et le théâtre et, concrètement, de finaliser
la partition complète du spectacle après la création collective du spectacle. La partition est
donc à la fois un catalyseur et une finalité dans la réalisation du spectacle. Elle est essentielle
dans la recherche d’Aperghis d’un lien entre le geste et le son :
« Ce travail, on ne peut pas le faire sur la partition directement, en composant. » 169
3- La volonté d’échanges humains
Il faut enfin préciser que cette façon de procéder est le reflet d’envies très précises du
compositeur. Premièrement, nous avons déjà vu que la partition lui permet de garder une
cohérence dans son envie de création collective. Ce qui l’intéresse est de construire un résultat
avec les interprètes alors que la partition lui fournit la structure nécessaire pour réussir cette
construction. C’est là que la marge d’imprécision prend toute son importance. C’est cette
dernière qui va lui permettre de réaliser ce travail collectif. La marge d’imprécision
transforme la partition en un point de rencontre où se croisent les envies artistiques du
compositeur et de l’interprète sans pour autant interférer. C’est ce qu’explique Éléna
Andreyev :
«Dans les partitions d’Aperghis, il y a une vraie collaboration avec l’interprète dans la
création. C’est un chemin qui est parcouru dans les deux sens. La partition, chez lui, est
vraiment à l’intersection entre l’interprète et le compositeur. Aperghis laisse rêver l’interprète.
Il ne se pose jamais en en propriétaire de ce qu’il a écrit.»170
167
Dictionnaires le Robert 2001, Paris.
Sylvie Levesque, communication personnelle, les 26 juillet et 29 Août 2002 à Cachan.
169
A PERGHIS Georges in ROSTAIN Michel, op. cit., p. 88.
170
Éléna Andreyev, communication personnelle, le 29 Mars 2002 au Prés Saint-Gervais.
168
97
C’est la forme même du théâtre musical qui lui permet d’arriver à cet équilibre. En
effet, nous avons vu que cette forme d’œuvre rend inévitable une certaine imprécision de
notation. C’est la création de cette marge d’imprécision qui justifie un travail collectif car la
partition prend alors un rôle fédérateur dans la création. Elle est comparable à un texte de
théâtre qu’une troupe de comédiens a l’intention de réaliser. Au théâtre, cette conception de la
création collective est une chose essentielle. Finalement, nous pouvons nous demander si
Georges Aperghis ne cherche pas à retrouver cette conception dans la musique et que son
besoin de faire du théâtre musical résulterait de cette envie, car s’il y a une chose remarquable
chez lui, c’est son caractère généreux. Cette appréciation se retrouve dans le discours de tous
les interprètes avec lesquels nous nous sommes entretenus. Tous mettent l’accent sur le fait
que travailler avec Georges Aperghis a été une expérience particulièrement agréable en
insistant sur le fait qu’il est une personne très humaine. D’une certaine manière, on peut dire
qu’il a besoin d’être avec des gens pour pouvoir produire son œuvre et que celle-ci ne pourrait
pas se faire sans eux. C’est ce qu’appuie Sylvie Levesque à travers des métaphores très
explicites :
«À partir de mon expérience, je dirais que Georges Aperghis ressemble à Christophe
Colomb : il y a quelque chose qui le pousse au voyage. Il part avec un instinct fort pour le
projet des Indes. Il cherche un équipage. Puis il part en demandant à l’équipage de chercher
les Indes. Il maintient tout le monde pour éviter d’aller au mauvais endroit. Il maintient le cap
droit vers les Indes en étant sûr de lui. Mais au final, il tombe sur les Amériques. Une fois la
constatation faite, il a la générosité d’abandonner le projet. Ensuite, il se retourne et voit le
voyage effectué. Finalement, ce qui l’intéresse c’est le voyage. C’est une espèce de
construction qui s’effectue entre le projet et l’aléatoire. Il n’y a pas énormément de règles.
C’est alors que s’effectue un va-e t-vient entre la construction et l’aléatoire. C’est comme
l’histoire de l’humanité qui évolue par expérience des choses. Ou comme pour la construction
des cathédrales avec les pierres déjà taillées des vestiges romains. On la prend et on la pose
là où elle rentre sans perdre de vue que l’idée c’est de faire une cathédrale qui soit solide.
Georges Aperghis n’a pas peur de l’échec. Il va là où les interprètes l’emmènent et a la
capacité d’abandonner certaines pistes qu’il s’était données pour les troquer avec celles des
interprètes qu’il considère comme bonnes. C’est en cela qu’il est très généreux. » 171
Dans un certain sens, Georges Aperghis mo ntre que pratiquer des arts du temps,
comme la musique ou le théâtre, consiste essentiellement à passer du temps avec des gens.
171
Sylvie Levesque, communication personnelle, les 26 Juillet et 29 Août 2002 à Cachan.
98
L’important n’est peut-être seulement que l’œuvre, mais aussi la qualité des moments passés
au sein des rapports sociaux permise par un travail collectif de création. On pourrait conclure
qu’avec cette façon de faire, Georges Aperghis n’a plus réellement le statut de compositeur
par rapport à son œuvre. Cependant, la partition assure une certaine pérennité, d’autant qu’elle
est la base sur laquelle la création se fait :
« De toutes façons, l’œuvre appartient à celui qui la conçoit, même si c’est le point de
départ d’un travail collectif. » 172
La relative imprécision de notation que propose le théâtre musical de Georges
Aperghis offre ainsi au compositeur la possibilité de travailler d’une manière collective de
façon directe tout en conservant son rôle. Cependant, il s’agit de savoir si ce genre de partition
assure de manière satisfaisante la pérennité de l’œuvre.
172
M ONTPOËL-DELCAMBRE Marie, op. cit. , 1985, p. 56.
99
C- La pérennité
Jusqu'à l’arrivée du disque, la partition est restée la principale 173 garante de la
pérennité en matière d’art musical. Mais par rapport à celui-ci, la pérennité qu’elle propose est
incomplète 174 . En effet, comme nous l’avons dit dans le premier chapitre, une partition n’est
pas une exacte représentation du rendu sonore, mais plutôt un compromis entre les consignes
à exécuter et la description du résultat à obtenir. Quoiqu’il en soit, la lecture d’une partition
est un acte de recréation de l’œuvre puisque celui qui la lit doit puiser dans son imagination
pour proposer un contenu musical complet inspiré par la notation. La pérennité d’une œuvre
sera donc en fonction de la capacité d’une partition à donner l’essentiel de son contenu
musical de la manière la plus claire possible. Il faut considérer aussi que selon sa position
géographique et temporelle, elle sera plus ou moins compréhensible parce que les codes de
notation auront changé. Le compositeur qui cherche une pérennité absolue doit alors trouver
un compromis entre une universalité inaccessible et le besoin de se rattacher à une culture de
codes pour proposer des choses très précises. Il s’agit de savoir si c’est le cas pour Georges
Aperghis puisqu’en faisant des partitions de théâtre musical, il propose une transmission sous
une nouvelle forme.
Le problème de la pérennité se pose de différentes façons dans l’ensemble des œuvres
de théâtre musical de Georges Aperghis. On peut regrouper les différentes partitions en trois
catégories selon les problèmes de pérennité qu’elles posent spécifiquement : des pièces de
musique «de chambre » où la partition se présente sous une forme traditionnelle avec des
indications de gestes inclus dans l’écriture musicale (ce genre de partition se rapproche plus
du théâtre instrumental), des spectacles complets écrits se présentant sous forme d’un
conducteur dense dans lequel beaucoup de choses sont précisées (gestes y compris) et des
spectacles type “A.T.E.M.” où la partition se présente sous forme d’un ensemble “en kit” de
textes et petites pièces de musique. Ces différents types de partitions sont des solutions que le
compositeur donne aux problèmes spécifiques que pose le théâtre musical. Nous allons
étudier le sens de ces diverses solutions et voir comment chaque partition donne un sens à la
pérennité de l’œuvre de Georges Aperghis.
173
En effet, il ne faut pas oublier que la mémoire est aussi une forme de pérennité (principalement en matière de
transmission orale) et que la pérennité d’une musique peut exister grâce à l’existence de documents en tout genre
(écrits théoriques, représentions dans des gravures ou des tableaux etc.)
174
« Bartok faisait par ailleurs remarquer que « les seules vraies notations sont les pistes du disque lui-même. »
BOSSEUR Jean-Yves in O RLANEY Yann, op. cit., p. 42.
100
1- Musique de chambre
Cette première catégorie regroupe un ensemble de pièces de petites formations où le
geste prend part dans l’écriture musicale. C’est le cas d’œuvres comme Le corps à corps
(1978) , Les sept crimes de l’amour (1979), Graffitis (1980), Les guetteurs de sons (1981),
Fidélité (1982), etc. Ces partitions ne posent pas plus de problèmes de pérennité qu’une
partition “traditionnelle”. En effet, la notation musicale, même si elle peut laisser quelques
imprécisions de jeu (comme nous l’avons vu pour la percussion dans Le corps à corps), est
relativement claire et correspond aux codes de la notation savante occidentale.
Quant aux indications de geste présentes dans la notation ou dans le cas des
instrumentistes, l’utilisation de la parole en même temps qu’ils jouent, on ne peut nier le fait
qu’elles peuvent poser des problèmes aux interprètes qui découvrent ces partitions pour la
première fois. Mais, comme nous l’avons déjà vu, elles demandent à l’interprète de s’investir
d’une manière différente pour résoudre les problèmes d’interprétations qu’elles posent. Ce
genre de partitions ne pose pas de problème de compréhension directe mais demande une
simple ouverture d’esprit. C’est donc l’évolution dans la culture et l’éducation du musicien
occidental qui fera que ces partitions seront compréhensibles de manière directe et donc plus
ou moins faciles à interpréter.
Poser le problème de la pérennité pour ce ge nre de pièce revient donc à poser ce
problème pour la musique écrite en général, ce qui déborde du cadre de notre étude.
2- Spectacles complets
Cet ensemble d’œuvres est formé de partitions qui se présentent sous forme de
conducteurs musicaux. Ce sont des œuvres de plus grande envergure car elles demandent une
équipe d’exécutants (musiciens et acteurs) et constitue un spectacle complet. Des partitions
comme De la nature de l’eau (1974), Sports et rebondissements (1974), Quai n°1 (1978), De
la nature de la gravité (1979), etc. proposent un certain nombre d’indications précises extramusicales sur le déroulement du spectacle. Cependant, nous avons vu que ces indications ne
concernaient que la description d’une partie des événements temporels à réaliser et que le côté
visuel du spectacle n’était donc que partiellement divulgué. Ces partitions posent donc le
problème de la mise en pratique du spectacle dans le cas où une troupe de musiciens voudrait
les reprendre. En plus des problèmes musicaux habituels de mise en place (à laquelle s’ajoute
la mise en place avec les acteurs qui n’ont pas forcément l’habitude d’être dirigés précisément
101
dans le temps), viennent se superposer des questions sur le coté visuel des événements
précisés. Il faut trouver la manière de faire les gestes indiqués, voir dans quelle mesure l’on
peut se déplacer, se demander si les instrumentistes doivent avoir un jeu théâtral, trouver des
éléments scéniques ou encore créer un décor…
Par exemple, si l’on observe le début de Sports et rebondissements (cf. pp. 68-69), on
peut remarquer que nombre d’indications scéniques sont précisées comme le déplacement du
coureur, celui des chanteurs vers le praticable et la conduite de l’éclairage pour ce début de
spectacle. Cependant, il n’est nullement indiqué où doit courir le coureur à pied, de quel côté
de la scène doivent être situés les chanteurs pour se diriger vers le praticable et où ce dernier
est placé sur la scène. De plus, il n’est pas précisé où se situent sur scène les musiciens de la
section de cuivre et le percussionniste. Par la suite, si nous regardons un peu plus loin dans la
partition, nous ne savons pas si les musiciens (instrumentistes et chanteurs) doivent se
déplacer et au vu de certains passages musicaux cela s’avère possible. Par ailleurs, les actions
des comédiens sont indiquées de manière approximative. On peut observer sur la page 6 de la
partition (cf. p. 73) une succession d’action qui commence en imitation : Boxe, Haltères,
Cycliste, Deux coureurs sur place. On peut imaginer beaucoup de jeu théâtraux différents
correspondant à ces indications car elles ne précisent pas le détail mais juste un thème
d’action autour duquel il faut construire.
Ces partitions proposent donc uniquement un canevas temporel du spectacle proposé.
Elles assurent une pérennité partielle au spectacle mais qui n’affecte pas le déroulement
temporel. C’est-à-dire que s’il ne peut pas transmettre l’intégralité du spectacle par la
notation, Georges Aperghis s’assure la pérennité de l’essentiel : la musique.
3- Spectacles type « A. T. E. M. »
Cette dernière catégorie regroupe les spectacles qui ont été construits dans le cadre
d’une démarche empirique par Georges Aperghis et ses interprètes. C’est le cas des spectacles
produits dans le cadre de l’A. T. E. M. (par exemple, La bouteille à la mer (1976),
Conversations (1985), Énumérations (1987) ou encore Sextuor (1992) mais aussi des
spectacles plus récents comme Machinations (2000). Même si ces spectacles ont été construits
hors du cadre de l’A. T. E. M., la démarche quant à leur élaboration et par conséquent la
formes des partitions correspondantes restent les mêmes. Ces dernières posent un réel
problème de pérennité. Selon Marie Delcambre :
102
« ces spectacles-là dépendent trop de l’équipe qui les crée et ne peuvent être
immortalisés sur papier. Ne reste que des partitions de rares moments musicaux qui articulent
l’ensemble, ne pouvant suffire à une analyse précise. » 175
En effet, nous avons vu que les partitions de ces spectacles sont composées d’une
succession de pièces musicales écrites de manière traditionnelle et de textes (ayant du sens ou
non). D’une certaine manière, la situation est la même que celle de la catégorie d’œuvres
précédemment citées puisqu’une fois de plus, les éléments visuels ne sont pas précisés. Mais
contrairement à ces œuvres, les partitions des œuvres de type “A. T. E. M.” ne présentent pas
de déroulement complet du spectacle. Il s’agira donc pour la troupe qui reprendra ce genre
d’œuvres d’effectuer un travail complet de recréation puisque, par ailleurs, aucune indication
visuelle n’est présente dans ces bribes 176 . D’autre part, on peut se demander si ces œuvres, à la
vue de leur élaboration, conservent un intérêt hors de la configuration où elles sont créées. En
effet, si l’on reprend la citation de Marie Delcambre, chaque spectacle de ce type est
intimement lié aux interprètes qui l’ont réalisé pour la première fois. Selon Maurice Fleuret :
« L’œuvre n’est plus dissociable de ceux qui la jouent et qui, d’ailleurs, l’ont faite pour
une grande part. » 177
Le décor de La bouteille à la mer178
175
176
M ONTPOËL-DELCAMBRE Marie, op. cit., 1991, p. .236.
« On se servira donc du texte écrit que comme d’un échafaudage provisoire : à l’exécutant de penser la musique, et de la
penser aujourd’hui, en retrouvant la pensée du créateur par quelques géno-chant dûment adjointé à quelque géno-texte. Jouer,
c’est reconstruire, ré-générer ! » CHARLES Daniel, op. cit., p. 3.
177
FLEURET Maurice in GINDT Antoine, op. cit., p. 174.
178
Photo Phillipe Gras idem, p. 144.
103
La question est donc de savoir si l’existence de la trace de ce spectacle a un sens car si
les interprètes ne sont plus là, le spectacle existe t- il, puisque le contenu du spectacle venait
directement de l’équipe qui l’a créé ? Par exemple, le choix du décor pour La bouteille à la
mer s’est construit au fur et mesure des répétitions et on peut dire, en voyant la photo
précédente, qu’il joue un rôle essentiel dans le sens artistique du spectacle.
De même, pour Énumérations, on peut voir dans la photo suivante que l’effet visuel
est essentiel pour la qualité du moment artistique proposé par ce spectacle.
Pourtant, la partition – c’est-à-dire l’ensemble des textes (musicaux ou non) que
Georges Aperghis a écrit et qui constitue en quelque sorte le “squelette” du spectacle – existe.
Et finalement, c’est l’essentiel de l’œuvre, car pour rendre possible, et même indispensable la
dimension collective qu’il souhaite proposer dans ses œuvres, le compositeur n’a pas besoin
d’en préciser plus. Ce type de travail, que permet ce genre de partitions, se rapproche
réellement de la mise en scène au sens théâtral du terme. En effet, on peut dire que les artistes
qui travailleront ce genre de partitions seront comme une troupe de théâtre qui essaye de créer
un spectacle autour d’une succession de scènes traitant du même thème, mais dans le cas de
Georges Aperghis, l’essence même du spectacle sera musicale. C’est aussi pour cela qu’il lui
semble inutile de noter tout ce qui n’est pas temporel. Georges Aperghis reste un
compositeur : son travail consiste à proposer un imaginaire musical. Et cet imaginaire peut
servir de base de création pour d’autres artistes :
«En tant qu’interprète, j’ai ressenti ces pièces dans l’instant. Mais pas parce que je les
ai créées, mais parce que ces pièces donnent l’essentiel du rêve d’Aperghis en même temps
qu’elles permettent aux autres (interprètes musiciens, acteurs, metteurs en scène) de coller
leur rêve au sien. » 179
En proposant ce genre de partitions incomplètes, Georges Aperghis donne un sens à la
pérennité de ces œuvres qui ont été créées dans un cadre collectif car quoiqu’il arrive elles
seront toujours l’aboutissement d’un travail commun. On peut toutefois se demander si le
compositeur recherche réellement ce type de pérennité et que ce genre de partition existe
parce que les éditeurs lui demandent simplement des comptes. Mais là n’est pas le problème
car l’essentiel est qu’il existe une trace du rêve d’Aperghis, qui permettra à d’aut res de s’y
reconnaître :
179
Françoise Rivalland, communication personnelle, le 26 Mars 2002 à Lille.
104
Une situation scénique dans Énumération 180
«Si une troupe ou des interprètes ont envie de reprendre une pièce alors là il y a un
intérêt. L’intérêt existe s’il y a une demande ou des conditions favorables pour la réalisation
180
Photo Gurdrun von Maltzan in GINDT Antoine, op. cit., p. 114.
105
d’un tel ouvrage. Carmen est repris parce que les gens vont le voir. Alors que finalement, cet
ouvrage n’a plus sa place dans notre époque. Pourtant, l’opéra existe toujours dans la mesure
où des compositeurs font encore des opéras. » 181
D’une certaine manière, on pourrait presque dire que la pérennité ne semble pas être
quelque chose d’important aux yeux du compositeur. Cependant, on peut déceler dans les
trois types de partition que nous venons d’étudier que chacune apporte une solution différente
aux problèmes de pérennité que pose le théâtre musical. En effet, dans le premier type nous
avons affaire à des pièces musicales où le geste devient un élément à part entière de la
composition musicale. Pour ce cas- là, Georges Aperghis propose donc un répertoire complet
d’œuvres de concert relativement précises où sera gardé l’essentiel de sa poétique à la fois
visuelle et sonore. Dans les deuxième et troisième cas, ce sont des spectacles (et non des
pièces musicales) entraînés par un moteur musical qui sont proposés avec différents niveaux
de précisions. L’un et l’autre permettent au compositeur soit de fixer un réel déroulement du
spectacle où il peut montrer par l’écriture son sens de la dramaturgie, soit de créer un univers
où d’autres personnes peuvent se retrouver pour (re-)construire une œuvre.
La marge d’imprécision présente dans les partitions de théâtre musical de Georges
Aperghis est donc correctement dosée selon les problèmes de communication qui peuvent se
créer entre un compositeur et un interprète. La partition à donc pour rôle de pouvoir contrôler
cette marge et par là même de donner un sens à la pérennité de chaque pièce. De manière
réciproque, c’est peut-être aussi parce qu’il restera toujours une marge d’imprécision de
manière flagrante dans le théâtre musical que Georges Aperghis s’intéresse à cette forme pour
pouvoir faire une musique qui permette un maximum d’échanges humains.
181
Georges Aperghis, communication personnelle, le 22 Mars 2002 à Paris.
106
Conclusion
En étudiant les problèmes de notation qu’engendre le théâtre musical, nous avons
constaté qu’il réside toujours une marge d’imprécision dans ce genre de partitions. En effet,
les tentatives de réunion des arts rendent difficile la création d’une notation uniforme en
raison de la nature propre de chaque discipline artistique. Nous en avons conclu que les
compositeurs se focalisent sur certains éléments essentiels à l’œuvre (une situation scénique,
le déroulement musical ou encore un effet visuel) pour pouvoir produire une partition de
théâtre musical.
Dans le cas de la notation de Georges Aperghis, on décèle la recherche d’une lisibilité
et d’une compréhension immédiate de la partition. Le compositeur s’intéresse à l’efficacité de
la notation dans la mesure où elle permet de meilleures conditions d’interprétation.
De plus, nous avons vu que la fixation des données temporelles de l’œuvre était
essentielle dans son théâtre musical. Cet aspect de sa notation confirme que le compositeur
considère ses pièces de théâtre musical comme des œuvres véritablement musicales. Georges
Aperghis est avant tout un musicien et sa notation le prouve. Il note ce qui lui semble
essentiel, à savoir le déroulement musical.
Cependant, cette notation, restrictive dans le cadre de la transmission d’un spectacle,
entraîne une certaine marge d’imprécision au niveau des paramètres extra-musicaux (gestes,
déplacements, décors) et cela d’autant plus quand le compositeur propose des partitions
composées uniquement de textes. Mais cette marge d’imprécision est précisément recherchée
et a pour rôle de solliciter l’imagination de l’interprète.
En effet, nous avons vu que de manière générale les partitions de théâtre musical
appellent des pratiques inhabituelles pour la plupart des interprètes (qu’ils soient musiciens ou
acteurs). Elles demandent une ouverture d’esprit qui stimule les exécutants dans leur tâche. Ils
se sentent alors réellement interpellés dans leur travail et s’impliquent de manière plus
évidente dans un jeu extra- musical qui ne leur est pas toujours évident. La partition chez
Georges Aperghis a donc pour premier rôle de suggérer une démarche, un état d’esprit pour
exécuter des pièces de théâtre musical.
Étant dans cet état d’esprit, les interprètes sont amenés à travailler de manière plus
étroite avec le compositeur. En effet, l’ouverture que propose le théâtre musical entraîne
107
beaucoup d’échanges entre Georges Aperghis et ses interprètes et nous avons observé que
cela débouchait sur la création collective de spectacles. L’imprécision dans la notation est
donc le moyen propre à Georges Aperghis pour fonder un travail d’équipe. Mais l’artefact
culturel que représente une partition est aussi à la fois un garde- fou et le garant d’une
cohérence de compositeur.
Quant à la pérennité de ce travail, nous avons vu qu’elle était possible mais de façon
différente selon les œuvres. En effet, les divers types de partitions de Georges Aperghis
proposent des réponses aux problèmes spécifiques que pose le théâtre musical en matière de
transmission. Nous avons notamment compris que l’imprécision de la notation n’empêche pas
la pérennité de l’œuvre de théâtre musical de Georges Aperghis. C’est-à-dire que la partition a
pour rôle de permettre à un musicien, à un acteur, à un metteur en scène ou encore à un
groupe complet d’artistes de s’approprier l’œuvre tout en gardant clairement l’ empreinte du
compositeur.
On peut d’ailleurs se demander si la notation serait la seule façon d’aboutir à ce genre
de résultat. Aujourd’hui, il existe de nouveaux supports qui permettent de perpétuer une
œuvre, notamment l’enregistrement, la vidéo ou encore la photo. Il s’agirait alors d’étudier
ces autres possibilités qui pourraient assurer la pérennité du théâtre musical.
D’autre part, on pourrait questionner le rôle de l’édition pour cette pérennité. En effet,
dans la société actuelle, l’édition est un passage obligé pour la reconnaissance d’une œuvre. Il
serait alors intéressant de se demander ce qui motive les éditeurs dans le choix de ce qu’ils
éditent ou encore, quelles sont leurs convictions quant à l’édition du théâtre musical et quel
sens ils donnent à ce travail. Cela pourrait déboucher sur une étude quasi sociologique sur les
intérêts de l’édition de ce type d’œuvre.
Enfin, si l’on veut revenir aux problèmes de pérennité causés par la notation du théâtre
musical, on peut souligner que ce dernier est relativement récent. Par conséquent, il est
difficile de dire si les problèmes de notation qu’il occasionne sont dus à sa forme même ou à
sa nouveauté. Sa notation peut peut-être encore évoluer dans le futur et donner suite à la
création de codes spécifiques. Un travail sur l’évolution de la notation dans le théâtre musical
pourrait donc questionner la création de ce genre de "super-partition" et par là même, ferait
émerger les limites de la notation au sein de cette forme.
108
Annexes
109
Entretiens
Avertissements
Ces entretiens n’ont pas été enregistrés. Ils ont été réécrits de mémoire à l’aide d’un
maximum de prises de notes, par conséquent l’essentiel des idées a été retranscrit, mais les
formulations ont pu être modifiées. D’autre part, trois d’entre eux se sont déroulés de manière
informelle. Un résumé a donc été effectué pour donner un aperçu du point de vue et des
informations qu’ont apportées ces personnes.
110
Entretien avec Georges Aperghis
(réalisé le 22 Mars 2002 à Paris)
La dramaturgie dans le théâtre musical
Est-elle présente ? Sous quelle(s) forme(s) ?
Oui, elle est présente dans toutes les œuvres. Sa forme varie selon les œuvres. Elle
peut être présente dans l’action, le déroulement musical, la structure du spectacle, le texte etc.
Où est la limite entre les genres ?
J’ai écrit un article là-dessus avec beaucoup de difficultés dans le livre d’Antoine
Gindt…
L’intérêt d’une partition dans le théâtre musical ?
Elle est le support, tel un livret ou le texte d’une pièce de théâtre, pour communiquer à
l’interprète l’existence de ce travail.
Comment la partition fait-elle le lien entre les arts ?
Il n’y a pas de limites entre les arts du temps. La musique est à la base de tout. Elle possède une capacité de
vie multiple. Elle s’empare des autres arts. Les différents arts du temps sont des lignes que la musique fait
vivre. On peut écrire un duo entre un film et une clarinette de la même manière qu’un duo de tuba et
clarinette.
Une pensée polyphonique est alors essentielle pour vous ?
Oui.
Rôle de la partition
La partition est-elle une image de la musique ? (1) (2) (3)
Je ne note jamais tous les détails gestuels ou visuels. L’imprécision existe dans une
certaine mesure où des interprètes où metteurs en scène peuvent reprendre le texte pour en
obtenir un autre résultat que le mien. Les pièces seront remontées avec l’imaginaire des
111
autres. Dès que quelque chose semble être de trop dans la partition, il est enlevé. En cela, la
partition reste un moyen de communication. Elle ne reflète pas concrètement une image de la
musique.
Pour les notations (1) et (2) c’est une attitude vocale à trouver éveillée par le graphique. Idem
pour l’instrument.
De même pour les codes de notation : « La présence d’un simple système de croyance
commun entre musiciens est bien plus importante pour le fonctionnement satisfaisant de la notation,
que son rôle de représentation acoustique. Un apprentissage très long est nécessaire, fondé sur tout
ce que la note n’écrit pas.
» (J.C. FRANÇOIS ) (4)
Oui, c’est à peu prés cela.
Est-ce qu’elle s’éloigne de cette image pour être la plus claire possible dans les
intentions de jeu ? (5)(6)(7)(8)(9)
Le besoin de noter est là. Il faut préciser ce qui semble essentiel dans l’organisation
temporelle de l’œuvre. Après cela, c’est à l’interprète de s’investir dans ce qu’il y aura à
trouver ou à faire. (6) (7)
(5) (8) La gestion du temps est essentielle. Pour (5) ou (8), on exécute selon le temps
dont on dispose. Celui-ci est précisé par la réalisation concrète. Si le temps disponible n’est
pas suffisant pour l’exécution on en fait le minimum.
Je construit mes spectacles en écrivant une centaine de séquences très courtes avant les
répétitions, les interprètes les travaillent, puis lors de répétitions en commun je les assemble
selon l’ordre qui me convient le mieux. Une fois que la partition entière est écrite, je sais que
c’est cela que je voulais. A ce moment là, elle est définitive.
Quand il manque un détail, c’est qu’il n’est pas nécessaire. Les interprètes ont alors
leur rôle habituel.
Vous arrive-t-il de considérer vos partitions comme une finalité (des œuvres d’art à part entière ) ?
Non, c’est une conception assez bizarre que je ne comprend pas. Busotti le fait et cela
possède un certain charme. Mais ce n’est pas assez musical pour moi.
112
La notation
Dans quels cas la façon de noter se trouve-t-elle avant ou après la genèse de l’œuvre ? (Machinations ?)
Tout est toujours écrit avant. Je n’écris pas en cours de répétition (cf plus haut). Dans
le cas de Machinations, la partition n’est en fait que le livret et le support numérique. La mise
en scène des phonèmes est finalement une question d’interprétation. En même temps, il faut le
faire avec la bande, et là les choix se restreignent.
Finalement, quand vous créez un spectacle, vous êtes le metteur en scène de votre musique
déjà existante ?
Oui, c’est cela.
Comment trouvez-vous le meilleur type de notation à adopter ?
Je ne trouve pas. Je cherche ce qu’il y a de plus évident. Trouver le meilleur code
commun entre moi et les exécutants. Vraiment, c’est une chose que je trouve extrêmement
difficile.
Y avez-vous réfléchi avant de vous lancer dans le théâtre musical ?
Non. Je fais ce que j’ai envie ou besoin de faire. J’écris rarement de la même manière
pour ce genre d’indications. A chaque fois, j’ai besoin d’un élément de notation différent pour
transmettre de la manière la plus claire possible. Au fur et mesure je teste de nouvelles
notations. Mais pour moi c’est très difficile de trouver du nouveau.
Quelle partie de la partition est héritée d’une notation personnelle ? Il y a pourtant des
« tics » d’écriture ?
Oui, mais j’essaie surtout de trouver la notation la plus évidente. Je n’invente rien.
Tout découle de la notation traditionnelle.
Quelle différence y a-t-il entre la notation de la mise en scène, de la chorégraphie, du texte, de la musique ?
Elle n’existe pas.
Une pièce de théâtre musical a-t-elle un intérêt à être rejouée ?
113
Cela dépend. Moi, je fais cela parce que j’ai envie de le faire. Avec mes exécutants,
une pièce est reprise mais pas retravaillée ou réinterprétée. Si une troupe ou des interprètes
ont envie de reprendre une pièce alors là il y a un intérêt. L’intérêt existe s’il y a demande ou
des conditions favorables pour la réalisation d’un tel ouvrage. Carmen est repris parce que les
gens vont le voir. Alors que finalement, cet ouvrage n’a plus sa place dans notre époque.
Pourtant, l’opéra existe toujours dans la mesure où des compositeurs font encore des opéras.
Finalement, le théâtre musical est le reflet des attentes de notre époque comme l’était l’opéra au 18ème et 19ème
siècles ?
Oui, en quelque sorte. Mais le théâtre musical n’est pas un genre. Il n’y a pas de code
et de canon comme à l’opéra. Le théâtre musical, c’est la liberté dans ce domaine. Le terme ne
me convient pas. Je ne peux pas dire que je fais du théâtre musical comme j’ai fait de l’opéra.
Pour ce dernier les choses sont claires : il y a une scène, des chanteurs et un orchestre dans la
fosse. Je fais de la musique tout simplement. Mais pour moi, cette dernière ne s’arrête pas à la
production de son.
114
Entretien avec Françoise Rivalland
(Le 26 Mars 2002 à Lille)
Françoise Rivalland est percussionniste. « Elève de G. Hiéronimus, elle a également
travaillé avec F. Branna, G. Sylvestre et J-P. Drouet. Interprète essentiellement de musique
contemporaine, parfois en petites formations orchestrales mais surtout en musique de chambre et en
soliste, elle travaille ainsi avec de nombreux compositeurs pour la création et l’interprétation de leurs
œuvres et avec différents ensembles, structures et festivals de musique contemporaine
internationaux. Elle joue également du Zarb et pratique l’improvisation. Elle collabore de manière
suivie depuis 1987 avec Georges Aperghis. Co-fondatrice de [ l’ensemble ] S:I,C. [Situation :
Interprète, Compositeur ] en 1986, elle en est depuis la directrice artistique. » 182
La dramaturgie dans le théâtre musical
Est-elle présente ? Sous quelle(s) forme(s) ?
Oui, elle est présente dans la mesure où il y a une scène, un décalage entre la personne
qui est exécutante et le public qui la regarde. Sous quelles formes ? C’est bien là le problème.
Elle est présente dans toutes musiques. Finalement, on ne peut pas dire que cela ait une forme.
L’important c’est qu’elle soit là. D’ailleurs, le théâtre musical n’a pas de forme.
Où est la limite entre les genres ?
Il n’y a pas de limites. D’ailleurs, ce n’est pas une question de limites mais une
question de fonction. Par exemple, pour Conversations la notation se présente comme une
succession de textes. Il y a 15 textes écrit s pour 2 comédiens et un musicien. Parmi ces 15
textes, on peut différencier ceux qui ont été prévus pour des comédiens et ceux pour des
musiciens. De même, dans les autres spectacles, quand G. Aperghis me demande quelque
chose de scénique, ce sera quelque chose que je ferai musicalement. Il le sait. C’est pourquoi
il me demandera davantage d’exécuter une action musicale.
De même, il ne demandera pas quelque chose de trop difficile musicalement pour des
acteurs. Il y a, en fait, une limite quant à la réalisation de plusieurs arts par une seule
personne. C’est impossible. Nous avons tous à apprendre les uns des autres sur les différentes
disciplines que nous pratiquons mais en aucun cas nous ne pouvons nous, musiciens, nous
mettre à la place des acteurs.
182
Livret p. 13 du disque compact : A PERGHIS Georges, Musique de chambre (la nuit en tête), Ensemble SIC
Donatienne Michel-Dansac, Paris, 2002, Zig-zag Territoires MFA, ZZT 020501.
115
La limite vient donc de l’interprète ou de l’exécutant ?
Oui c’est cela.
L’intérêt d’une partition dans le théâtre musical ?
En fait, il y a deux points de départ à différencier dans le travail d’Aperghis. D’un côté
le texte, de l’autre la partition. Ce n’est pas vraiment la même chose. Par exemple, avec
Enumérations, on est parti de rien, puis de textes. Ce sont les textes qui nous on permis
d’arriver à quelque chose. Il faut bien différencier aussi deux catégories de travaux
d’Aperghis. Il y a les pièces de théâtre musical, et la musique avec des utilisations du théâtre.
Par exemple, pour le Corps à corps c’est un simple travail d’interprète qu’il faut faire. Tout
est là et il n’y a pas à chercher dans l’expression théâtrale le résultat. La partition est là pour le
travail d’interprète. Mais pour les Enumérations nous avons tâtonné, expérimenté. Après cela,
Georges Aperghis revient avec des textes très précis. Là, il faut les suivre et ça marche. De
manière générale, plus on suit les textes ou la partition plus on trouve une expression juste.
C’est une des choses qui est formidable chez lui.
Quel est votre première attitude face à une partition de théâtre musical ?
Georges Aperghis cherche des situations. Il cherche une dramaturgie dans l’instant. Je
dirais « qu’il est plus un metteur en image qu’un metteur en scène. » Il nous dit toujours au
début des répétitions : « il faut tout essayer » ou encore « il faut prendre le problème par tous
les bouts ». Ce n’est pas facile pour un interprète. Quand il nous demande de traverser la
scène, nous ne savons pas, en temps que musicien, le faire avec aisance. C’est une remise en
cause perpétuelle que nous faisons à chaque spectacle. Mais nous sommes toujours guidés par
lui. Il n’y a pas de doute : il sait ce qu’il veut. Mais à la différence de Kagel qui prévoit les
limites de ses interprètes, Aperghis nous laisse libre d’aller jusqu’au bout de nous et de nous
permettre d’aller là où ce n’était pas prévu. C’est beaucoup plus agréable que chez Kagel.
Avec ce dernier on a l’impression de se sentir emprisonné.
Est-ce qu’une partition de théâtre musical vous demande plus d’investissement qu’une partition traditionnelle ?
Non, il n’y a pas vraiment de différence d’investissement. La différence se situe plus
dans une question d’ouverture d’esprit face à notre art. C’est à dire qu’il y a des recherches
116
différentes sur soi, sur son corps, sur ses limites d’interprète. Ce sont des choses que nous
faisons rarement dans une interprétation purement musicale. De manière générale, une
partition de théâtre à tendance à nous solliciter plutôt que nous demander un investissement
différent.
Jusqu'à quel niveau la partition est-elle évidente ?
Les partitions de Georges Aperghis donnent les bases de l’œuvre. Elles donnent
l’essentiel. Il note uniquement ce qui est nécessaire. Le reste c’est le boulot de l’interprète.
Aperghis est un compositeur qui sait très bien faire la part des choses en ce qui concerne
toutes ces notions.
Vous arrive-t-il d’élaborer certain type de notation avec lui ?
La notation qu’il me donne est rarement le fruit d’un travail avec lui.
Est-ce que vous travaillez avec Georges Aperghis avant le pur travail scénique ?
Oui. Il y a toujours un travail de mise en place musicale avant l’abord de la scène.
Quelle est la répartition entre le travail seul et avec le compositeur ?
Il faut répondre précisément ? Je dirai 1/3-2/3. En fait, je n’en ai aucune idée. Le plus
souvent il est là quand nous avons besoin de lui. Soit le plus souvent dans la mise en place
collective, les gestes et attitudes, et la mise en scène. Il nous donne de temps en temps les
voies à explorer.
La partition est-elle une image de la musique ? (1) (2) (3)
Au contraire, est-ce qu’elle s’éloigne de cette image pour être la plus claire possible dans les intentions de jeu ?
(5)(6)(7)(8)(9)
La partition reste une image de la musique dans la mesure ou l’on peut voir le
déroulement musical de certains gestes ou la disposition haut bas qui donne des
renseignements. Mais la plupart du temps c’est une notation du type de jeu plutôt qu’une
image. Le plus souvent Aperghis s’arrange pour être le plus clair possible. Mais quand ce
n’est pas le cas, la notation dit plutôt ce qu’il faut chercher.
117
Une pièce de théâtre musical a-t-elle un intérêt à être rejouée ?
Oui. Il doit y avo ir une pérennité du théâtre musical. Le fait que d’autres gens
reprennent les pièces est très important pour moi. En tant qu’interprète, j’ai ressenti ces pièces
dans l’instant. Mais pas parce que je les ai créées, mais parce que ces pièces donnent
l’essentiel du rêve d’Aperghis en même temps qu’elles permettent aux autres (interprètes
musiciens, acteurs, metteurs en scène) de coller leur rêve au sien. C’est ce que j’ai ressenti
moi- même quand j’ai fait travailler Conversations avec mon atelier.
118
Entretien avec Eléna Andreyev
(Le 29 Mars 2002 au Prés Saint-Gervais)
Eléna Andreyev est violoncelliste. « Elève de R. Cohen, I. Monighetti et C. Coin. Elle est
membre des Arts Florissants et de La Grande Ecurie et La Chambre du Roy, elle se produit également
en soliste et en musique de chambre avec divers ensembles (Les jeunes Solistes, Les Matinaux,
Kammerensemble Neue Musik Berlin, XVIII-21). Dans le champ contemporain, une activité très
diversifiée la conduit tant à collaborer avec de nombreux compositeurs (Aperghis, Pesson, Gabriele…)
dont elle est dédicataire de pièces pour violoncelle, qu’à participer à des formes expérimentales, avec
l’A. T. E. M. notamment (Sextuor et Commentaires de Georges Aperghis, Forever Valley de Gérard
Pesson) ainsi qu’avec le groupe Wandelweiser de Berlin, Giovanna Marini ou Fred Frith. Elle est
violoncelliste du quatuor Bartleby. » 183
La dramaturgie dans le théâtre musical
Est-elle présente ? Sous quelle(s) forme(s) ?
Pour moi le théâtre musical est surtout un travail avec Georges Aperghis. Je n’ai
connu que lui dans cette « discipline ». La dramaturgie est présente dans la musique. Avec lui
ce sont toujours des situations qui viennent de la musique. Quand on travaille en répétitions,
on se sert d’éléments extérieurs pour trouver le caractère musical. Le théâtre musical est une
pensée musicale constante où l’on prend conscience de la scène. Le jeu est toujours trouvé à
partir du caractère musical. Je le ressens très fort quand je joue dans un spectacle d’Aperghis.
D’ailleurs, dans ce travail, j’ai toujours considéré mes actions comme de la musique. Je ne me
suis jamais prise pour une comédienne. Il faudrait demander aux acteurs s’ils pensent de la
même manière.
De même, au niveau de l’aspect visuel de la scène. Aperghis travaille toujours
beaucoup plus avec les lumières qu’avec les décors ou les costumes. Il cherche une espèce de
poésie de la scène, une succession de moments.
Où est la limite entre les genres ?
Il n’y en a pas vraiment. Par exemple, au niveau de la notation, la partition peut donner
beaucoup d’amplitude pour chercher quelque chose. En fait, l’écrit permet de relier les genres.
Dans l’écrit est déjà présente l’efficacité. Dans les partitions d’Aperghis, il y a une vraie
collaboration avec l’interprète dans la création. C’est un chemin qui est parcouru dans les
deux sens. La partition, chez lui, est vraiment à l’intersection entre l’interprète et le
183
Livret p. 11 du disque compact : A PERGHIS Georges, Musique de chambre (la nuit en tête), Ensemble SIC
Donatienne Michel-Dansac, Paris, 2002, Zig-zag Territoires MFA, ZZT 020501.
119
compositeur. Aperghis laisse rêver l’interprète. Il ne se pose jamais en en propriétaire de ce
qu’il a écrit.
D’ailleurs, ses partitions sont vraiment très claires pour l’interprétation. C’est courant
dans les bonnes partitions. Il recherche des gestes ancestraux, rituels. Je pense que « rituel »
serait le bon terme pour le caractériser. Tout est rituel et en même temps très parlant chez lui.
Il a ses grands thèmes : la naissance, l’être, la mort. C’est un peu la même chose dans la
relation compositeur/ interprète : il n’est pas tout seul et nous (interprètes) ne sommes pas tout
seuls à jouer.
L’intérêt d’une partition dans le théâtre musical ?
Il y a un intérêt. Je dirais même qu’il est primordial. Il faut partir de la partition pour
créer une pièce de théâtre musical. Le théâtre musical n’existe pas sans la partition. Cela ne
s’invente pas. D’ailleurs, Aperghis à besoin de la partition pour concevoir du théâtre musical.
Son énergie d’écriture est dramatique. De plus, la partition l’aide à travailler avec les
interprètes. Il ne pourrait pas les montrer tout seul. Il le fait de manière généreuse.
Á la différence de Kagel, il n’attaque pas le côté théâtral de façon frontale. Aperghis
est avant tout un musicien, un poète. Il ne s’appuie jamais sur la dramaturgie théâtrale, mais
plutôt sur la poésie. C’est la recherche d’instant qui le conduit vers la scène. D’où
l’importance, une fois de plus, de l’éclairage. La façon d’éclairer est primordiale chez lui.
D’ailleurs on pourrait le prendre dans tous les sens du terme. Il cherche toujours à mettre en
relief un petit détail, une chose insignifiante qui fait la différence. Il enchaîne l’action de
façon poétique. Aperghis pratique une forme très épurée de théâtre musical.
En quelque sorte on peut dire que les spectacles d’Aperghis sont une succession de tableau
poétique ?
Oui.
Comment la partition fait-elle le lien entre les arts ?
La partition fait le lien entre les arts par sa modestie. C’est parce qu’une partition fait
bien son art, est claire et bien écrite, que l’on peut rebondir dessus. Elle ne prétend à rien
d’autre.
La partition est-elle une image de la musique ? (1) (2) (3)
Au contraire, est-ce qu’elle s’éloigne de cette image pour être la plus claire possible dans les
intentions de jeu ? (5)(6)(7)(8)(9)
120
Son écriture se conforme au code. Il laisse à l’interprète la possibilité de sentir la
partition de manière organique. Et l’interprétation s’en ressent. Le côté visuel peut exister. Il
ne faut pas oublier qu’il a été peintre. D’ailleurs, j’ai eu de la chance de passer par là quand il
s’y est remis (présentation d’un cadre contenant une succession de miniatures peintes par
Aperghis). Le côté graphique est quand même important. Par exemple, quand on regarde la
présentation de ses pages dans sa musique de chambre, tout est prévu pour que l’on sente le
côté musical. En même temps, il possède une graphie assez austère qui ne rend pas compte de
l’expressivité de sa musique.
On dirait qu’il cherche l’efficacité ?
Oui, il ne fait pas de doute que la finalité est le rendu musical. Aussi bien dans
l’écriture de musique pure que dans l’écriture de théâtre musical. Pour ce dernier, il est poussé
par l’énergie du théâtre mais il passera toujours par la musique. D’ailleurs, il le fait aussi avec
les gens. La partition est la monnaie tangible de la globalité de son art (échange entre les gens,
entre le compositeur et l’ interprète) Sa partition est le point de repère du spectacle. Elle est le
point central, le point d’échange. Tout est présent dans l’écriture musicale et la façon de noter.
C’est un compositeur qui assume complètement ce qu’il fait. Avec lui, il n’y a jamais de
« chichis ». C’est quelqu’un qui n’a pas peur artistiquement parlant.
Quelles est votre première attitude face à une partition de théâtre musical ?
Je n’ai jamais monté de partition de théâtre musical sans lui. Je ne sais pas ce que je
ferais. Il faudra que j’essaie un jour. Mais en fait, l’élaboration de la partition complète et le
montage du spectacle restent des choses assez bricolées. C’est moi qui ai rassemblé la
partition pour Sextuor. C’était une expérience assez intéressante. Maintenant, cela n’arrive
plus. Il écrit tout d’un coup : Entre chien et loup.
Jusqu'à quel niveau la partition est-elle évidente ?
La partition s’écrit avec le spectacle (la continuité etc.). Chaque chose écrite apporte sa
vision très précise et expressive.
Vous arrive-t-il d’élaborer certain type de notation avec lui ?
Non. La partition est suffisante. Elle permet, et cela bien plus qu’une note littéraire, la
communication et l’interprétation de tout. En fait, il y a peu pour faire tout.
121
Est-ce que vous travaillez avec Georges Aperghis avant le pur travail scénique ?
Nous travaillons l’aspect musical avant. Le travail scénique pur n’existe pas. En fait
tout vient en répétitions quand nous avons assimilé la musique. Là encore, il y a une espèce de
rituel. Les gestes sont des extensions de la partie musicale. Il n’y a pas de travail du geste qui
raconte. Ce sont seulement des choses poétiques qui ne sont pas palpables.
Est-ce qu’une partition de théâtre musical vous demande plus d’investissement qu’une
partition traditionnelle ?
Un investissement différent dans la mesure où il faut l’apprendre par cœur. Un
investissement parce qu’il y a un travail physique et vocal que je n’avais pas l’habitude de
faire. Il y a une remise en cause de soi qui est difficile à faire. J’ai eu beaucoup de difficultés
la première fois que Georges Aperghis m’a demandé de chanter en jouant dans Sextuor. Mais
heureusement, il est là pour faire prendre confiance à l’interprète. Avec lui, on apprend à se
dépasser et on découvre des choses que l’on se croyait incapable de faire.
Quel est la répartition entre le travail seul et avec le compositeur ?
Sans lui, nous apprenons le texte, la partition, la qualité du jeu etc. Il s’agit de
s’imprégner de la partition. Il faut être très attentif dans la mesure où la continuité de la
partition se construit avec le spectacle. Il s’agit d’être le plus réceptif possible à la partition
car chaque chose écrite possède sa vision très précise et expressive. C’est le travail avec lui
qui m’a vraiment appris à faire ça. Il offre une telle qualité du rapport de confiance.
Maintenant, je sais me mettre dans les bonnes conditions sans lui. C’est la musique que l’on
joue qui nous suggère le jeu musical. D’autres suggestions viennent dans l’ambiance des
répétitions avec lui. C’est un mouvement de propositions constantes qui s’instaure.
Les répétitions avec lui sont importantes au niveau psychologique. Nous sommes
nombreux et il s’agit de savoir où l’on se dirige, comment canaliser toutes nos idées. En
répétition, c’est Georges Aperghis le patron. Cela nous rassure. De plus, il est très habile pour
ne pas montrer qu’il dirige la barque. Tout ce qu’il fait, c’est nous mettre en condition de
pouvoir se dépasser. Il donne l’envie de travailler. Par conséquent, il devient l’autorité
artistique que l’on reconnaît.
122
Est-ce que vous pourriez le faire sans lui ?
Oui. Je pense honnêtement que l’on peut arriver à une bonne exécution de ses pièces
sans lui. La partition y aide évidemment. Elle possède ses propres lois. C’est le respect de la
partition qui fera tout le reste et conduira à une bonne exécution.
Une pièce de théâtre musical a-t-elle un intérêt à être rejouée ?
Oui bien sûr. La reprise ou la ré- interprétation est possible. D’ailleurs, nous allons
reprendre un de ses anciens spectacles dans deux mois avec lui.
Dans le cas de la ré- interprétation, la partition contribue véritablement à la réussite du
projet. Si on s’y attarde vraiment, on peut s’apercevoir qu’elle possède toutes les clés. Tout ce
qu’il veut est écrit. La vérité de la partition est apparente.
123
Résumé de l’entretien avec Donatienne
Michel-Dansac
(Le 17 Mai à Paris et par courrier électronique)
Donatienne Michel-Dansac est soprano. « Elle étudie le violon et le piano au Conservatoire
de Nantes. Maîtrise de l’Opéra de Nantes à onze ans et participation, souvent en tant que soliste, aux
diverses productions. En 1985, Conservatoire de Paris dans la classe de Lorraine Nubbar (prix de
chant en 1990). Entre-temps, de nombreux rôles en France et à l’étranger sous la direction,
notamment, de Manuel Rosenthal, Serge Baudo et David Roberston. En 1988, Laborintus II de
Luciano Berio avec L’Ensemble Intercontemporain dirigé par Pierre Boulez. Depuis, elle collabore avec
l’Itinéraire, l’ensemble Fa, l’Ircam, l’ensemble Intercontemporain, le London Sinfonietta, l’Orchestre
National de France, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, et est invitée par de nombreux
festivals. Elle interprète également le répertoire baroque, romantique et classique avec l’Orchestre
National de France et l’Orchestre de Montpellier. Elle se produit à l’Opéra de Nantes, Lille, Tours,
Montpellier, au Théâtre du Châtelet, à la Comédie-Française, au Concertgebouw d’Amsterdam ou au
Musikverein de Vienne. » 184
C’est elle qui reprend actuellement les Récitations. Elle joue
également Les sept crimes de l’amour avec l’ensemble S :I,C. Pour cette œuvre, elle nous a
confié que Georges Aperghis avait rajouté des monologues dits par un narrateur en plus des
trois musiciens à la demande de l’ensemble. Elle estime que l’intérêt d’une partition dans le
théâtre musical se trouve dans la fixation de l’œuvre. « Parce qu’il ne s’agit pas d’improvisation au
moment du concert (même s’il peut y avoir une recherche collective en amont), et que Georges
Aperghis est un compositeur qui écrit.
» Par contre, il peut y avoir un travail de recherche entre
compositeur et interprète avant la première de l’œuvre. C’est « à l’interprète d’arriver en
proposant ce qu’il considère comme étant la partition, et au compositeur de l’aider à aller plus loin
éventuellement et de dissiper les questions restantes (souvent, il y a pas mal…)
»
184
SZENDY Peter (Texte réunis par), Machinations de Georges Aperghis, Coll. Compositeur d’aujourd’hui, Paris,
L’Harmattan, Ircam-Centre Pompidou, 2001, p. 150.
124
Résumé de l’entretien avec Emily Loizaux
(le 22 Juillet 2002 à Paris)
Emily Loizaux a été l’assistante de mise en scène de Georges Aperghis pour le
spectacle Machinations. Elle est aussi à l’origine de l’établissement d’une conduite générale
pour le spectacle qui est devenue par la suite la partition de Machinations aux éditions
musicales Durand. Au départ, Georges Aperghis n’avait pas prévu de faire une partition de ce
spectacle. C’est au cours des répétitions que l’équipe s’est rendu compte qu’une conduite était
nécessaire (surtout pour le « machiniste » Olivier Pasquet et le technicien lumière et vidéo).
Elle servait aussi au cours des répétitions d’aide- mémoire, et contribuait à une meilleure mise
en place. Il est intéressant de savoir qu’Olivier Pasquet avait besoin de la partition pour
exécuter Machinations. On peut également noter qu’une fois de plus, Georges Aperghis n’a
pas voulu que l’on note les événements scéniques sur la partition finale mais seulement les
éléments sonores. Emily a confirmé qu’il voulait que la partition donne la possibilité au
metteur en scène de “coller son rêve sur le sien”. Pour la mise en place de ce spectacle,
Georges Aperghis avait prévu beaucoup de matériel formé de textes divers et le livret de F.
Raynault, mais au fur et à mesure des répétitions, il apportait du nouveau matériel selon ce
qu’il avait entendu la veille.
125
Résumé de l’entretien avec Marie Delcambre
(Le 11 septembre 2002 au Conservatoire National de Région de Lille)
Marie Delcambre est musicologue. Aujourd’hui spécialiste en analyse musicale, elle
est l’auteur de deux thèses concernant respectivement le théâtre musical et le théâtre
instrumental. Pour ce travail, elle a étudié et rencontré Georges Aperghis. Elle enseigne
actuellement à l’université de Rouen et au C.N.R. de Lille en tant que professeur d’analyse.
Á propos de la différence entre le théâtre musical et le théâtre instrumental, Marie
Delcambre pense que le théâtre instrumental est un genre hybride né des retombées du théâtre
musical et de l’envie de visualiser le concert. Pour schématiser, on peut considérer que le
théâtre instrumental est l’aboutissement d’un grand decrescendo parti du théâtre musical pour
aboutir à une forme épurée. (Le théâtre instrumental se caractérise aussi par l’utilisation de
faibles moyens.)
Quant aux didascalies présentes dans les partitions de Georges Aperghis, elle pense
qu’il ne s’agit pas de termes de théâtre. Selon elle, il n’est pas un technicien de théâtre :
« Supposition : Et si les indications du langage musical devaient représenter un vécu humain, c’est-àdire que les indications que donnent Aperghis seraient une sorte d’aboutissement de la notation
d’indication musicale. D’une certaine manière, elles suggèrent plus que des termes comme presto ou
autres. Il se sert de son expérience de compositeur comme d’un moyen pour arriver à des fins
théâtrales. »
126
Entretien avec Sylvie Levesque
(Les 26 Juillet et 29 Août à Cachan)
Sylvie Levesque est comédienne. « Après plusieurs spectacles en France avec Patrick
Melior et Silvia Malagugini, elle est engagée en Italie par Carle Boso dans la compagnie du Tag Teatro
de Venise où elle interprète le rôle de la servante dans des spectacles de Commedia dell’Arte.
Installée en Italie de 1983 à 1991, elle travaille avec Eugenio Nattino, Marco Guzzardi et Gaetano
Callegaro avant d’être engagée par Leo de Berardinis pour deux spectacles de Teatro di Ricercar.
Retour en France et spectacles avec, entre autres, Jean Luc Revol, Topor (Ubu roi), Adriano Sinivia,
Luc Ferrari et Henri Fourrès, Rosine Lefèbvre, Laurent Serrano, Claude Montagné, Jean-Claude Berutti
et Marie Noëlle Rio. Elle collabore régulièrement en Italie avec Gabriele Vacis et Maurice Bercini. Elle
s’intéresse en outre à la traduction et à la mise en scène. Elle a été l’assistante de Jean-Claude
Berutti, Christian Fregnet et Jacques Lassalle. » 185
Connaissiez vous le travail de Georges Aperghis avant de travailler avec lui ? Qu’en pensezvous ?
J’ai pris connaissance de l’univers d’Aperghis par l’intermédiaire d’une amie. Elle m’a
conseillé de faire un des stages organisés par L’ATEM en 1995. C’est au cours de ce stage
avec Richard Dubelski que j’ai rencontré Georges Aperghis. Il a assisté à la représentation des
travaux effectués dans ce stage. Apparemment, il à été très intéressé par un jeu assez
burlesque que j’avais réalisé ce jour-là et il m’a dit qu’il voulait réaliser un spectacle, un jour,
avec moi. Cinq ans plus tard, il me rappelle pour me proposer Machinations.
Le stage de l’ATEM m’a fait complètement découvrir ce compositeur. J’ai assisté aux
représentations de Sextuor et Commentaires et j’ai commencé à me renseigner sur ce qu’il
avait fait.
A partir de mon expérience, je dirais que Georges Aperghis ressemble à Christophe
Colomb : il y a quelque chose qui le pousse au voyage. Il part avec un instinct fort pour le
projet des Indes. Il cherche un équipage. Puis il part en demandant à l’équipage de chercher
les Indes. Il maintient tout le monde pour éviter d’aller au mauvais endroit. Il maintient le cap
droit vers les Indes en étant sûr de lui. Mais au final, il tombe sur les Amériques. Une fois la
constatation faite, il a la générosité d’abandonner le projet.
Ensuite, il se retourne et voit le voyage effectué. Finalement, ce qui l’intéresse c’est le
voyage. C’est une espèce de construction qui s’effectue entre le projet et l’aléatoire. Il n’y a
127
pas énormément de règles. C’est alors que s’effectue un va-et- vient entre la construction et
l’aléatoire. C’est comme l’histoire de l’humanité qui évolue par expérience des choses. Ou
comme pour la construction des cathédrales avec les pierres déjà taillées des vestiges romains.
On la prend et on la pose là où elle rentre sans perdre de vue que l’idée c’est de faire une
cathédrale qui soit solide. G. Aperghis n’a pas peur de l’échec. Il va là où les interprètes
l’emmènent et a la capacité d’abandonner certaines pistes qu’il s’était donné pour les troquer
avec celles des interprètes qu’il considère comme bonnes. C’est en cela qu’il est très
généreux.
Il y a d’autres métaphores qui me viennes à l’esprit : il travaille comme un plasticien.
C’est-à-dire qu’il travaille avec ce que la matière lui impose (les interprètes jouent alors le
rôle de matières). Ou comme un luthier qui ne doit pas aller contre la nature du bois pour
arriver à fabriquer un violon.
Vous êtes musicienne ?
J’ai fait neuf ans de piano quand j’étais petite. Mais j’ai perdu beaucoup ma lecture
musicale. Depuis deux ans, j’ai repris des cours de chant lyrique. Mais j’ai un sens du tempo
et du rythme assez développé. Et ça je le dois autant au théâtre qu’à la musique. J’ai travaillé
longtemps dans une troupe de Commedia dell’Arte. Dans ce genre de troupes, on mime, on
danse, on fait de la musique, c’est très formateur !
Que vous a apporté le travail avec des musiciens ? Quelles différences avez-vous remarquée
entre le théâtre musical et le théâtre ?
Nous, comédiens, n’avons pas de référence à une technique extérieure à nous. Comme
les chanteurs notre instrument c’est nous, sauf qu’il n’y a pas de référence comme le diapason
et le métronome. Nous sommes éloignés des traditions, il faut toujours réinventer. Nous
subjectivons tout. En musique par contre, on est plus objectif : le la est à 440 Hz, le tempo est
déterminé etc. Pour nous, celui qui objective c’est le metteur en scène, nous sommes réunis
par lui. Un comédien n’a pas d’avis sur l’interprétation de son partenaire. C’est pour cela qu’il
peut être très susceptible. L’important dans un jeu entre acteurs c’est l’écoute. Un bon acteur
ne télécommande pas son partenaire. Il essaie d’abord d’être très engagé. Finalement, ce qui
est intéressant au théâtre ce sont les trous entre les répliques. On ne se concentre pas sur sa
partition mais sur l’écoute de l’autre. Pendant les répétitions de Machinations, j’ai été très
185
SZENDY Peter (textes réunis par), Machinations de Georges Aperghis, Coll. Compositeur d’aujourd’hui, Paris,
L’Harmattan, Iracm-Centre Pompidou, 2001, P. 150.
128
surprise que mes camarades me disent : « tu devrais faire ça comme ça ». C’est parce que ce
sont des musiciennes. Elles ont des règles dans la tête. L’interprète musical à une idée du
rendu. Dans mon cas j’ai tendance à prendre ça au subjectif. Moi, je n’osais pas dire tout cela.
Je préférais suggérer. Cela enrichit le propos et l’autre peut se l’approprier.
Plus précisément, quelles ont été les difficultés techniques que vous avez rencontrées pour
l’exécution de ce spectacle étant donné que vous étiez la seule « non-musicienne » ?
D’abord, l’apprentissage. Je n’ai pas réussi à apprendre le texte de Machinations par
cœur. Non pas que je ne pouvais pas (tout ce que je fais au théâtre est toujours par cœur
évidemment), mais plutôt parce que je n’en est pas eu le temps. J’espérais être en place avec
l’habitude des répétitions. Un acteur possède une façon d’apprendre très longue, étalée sur
une grande série de répétitions avec beaucoup d’italiennes. Pour Machinations, il n’y eut rien
de tout cela. Le spectacle à été monté en deux mois et il n’y a pas eu possibilité de faire une
seule italienne. Résultat : quelques jours avant la première : je n’étais pas prête. Je me suis
donc fabriqué une tablette derrière ma table pour poser un résumé de mes fiches.
Et pour la mise en place musicale ?
Donatienne, ma voisine du spectacle, m’a aidé à être « carrée » musicalement. Elle me
donnait des départs ou des points de repères. J’ai eu besoin de me faire des règles pour
exécuter le spectacle. Par exemple, Georges Aperghis est un peu intervenu pour le passage de
la boîte. Sinon, pour le reste, je me suis adaptée avec mon bagage de comédienne. Un acteur
travaille sur trois mémoires différentes : une mémoire musicale, une mémoire kinesthésique
(sur les mouvements et sur l’espace) et une mémoire du sens. C’est ce que je vous disais tout
à l’heure : ce qui est intéressant au théâtre c’est ce qui se passe entre les répliques. L’intérêt
du théâtre est que l’on réalise les pièces d’une façon infinie. Il y a une multitude de sens à
adopter. L’essentiel est de savoir ce qui se passe entre « to be or not to be » et « that is the
question ». Tout dans le sentiment d’un acteur est lié au sens. Pendant la première partie des
répétitions de Machinations, j’ai passé mon temps à jouer avec mes «Mikados ». J’étais en
écoute. Et en écoutant, je tissais du sens. Et pour retenir et jouer le spectacle, j’avais besoin de
trouver ce sens. Un concept et une image à la fois. C’est une chose qui n’est pas que de la
forme. Á tel moment, j’ai cette histoire- là dans la tête et c’est ce que je dois faire. Georges
Aperghis m’a fait plaisir quand il m’a dit qu’il cherchait du sens dans sa mise en scène. Il
cherche pour nous (les interprètes) la différence entre ce que l’on pense produire et ce que
l’on produit vraiment. C’est là qu’intervient la mise en scène dont nous sommes le matériau.
129
Et avec Georges Aperghis, cela marche. C’est une espèce de quiproquo fructueux. C’est en ce
sens aussi que je pense que Georges Aperghis ne nous manipule pas.
Quelle est la différence entre les textes de Georges Aperghis et un texte théâtral ?
Quand Georges Aperghis nous a donné ses textes à déchiffrer pour la première fois,
j’ai eu beaucoup de mal à les lire correctement et à les lire tout court ! Et j’ai été très surprise
de voir que mes trois camarades y arrivaient très facilement. Pourquoi ? Parce que je pense
qu’un musicien, par l’apprentissage du solfège, a l’habitude de changer de code facilement.
En tous cas plus facilement qu’un acteur. Pour ma part je lisais une suite de mots qui me
semblait mal agencée tandis que les autres lisaient une suite de sons, de phonèmes. J’ai mis du
temps à comprendre que c’était un « code faussement littéraire ». J’ai réalisé que c’était
vraiment de la musique.
Je pense que Georges Aperghis le voit aussi comme ça, c’est un type de notation qui lui
permet d’arriver à quelque chose de véritablement original.
Oui, c’est cela. La succession de ces mots est un code musical évident que les autres
ont réussi à déchiffrer sans trop de problèmes.
Quel serait pour vous le rôle d’une partition dans le théâtre musical ? Est-elle nécessaire ?
Pour la musique, je ne serais pas répondre de manière sûre. Pour le théâtre, je sais
qu’actuellement, il existe un archivage de vidéo pour les mises en scène. Cet archivage à un
sens pour la mémoire d’une société. Il peut être utile pour l’étude, l’analyse, mais je pense
qu’il serait inutile pour le public. Un art de la représentation s’adresse au public de son
époque.
La pérennité de ces pièces a-t-elle un sens ?
La pérennité est intéressante si la personne qui reprend à quelque chose à dire. Tout a
du sens si on se pose les bonnes interrogations, si la personne qui le fait trouveras des bonnes
raisons de le faire avec les éléments qu’il possèdera. L’archivage à du sens pour l’étude,
l’analyse. Par exemple, George s Aperghis travaille de manière « palimpsestique » (dans le
130
sens du livre de Genette). Et avec cet, archivage quelqu’un pourra intégrer cette œuvre pour
une autre œuvre. Il y a cette facette- là de la pérennité qui est intéressante.
Pour la musique, il fa udrait savoir si ce problème interroge celui de l’édition musicale.
Il serait intéressant de savoir pourquoi l’éditeur fait ce boulot- là. Est-ce qu’il cherche
uniquement à ce qu’on l’achète ? Quel sens il donne à l’édition ? Par exemple, pendant une
conférence, l’homme qui s’occupe de Georges Aperghis aux éditions Durand disait à propose
de la partition de Machinations que cela devenait paradoxal pour lui d’éditer une partition
sans une seule note. 186
C’est ce genre de problème qui donne son sens à l’interprétation. L’intérêt de
l’interprétation, c’est qu’elle change. L’interprétation c’est choisir le sens plutôt que la forme.
Moi, je suis une interprète. C’est pour cela que je ne peut pas répondre a la question de la
pérennité d’une œuvre. Ce serait trop m’avancer et d’une certaine manière tout ce que je vient
de dire à propos est à prendre d’une manière complètement subjective.
Pensez- vous que Georges Aperghis demande une certaine psychologie quand il précise « Joie
sauvage » dans fidélité par exemple ?
L’indication « Joie sauvage » dans un vocabulaire de théâtre est un état. En théâtre, nous
avons plusieurs choses bien distinctes : L’état, la situation, l’intention (ou l’objectif) qui est
toujours en rapport avec un autre personnage. Avec Beckett, on se libère de la situation. Et
pour chercher la psychologie d’une action, il faut être motivé par une situation précédente
(réelle ou fictive). Dans Machinations, tout ce que j’ai joué, ce sont des états. On en revient à
ce que je disais à propos du sens au début de l’entretien. C’est-à-dire que pour trouver un état,
je cherchais le sens de ce que j’allais faire. Et pour « Joie sauvage » c’est la même chose. En
associant joie et sauvage, Georges Aperghis nous invite à chercher du sens et pas de la
psychologie. Finalement, c’est presque de la poésie. C’est là que se rencontre le fond et la
forme. C’est de la poésie destinée à être représentée.
186
D’ailleurs, Machinations est une partition plus complète que d’autres spectacles car elle se présente sous la
forme d’une conduite. Ce qui n’a jamais été le cas avant ? Certes, mais je pense que c’est la présence de
l’informatique qui justifie cette conduite. Car la machine a besoin d’être réglée sur un déroulement temporel
fixe.
131
Justement, en parlant de poésie, on peut se demander s’il y a une différence entre un texte de
Georges Aperghis et un texte théâtral ?
Pour répondre à cette question, il faut étudier le théâtre contemporain. L’écriture
théâtrale a énormément changé depuis Beckett. Et je pense qu’il n’y a pas tant de différence
avec les textes théâtraux actuels. Antoine Vitez disait que l’on pouvait faire théâtre de tout 187 .
Si on le prend au mot, on peut dire que l’œuvre de Georges Aperghis est du théâtre. Comme
Beckett, il traite le sens sans le concept de situation. Avec Beckett, on est très éloigné de la
question de la vraisemblance, du réel. Avec Aperghis, on inclus l’imaginaire au réel. Dit
d’une autre manière, il s’agit d’un réel élargi à l’imaginaire. Je suis sûre que si l’on regarde
dans le Petit Robert, on trouve une définition de théâtre qui colle à Georges Aperghis :
(lecture du Petit Robert) « 1- Art visant à représenter devant public, selon des
conventions qui ont varié avec les époques et les civilisations, une suite
d’événements où sont engagés des êtres humains agissant et parlant. 3-Genre
littéraire ; ensemble des textes destinés a être représenté en action devant un public
cherchant à être mis en action. »188
Finalement, en étant très moderne, il revient à l’origine de la poésie. C’est à dire qu’il
revient à une espèce de conception de l’antiquité comme quoi les arts du temps n’étaient
qu’un seul. Il est proche de l’unité des trois muses de l’art. En étant proche de Beckett, il est
loin du théâtre de situation. En comprenant le théâtre d’aujourd’hui, on comprend mieux le
travail de Georges Aperghis et on s’aperçoit qu’il n’en est pas trop éloigné.
Comment comprenez-vous le fait qu’il utilise des didascalies avec des comparaisons ?
Utiliser des comparaisons, cela fait partie du travail théâtral. C’est de la direction
d’acteur. Les « comme si » sont des mots du vocabulaire théâtral. C’est comme cela que l’on
dirige un acteur. Les «comme si » sont des suggestions qui permettent de travailler sur le
sens. C’est de cette manière que l’on travaille un état. On représente un autre chose. C’est ce
187
188
Au passage Georges Aperghis dit aussi que l’on peut faire musique de tout
Dictionnaire le Robert 2001, Paris .
132
que je vous disais tout à l’he ure à propos de la recherche de l’écho du réel. Georges Aperghis
fait une suggestion du réel pour obtenir ce qu’il veut.
Mais une fois de plus, je tiens à souligner que c’est un point de vue d’interprète.
Antoine Vitez disait « l’acteur est un poète qui écrit sur le sable »189 . C’est cela. Tout ce que
je proposerais ou penserais ne sera qu’éphémère. Par contre, Aperghis n’écrit pas sur le sable.
C’est vraiment un compositeur. Alors, pour la pérennité, je ne sais pas s’il s’agit de retenir à
la fois l’auteur et l’interprète. C’est tout le problème de la tradition. En tout cas, je pense que
dans le cas de Georges Aperghis, il est un artiste qui accepte et demande d’être reconnus et
trahis à la fois.
189
Vitez Antoine, le théâtre des idées, anthologie proposé par Danièle Sallenave et Georges Bame, Paris, collec
nrf, Gallimard, 1991.
133
Bibliographie
Cette bibliographie indique un maximum de sources concernant les termes du sujet.
Des travaux sur l’esthétique musicale du théâtre musical ou plus spécifiquement sur celle de
Georges Aperghis n’ont pas été utile pour ce travail. De même, pour certaines partitions où
encore le film de Hugo Santiago et Georges Aperghis La fable des continent. Cependant, nous
avons crus utile de les indiqués pour proposer un maximum de piste de recherche à qui
étudierais ce mémoire.
Signalons aussi que certains des sites internet précisés concernent essentiellement
l’actualité du compositeur. Par conséquent, ils ne seront peut-être plus fiables dans les années
à venir.
Précisons enfin qu’il existe une grande quantité de dossiers documentaires (articles de
journaux, revues de presse) sur Georges Aperghis en archivage au C. D. M. C. et à la
médiathèque de l’I. R. C. A. M.
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STOÏANOVA Invanka, Geste-texte-musique, Paris, UGE, coll. 10/18, 1978.
VITEZ Antoine, Le théâtre des idées (Anthologie proposée par Danièle Sallenave et Georges Banu), Coll. Nrf,
Paris, Gallimard, 1991.
Sites Internet :
<http://www.cdmc.asso.fr>
<http://heinergeobbels.com>
<http://www.ictus.be>
<http://mediatheque.ircam.fr>
<http://www.salabert.fr>
<http://www.tem-nanterre.com>
137
Partitions Consultées
A PERGHIS Georges, Commentaires, Paris, éditions musicales Durand, 1996.
A PERGHIS Georges, Conversations, Paris, éditions musicales Salabert, 1985.
A PERGHIS Georges, De la nature de la gravité, Paris, éditions musicales Salabert, 1980.
A PERGHIS Georges, De la nature de l’eau, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
A PERGHIS Georges, Exercices, Variantes, Musique de «La bouteille à la mer », Paris, éditions musicales
Salabert, 1977.
A PERGHIS Georges, Fidélité, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
A PERGHIS Georges, Graffitis, Paris, éditions musicales Salabert, 1980.
A PERGHIS Georges, Le corps à corps, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
A PERGHIS Georges, Les guetteurs de sons, Paris, éditions musicales Salabert, 1980.
A PERGHIS Georges, Les jeteurs de sorts, Paris, éditions musicales Salabert, 1980.
A PERGHIS Georges, Le Rire physiologique, Paris, éditions musicales Salabert, 1983.
A PERGHIS Georges, Machinations, Paris, éditions musicales Durand, 2001.
A PERGHIS Georges, Quai n°1, Paris, éditions musicales Salabert, 1978.
A PERGHIS Georges, Récitations, Paris, éditions musicales Salabert, 1982.
A PERGHIS Georges, Self, Paris, éditions musicales Salabert, 1981.
A PERGHIS Georges, Sept crimes de l’amour, Paris, éditions musicales Salabert, 1979.
A PERGHIS Georges, Sextuor, Paris, éditions musicales Durand, 1993.
A PERGHIS Georges, Sports et rebondissements, Paris, éditions musicales Salabert, 1974.
CAVANNA Bernard, Cache-sax, Paris, Cotage E. A. S. 18222, 1985.
KAGEL Mauricio, Mirum, Londres, éditions musicales Universal Editions, 1974.
KAGEL Mauricio, Pas de cinq, Wandelszene, Londres, éditions musicales Universal Edition, 1967.
KAGEL Mauricio, Staatstheater, Londres, éditions musicales Universal Editions, 1971.
KAGEL Mauricio, Sonant (1960/…), éditions musicales Peters, 1961.
KAGEL Mauricio, Tremens, Londres, éditions musicales Universal Edition, 1973.
KAGEL Mauricio, Zwei-Mann-Orchester, Londres, éditions musicales Universal Editions, 1973.
LOUVIER Alain, Casta Diva, Paris, [s.l.], [s.d.].
LOUVIER Alain, Duel, Paris, éditions musicales Alphonse Leduc, 1971.
STOCKHAUSEN Karlheinz, Harlekin, Kürten, édition musicale Stockhausen-Verlag, 1978.
STOCKHAUSEN Karlheinz, Herbstmusik, Kürten, édition musicale Stockhausen-Verlag, 1977.
138
Discographie
A PERGHIS Georges, Sextuor - L’origine des espèces, Atelier théâtre et musique (ATEM), 1995, Harmonia
Mundi, MFA, 216004, CD00035501.
A PERGHIS Georges, Récitations, Martine Viard, 1995, Montaigne MO, 780227, CD00026501.
A PERGHIS Georges, Simulacre 1 ; Cinq couplet, Sept crimes de l’amour, 280 mesures pour clarinette, Il gigante
golia, Á bout de bras, Ensemble Accroche note, 1992, Accord 201992, CD00026401.
A PERGHIS Georges, Musique de chambre (la nuit en tête), Ensemble SIC Donatienne Michel-Dansac, Paris,
2002, Zig-zag Térritoires MFA, ZZT 020501.
A PERGHIS Georges, Die Hamletmaschine – Oratorio, SWR Vokalensemble Stuttgart, Ensemble Ictus, Cyprés,
CYP5607.
A PERGHIS Georges, Triangle carré, in Quatuor Arditti – Trio le cercle : œuvres pour quatuor à cordes et trio de
percussions, Paris, 1991, Montaigne MFA, MFA 216004-HM 73 DDD.
A PERGHIS Georges, Triptyque (Coupe de foudre/ Compagnie/ Fidélité), Brigitte et Gaston Sylvestre, Transes
Européennes, Night & Day, TE014.
Vidéos
HUGO Santiago/ APERGHIS Georges, Enumérations, 1988, INA.
HUGO Santiago / APERGHIS Georges, La fable des continents, 1991, INA, SACEM, ATEM, Atelier du Rhin.
M ATHIEU, Jean Baptiste, Autour de Conversations, 1996, co-production ATEM/JBM.
M ATHIEU, Jean Baptiste, Sans commentaires, Schiltighem, 1998, Les Films de l’Observatoire.
M OURIERAS Claude, Conversations de Georges Aperghis, 1987, ADAV.
139
Table des matières
Introduction………………………………………………………….p.8
p.8
Chapitre I : La notation dans le théâtre musical
p.11
Questions sur la notation………………………………………………..
p.12
p.12
1- La création musicale et l’écrit…………………………………………………….p.12
p.20
2- Rôle de la partition musicale………………………………………………………p.20
Définir le théâtre musical…………………………………………………
p.25
p.25
1- Nommer le théâtre musical………………………………………………………..25
p.27
2- Caractéristique du théâtre musical ………………………………………………..27
p.33
3- La réunion des arts ?………………………………………………………………p.33
Une marge d’imprécision dans le partition de théâtre musical
p.35
p.36
1- Écrire l’action……………………………………………………………………….p.36
p.43
2- La marge d’imprécision………………………………………………………….....p.43
Chapitre II : La notation de Georges Aperghis
p.47
A- La recherche d’une lisibilité immédiate………….………………………..p.48
p.48
p.50
1- La notation traditionnelle…………………………….……………………………..p.50
p.58
2- La notation scénique………………………………….…………………………….p.58
B- La focalisation sur les données temporelles
p.64
1- Configuration de la partition………………………………………………………..p.64
p.64
2- Précision de la temporalité des actions……………………………………………..p.67
p.67
3- Notation de l’essentiel : la musique……………………………………………...…p.74
p.74
140
p.75
C- La recherche d’une marge d’imprécision………………………………….
1- Écriture des textes…………………………………………………………………p.76
2- La notation du jeu scénique……………………………………………………….p.83
Chapitre III : Le rôle de la partition………………………..p.89
p.90
A- L’implication de l’interprète………………………………………………
p.90
1- Demandes inhabituelles…………………………………………………………….
p.93
2- Les limites de chaque discipline…………………………………………………. p.95
3- Les interprètes proposent des solutions……………………………………………p.97
B- Vers une création collective
p.97
1- La création de l’A. T. E. M………………………………………………………..p.98
2- Le travail collectif………………………………………………………………….p.102
3- La volonté d’échange humain……………………………………………………..p.105
C- La pérennité………………………………………………………………p.106
1- La musique de chambre………………………………………………………… p.106
2- Les spectacles complets…………………………………………………………. p.107
3- Les spectacles type “A. T. E. M.”………………………………………………. p.112
Conclusion…………………………………………………………
p.115
Annexes……………………………………………………………
141
Entretiens…………………………………………………………..
Avertissements……………………………………………………………....
p.116
p.116
p.117
Georges Aperghis……………………………………………………………
Françoise Rivalland………………………………………………………...
Éléna Andreyev……………………………………………………………..
Donatienne Michel-Dansac…………………………………………………
Emily Loizeaux……………………………………………………………..
Marie Delcambre……………………………………………………………
p.121
p.125
p.130
p.131
p.132
p.133
Sylvie Levesque……………………………………………………………..
p.140
Bibliographie…………………………………………………….
p.148
Table des matières
142
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