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E
CADRE
THÉORIQUE
capitaliste). Ces deux positions, qui constituent des pôles antithétiques
dans le champ épistémologique, symbolisent des visions unilatérales
inversées : le volontarisme de la philosophie du sujet l’empêche d’avoir
une compréhension adéquate de la structure de la société et de ses modes
de fonctionnement ; une notion adéquate d’action sociale fait défaut dans
la philosophie sans sujet, focalisée qu’elle est sur la domination des struc-
tures mentales et sociales.
Cependant, à la lecture des premières œuvres de Bourdieu [1958 ;
1972 ; 1980a, p. 7-41], qui portent sur l’Algérie et la Kabylie, on remar-
que immédiatement la sympathie à peine voilée que l’auteur éprouve pour
la pensée structuraliste. Notre thèse est qu’il s’appuie sur trois points
essentiels de la méthode structuraliste. Tout d’abord, cette méthode rompt
avec le mode de pensée substantialiste (fréquent en sciences sociales) qui
parle de la société, du capitalisme ou de la classe ouvrière comme si ces
unités abstraites pouvaient réellement agir. Au lieu de penser en termes de
substance, la méthode structuraliste oblige à penser en termes de relations,
ce qui « conduit à caractériser tout élément par les relations qui l’unissent
aux autres en un système et dont il tire son sens et sa fonction » [Bourdieu,
1980a, p. 11]. Il est alors possible de saisir les différentes structures
comme des paires dichotomiques, par exemple l’âge avec le couple jeune/
vieux ou le sexe avec le binôme masculin/féminin, et d’interroger les cor-
rélations qui existent entre ces structures. Enfin, il faut rechercher les lois
de la transformation qui traduisent des structures de premier ordre en
structures de deuxième (ou de énième) ordre. Si elle réussit, cette étape
permet de prouver qu’il existe des homologies entre différentes structures,
de déterminer les mécanismes qui agissent en leur sein et, enfin, d’expli-
quer comment une structure se transforme en une autre.
Que faut-il entendre concrètement par une pensée relationnelle et par
des notions comme celles d’empreintes structurales dichotomiques ou
d’homologies structurales ? Deux exemples tirés des études de Bourdieu
sur l’ethnographie de la Kabylie et sur la société française permettent
d’illustrer le mode de pensée structural et sa logique. Les sociétés archaï-
ques, comme celle des Kabyles, une tribu berbère d’Algérie, sont structu-
rées par l’âge, le sexe et la parenté. À partir du sexe, de l’opposition
homme/femme, il est possible de reconstituer l’ensemble de l’ordre social
et spatial de la société. Le résultat est le suivant : « L’espace habité — et
au premier chef la maison — est le lieu privilégié de l’objectivation des
schèmes générateurs et, par l’intermédiaire des divisions et des hiérar-
chies qu’il établit entre les choses, entre les personnes et entre les prati-
ques, ce système de classement fait chose inculque et renforce
continûment les principes du classement constitutif de l’arbitraire cultu-
rel. Ainsi, l’opposition entre le sacré droit et le sacré gauche, entre le
nif
et le
h’aram
, entre l’homme, investi de vertus protectrices et fécondantes,
Chapitre 2 F.fm Page 50 Mercredi, 12. avril 2006 2:06 14
Document téléchargé depuis www.cairn.info - univ_sherbrooke - - 132.210.244.226 - 02/09/2012 14h11. © La Découverte
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