perceptions du capital humain dans les projets - LEM Lille

PERCEPTIONS DU CAPITAL HUMAIN DANS LES PROJETS DE
RECHERCHE COMMUNAUTAIRE : ANALYSE EXPLORATOIRE DE
TROIS SCHÉMAS DE FINANCEMENT TYPES
Isabelle Kustosz
AIRMAP | « Gestion et management public »
2015/1 Volume 3 / n°3 | pages 33 à 51
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2015-1-page-33.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
!Pour citer cet article :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Isabelle Kustosz, « Perceptions du capital humain dans les projets de recherche communautaire :
analyse exploratoire de trois schémas de financement types », Gestion et management public
2015/1 (Volume 3 / n°3), p. 33-51.
DOI 10.3917/gmp.033.0033
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Distribution électronique Cairn.info pour AIRMAP .
© AIRMAP . Tous droits réservés pour tous pays.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des
conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre
établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière
que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en
France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
Revue Gestion et Management Public
Vol.3, n°3
Mars/Avril 2015
Perceptions du capital humain dans les projets de recherche
communautaire : analyse exploratoire de trois schémas de
financement types.
Isabelle KUSTOSZ1
Résumé
Le cas du Programme-Cadre de Recherche et
de Développement Technologique de l’UE
(PCRDT) offre un terrain privilégié pour
investir la question du capital humain. Ce
programme-cadre inaugure, dès 1984, un
renouvellement du mode de management de
la recherche publique et contribue, par
conséquent, à reconsidérer le capital humain
dans l’économie des projets financés. Du
point de vue de la théorie du capital humain,
la participation à un projet de recherche
communautaire (a fortiori la coordination)
peut être vue par les chercheurs comme un
investissement susceptible de générer des
« gains de carrière » par la formation à la
recherche, la professionnalisation, la
capitalisation d’expériences, voire l’ouverture
aux réseaux que le projet permet. A partir de
l’analyse de schémas de financement types,
cette contribution expose la façon dont les
chercheurs perçoivent l’investissement en
capital humain induit par leur coordination de
projets communautaires. Elle propose de
mettre en exergue trois schémas de
financement spécifiques du PCRDT 7
(Recherche collaborative, Conseil européen
de la recherche, Actions Marie Curie) qui
dessinent des types de perceptions du capital
humain très différenciées renvoyant
respectivement à des modes d’implication
contrastés de la part des chercheurs. Enfin, à
la lumière de la richesse contextuelle de ces
trois cas, elle présente quelques pistes
conceptuelles (économie des singularités,
capabilités, hypothèse des cycles de vie)
1 Ingénieure de recherche à l’IAE LILLE et
chercheuse au laboratoire LEM Lille Economie &
Management, Univ. Lille, CNRS UMR 9221, 104
avenue du Peuple Belge 59043 Lille CEDEX,
isabelle.kustosz@univ-lille1.fr
permettant de dépasser l’approche
économique classique du capital humain,
pour valoriser des approches alternatives.
Mots clés :
Recherche publique, Capital humain,
Programme Cadre, Union européenne,
Gestion des ressources humaines.
Perceptions of human capital within
european research projects: exploratory
analysis of three funding schemes
Abstract The European Framework programme for
research and technical development offers a
fertile ground to investigate the question of
human capital. Since 1984 this framework
programme has brought a renewal of the ways to
manage public research and, by consequence, a
reconsideration of human resources within funded
projects. In the field of human capital theory,
researchers can consider coordination of
European research project as an investment likely
to benefit their career through training,
professionalization, capitalization and networking
which their participation allows. From the analysis
of funding schemes, this contribution exposes the
contrasted ways that researchers perceive
this human capital investment. Underlining three
FP 7 specific funding schemes which draw very
differentiated types of perceptions of human
resources (Collaborative project, European
Research Council, Marie Curie Action) this article
suggests a more subtle characterization of the
roles of researchers. Finally, in reference to these
three cases, the contribution presents some
concepts which can be used to supersede
the classical approach to human capital, to suggest
alternative approaches (Economics of singularities,
capabilities, life-cycle hypothesis).
Key-words: Public research, Human capital,
Framework Programme, European Union, Human
Resources Management.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
Perceptions du capital humain dans les projets de recherche communautaire :
analyse exploratoire de trois schémas de financement types / Isabelle KUSTOSZ
34
Introduction
Dans le cadre d’une recherche sur
l’institutionnalisation de l’activi de
recherche dans le cas du programme-cadre
de recherche et de développement
technologique de l’Union Européenne
(PCRDT), un vaste matériau empirique
(recommandations, rapports,
communications, documents de travail,
règlements, appels à projets, entretiens et
observations directes etc.) a été rassemblé
pour étudier les impacts organisationnels et
paradigmatiques du programme sur la
recherche publique, au niveau
communautaire et infracommunautaire. Dans
une perspective qualitative, la contribution
présentée ici s’appuie essentiellement, parmi
ce matériau empirique, sur trois entretiens
centrés - menés auprès de chercheurs
coordinateurs de projets - permettant
d’analyser trois schémas de financement
emblématiques du programme-cadre, à
l’aune de la problématique du capital humain.
Les coordinateurs de projets développent en
effet un discours à la fois sur leur propre
capital humain comme sur celui des
chercheurs qu’ils ont recrutés ou associés, et
qui sont généralement qualifiés du terme de
« participant ». Ce choix méthodologique a
été guidé par la volonté de comparer des cas
contrastés en termes d’expériences vécues,
afin « d’atteindre le lebenswelt de
l’informant, de capturer l’essence d’un
compte rendu » (Miles, Huberman, 2010, p.
22). L’intérêt de cette phase exploratoire
réside dans le fait qu’elle est focalisée sur ces
trois cas très contextualisés qui permettent
d’analyser les perceptions des coordinateurs
quant à l’investissement en capital humain
mis en œuvre dans le cadre des projets. Notre
approche est interprétativiste et s’appuie sur
l’observation empathique et compréhensive
d’événements singuliers pour lesquels une
lecture adéquate des situations données est
proposée, lecture qui constitue la
connaissance nouvelle (Dumez, 2013 ; Girod-
Séville, Perret, 1999). De fait notre
méthodologie est de type inductive,
puisqu’elle part des observations de données
du terrain obtenues par analyse de
documents et recueil de témoignages, qu’elle
met en regard de modèles théoriques
susceptibles d’en offrir une lecture.
Partant du principe que la théorie du capital
humain est davantage une question de
représentations, voire de conventions
(Guillard, Roussel, 2010), qu’une question
d’enchaînement causal entre éducation (une
analogie est faite ici entre éducation et
aptitude à conduire des projets de
recherche), productivité et rémunération - tel
que prôné par l’analyse orthodoxe (Becker,
1964) -, il s’agit de s’attacher davantage aux
perceptions des individus qu’à une analyse
économique des gains induits par la
coordination de projets. Considérer que la
théorie du capital humain vaut surtout pour
l’analyse des représentations du rapport que
les individus ont à leur travail - qu’elle
constitue de ce point de vue un « mode de
connaissance rhétorique et non
démonstratif » (Poulain, 2001, p.2),
autrement dit qu’elle est avant tout une
métaphore (McCloskey, 1983, p. 504) -
permet d’analyser les représentations que les
chercheurs ont de leur investissement dans la
coordination de projets communautaires, de
l’évolution de leur carrière et de leur statut. Il
convient tout d’abord de rappeler à quel
point le concept de capital humain reste
ambigu après cinquante ans d’existence. Dans
leur revue de littérature de 2011, Wright et
Mc Mahan soulignent particulièrement les
différences significatives entre l’approche
individuelle et l’approche organisationnelle.
La première s’intéresse à la façon dont
subjectivement, des individus font des choix
de formation susceptibles d’avoir un impact
économique positif en termes de
rémunération notamment. La seconde en
revanche dépasse le niveau individuel pour
envisager le capital humain comme une
ressource stratégique de l’organisation.
L’ambigüité de la définition (p. 95) réside
donc dans cet écart entre choix individuels et
performance organisationnelle, et par
même entre la mesure conventionnelle des
caractéristiques de formation, de
compétences, d’expériences supposées avoir
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
Revue Gestion et Management Public
Vol.3, n°3
Mars/Avril 2015
35
des répercussions positives et la capacité des
organisations à agréger ces caractéristiques
individuelles pour générer un avantage
compétitif avéré. De nombreux auteurs
travaillent actuellement à établir le lien entre
le niveau individuel et le niveau
organisationnel en insistant sur la façon dont
les traits de caractères et le contexte de
travail notamment favorisent ou pas le capital
humain entendu comme ressource
d’organisation. Dans cette contribution,
l’approche individuelle est privilégiée, mais
l’éclairage contextuel du programme-cadre
est régulièrement sollicité. Il convient alors de
donner également des éléments de
compréhension du PCRDT, qui est un
instrument complexe et peu connu en dépit
de son influence déterminante sur le
management des ressources humaines d’une
recherche publique en quête de productivité
(Bruno, 2008). Que lui soit associé dans la
communication institutionnelle de l’UE,
l’image du « triangle de la connaissance » qui
associe formation-recherche-innovation ou
de la triple hélice qui associe quant à elle
université-industrie-gouvernement (Shinn,
2002), c’est l’impact de la recherche sur la
croissance et l’emploi de l’Union européenne
qu’il est censé soutenir. Répondant aux
orientations de l’UE en matière de promotion
de l’économie de la connaissance, le design
de cet instrument de programmation intègre
de nombreuses considérations répondant à
des critères de productivité : d’une part la
programmation est « top-down » pour
l’essentiel, soit les trois quart des 10 milliards
annuels d’euros qu’il représente, afin
d’allouer les ressources financières et
humaines sur des priorités thématiques;
obligation de résultats d’autre part, entendue
comme capacité des chercheurs à rendre
compte de l’efficacité, voire de l’efficience de
leurs recherches dans un certaine logique de
retour sur investissement (Muldur, 2006). La
participation des chercheurs publics à ces
projets induit des changements
organisationnels au sein des organismes
publics de recherche qui touchent
principalement les domaines de la gestion des
ressources humaines, de la valorisation de la
recherche et de la gestion de la propriété
intellectuelle et industrielle alors que les
chercheurs impliqués mettent en œuvre,
outre leurs compétences scientifiques, des
compétences managériale, entrepreneuriale
et connexionniste.
La place du chercheur dans l’économie des
projets revêt alors une importance
particulière, d’autant qu’elle est considérée
par l’institution européenne, à la fois comme
une ressource (le salaire des chercheurs
statutaires est valorisé en fonds propres) et
comme un investissement (la participation
des chercheurs contribue à la création d’un
espace européen de la recherche (André,
2006)). La structure même des appels à
projets lancés par la Commission, fait de la
GRH un paramètre incontournable au regard
d’une approche classique du capital humain.
La volonté de limiter les risques financiers ou
de non-résultats se traduit par le contrôle des
temps de travail consacrés à la recherche et
l’articulation des compétences. Le système
des feuilles de temps, mises en place pour
convertir le temps passé à mener la recherche
en coûts (Kustosz, 2012) utilise notamment
l’unité personne/mois comme unité de
mesure de base grâce à laquelle le poids
budgétaire du chercheur est calculé soit en
ressources (s’il s’agit de valoriser du
personnel apporté en fonds propres) soit en
dépenses (s’il s’agit de recruter le personnel
spécifiquement pour le projet). Par ailleurs le
découpage et l’assemblage des compétences
en « paquets de travail » organise une
complémentari des tâches entre
partenaires du réseau de recherche, dont on
attend la plus grande efficacité (Diagrammes
de Gantt et de PERT visant à articuler les
workpackages sont des points de passages
obligés du montage des projets).
L’intégration, voire la routinisation par les
communautés de recherche de ces
contraintes peut faire l’objet d’une lecture
critique insistant sur la dimension réifiante de
ces pratiques gestionnaires (Honneth, 2006).
Cependant du point de vue de la théorie du
capital humain, la participation à un projet de
recherche communautaire (a fortiori la
coordination) peut également être vue par les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
Perceptions du capital humain dans les projets de recherche communautaire :
analyse exploratoire de trois schémas de financement types / Isabelle KUSTOSZ
36
chercheurs comme un investissement
susceptible de générer des « gains de
carrière » par la formation à la recherche, la
professionnalisation, la capitalisation
d’expériences, voire l’ouverture aux réseaux
ainsi permises.
Cette contribution qui consiste à analyser la
façon dont les chercheurs perçoivent
l’investissement en capital humain induite par
leur coordination de projets communautaires,
procédera en trois parties. Tout d’abord, elle
propose de mettre en évidence trois schémas
de financement spécifiques qui dessinent
trois types de perceptions du capital humain
très différenciées renvoyant respectivement à
des modes d’implication contrastés de la part
des chercheurs. Dans un deuxième temps, à la
lumière de la richesse contextuelle de ces
trois cas, il s’agira de présenter quelques
pistes conceptuelles issues de
rapprochements analogiques, permettant de
dépasser l’approche économique classique du
capital humain, pour envisager des approches
alternatives. Enfin, des éléments de
discussion seront proposés autour
notamment de l’articulation entre ces
perceptions individuelles et le management
de la recherche à l’échelle communautaire.
1. Perceptions du capital humain dans
le cas de trois schémas de
financement types
Cette partie vise à montrer que des
différenciations significatives existent entre
certains schémas de financement du PCRDT 7
(2007-2013) et que des regroupements
peuvent être proposés entre leurs
particularités respectives et la perception du
capital humain qu’elles favorisent chez les
coordinateurs de projet. Les trois schémas de
financement types analysés dans cette
contribution ont été retenus d’une part pour
leur intensité, à savoir qu’ils donnent un accès
riche à une interprétation orientée vers le
capital humain, et d’autre part pour leur
variation maximale, qui nous permet de
dégager de façon contrastée des patterns,
voire des postures archétypales (Miles,
Huberman, p. 60) ou idéaltypiques.
Ainsi trois entretiens ont été menés en 2011
auprès de coordinateurs de projet. Chacun
renvoie à un schéma de financement
particulier. Ces différents schémas de
financement sont aisément distingués selon
plusieurs critères : la durée, le budget,
l’approche top down ou bottom up, le
nombre de partenaires contractuels
concernés etc. Nous présentons dans le
tableau 1 une matrice entre ces critères et les
trois cas ci-dessous :
1- un projet collaboratif Large scale du
programme « Recherche collaborative -
Coopération »,
2- un projet Advanced grant du Conseil
européen de la recherche - ERC -
programme « Idée »,
3- un projet IRSES (International Research
Staff Exchange) Marie Curie du
programme « Personne » (People).
L’analyse comparée de ces schémas de
financement (tableau 1) à travers ces cas
contrastés permet de dégager trois types de
perceptions quant à la façon dont les
chercheurs envisagent l’impact de la
coordination du projet sur leur propre capital
humain. Conformément au positionnement
décrit en introduction, selon lequel le
« capital humain » est avant tout considéré
comme une métaphore, des métaphores
utilisées par les informants eux-mêmes dans
les entretiens ont été également extraites et
soulignées pour caractériser ces différentes
perceptions :
- informant 1 : « L’effet boule de
neige »
- informant 2 : « Le sillon lentement
creusé »
- informant 3 : « Des portes qui
s’ouvrent »
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.220.72.78 - 27/10/2015 14h20. © AIRMAP
1 / 20 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !