Cancer gastrique, une prise en charge multidisciplinaire

INTRODUCTION
Lecancer gastrique est une pa-
thologie fréquente. Il représente
àl’échelle planétaire environ
934 000 nouveaux cas par année selon
le Centre international de recherche sur
le cancer (IARC) soit 8,6% de la totalité
des nouveaux cancers. Ceci le porte à la
quatrième place en termes d’incidence
derrièreles cancers du poumon (12,4%),
du sein (10,6%) et colorectal (9,4%). Le
cancer gastrique est plus fréquent chez
l’homme avec un rapport 2 : 1.1Il repré-
sente la deuxième cause de mortalité
oncologique (10,4%) après le cancer du
poumon (17,6%). On note une grande
disparité géographique de sa prévalen-
ce, avec une prédominance dans les pays
en voie de développement (60% des cas).
En ce qui concerne l’Europe, l’incidence
est la plus élevée en Europe de l’Est ainsi
qu’au Portugal.
Au cours des dernières décennies, on
aconstaté au niveau mondial une dimi-
nution de la prévalence et de la mortalité
du cancer gastrique. En Suisse, la mor-
talité annuelle liée au cancer gastrique a
diminué de 72% entreles années 1980
et 2001.2Une des hypothèses les plus
communément avancées pour expliquer
cette baisse est le changement des
moyens de conservation des denrées ali-
mentaires avec l’arrivée de la réfrigéra-
tion. Celle-ci a permis de réduire la salai-
son, la saumure et le fumage des aliments
et d’augmenter la consommation de lé-
gumes et fruits frais. La reconnaissance
d’autres facteurs de risques tels que l’He-
licobacter pylori (HP) et son éradication y
ont probablement également participé.
Mentionnons également un déplace-
ment de la distribution des cancers gas-
triques distaux de l’antre vers les tumeurs
proximales du cardia.3Une explication
avancée est une relation inverse avec
l’infection de l’HP (contrairement aux tu-
meurs distales), dont l’incidence diminue
dans les pays industrialisés suite aux
campagnes d’éradication.4Ces tumeurs
sont plus fréquentes chez les hommes
avec un rapport 5 : 1 et chez les Cauca-
siens.5D’autres facteurs les distinguent,
notamment un lien plus intime au taba-
gisme, une association à l’obésité res-
ponsable de reflux gastro-œsophagien,6
ainsi qu’une plus grande agressivité.7
PATHOGENÈSE ET FACTEURS
DE RISQUES
Ala différence du cancer colorectal
où une séquence par étapes conduit de
la dysplasie au carcinome, celle-ci n’est
pas formellement établie dans le cancer
gastrique. Toutefois un modèle est géné-
ralement accepté pour le cancer gas-
trique de type intestinal uniquement, qui
décrit une progression de la gastrite
chronique à la gastrite chronique atro-
phique, puis à la métaplasie intestinale
et la dysplasie avant la transformation
éventuelle en adénocarcinome.8
Les principaux facteurs de risque sont
les facteurs environnementaux. Il est in-
téressant de constater que des études
de migration montrent que les popula-
tions à risque élevé tendent à réduirece
risque lors d’émigrations dans des zo-
nes à plus faible risque, surtout dès les
deuxième et troisième générations.9Les
facteurs environnementaux ont donc pro-
bablement plus d’influence que les fac-
teurs génétiques. Les facteurs incriminés
sont une nutrition salée et fumée (riche
en nitrates) et pauvre en légumes et fruits
frais. La consommation d’alcool ainsi que
le tabagisme sont également cités. La
vitamine C et le bêta-carotène ont possi-
blement des effets protecteurs.
Un facteur étiologique spécifique est
l’HP
.Bien que des études initiales aient
conduit à désigner HP comme carcino-
gène humain dès 1994, les données plus
récentes suggèrent qu’il ne serait qu’un
cofacteur dans la carcinogenèse gastri-
que (élément incriminant pour les tumeurs
distales et possiblement protecteur pour
les tumeurs du cardia). Le risque pourrait
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oncologie pour le praticien
Rédaction :
P
. Bohanes
A. D. Roth
O. Huber
Coordination rédactionnelle :
M. S.Aapro
P.-A. Plan
Cancer gastrique, une prise en charge
multidisciplinaire
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Adresse
Drs Pierre Bohanes et Arnaud D. Roth
Département de médecine interne
Dr Olivier Huber
Département de chirurgie
HUG, 1211 Genève14
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être augmenté selon la souche d’HP et
ses facteurs de virulence, ainsi qu’en
fonction du polymorphisme de certains
gènes pro-inflammatoires de l’hôte (inter-
leukine 1 bêta) déterminant la qualité et
l’intensité de sa réponse inflammatoire à
l’agent pathogène.10Pour l’instant, les
données sur l’éradication d’HP chez les
sujets sains n’ont pas montré de diminu-
tion de la survenue de cancers gastri-
ques.11 D’autres études à plus grande
échelle sont en cours.
Citons quelques autres facteurs pré-
disposants, cliniquement moins perti-
nents, tels qu’un antécédent personnel
de gastrectomie pour maladie bénigne,
la radiothérapie, l’anémie pernicieuse, la
maladie de Ménétrier et, possiblement,
le virus Epstein-Barr.
PRÉDISPOSITION FAMILIALE
Les agrégations familiales représen-
tent une proportion probablement non
négligeable de cette maladie, comme sug-
géré dans certaines études italiennes qui
montrent une agrégation familiale dans
10% des cas.12 L’atteinte germinale res-
ponsable n’est connue que dans une mi-
norité de cas. Les syndromes héréditaires
autosomaux dominants connus sont : le
syndrome de Lynch ou Hereditary non-
polyposis colorectal carcinoma cancer
(HNPCC) qui représente un risque majeur
(jusqu’à dix-neuf fois), la polypose fami-
liale qui conduit cependant à un cancer
gastrique dans moins de 10% des cas, et
la mutation du gène de la cadherin-E
(CDH1) qui est responsable de cancers
gastriques de type diffus (ainsi que de
carcinomes du sein lobulaires). Des cri-
tères de consensus pour le diagnostic
de cancer gastrique familial ont été pro-
posés (tableau 1) afin de proposer un
dépistage génétique.13 Le groupe à l’ori-
gine de ce consensus recommande une
gastrectomie prophylactique dès l’âge
de vingt ans en cas de mutations de
CDH1. Ces critères complètent les cri-
tères de Bethesda et d’Amsterdam utili-
sés pour le dépistage du HNPCC.
PATHOLOGIE ET
CLASSIFICATION
Ilexiste actuellement deux classifica-
tions pathologiques communément utili-
sées. La première a été développée par
Lauren et la deuxième par l’OMS. Lauren
adivisé les cancers gastriques en deux
types principaux: intestinal et diffus.14Le
type intestinal est constitué de structures
glandulaires, généralement bien délimi-
tées. Le type diffus est composé de petites
cellules rondes qui s’étendent plus ou
moins diffusément dans la paroi gastrique.
La classification de l’OMS, moins com-
munément utilisée, est basée essentiel-
lement sur des critères morphologiques.15
Elle comprend les types papillaires, tubu-
laires, mucineux et à cellules en bague à
sceau. La linite plastique est une unité
anatomopathologique macroscopique
résultant d’une infiltration extensive de la
paroi gastrique par un cancer gastrique
de type diffus. Son aspect typique d’es-
tomac tubulaire rigide se voit lors d’un
transit baryté.
En ce qui concerne la définition du
stade d’extension, la classification TNM
reste le standardinternational (tableaux
2et 3).Des analyses multivariées ont
montré que la classification de Lauren
garde une valeur pronostique, le type
diffus ayant le plus mauvais pronostic
même après considération du stade
TNM.16Lecancer gastrique est malheu-
reusement souvent diagnostiqué tardi-
vement dans les pays occidentaux. La
survie à cinq ans aux Etats-Unis est de
78%, 58%, 34%, 20%, 8% et 7% res-
pectivement pour les stades IA, IB, II,
IIIA, IIIB et IV.17 La survie moyenne glo-
bale à cinq ans, tous stades confondus,
est de 31% pour les femmes et de 25%
pour les hommes. Ces valeurs sont com-
parables en Europe avec une survie à cinq
ans de 25,4% pour les femmes et de 20%
pour les hommes.18
CLINIQUE
Les symptômes cliniques initiaux les
plus fréquents sont peu spécifiques, ce
qui explique le diagnostic tardif: épigas-
tralgies, nausées, vomissements et perte
pondérale. Cette dernière est plus sou-
vent consécutive à une prise calorique
insuffisante (liée à des symptômes obs-
tructifs) qu’à un catabolisme excessif. La
dysphagie est fréquente surtout dans les
tumeurs proximales et entraîne un amai-
grissement rapide. Il est intéressant de
noter que bien qu’une spoliation occulte
soit commune, une hémorragie digestive
massive (méléna ou hématémèse) est
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M2cancers gastriques de type diffus
chez un parent du 1er/ 2edegré dont un
de l50 ans ou
M3cancers gastriques de type diffus
chez un parent du 1er/ 2edegré à
n’importe quel âge
Tableau 1. Critères de consensus
pour le diagnostic de cancer gas-
trique familial par l’International
Gastric Cancer Linkage Consor-
tium (IGCLC)
Tumeur primaire (T)
Tis Carcinome in situ (tumeur intra-épithéliale sans infiltration de la lamina propria)
T1 Tumeur envahit la lamina propria ou la sous-muqueuse
T2 Tumeur envahit la musculaire propre (T2a) ou la sous-séreuse (T2b)
T3 Tumeur perfore la séreuse (envahit le péritoine sans invasion des structures
avoisinantes)
T4 Tumeur envahit les structures avoisinantes (rate, côlon, foie, pancréas, glandes
surrénales, intestin grêle, diaphragme, paroi abdominale et rétropéritoine)
Ganglions lymphatiques régionaux (N)
N0 Pas de métastases dans les ganglions régionaux
N1 Métastases dans 1 à 6 ganglions régionaux
N2 Métastases dans 7 à 15 ganglions régionaux
N3 Métastases dans L15 ganglions régionaux
Métastases à distance (M)
M0 Pas de métastases à distance
M1 Métastases à distance (les ganglions rétropancréatiques, paraaortiques, portes,
rétropéritonéaux et mésentériques sont considérés comme métastatiques)
Tableau 2. Classification TNM des cancers gastriques (AJCC 2002)
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relativement rare. A l’examen clinique, la
trouvaille la plus fréquente signant une
dissémination métastatique par voie lym-
phatique est la présence d’une adéno-
pathie sus-claviculaire gauche (ganglion
de Troisier ou de Virchow). On peut éga-
lement trouver une adénopathie axillaire
gauche (nœud d’Irish) ou une métastase
périombilicale (nodule de Sœur Marie Jo-
seph). La carcinose péritonéale se mani-
feste généralement par l’apparition d’une
ascite.
DIAGNOSTIC ET
STADIFICATION
Le diagnostic du cancer gastrique
repose sur une biopsie par voie endo-
scopique (gastroscopie) ou par voie chi-
rurgicale. Il est essentiel de pratiquer
plusieurs biopsies de la zone suspecte
(classiquement sept biopsies) en raison
d’une mauvaise sensibilité de la biopsie
unique (98 vs 70%).19 Dans le cas de
certaines tumeurs de type histologique
diffus, les biopsies extensives peuvent
malgré tout revenir négatives en raison
d’une infiltration tumorale uniquement
sous-muqueuse. Il faudra alors avoir re-
cours à des biopsies profondes.
On dispose de plusieurs outils pour
définir le stade tumoral (tableau 4). L’exa-
men standard pour évaluer l’extension
locorégionale est l’échoendoscopie. Elle
est, de loin, le meilleur moyen d’évaluer
l’extension de la tumeur primaire (sta-
de T); elle procure également des rensei-
gnements de valeur sur une éventuelle
atteinte ganglionnairelocorégionale (sta-
de N), démontrant parfois de surcroît la
présence de liquide libre intrapéritonéal
faisant suspecter une carcinose périto-
néale. Elle donne également la possibilité
de ponctionner les ganglions ou masses
suspectes. Il s’agit cependant d’un exa-
men difficile, dont le rendement dépend
énormément de l’expérience de l’exami-
nateur.Ainsi, il est de plus recommandé
d’effectuer un CT-scan thoraco-abdominal
afin d’exclure une dissémination tumorale
àdistance, notamment hépatique, pulmo-
naire ou ovarienne (tumeur de Kruken-
berg), et d’étudier les aires ganglionnaires
régionales. Il faut savoir qu’un CT-scan
négatif ne permet pas d’exclure avec cer-
titude une atteinte péritonéale, car sa sen-
sibilité est mauvaise sur ce point (20%
de faux négatifs).20La laparoscopie ex-
ploratrice (ou éventuellement le lavage
péritonéal) permet de s’assurer de la ré-
sécabilité en excluant la carcinose péri-
tonéale, surtout en cas de tumeur avan-
cée T3-T4. Enfin, le transit baryté peut
quant à lui s’avérer utile en vue de l’in-
tervention chirurgicale, surtout en cas de
traitement néoadjuvant préalable, car il
permet de localiser précisément la tu-
meur sur l’organe, ce qui sera crucial
pour la tactique chirurgicale, tout particu-
lièrement en cas de réponse complète. Il
permet également de différencier une
tumeur du tiers distal de l’œsophage
d’une tumeur gastrique proximale, cha-
cune exigeant une approche chirurgicale
différente.
Il n’y a pas actuellement de preuve
qu’un PET-CT de routine apporte un bé-
néfice dans le cancer gastrique. Il peut
toutefois contribuer à la détection de
métastases lorsque le bilan effectué (CT
ou IRM) est équivoque, notamment pour
la détection de métastases hépatiques.
Par contre, il est peu utile pour exclure
une dissémination péritonéale.21 Une
application prometteuse du PET-CT est
la possibilité de déterminer quels sont
les patients qui bénéficient d’une chimio-
thérapie néoadjuvante : une diminution
précoce de l’hyperactivité métabolique
tumorale déjà quelques semaines après
le début de la chimiothérapie semble en
effet prédire fidèlement la réponse au
traitement.22 En l’absence d’une répon-
se précoce, la chimiothérapie sera alors
interrompue. Cette diminution précoce
de l’hyperactivité métabolique semble
par ailleurs être un facteur indépendant
de bon pronostic.
Les marqueurs tumoraux (CEA et
CA19-9) n’ont pas de place lors du diag-
nostic. Ils peuvent par contre s’avérer
utiles dans le suivi du traitement oncolo-
gique. La scintigraphie osseuse n’est pas
effectuée de routine.
PLAN THÉRAPEUTIQUE
Il est capital de s’entendreavec les
différents intervenants sur la stratégie
thérapeutique dès le diagnostic d’une
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Tumeur primaire (T) Ganglions lymphatiques Métastases
régionaux (N) à distance (M)
Stade 0 Tis N0 M0
Stade IA T1 N0 M0
Stade IB T1 N1 M0
T2a/b N0 M0
Stade II T1 N2 M0
T2a/b N1 M0
T3 N0 M0
Stade IIIA T2a/b N2 M0
T3 N1 M0
T4 N0 M0
Stade IIIB T3 N2 M0
Stade IV T4 N1-3 M0
T1-3 N3 M0
N’importe quel T N’importe quel N M1
Tableau 3. Regroupement en stade (AJCC 2002)
• Formule sanguine, tests hépatiques et fonction rénale
• Gastroscopie avec biopsies multiples (éventuellement profondes)
• Scanner thoracique et abdominal (stades N et M)
• Echoendoscopie haute (stades T et N)
Transit baryté si tumeur proximale et/ou si traitement néoadjuvant
IRM et/ou ultrason hépatique en cas de suspicion de lésions hépatiques
• PET-CT si bilan scanographique équivoque
• Scintigraphie osseuse à envisager si clinique d’une dissémination osseuse et bilan
scanographique négatif
Tableau 4. Bilan initial avant traitement
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tumeur gastrique en raison de l’éventail
des possibilités thérapeutiques. Le meil-
leur moyen est d’en discuter en équipe
multidisciplinaire réunissant au minimum
lechirurgien, l’oncologue, le radiothéra-
peute et le pathologue. Il est bien entendu
fondamental de prendre en considéra-
tion les préférences et volontés du patient
afin d’opter pour une stratégie adéquate.
Les objectifs de cette réunion multidisci-
plinaire peuvent être résumés en quelques
points :1) s’entendre sur le diagnostic
histologique avec au besoin révision et/
oucomplément de l’examen anatomo-
pathologique, 2) déterminer le stade tu-
moral (staging) en fonction de la clinique,
des examens radiologiques et endosco-
piques, 3) définir l’objectif thérapeutique
(curatif ou palliatif) et 4) convenir des mo-
dalités de la prise en charge (traitement
néoadjuvant, chirurgie en première inten-
tion éventuellement suivie d’un traitement
adjuvant, chimiothérapie ou radiothérapie
exclusive) en fonction du stade tumoral
mais également en tenant compte de
l’âge, des comorbidités ainsi que de la
présentation clinique du patient.
CHIRURGIE
La chirurgie est le seul traitement po-
tentiellement curatif du cancer gastrique.
Elle est recommandée pour les stades I
àIIIB avec un objectif curatif. Elle peut
également, de cas en cas, êtreenvisagée
àtitre palliatif dans le stade IV.23 L’exten-
sion de la résection gastrique dépend de
la localisation de la tumeur et consiste
généralement en une gastrectomie tota-
le pour les tumeurs proximales et subto-
tale pour les tumeurs distales. La résec-
tion muqueuse par voie endoscopique
(Endoscopic mucosal resection ou EMR)
est une technique intéressante, pour la-
quelle seuls les auteurs japonais et co-
réens ont actuellement acquis une expé-
rience importante. L’avantage majeur de
l’EMR est de préserver l’estomac, ce qui
permet donc de maintenir un excellent
confort digestif. Les indications à l’EMR
sont strictement limitées aux lésions mu-
queuses n’ayant qu’un faible risque d’at-
teinte ganglionnaire. Une étude récente
montre qu’une invasion ganglionnaire est
déjà présente dans 4,8% des tumeurs
limitées à la muqueuse et dans 23,6%
des tumeurs envahissant la sous-mu-
queuse.24 Différents facteurs influencent
le risque de dissémination ganglionnaire,
dont les principaux sont le type histolo-
gique, la superficie de la lésion primaire,
la présence et la taille d’une ulcération
gastrique. Des données récentes suggè-
rent de limiter les indications à l’EMR aux
atteintes muqueuses sans ulcère indiffé-
remment du type histologique, ou aux at-
teintes muqueuses d’un carcinome bien
différencié avec un ulcère d’une taille in-
férieure à 2 cm.25 Il n’y a pas de place
pour ce geste lors d’une invasion de la
sous-muqueuse. Ajoutons pour terminer
que la pratique de l’EMR est technique-
ment exigeante pour le gastro-entérolo-
gue, et que le pathologue doit également
être spécialement formé à l’analyse des
pièces.
L’étendue de la dissection ganglion-
naire lors de la gastrectomie reste large-
ment sujette à débat. Trois niveaux de
dissection ganglionnaire ont été décrits
(D1 à 3).26 Le premier consiste à réséquer
uniquement les ganglions périgastriques
(D1). Le deuxième niveau comprend le
premier avec la résection complémentai-
redes ganglions du tronc cœliaque et de
ses branches (artères gastrique gauche,
hépatique commune, et splénique) (D2).
Le troisième niveau comprend les deux
premiers avec les ganglions para-aor-
tiques, rétropancréatiques, et des artè-
res mésentérique supérieure et colique
moyenne (D3). Bien que l’opinion géné-
rale (d’après les résultats de plusieurs
séries rétrospectives et prospectives non
randomisées) soit en faveur d’une dis-
section D2 plutôt que D1, aucune étude
randomisée occidentale n’a pu jusqu’ici
démontrer un tel bénéfice.27,28 Ces étu-
des ont démontré au contraireque le
risque immédiat (morbidité et mortalité de
la chirurgie) était significativement plus
élevé dans le groupe D2. Il faut cepen-
dant souligner à ce propos que, dans
ces études, l’intervention chirurgicale D2
comprenait une splénectomie et une
pancréatectomie distale systématiques,
ce qui explique clairement l’augmenta-
tion du risque opératoire dans ce grou-
pe. En effet, la splénectomie est un fac-
teur de mauvais pronostic indépendant
en analyse multivariée. L’expérience de
l’opérateur (liée au nombre de gastrecto-
mies effectuées par année) joue vrai-
semblablement un rôle important pour
réduire la morbidité et la mortalité pério-
pératoire. Une récente étude randomi-
sée italienne a par exemple montré que
lerisque immédiat de la dissection D2
n’était pas supérieur à celui de la dissec-
tion D1 si les opérateurs étaient suffisam-
ment entraînés.29Enfin, les résultats tar-
difs de l’étude hollandaise ont clairement
démontré qu’après onze ans la survie
des patients N2 était significativement
plus élevée après dissection D2 et que,
sur l’ensemble du collectif, la dissection
D2 offrait une probabilité significativement
plus élevée de guérison que la dissec-
tion D1, pour autant qu’elle ait été effec-
tuée sans splénectomie et/ou sans pan-
créatectomie distale.30
Les recommandations actuelles de
l’IGCA (International Gastric Cancer As-
sociation) établies à Rome en 2005, pro-
posent de réaliser systématiquement, en
cas de chirurgie à visée curative, une dis-
section D2 un peu réduite (dissection de
l’artère splénique limitée à ses cinq pre-
miers centimètres), avec des indications
très restrictives à la splénectomie et/ou à
la pancréatectomie distale (tableau 5).
L’IGCA a proposé de retenir comme critè-
rede qualité pour la chirurgie le nombre
total de ganglions réséqués : le minimum
pour un staging correct est de quinze
ganglions réséqués; une chirurgie curati-
ve optimale devrait emporter un minimum
de 25 ganglions.
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§
• Dissection systématique des ganglions N1 (groupes 1-6)
Dissection systématique des ganglions centraux
De l’artère hépatique (groupe 8)
De l’artèregastrique gauche (groupe 7)
Du tronc cœliaque (groupe 9)
Dissection des cinq premiers centimètres centraux de l’artère splénique (groupe 10)
• Indications restrictives à la dissection complète de l’artère splénique et à la splénectomie
(tumeurs gastriques proximales ou tumeurs de la grande courbure et intervention par
ailleurs curative)
Indications à la pancréatectomie distale strictement limitées aux invasions tumorales
directes de la queue pancréatique et intervention par ailleurs curative
Tableau 5. Recommandations 2005 de l’IGCA (International Gastric Cancer
Association)
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§
CHIMIOTHÉRAPIE ET RADIO-
THÉRAPIE PÉRIOPÉRATOIRE
La chimiothérapie adjuvante dans le
cancer gastrique apporte un bénéfice mo-
deste avec une diminution du risque rela-
tif de mortalité variant entre 12% à 28%
selon les méta-analyses. Toutefois, celles-
ci regroupent des études comprenant
souvent de petits collectifs de patients et
des schémas de traitement désuets.31
En absolu, la chimiothérapie adjuvante
ne représenterait qu’un bénéfice sur la
survie de 3 à 5%.
Deux études randomisées (un bras
investigationnel comparé avec une chi-
rurgie exclusive), la première aux Etats-
Unis et la deuxième en Grande-Bretagne,
ont récemment influencé la prise en char-
ge des tumeurs gastriques de chaque
côté de l’Atlantique. La première a dé-
montré un bénéfice sur la survie de la
radiochimiothérapie postopératoire (chi-
miothérapie de 5FU et leucovorine (LV)
d’induction) suivie d’une radiothérapie
de 45 Gy étalée sur cinq semaines com-
binées avec la même chimiothérapie en
début et fin de traitement. Deux cures
supplémentaires de 5FU et LVont été
administrées un mois après la fin de la
radiothérapie.32 Cette étude a toutefois
été vivement critiquée pour la mauvaise
qualité de la chirurgie gastrique, notam-
ment de l’étendue insuffisante du curage
ganglionnaire (54% des patients n’ont
même pas eu un curage D1 adéquat). Le
bénéfice de la radiochimiothérapie ne
pourrait refléter ici qu’une compensation
d’une chirurgie inadéquate. En consé-
quence, en Europe, celle-ci est principa-
lement indiquée lors d’une chirurgie gas-
trique jugée «limite» ou insuffisante. La
deuxième étude a évalué une chimiothé-
rapie périopératoireavec trois cycles
d’épirubicine, cisplatine et 5-FU avant et
trois cycles après l’intervention chirurgi-
cale.33 Celle-ci a non seulement démon-
tré un downstaging tumoral dans le bras
investigationnel mais également un bé-
néfice sur la survie. De plus, le taux de
complications postopératoires était simi-
laire dans les deux bras. Ce programme
thérapeutique est en passe de devenir le
standard en Europe. Il est recommandé
pour les stades II et III.
La chimiothérapie adjuvante doit être
administrée dans les six à huit semaines
postopératoires. Malheureusement, il est
souvent difficile de la débuter en raison
de l’état général précaire de la majorité
des patients. Dans l’étude anglo-saxon-
ne, seuls 55% des patients ont pu débu-
ter la chimiothérapie postopératoire et
seulement 43% ont complété les six cy-
cles prévus. Une explication plausible est
lemauvais status nutritionnel postopéra-
toire en raison d’apports caloriques insuf-
fisants.34Un suivi nutritionnel est donc
capital.
Une alternative est donc d’effectuer
uniquement une chimiothérapie néoad-
juvante. Celle-ci a comme avantage la
possibilité d’évaluer la réponse au traite-
ment avec un changement de régime si
nécessaire, d’obtenir un downstaging tu-
moral pouvant faciliter l’intervention chi-
rurgicale ainsi que de bénéficier d’un effet
systémique précoce. De plus, il existe un
avantage théorique à administrer un trai-
tement sur une tumeur vierge de tout re-
maniement postopératoire (vascularisa-
tion intacte sans remodelage fibrotique
postopératoire). Une étude récente a com-
paré une chimiothérapie néoadjuvante
(quatre cycles de docétaxel, cisplatine et
5FU) suivie d’une chirurgie avec le même
régime en traitement adjuvant.35 Celle-ci
aconfirmé le taux faible de patients pou-
vant bénéficier d’une chimiothérapie ad-
juvante (66% des patients débutent la
chimiothérapie adjuvante et seulement
34% la complètent). En revanche, ce pour-
centage est nettement supérieur dans le
bras néoadjuvant (97% débutent la chi-
miothérapie et 74% la complètent) sans
nuirl’éligibilité chirurgicale (94% des
patients sont opérés). Il faut souligner par
ailleurs quatre réponses histopathologi-
ques complètes dans le bras néoadju-
vant. Ce schéma est par ailleurs très at-
tractif de par une efficacité clinique et
radiologique précoce (temps de réponse
radiologique de 1,6 mois).36 Ce régime
de chimiothérapie néoadjuvante constitue
donc une alternative au régime anglo-
saxon, et constitue le standard actuel à
l’Hôpital universitaire de Genève pour les
tumeurs avec atteinte ganglionnaire ou
localement avancée, considérée toutefois
comme opérable (T2N+ ou T3-4 N0/N+
M0).
CHIRURGIE DE CYTORÉDUC-
TION AVEC CHIMIOTHÉRAPIE
INTRAPÉRITONÉALE
La carcinose péritonéale a un très mau-
vais pronostic, avec une survie moyenne
estimée à 6,5 mois lors d’une maladie
limitée au péritoine. Il existe cependant
une grande variabilité de survie en fonc-
tion de l’étendue et de la taille des im-
plants péritonéaux, avec une survie esti-
mée à près de 9,8 mois pour des implants
tumoraux inférieurs à 5 mm et seulement
de3,7 mois pour des implants plus grands
que 2 cm.37Ilexiste plusieurs systèmes
de classification de l’étendue de la carci-
nose péritonéale afin d’évaluer le pro-
nostic. Le plus communément utilisé en
Europe est le système de Gilly décrit dès
1994 (tableau 6).38
Une approche thérapeutique possible,
réservée aux cas de maladie strictement
limitée au péritoine, consiste en l’asso-
ciation d’une chirurgie de cytoréduction
afin d’éliminer, si possible, complètement
la maladie macroscopique et d’une chi-
miothérapie intrapéritonéale afin d’éradi-
quer la maladie microscopique résiduelle.
La cytoréduction chirurgicale est capitale
car la chimiothérapie intrapéritonéale ne
pénètre que de 2 à 5 mm dans les nodu-
les carcinomateux. Afin d’augmenter l’ef-
ficacité de la chimiothérapie, il est pos-
sible de recourir à la chaleur.En effet, il a
été démontré in vitro que l’hyperthermie
anon seulement un effet cytotoxique pro-
pre à 42,5°C, mais aussi qu’elle est capa-
ble d’augmenter l’efficacité de cytotoxi-
ques tels que la mitomycine, le cisplatine
ou l’oxaliplatine.39
Plusieurs séries non randomisées ont
montré des résultats encourageants. Cer-
tains sous-groupes de patients ont clai-
rement semblé bénéficier tout particuliè-
rement de cette intervention combinée.
Le facteur pronostique le plus important
est une cytoréduction complète. La sur-
vie varie donc selon l’étendue et selon le
stade de la carcinose péritonéale, avec
une survie médiane de dix-neuf mois pour
0Revue Médicale Suisse
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5août 2009 Revue Médicale Suisse
www.revmed.ch
5août 2009 1573
§
§
Stade Description
0Pas de maladie macroscopique
I• Nodules tumoraux l5mm de
diamètre
• Localisés dans une partie de
l’abdomen
II • Nodules tumoraux l5mm de
diamètre
• Disséminés dans tout l’abdomen
III Nodules tumoraux de 5 mm à
2cm de diamètre
IV • Nodules tumoraux L2cm de
diamètre
Tableau 6. Stadification de la car-
cinose péritonéale selon Gilly
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