2
De ce fait, l'islam, dans ses formulations dogmatiques comme dans son expérience concrète, est aussi
proche de la politique que de la religion. Il constitue bien une religion civile, au sens de religion sans
« église », comme le reconnaissent eux-mêmes les partisans de l'islamisme politique. Le principe
premier, fondamental, de l'Islam va impliquer directement, dans l'organisation sociale de la religion,
l'intervention concomitante de la masse du peuple des croyants, du pouvoir politique et du corps des
gestionnaires du sacré. Autrement dit, l'orthodoxie ne peut plus être l'apanage des seuls gestionnaires
du sacré, les oulémas, mais elle va résulter d'une sorte de « sainte alliance » entre les trois composantes
de l'ordre social et religieux, « la sainte alliance des gens du livre, du sabre et du pain quotidien ».
… face aux révoltes et aux révolutions arabes
Si la constitution d’une orthodoxie est un phénomène historique qui consacre le poids d’une majorité
politique et religieuse, comment lire les phénomènes parfois contradictoires que nous voyons apparaitre
dans les sociétés qui se sont récemment soulevées, comme la Tunisie ? Le prof. Ben Achour interprète
l’intégrisme, la montée en puissance du salafisme (prosélyte ou combattant) et du radicalisme religieux
(Daech, al Qada, et leur essaimage), en Tunisie et ailleurs, comme un refus de voir cette orthodoxie
disparaître alors qu’elle est extrêmement menacée.
La perception de cette menace remonte au 19ème siècle et démarre avec le processus de colonisation qui
cause une rupture majeure dans l’évolution « naturelle » des sociétés majoritairement musulmanes
(entre autres l’émergence de mouvements réformistes internes, le découpage géographique, l’affaire
palestinienne, etc.). Une partie des musulmans perçoit que son intégrité historique est menacée dans sa
formulation orthodoxe ; ce danger de perte de sens et de perdition mène à la reformulation d’une
nouvelle revendication d’orthodoxie dans laquelle l’élément externe –l’occident-, en négatif, est
omniprésent, et revitalise les éléments radicaux. Face à ce monde agressif à l’égard de l’islam, aliéné et
acculturé, tout doit être mis en œuvre (production littéraire et geste sacrificiel) pour faire triompher sa
cause ou nuire à l’adversaire (ex. du terrorisme). Ainsi, défendre une foi et une orthodoxie, revenir au
Coran, au Prophète, s’en tenir à la lettre, serait le seul moyen de défendre l’intégrité du système
religieux orthodoxe sunnite.
A l’occasion des récentes révoltes arabes, on a assisté à la revitalisation de cette orthodoxie de masse.
Or, comment comprendre ce décalage, pour ne pas dire ce divorce vécu en Tunisie, entre le peuple de la
révolution et celui des élections ? D’autant que la révolution tunisienne a jailli du peuple de manière
endogène et ne constitue pas un « article d’importation ». En effet, si la Tunisie a réussi à aboutir à une
constitution démocratique, c’est grâce à la force de la société civile et de ses idées démocratiques. C’est
elle qui a arraché une Constitution démocratique à une assemblée constitutionnelle, malgré une
majorité islamiste qui voulait faire figurer la Chari’a comme source de législation, l’islam comme religion
d’Etat ou encore pénaliser l’atteinte au sacré.
A défaut d’avoir un effet global sur la société, la révolution tunisienne semble même avoir aggravé
certaines de ses contradictions. En effet, une révolution libère tout le monde, les religieux et les anti-
religieux, les « modernes » et les « anti-modernes », etc. Cependant, face aux négateurs de la révolution,