À Jean Mesnard : J’avais l’intention de citer Platon en me référant au
discours de Madame le Président lors de la Séance solennelle du 16 novembre,
discours dans lequel elle citait Yves Coppens estimant que l’homme préhistorique
rentre dans la religion à partir du moment où il découvre une âme.
Lorsqu’Olivier Clément sort du nihilisme, il se rend compte que notre relation
au monde est généralement trop abstraite et que nous ne partons pas d’une
expérience, de la présence qui nous touche au plus profond de nous-mêmes. Je
découvre soudain au fond de moi-même un Autre qui veut que je sois moi-même.
C’est vrai que Socrate emploie toute sa vie à libérer l’âme des hommes à
travers le dialogue questionnant qu’il a avec ses interlocuteurs et, souvenons-nous,
l’essentiel du Politique de Platon vise à donner une âme à la cité. Assurément, on ne
saurait penser le religieux sans l’expérience de l’âme.
À Jean-Robert Pitte : Je me réjouis de savoir que je peux partager avec des
catholiques et des protestants un certain nombre d’intuitions fondamentales, même
si sur des plans théologique ou ecclésiologique on est amené à se distinguer les uns
des autres. La force du christianisme, c’est d’être une parole qui s’adresse à tous et
qui se réfère à une expérience fondamentale que peut faire chacun d’entre nous.
À Bernard Bourgeois : Spinoza pensait immodestement qu’il y avait eu
deux philosophes importants : le Christ et lui. Toutefois il reconnaissait dans le Christ
l’entendement de Dieu. Spinoza revient à ce que l’on peut appeler l’intuition
cosmique du divin si bien qu’il est possible de penser d’une part Spinoza et d’autre
part la transcendance, non pas en les confondant, mais en les hiérarchisant.
Ce que je retiens de Hegel, dont vous êtes un très éminent spécialiste, c’est
une philosophie du temps qui donnerait sens à cette parole de l’Ecclésiaste : « Il y a
un temps pour tout ». Je crois qu’il y a un temps pour l’homme cosmique et pour
l’immanent. L’idée de Spinoza est que Dieu est infiniment plus réel qu’on ne le pense
puisqu’il s’exprime à travers la nécessité.
Un autre geste philosophique est à mon avis important – et Spinoza ne
s’exprime pas sur ce sujet – c’est l’expérience personnelle qui soudain amène
quelqu’un à s’interroger sur le sens de l’existence.
À Jacques de Larosière : Il est évident que l’Orthodoxie présente des
aspects figés. La tentation de l’Orthodoxie peut être parfois celle d’un repli sur soi.
Mais il y a également quelque chose dans l’Orthodoxie qui en fait une expérience de
liberté, dans la mesure où l’Eglise des saints y occupe une place centrale. Par
l’expérience mystique des saints, l’Orthodoxie parvient à un très grand degré de
liberté et à une paradoxale modernité, modernité dans l’approche des choses et
modernité dans la vision des hommes.
Au niveau de la spiritualité orthodoxe, deux choses sont à retenir.
Premièrement, la vision en plénitude nous amène à respecter tous les aspects de
l’homme, l’aspect cosmique, l’aspect anthropologique et l’aspect transcendant.
Deuxièmement, en termes spirituels, il faut donner du temps aux hommes. Chacun a
son temps d’évolution qui passe par différentes phases. Certains sont dans le temps
cosmique, d’autres sont dans l’expérience de la civilisation et de l’homme de la cité,
d’autres encore s’ouvrent peu à peu à la dimension transcendante. En donnant du
temps, on peut réconcilier le monde et éviter que les cultures ne se fracassent les unes
contre les autres.
L’Orthodoxie pense que la religion fait partie de la réalité et qu’une religion
n’est pas seulement quelque chose qui se choisit. Elle n’a pas cette vision occidentale